samedi 20 septembre 2014

Le système de récompense au cinéma



A quoi reconnaît-on un mauvais film ? Nous avons évoqué récemment la découverte de Olds et Milner et peut-être pourrions-nous répondre, à la lumière de cette référence : « A ceci qu’il active notre système de récompense. » Il existe, en effet, des scénarii qui semblent suivre à la perfection un sillon, un cheminement, une attente : c’est exactement ce que nous désirions voir se passer : nous pourrions replier les dernières images sur les premières : à l’injustice dont le héros est victime, aux malheurs qu’il subit de la part du gros méchant au début de l’action répondent comme en écho et de façon quasi systématique les derniers « clichés ». Chuck Norris, Steven Seagal, Schwartzy, Liam Neeson dans Taken 1, etc. cassent tout sur leur passage jusqu’à l’apothéose : le duel dans lequel la grosse ordure va payer pour tous ses crimes. « Il faut » que le gentil gagne et que le méchant perde.

« On va se venger, ça ne se passera pas comme ça ! » Ce qui est bien dans la vengeance, c’est qu’on ne peut pas se tromper, on suit l’itinéraire fléché. Rambo n’a sûrement pas lu « le comte de Monte-Cristo » mais il comprend la loi du Talion. Il convient de s’interroger devant ce genre de film sur la nature de notre assentiment : nous souffrons des coups infligés au héros et nous satisfaisons pleinement, voire complaisamment dans la déconfiture du gros méchant.

Dans « Funny Games », Michaël Haneke filme deux adolescents sadiques qui torturent une famille. Dans une scène on voit la mère déjouer la surveillance de son bourreau et l’abattre d’un coup de fusil dans le ventre. Mais l’autre ado se saisit alors de la télécommande et fait défiler les images en arrière jusqu’à revenir à la scène avant le meurtre tout en nous adressant un clin d’œil. Michael Haneke affirme avoir voulu par ce passage mettre le spectateur en face de lui-même : « C’est ça que tu voudrais, n’est-ce pas ? », mais si je te montrais « ça » : un méchant puni et un gentil récompensé, ferais-je autre chose que me moquer de toi, satisfaire les pulsions que j’aurais moi-même suscitées ? ». Le réalisateur allemand essaie de nous faire comprendre la manipulation par la manipulation. Nous sommes « joués », confrontés à une pulsion de violence dont ne  nous savions pas capables. Nous voulons voir cet adolescent mourir et prenons un plaisir aussi sadique que le sien dans le film à assister à sa mort.

Nous tenons là un critère très pertinent de ce qui fait un « mauvais » film. Lorsque nous sentons que le réalisateur suscite des pulsions qu’il orchestre ensuite de telle sorte qu’elles trouvent dans les images une forme de « défoulement », de satisfaction immédiate d’un désir haineux et brutal, nous savons que quelqu’un est en train de jouer sur le clavier de nos émotions les plus automatiques, les plus bestiales, usées et les plus prévisibles. Nous sommes comme le rat qui active une centaine de fois la pédale stimulant les signaux émetteurs de plaisir.
Le personnage de Dexter nous invite à réfléchir sur ce processus car il est impossible de regarder cette série sans éprouver une sympathie extrêmement trouble à l’égard du héros, jusqu’à souhaiter, à de nombreuses reprises qu’il ne soit pas démasqué. La série joue donc avec un certain machiavélisme de ces émotions brutales qui ressurgissent à l’endroit de tous les criminels que Dexter exécute mais en même temps le scénario est suffisamment travaillé pour que nous ne nous laissions pas avoir par son apparence de justicier. Il ne fait pas ça « par devoir », ou au nom d’une certaine conception (totalement indéfendable) de la justice, il tue parce qu’il est malade, parce qu’il ne peut pas faire autrement. Il est lui aussi pris dans le système de récompense. Il a trouvé sa drogue. Quelque chose dans cette série (surtout dans les premières saisons) rend possible une vraie réflexion bien que de nombreuses scènes de violence extrême joue de façon obscène du rat de laboratoire qui est aussi en nous.

La dernière scène de « Seven » de David Fincher est par contre toute aussi subtile qu’irréprochable car il est impossible, à moins de n’avoir vraiment rien compris au film, de voir avec plaisir l’exécution du tueur en série. Celui-ci « gagne » parce qu’il a tout misé sur les péchés des humains, sur ces inclinations tellement prévisibles que l’on peut concevoir un engrenage humain de stimulations et de réponses sans crainte d’être pris au dépourvu. Nous comprenons la réaction du policier mais nous réalisons aussi qu’en tant que réaction, elle réduit à néant l’affirmation d’une liberté humaine. Un homme « serait » libre s’il pouvait « observer » sa colère sans lui céder et ce n’est pas parce que ce film, de façon très réaliste, cohérente et « plausible » nous décrit l’issue presque irréversible d’une pulsion de vengeance que nous devons renoncer à l’affirmation d’une libération possible de nos automatismes primaires de « réparation ».

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