mercredi 18 novembre 2015

Qu'opposer au terrorisme ? La puissance d'exister contre l'instinct de survie



Le propre d’un terroriste est d’instaurer un régime de terreur, c’est-à-dire non pas tant d’effrayer une population mais de la désorganiser, de faire jouer en chacun de nous des automatismes égoïstes qui nous amènent à privilégier notre vie sur celle de tout autre. C’est ce que l’on appelle « l’instinct de survie » des mouvements de panique au sein desquels nous ne pensons plus qu’à nous-mêmes sans égard pour nos proches. C’est exactement en cela que le terrorisme nous met en face d’une vraie question : sommes-nous effectivement « cela » ? L’instinct de survie existe-t-il vraiment ? Sommes-nous prêts à tout pour rester vivants, y compris écraser les autres, tous les autres, c’est-à-dire aussi nos enfants, nos parents, nos amis les plus intimes ?
 On peut observer, lorsque ce genre de discussions ont lieu, que certaines personnes se rallient très rapidement à l’hypothèse de cet instinct en s’appuyant notamment sur les réactions de la foule au cours de mouvements de panique, dans le stade du Heysel notamment. Aucun de nous ne peut effectivement jurer qu’il se comporterait autrement à l’approche d’un danger.

On peut néanmoins faire remarquer que l’éthologie (la science du comportement des animaux) a déjà prouvé à quel point le mot « instinct » est, en lui-même une imposture, c’est-à-dire un mot vide qui ne recouvre en réalité que notre ignorance. Nous savons maintenant que de très nombreuses attitudes animales que nous qualifions auparavant un peu vite d’instinctives, dictées par le patrimoine génétique d’une espèce, sont en réalité beaucoup plus complexes, beaucoup plus travaillées, comme si l’intelligence animale, loin d’être innée, se révélait finalement, tout autant que la notre, voire plus en certaines circonstances, travaillée, évolutive, transmissible, perfectible. Il est donc fort possible que certaines attitudes de panique nous soient davantage dictées par certains mouvements de groupe que par un pseudo instinct. La personne à côté de moi a peur et fuit donc j’ai peur et je fuis. La terreur que veulent inspirer les terroristes s’appuie sur un mouvement de contagion. Mais autant il nous serait impossible de lutter contre un instinct de survie s’il existait, autant il est envisageable de s’immuniser contre cet effet de contagion. Comment ?

La philosophie de Spinoza peut nous y aider. Elle se fonde sur cette thèse : « L’effort de toute chose pour persévérer dans son être n’est rien d’autre que l’essence actuelle de cette chose ». Cela signifie que nous sommes, non pas un être mais  l’énergie que nous dépensons, que nous consacrons au fait d’exister. Toute personne se ramène finalement à « ce qu’elle peut » davantage qu’à ce qu’elle « est » ou plutôt «pense être ». Ce qui compte ici par rapport à ce que nous disions précédemment, c’est que tout s’oppose dans cette thèse de Spinoza dénommée le « conatus » à l’instinct de survie. Nous ne sommes pas prêts à tout pour survivre mais pour exister, ce qui n’a rien à voir. Un terroriste mise sur notre instinct de survie, lequel pourrait nous conduire à écraser les autres pour se sauver soi-même, mais la vérité, c’est que nous sommes animés d’abord et finalement « seulement » par notre « puissance d’exister », puissance dont il est absolument impossible de fixer les limites. Cette puissance se libère à tout instant dans le fait que vous existez, que vous êtes en cet instant même en train de lire ces lignes. Si vous les lisez attentivement, cette puissance se dépense à plein régime. Si vous les lisez vaguement, comme vous pourriez faire autre chose, c’est que votre conatus, en ce moment, est faible. Que convient-il sereinement d’opposer au terrorisme ? L’intelligence d’une existence qui sait exactement en quoi elle consiste et qui ne se retient pas. Cela pourrait se définir en d’autres termes par l’efficience d’une présence attentive : exister plutôt que simplement vivre.

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