lundi 13 mai 2024

Terminales HLP: Education, transmission, émancipation


« Évitons tout malentendu : il me semble que le conservatisme, pris au sens de conservation, est l’essence même de l’éducation, qui a toujours pour tâche d’entourer et de protéger quelque chose – l’enfant contre le monde, le monde contre l’enfant, le nouveau contre l’ancien, l’ancien contre le nouveau. Même la vaste responsabilité du monde qui est assumée ici implique bien sûr une attitude conservatrice. Mais cela ne vaut que dans le domaine de l’éducation, ou plus exactement dans celui des relations entre enfant et adulte, et non dans celui de la politique où tout se passe entre adultes et égaux. En politique, cette attitude conservatrice – qui accepte le monde tel qu’il est et ne lutte que pour préserver le statu quo – ne peut mener qu’à la destruction, car le monde, dans ses grandes lignes comme dans ses moindres détails, serait irrévocablement livré à l’action destructrice du temps sans l’intervention d’êtres humains décidés à modifier le cours des choses et à créer du neuf. Les mots d’Hamlet : “Le temps est hors de ses gonds. O sort maudit que ce soit moi qui aie à le rétablir”, sont plus ou moins vrais pour chaque génération, bien que depuis le début de notre siècle, ils aient acquis une plus grande valeur persuasive qu’avant.
Au fond, on n’éduque jamais que pour un monde déjà hors de ses gonds ou sur le point de s’en sortir, car c’est là le propre de la condition humaine que le monde soit créé par des mortels afin de leur servir de demeure pour un temps limité. Parce que le monde est fait par des mortels, il s’use ; et parce que ses habitants changent continuellement, il court le risque de devenir mortel comme eux. Pour préserver le monde de la mortalité de ses créatures et de ses habitants, il faut constamment le remettre en place. Le problème est tout simplement d’éduquer de façon telle qu’une remise en place demeure effectivement possible, même si elle ne peut jamais être définitivement assurée. Notre espoir réside toujours dans l’élément de nouveauté que chaque génération apporte avec elle ; mais c’est précisément parce que nous ne pouvons placer notre espoir qu’en lui que nous détruisons tout si nous essayons de canaliser cet élément nouveau pour que nous, les anciens, puissions décider de ce qu’il sera. C’est justement pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l’éducation doit être conservatrice ; elle doit protéger cette nouveauté et l’introduire comme un ferment nouveau dans un monde déjà vieux qui, si révolutionnaire que puissent être ses actes, est, du point de vue de la génération suivante, suranné et proche de la ruine. » 

       Hannah ARENDT - La crise de la culture


Ce texte est extrait d’un chapitre intitulé « la crise de l’éducation »  que l’on retrouve dans « la crise de la culture » paru en 1958. Il est impossible d’en saisir la portée sans évoquer ce qui précède immédiatement ce passage dans l'article lui-même. C’est ce que nous nous proposons de réaliser d’abord: résumer les points qui sont évoqués avant l’extrait en question.


1) Préambule: la distinction entre potestas et auctoritas (potentia)

Il suffit de lire quelques lignes du texte pour comprendre que Hannah Arendt y défend la thèse d’un conservatisme nécessaire de l’éducation. C’est une thèse qui peut surprendre au regard des engagements politiques de la philosophe qui ne se situent pas vraiment à droite de l’échiquier idéologique et politique de la pensée. C’est la raison pour laquelle le texte commence par « évitons tout malentendu ». Elle dissociera plus tard la politique et l’éducation. Autant il convient d’être « progressiste » en politique, autant il convient de demeurer conservateur.trice dans le domaine de l’éducation. Mais pourquoi?

Si nous aurons quelques éléments de réponse à cette question à la fin de ce passage, on ne peut vraiment en saisir la portée et l’amplitude qu’en remontant en amont du texte. Quelques lignes avant cet extrait, Hannah Arendt décrit l’éducation comme la tâche qui consiste à intégrer un enfant dans le monde tel qu’il est, ce qui suppose que les éducateurs doivent assumer la responsabilité de ce monde là, présent, efficacement dans toute son héccéïté. Par ce dernier terme, il faut simplement entendre le sens étymologique de ce terme: « haec », « cette chose là », ce monde-ci, tel qu’il est maintenant. Ce terme de responsabilité est vraiment important. Cela veut dire que l’on attend d’un « éducateur » qu’il réponde de ce monde là, tel qu’il est maintenant, même et peut-être surtout s’il n’est en rien directement responsable de son état et mettons qu’il soit critique. 

- "Ce temps que j’ai passé dans ce monde avant toi a été mis à profit par moi, non pas pour le comprendre, non pas pour l’expliquer, pas même pour le justifier mais pour l’assumer, parce que de fait, ce que j’ai à faire moi pour toi, c’est cela: « assumer »"

            Essayons de traduire ce terme: "assumer" en précisant le discours qui sous-tend l'activité même d'éducateur.trice:

-  « Ecoute, ça ne te plaira sûrement pas, mais bon! C’est ça maintenant! Et puis c’est tout! La nature de nos rapports, ce sera qu’entre toi et moi il va y avoir un monde dont j’assume la présence et la responsabilité, bien que ce ne soit pas nécessairement de ma faute si ce monde est ce qu’il est maintenant. J’étais là « avant toi », et j’accepte d’assumer la responsabilité du fait que le monde soit « ce » monde."

         Et c’est justement ça l’héccéïté. Un éducateur ou un parent, c’est fondamentalement cela: un être humain qui assume devant un autre être humain « tout neuf » la responsabilité de l’état du monde qui est là maintenant. Évidemment, plus le monde tel qu’il est à ce moment là se situe dans un seuil critique, parcouru de crises, traversé de violences et d’absurdités, plus la tâche de l’éducateur est difficile, peut-être impossible. Avoir à répondre d’un monde de plus en plus inhabitable, inique, cruel, climatiquement instable, c’est cela qui incombe aux éducateurs et aux parents d’aujourd’hui. Finalement cela revient à avoir à répondre d’un monde immonde (sachant que l’étymologie du terme immonde est « hors monde »).

Hannah Arendt (qui n'écrit pas dans une époque que l'on pourrait dire aussi critique que celui d'aujourd'hui, en tout cas, du point de vue de l'opinion des populations sur le monde) articule à cette responsabilité plus que nécessaire: incontournable de l’éducateur.trice la notion d’autorité. Pour venir à bout de cette tâche, il faut de l’autorité. Des éducatrices, on attend qu’elles connaissent le monde (compétence) et qu’elles en assument l’existence aux yeux de celles et ceux qu’elles éduquent (autorité). Or cette autorité n’est plus aussi facilement praticable  qu’avant à cause du totalitarisme qui a substitué à cette autorité la terreur, laquelle n’a vraiment rien à voir mais vraiment rien avec l’autorité. Ce point est d’autant plus fondamental que certains enseignants utilisaient parfois la terreur pour enseigner, ce qui est un contre-sens tragique. On ne respecte pas ce que l’on ne fait que craindre. Avoir de l’autorité, selon Hannah Arendt, c’est simplement assumer la responsabilité du monde en marche, tel qu’il est maintenant.



Il existe aujourd’hui un refus de l’autorité que l’on peut interpréter de deux façons:

  • Cela peut signifier que l’on demande à chacune et à chacun d’assumer ce monde là, et donc pas davantage à tel ou tel. Le professeur ne serait pas plus qu'un autre voué à ce travail là
  • Ou alors cela veut dire que l’on désavoue le monde, que l’on s’en désolidarise. « Ce n’est pas ma faute »: personne ne peut mener à bien la moindre tâche d’éducation avec un tel slogan.

C’est probablement ici le point délicat de toute cette démonstration, le moment qu’il convient de défendre et d’expliquer avec le plus de soin. Un.e éducateur.trice est une personne qui assume devant un « nouvellement né », ou si l’on préfère un nouvel « arrivant » que ce monde soit celui-là, qu’il soit ce moment là de ce que « c’est qu’être un monde ». Il est évident que ce monde n’est pas celui que l’éducateur.trice a souhaité mais « c’est comme ça ». Cette responsabilité peut apparaître comme « intenable », surtout aujourd’hui, tout simplement parce que la personne éduquée va tôt ou tard s’interroger et questionner implicitement ou explicitement l’éducateur.trice: « mais comment peux-tu assumer le fait de vouloir m’intégrer à ce qui n’est plus « intégrant »? Comment pouvez-vous me demander de prendre place dans un monde hors monde (immonde) ? 

A cette question, en marge de ce que Hannah Arendt va développer, nous pouvons tenter une formulation, à savoir qu’une seule réponse est possible à cette question, c’est « parce que tu portes un monde! Parce que le travail d’un être humain , c’est précisément cela: être porteur, configurateur (pour reprendre les termes de Heidegger) de monde. Tu es une perspective de monde possible, ce qui signifie que finalement l’idée d’un état du monde est toujours sujette à caution. Ce n’est pas du tout que les enfants vont changer le monde et le rendre meilleur. C’est plutôt que tout être humain est une certaine « autre » interprétation d’un monde possible et qu’à ce titre, ce qui importe c’est que cette autre façon de voir le monde s’assume. Mais cette assomption ne pourra jamais être menée à bien si l’on est éduqué.e par des éducateurs ou des parents qui n’assument pas le monde tel qu’il est maintenant (on peut citer ici deux philosophies très différentes mais qui ont ce point commun d'être des perspectivismes: Leibniz et Nietzsche)

Hannah Arendt dénonce  alors l’assimilation de l’autorité des éducateurs avec celle des instances du gouvernement politique. 

ATTENTION: ce point est très important parce que, comme l'une d'entre vous l'a très justement remarqué, c'est finalement le même terme que l'on utilise ici: "autorité", MAIS il y a l'autorité et LES autorités. Du singulier au pluriel on passe en fait d'un sens à un tout autre sens. C'est vraiment essentiel pour saisir tout ce qui va suivre et notamment la distinction entre potestas, en latin (le pouvoir) et auctoritas (l'autorité en lien avec potentia: la puissance). Avoir de l'autorité, cela n'a rien à voir avec le pouvoir, c'est plutôt la capacité à compter pour quelqu'un, la puissance d'influence (favorable) que l'on peut exercer sur quelqu'un afin que cette personne se sente suffisamment en confiance pour agir. Comme nous le verrons plus loin dans le cours auctoritas vient de auctor (auteur) qui vient lui même de augere: croître, faire croître, favoriser la croissance de...La distinction qu'il va s'agit pour nous de clarifier suppose une analyse suffisamment fine des différences de termes pour distinguer très clairement dans notre esprit les autorités (pouvoir) et l'autorité (puissance, jouir auprès d'une personne d'une confiance suffisante pour que cette personne puisse se libérer à notre contact). 

        Il semble que nous ayons d’autant plus de mal à respecter l’autorité des éducateurs qu’il devient impossible de respecter l’autorité des gouvernants.  Pourquoi? Parce que le modèle de l’autorité politique a longtemps été défini, bien à tort, par l’autorité des enseignants ou des parents, comme si le président était un père ou un professeur (et de fait il existe beaucoup de dirigeants qui traitent leurs administré.e.s comme des élèves….Euh je me demande de qui je peux bien être en train de parler ????). 

Mais c’est une erreur et une faute selon Hannah Arendt qui est assignable à toute une tradition de pensée dont on peut tenir comme responsable Platon entre autres, et toute idéologie paternaliste intronisant le président comme père de la nation. Il convient de réfuter cette assimilation de l’autorité éducative à l’autorité politique pour deux raisons: 

  • Autant la première est intégrale en ce sens que le bébé est vraiment sans défense et qu’il faut s’en occuper entièrement, autant la seconde ne l’est pas
  • L’autorité de l’éducateur ou du parent est provisoire et vouée à disparaître, à s’auto-détruire, pas celle du gouvernant.

L’autorité des instances éducatrices est entière et momentané, celle des instances politiques est relative et durable. Toute confusion de l’une à l’autre est donc très dommageable et destructrice. A ce moment de son raisonnement Hannah Arendt fait un rapprochement très éclairant sur les EU où elle habitait: Il existe peut de pays dans lesquels l’autorité politique soit aussi contestée que celui-là et de fait, c’est aussi celui où l’éducation publique est  la plus abandonnée (délabrement de l'éducation dans les établissements publics). Évidemment la situation n’a fait qu’empirer et on n’a pas de mal à imaginer ce que Hannah Arendt dirait aujourd’hui des EU d’aujourd’hui. Nous pouvons en effet, mettre en rapport l’invasion du Capitole par les partisans déchaînés de Donald Trump et une situation plus que critique de l’éducation, puisque il en va de l’éducation dans ce pays comme de la santé, à savoir qu’elle est marquée par l’inégalité la plus criante selon le critère de l’aisance financière des parents.



Tout le propos finalement de Hannah Arendt trouve ici son lieu d’ancrage le plus étayé et le plus revendiqué: C’est précisément parce que l’autorité éducative est dans sa structure même provisoire qu’elle se doit d’être absolument et rigoureusement maintenue (attention cette rigueur ne signifie pas du tout: sévérité) et inversement c’est justement parce que l’autorité politique est vouée à durer qu’elle se doit d’être discutée, c’est-à-dire produite par des instances de délibération au sein d’un espace public (la cité). L’éducation c’est la condition sine qua non sans laquelle il ne peut exister d’homme moderne. Il est fait référence ici à un autre livre de Hannah Arendt: « conditions de l’homme moderne ». En fait la condition (au sens de nécessité pour…) pour qu’il y ait « de l’homme moderne » c’est que l’éducateur puisse assumer l’autorité grâce à laquelle il y aura pour l’homme de quoi assumer son était (condition) d’homme « moderne ».

Il convient VRAIMENT d’éclairer cette notion d’autorité qui souffre énormément du rapprochement que l’on peut faire avec le terme  utilisé, souvent mis au pluriel (les autorités)  pour désigner dans une société l’instance qui autorise ou pas des actions. Est-ce que Hannah Arendt est en train de nous dire qu’il faut rétablir l’autorité de l’enseignant.e et des éducateur.trice.s ? Oui, sans aucun doute, mais il va de soi dans tout son propos antécédent que cette tâche n’incombe nullement pour le coup aux autorités. Quiconque réfléchit un tant soit peu à la notion d’autorité comprend qu’elle ne peut se concevoir que par une implication, un mouvement d’assomption qui relève de l’enseignant.e en premier lieu, et en un sens: exclusivement.




Soyons plus clair: depuis plusieurs années, nous entendons ce slogan prononcé par différents ministres qui se succèdent à l’éducation nationale: « restaurer l’autorité de l’enseignant » et puis nous entendons des « mesures » qui ont toutes ce point commun de tenter de promouvoir l’autorité dune personne sur d’autres personnes par des biais qui sont extérieures à cette personne elle-même, comme s’il pouvait relever d’un pouvoir (extérieur donc) de susciter l’autorité d’une puissance (intérieure). L’éducation est une tâche dont l’exécution requiert une part non négligeable d’investissement intérieur, tout simplement parce que si l’on peut apprendre à une personne à écrire un cours ou à planifier une séquence de cours par de la transmission, il est absolument impossible de lui apprendre à croire à ce qu’elle dit pendant qu’elle le dit, cela relève de la puissance, et pas du tout d’un pouvoir. Apprendre à d’autres personnes, c’est quelque chose qui s’apprend un peu mais qui doit s’assumer beaucoup, et il n’existe pas d’autres moyens de s’assumer que de saisir ce que veut dire l’ipséité chez Paul Ricoeur.

Il se trouve qu’étymologiquement il existe un lien très fort entre ipséité et autorité. Pour bien saisir tout ce qui se joue ici dans l’utilisation de ces mots, nous pouvons nous reporter à l’excellent cours développé sur le site: UNJF (université juridique  numérique francophone):

« Chez les Romains, nous trouvons à nouveau deux termes fondamentaux pour désigner le pouvoir (la potestas et l’auctoritas) que Cicéron nous invite à distinguer lorsqu’il écrit « Cum potestas in populo auctoritas in Senatu sit » (tandis que le pouvoir réside dans le peuple, l’autorité appartient au sénat, Cicéron, De Legibus, 3, 12, 38). La notion romaine de potestas est l’origine étymologique de notre terme moderne de « pouvoir ». 

Potestas mais aussi potentia viennent du verbe potere qui désigne le fait d’être capable, d’avoir une aptitude. La potentia désignait l’aptitude d’une personne ou d’une chose à affecter autrui. La potestas avait, elle, un sens plus strictement politique ; elle désignait l’aptitude de ceux capables de communiquer et d’agir ensemble. Elle finit donc par désigner la capacité collective d’agir qui se matérialisait dans la loi ; c’est pourquoi la potestas devint le synonyme du pouvoir légal. Au contraire, l’auctoritas ne renvoyait pas au nombre mais à une qualité d’origine divine. Auctoritas est affiliée à des notions comme Auctor (l’auteur au sens de celui qui a inspiré et non celui qui a construit que le latin appelle artifex), Augur ou au titre d’Augustus décerné pour la première fois à l’empereur Octave en 23 avant J-C. L’origine religieuse de la notion est incontestable ; comme l’écrit Hannah Arendt, « la force liante de l’autorité est en rapport étroit avec la force religieusement liante des auspices qui (…) révèlent simplement l’approbation ou la désapprobation des dieux quant aux décisions prises par les hommes. Les dieux aussi ont de l’autorité chez les hommes, plus qu’un pouvoir sur eux ; ils « augmentent » et confirment les actions humaines mais ne les commandent pas » (« Qu’est-ce que l’autorité ? » in H. Arendt, La crise la culture, Paris, Gallimard, « folio-essais », 1972, p. 162). Arendt rappelle ainsi que l’autorité signifie à l’origine ce qui augmente non pas au sens de développer quelque chose qui existe déjà mais de promouvoir du nouveau. C’est en ce sens qu’exercer l’autorité rejoint la notion voisine d’auteur. »

Quiconque entreprend de comprendre quoi que ce soit aux notions d’autorité, de pouvoir et de puissance (avec le rapport à l’ipséité) devrait vraiment lire et relire ce passage extrêmement éclairant notamment sur l’autorité dont un.e éducateur.trice peut (voire doit) se réclamer. 


Pouvoir est en latin désigné par deux termes: auctoritas et potestas. Ce dernier terme: potestas vient de potere  qui veut dire avoir une aptitude (une puissance, donc!). On peut dire par conséquent qu’en fait la distinction philosophiquement décisive entre pouvoir et puissance est déjà effective dans la distinction entre potestas (pouvoir légal) et potentia (puissance capacité aptitude). De fait, c’est bien ce qui va se passer puisque potestas va désigner exactement l’exercice du pouvoir légal alors que potentia va se prolonger dans l’utilisation du terme auctoritas (qui vient d’auctor: auteur, être l’auteur de…). Il faut absolument comprendre tout ce que sous-tend ce lien entre auctoritas et potentia. L’autorité désigne finalement à la fois une forme d’ascendant que l’on a sur quelqu’un qui ne se traduit pas nécessairement par un ordre donné (quelque chose de plus potentiel: avoir de l’ascendant, c’est compter auprès de quelqu’un, qualité que des éducateur.trice.s se doivent absolument d’avoir, d’assumer), et aussi l’aptitude à être l’auteur de quelque chose, à faire advenir du nouveau. La référence du cours revient précisément à Hannah Arendt: « Arendt rappelle ainsi que l’autorité signifie à l’origine ce qui augmente non pas au sens de développer quelque chose qui existe déjà mais de promouvoir du nouveau. »

Autrement dit, chez les romains "pouvoir" peut désigner deux choses qui sont vraiment différentes:

  • Potestas: qui désigne la capacité à exercer du pouvoir sur quelqu’un d’autre, à lui ordonner quelque chose, à déterminer son comportement par une action extérieure
  • Potentia qui signifie puissance, avoir de la puissance en soi et par soi, naturellement. C’est ce terme qui va donner auctoritas désirant ainsi la capacité à compter pour quelqu’un, à jouir d'une écoute d'une puissance d'influence, d'un poids, capacité qui ne se délégue pas.



Le fond de la distinction réside dans l’origine de ces deux « pouvoirs »: celle de la potestas est le nombre, la légitimité du plus grand nombre, celle de l’auctoritas est plutôt celle des Dieux. Il n’est pas « clair » (on pourrait d’ailleurs ici opposer le nombre et la notion de chiffre, ce qui reste à déchiffrer). On peut faire une chose en s’y sentant autorisé.e par une instance politique (potestas) et faire une chose en s’y sentant légitimé.e par les Dieux. « les Dieux écrit Hannah Arendt, ont de l’autorité sur les hommes plus que du pouvoir sur eux. » On se sent moins commandé par un supérieur qu’approuvé secrètement par les Dieux. C’est exactement l’autorité dont se réclame Antigone devant Créon. C’est même le fond de leur opposition et probablement le fond de l’œuvre de Sophocle. Il ne s’agit pas ici d’une force liante horizontale (la majorité qui se dégage des urnes lors d’un scrutin) mais d’une force liante verticale des Dieux à nous, mais plus encore de soi-à soi-même. Greta Thunberg n’a aucune légitimité politique à insulter les dirigeants élus des grandes nations mais elle a l’autorité secrète, « chiffrée », énigmatique d’une puissance charismatique sidérante qui lui vient d’ailleurs, mais en même temps, cet ailleurs est ce qui fait qu’elle est elle-même (ipséïté): « comment osez-vous? »

En d’autres termes, nous retrouvons dés l’origine la distinction actuelle entre le pouvoir et la puissance dans la distinction latine entre potestas (pouvoir) et potentia (puissance), notion dans le prolongement de laquelle nous allons retrouver le concept d’auctoritas. Or Auctoritas vient d’auctor qui signifie auteur et vient de augere (augmenter et créer, faire advenir du nouveau). Nous y retrouvons donc bel et bien un écho avec le sens même de l’éducation, le sens authentique: libérer des puissance d’agir, créer les conditions qui favorisent l’aptitude à créer, à générer de la nouveauté et cela par ce qu’il faut bien appeler de l’autorité, au sens étymologique du terme qui se distingue de « commander » (« les Dieux augmentent et confirment les actions des hommes mais ils ne les commandent pas »). Nous retrouvons également dans l’origine très riche du terme la référence aux augures, aux signes précurseurs par lesquels des signes sont envoyés par les dieux aux hommes en guise de bons auspices, de signes favorables. La présence d’une personne autoritaire auprès des enfants n’a donc étymologiquement pas d’autres effets attendus que ceux d’encourager, de faire croître en eux leur puissance d’agir, leur aptitude à inventer. L’autorité c’est jouir auprès de quelqu’un d’un ascendant favorable susceptible de donner à la personne assez d’assurance pour oser s’affirmer telle qu’elle est, c’est-à-dire « neuve », inédite, porteuse d’une aptitude de renouvellement du monde et rien ne saurait être plus nécessaire au monde que cette aptitude là.



Si l’on ne connaît pas cette dissociation qui remonte à très loin entre potestas et auctoritas, on passe totalement à côté de ce que Hannah Arendt veut dire et probablement du sens authentique de toute pensée fine de l’éducation.

Évidemment ce que dit Hannah Arendt ici est assez dérangeant et cela pour deux raisons, au moins:

  • On ne peut pas « restaurer » de l’autorité, comme ne cesse de le marteler la plupart des ministres de l’éducation. Le primat posé par Hannah Arendt de l’autorité sur la compétence des éducateur.trice.s induit l’antériorité de la responsabilité de l’état du monde par rapport à la compétence pure de la transmission. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la façon dont est conçue la formation des éducateur.trice.s pour se rendre compte que c’est précisément l’inverse qui est pratiqué dans les instituts de formation des maîtres.  Il faut assumer aux yeux de quelqu’un qui ne le connaît pas encore la présence de l’ état du monde tel qu’il est au moment où l’élève va s’y intégrer, même si évidemment on n’est pas directement responsable de cet état. C’est exactement cela que signifie Hannah Arendt. Cette assomption est peut-être toute aussi impossible (parce que l’état du monde tel qu’il est est inassumable) qu’incontournable (parce qu’on ne voit pas comment on serait capable d’assurer sa tâche d’éducateur sans afficher l’autorité bienveillante (mais toute autorité authentique est bienveillante) du libérateur de la puissance de l’élève dans un monde qui vaut au moins cette peine là. Une chose est certaine en tout cas, cette autorité repose sur un concept que nous avons déjà croisé et qui est l’ipséïté (concept dont le sens implique un rapport au futur, à la promesse tenue, à la parole assumée, à un ethos consistant)
  • Si l’éducation implique cette autorité là, elle n’est pas complètement un concept laïc, puisque , chez les romains, l’auctoritas manifeste une puissance qui n’a aucun rapport avec le pouvoir de décision (potestas) d’une instance politique élue par le peuple (force liante horizontale du nombre) mais avec une force liante verticale du chiffre, de l’énigmatique origine d’un rapport aux divinités.


Si aux EU la crise de l’autorité politique a abouti à une crise de l’éducation, c’est justement parce que cette distinction n’a pas été faite, c’est-à-dire que l’on n’a pas tenu l’impératif imposé par l’esprit de distinction entre l’auctoritas et la potestas, de telle sorte que le conservatisme a gagné la politique et le progressisme l’éducation alors que c’est exactement le contraire qui aurait du se produire, selon Hannah Arendt. Pour que les nouvelles générations puissent rajeunir le monde, il faut que l’éducation demeure conservatrice, ce qui ne signifie rien de moins que « fondée sur l’auctoritas » au sens romain du terme, sur cette force liante verticale qui recèle quelque chose du mystère chiffré d’un rapport aux divinités, aux signes favorables qu’elles nous envoient. L’auctoritas n’est pas quelque chose qui se délègue ni qui s’apprend puisque elle consiste « in fine » et surtout aujourd’hui à assumer l’inassumable d’un monde abject, inéquitable, de plus en plus inhabitable.





2) L’explication du texte

Nous sommes maintenant armé.e;s pour comprendre parfaitement le texte en question. Il se compose de 4 parties:

1 - Evitons tout malentendu….Implique bien sûr une attitude conservatrice: une certaine définition du conservatisme

2 - Mais cela ne vaut que dans le domaine de l’éducation….une plus grande valeur persuasive qu’avant: Le conservatisme dans l’éducation est la condition de l’esprit révolutionnaire en politique

3 - Au fond on n’éduque jamais …être définitivement assurée:  sauver le monde

4 - Notre espoir réside toujours…à la fin du texte: L’éducation: un conservatisme révolutionnaire


Partie 1: Tout conservatisme implique un protectionnisme. Toutefois, nous mesurons bien la différence entre l’utilisation commerciale ou économique qui peut être faite de ce terme là (par exemple « America first » ou « make America great again ») et le sens qu’il peut revêtir dans l’éducation en tant qu’il implique alors une relation entre anciens et nouveaux, entre un monde qui meurt et un monde qui naît. L’éducation est une tâche qui requiert un sens affûté des lignes de frontières, une capacité à délimiter des territoires, des êtres, des époques. C’est une fonction-limite qui finalement consiste à marquer des seuils, à souligner des limites à ne pas franchir. Evidemment cela n’est pas sans nous rappeler le rôle de l’être humain dans son rapport aux biotopes tel que nous l’avions défini dans le cours précédent. Les métiers de l’éducation ne sont pas seulement humains en ceci qu’ils s’exercent dans un environnement humain, voire sur un « matériau » humain mais surtout parce qu’ils se situent dans le prolongement de ce qu’un humain « est » au sens Heideggerien de « configurateur de monde ». 

« Même la vaste responsabilité du monde qui est ici assumée implique une attitude conservatrice »: il convient vraiment de s’attarder sur cette phrase, à la lumière de tout ce qui a été dit dans le préambule. Il faut rappeler cette phrase: « La compétence du professeur consiste à connaître le monde et à pouvoir transmettre cette connaissance aux autres, mais son autorité se fonde sur son rôle de responsable du monde. Vis-à-vis de l'enfant, c'est un peu comme s'il était un représentant de tous les adultes, qui lui signalerait les choses en lui disant : « Voici notre monde. »

Evidemment la thèse défendue ici prend un sens décuplé aujourd’hui, qui suffirait à lui seul à prouver la prodigue capacité de Hannah Arendt à avoir anticipé dés 1958 le monde d’aujourd’hui. Le professeur doit assumer l’inassumable d’un monde immonde dans lequel l’élève doit trouver et prendre sa place (en réalité il va y prendre sa place en changeant la configuration de la place, c’est là précisément le fond de l'affaire): c’est cela qui fonde son autorité, autorité sans laquelle il est illusoire de faire advenir de l’éducation. Le registre lexical utilisé est bien celui du conservatisme. Il faut que l’enseignant.e soit conservateur non dans l’action de transmission  mais dans cette condition sine qua non de son statut de responsable de l’état du monde tel qu’il est. 



« Ce monde dans lequel tu apparais n’est pas celui que tu aurais souhaité ni celui que j’ai souhaité mais c’est celui-là maintenant et de toute façon, c’est comme ça! »  Comment l’enseignant.e peut-il assumer l’inassumable d’un monde immonde autrement qu’à partir d’une posture qui s’applique moins à défendre un « contenu » qu’à prendre acte d’un fait, d’un donné, d’une situation, d’une héccéïté: voici ce monde là? « Je ne suis pas le porte parole d’un monde ancien auquel il va falloir que tu te soumettes, je suis plutôt « l’auctor » dont le travail est de favoriser ta capacité à substituer un monde nouveau à ce monde ancien pourri jusqu’à la moelle, mais cette visée ne peut se concevoir sans que j’assume auprès de toi ce monde là, que j’en réponde à tes yeux, de telle sorte que tu réaliseras à quel point il est possible de construire une ipséité, c’est-à-dire une droiture éthique dans un monde manifestement tordu. Pourquoi? Il est difficile de répondre à cette question sans invoquer cette force liante et verticale  de l’auctoritas. Il faut qu’il existe au cœur de tout pratique éducative une part un peu obscure, opaque qui finalement trouve sa source au plus profond de l’enseignant.e, c’est-à-dire dans son ancrage au monde, à ce monde là. Suivre la piste révélée par Paul Ricoeur nous conduit tout droit à la notion d’identité narrative, à savoir qu’il reviendrait à l’enseignant.e de signifier clairement à l’élève qu’il y a dans le rapport à ce monde là « matière à récit ». 

C’est exactement comme si l’enseignant.e suggérait à l’éduqué.e: « c’est justement parce que ce monde est pourri, immonde, inhabitable, absurde et dépourvu de la plus infime once de sens qu’un récit y est possible. Il ne peut exister d’autre existence que celle de la fiction narrative pour se loger dans tous ces oxymores là. »

                ici, nous ne faisons que raccorder certains « fils » que le texte de Hannah Arendt laissent un peu « dans le flou ». La notion d’identité narrative est de Paul Ricoeur et sera conçue, développée après la mort de Hannah Arendt, mais elle n’en insiste pas moins dans certains textes sur le rapport entre la quête de soi et le récit. Évoquant les larmes d’Ulysse lorsqu’il entend sa propre histoire racontée par l’aède au banquet d’Alcinoos, roi des phéaciens,  c’est bien Hannah Arendt qui insiste sur ce qui se joue ici de l’écoute de sa vie en tant qu’histoire:  « La réconciliation avec la réalité, la catharsis qui, selon Aristote, était l’essence de la tragédie, et selon Hegel, le but ultime de l’histoire, se produit grâce aux larmes du souvenir. »

On sait que Ricoeur, par ailleurs est un très grand lecteur et commentateur de l’œuvre de Hannah Arendt. Ce rapprochement n’est donc en rien illégitime, même si de fait il n’est pas présent dans ce passage. Toutefois si nous souhaitons vraiment nous faire un panorama complet, aller jusqu’au bout des thèses présentées par Hannah Arendt, il n’est pas hors de propos de prolonger cette notion d’autorité, clairement dissociée de celle de pouvoir (potestas) par celle d’ipséité, propre à Ricoeur et conséquemment à l’identité narrative. Tout au long de son périple, Ulysse garde le souvenir de son histoire, aussi fragmentée qu’elle puisse être, aussi menacée qu’elle soit de l’amnésie (épisode des lotophages, mangeurs de feuilles de lotus qui oublient ainsi leur passé). C’est ce lien difficilement mais héroïquement sauvegardé qui va faire jaillir à ses yeux des larmes lorsque cette histoire se verra comme confirmé, voire héroïcisé par l’aède. Ce n’est pas qu’une question de mémoire, c’est surtout une affaire de récit.

Mais pourquoi évoquer l’identité narrative à l’occasion d’un texte sur l’éducation et  sur l’idée qu’elle doit demeurer conservatrice, ainsi que l’idée selon laquelle elle doit s’appuyer sur une autorité? Parce que l’étymologie de l’autorité (auctoritas), très justement pointée par Hannah Arendt évoque un rapport à la religion: « la force liante de l’autorité est en rapport étroit avec la force religieusement liante des auspices qui (…) révèlent simplement l’approbation ou la désapprobation des dieux quant aux décisions prises par les hommes. Les dieux aussi ont de l’autorité chez les hommes, plus qu’un pouvoir sur eux ; ils « augmentent » et confirment les actions humaines mais ne les commandent pas »

Tout cela signifie que si la compétence des éducateurs est validée par des procédures sociales, institutionnelles, cela ne peut pas être le cas de "l’autorité" qui révèle quelque chose d’obscur et de vertical, la nécessité que l’enseignant.e "soit à soi-même" quand elle ou il enseigne, qu’elle rende raison de quelque chose aux yeux de l’élève, qu’elle s’en porte garante et cette chose selon Hannah Arendt c’est le monde. 

En termes grecs, on pourrait dire que le rôle de l’éducateur.trice est de faire définitivement passer l’adolescent.e de l’oïkos (maisonnée) à la polis (cité), de lui faire franchir ce seuil là (mais que faire s’il n’existe plus au dehors l’espace public de la polis?). L’utilisation d’un registre lexical  emprunté à l’éthique, à la responsabilité se justifie donc précisément ici, et si nous allons jusqu’au bout des thèses énoncées, nous réalisons que le rôle de l’éducation est d’assumer (et nous pourrions dire ici « contre toute logique », contre l’évidence d’un monde peut-être indéfendable dans lequel personne ne peut avoir envie de s’intégrer) l’existence de ce monde là comme ce flux d’eccéités là, de telle sorte que « l’élève » puisse y construire, tout comme Ulysse,  un rapport narratif à son existence, condition même de son unité, unité qui ne peut être que postulée, « narrée », reflétée dans la lumière cohérente d’un récit dont la tonalité est, en un sens fictive, tout simplement parce que c’est un récit (et que le réel ne se raconte pas, il se réalise, il est de l’ordre des faits, de l’impossible, de l’inénarrable). Michel Foucault s’efforçant de désigner le paradoxe du rapport entre récit et réalité évoque « la nervure verbale de ce qui n’existe pas tel qu’il est »

En d’autres termes, on pourrait dire que le travail qu’il revient à tout.e éducateur.trice, en premier lieu, d’effectuer consiste à favoriser l’ancrage de l’élève à un monde qui est ce qu’il est et dans lequel il va s’agir pour l’élève de s’individuer, de « planter » le germe de son identité en tant qu’histoire possible mais surtout d’histoire racontable, même si le monde dans lequel il va « situer » son identité comme histoire est absolument innommable, inénarrable (au sens péjoratif de ce terme). Il n’y a absolument rien ici qui puisse être rationnel, ni clair, ni compréhensible, ni volontaire. C’est du pur « irrationnel », mais c’est exactement ce à quoi aboutit cette racine étymologique de l’auctoritas et du lien qui s’y voit souligné avec l’auteur et avec la croissance (augere,  faire croître, libérer des puissances d’agir).

Aucun.e élève ne saurait trouver l’énergie nécessaire à constituer son identité (inachevable) en tant que récit dans un monde dont personne ne se porterait garant, et ce par le biais d’un processus qui défie toute raison, tout sens, toute observation objective d’un monde de plus en plus inhabitable, inique, bête, innommable bref « trumpien ». 

Mais précisément et c’est vraiment là tout l’apport de la proposition de Hamlet citée par Hannah Arendt de nous permettre de ne pas contextualiser la difficulté da la tâche des éduqué.e.s et des éducateur.trice.s. Peut-être avons nous la tentation d’insister sur l’impossibilité de l’éducation, compte tenu de ce que l’on appelle la crise et c’est bien le titre de l’article  écrit en 1958, mais en fait, c’est le propre de l’éducation de se confronter à une situation dont on pourrait dire qu’elle est structurellement  « en crise ». Finalement le monde est toujours en passe d’être immonde. Il l’était dés le début et c’est probablement cela que nous disaient déjà les tragédies grecques de Sophocle et d’Euripide. 

L’explication de Hannah Arendt est limpide: « Parce que le monde est fait par des mortels, il s'use et parce que ses habitants changent continuellement, il court le risque de devenir mortel comme eux. Pour préserver le monde de la mortalité de ses créateurs et de ses habitants, il faut constamment le remettre en place. Le problème est tout simplement d'éduquer de façon telle qu'une remise en place demeure effectivement possible, même si elle ne peut jamais être définitivement assurée. »



On devrait peut-être rajouter: « surtout si elle ne peut jamais être définitivement assurée ». Le pire qui puisse arriver c’est qu’une génération ancienne manifeste une emprise suffisante sur la suivante pour l’empêcher de faire ce qu’elle se doit absolument d’effectuer, à savoir révolutionner un monde qui se meurt. Par conséquent, il faut que l’éducation conserve, c’est-à-dire protège la génération à venir de la nécessaire tentative d’emprise et de pouvoir qui va être exercée par la précédente. Nous ne sommes pas très loin ici de la citation de Wajdi Mouawad: « chaque époque essaie d’inventer les moyens d’assassiner sa propre jeunesse ». C’est un peu comme si l’humanité était sans cesse traversée par une tentation perverse, au sens précisé par Edgar Pöe qui finalement est celui de l‘auto-destruction, du vertige de séduction exercé par la chose à ne pas faire: la bombe, les génocides, l’hyper-consommation, la substitution du plaisir à la moindre possibilité de bonheur, etc. 

                il est impossible que le temps ne soit pas hors de ses gonds. il l'est "nécessairement", parce que le renouvellement cyclique des générations est de l'ordre de l'aiôn, c'est-à-dire de la nature alors que le temps social: "chronos" entretient l'illusion d'un temps linéaire, discontinu au sein duquel la succession des générations impose le déchirement l'opposition, un sens du terme de révolution qui ne correspond à celui cyclique de la nature.