vendredi 9 juin 2017

Des citations utiles à quelques jours de l'épreuve (1)


L’épreuve de philosophie du baccalauréat ne peut pas être abordée comme un exercice de mémoire en vue duquel il s’agirait de « caser » des développements tout faits ou des citations d’auteurs. C’est au contraire la souplesse de notre capacité de réflexion, son aptitude à s’activer sur un problème dont la formulation est nouvelle pour nous qui décidera de notre note. Pour autant, les références aux connaissances assimilées pendant l’année sont légitimement attendues et, contrairement à certaines idées reçues, l’épreuve de philosophie se travaille et se prépare. Des citations d’auteurs philosophiques bien comprises et surtout bien situées permettront à la personne qui corrigera notre copie de se faire une idée juste de notre implication en cours et de nos acquis. Il importe néanmoins pour cela que la mention de cette citation soit toujours accompagnée de son explication ainsi que de l’expression claire de son apport argumentatif au sujet donné. Il peut malheureusement arriver que la volonté des candidats de montrer à tout prix leurs connaissances soit précisément la cause de l’évacuation du traitement précis du problème. La référence à la citation doit donc venir de notre réflexion sur la question. Si c’est bien le cas, elle affleurera à la surface de notre mémoire au gré d’un travail de concentration, de polarisation de notre pensée sur le sujet. Notre copie doit porter la trace écrite de cet effort de mémoire. Autant dire qu’une citation ne peut d’aucune manière se contenter d’être simplement retranscrite. Nombre d’entre elles se résument assez souvent à des formules courtes et lapidaires qui pourraient être comprises dans un tout autre sens. Il convient donc que nous justifions sa présence à la fois par son explication et par l’expression claire de la perspective nouvelle qui se profile à partir d’elle sur le problème que nous sommes en train de traiter.

Conscience / Inconscient / Désir / Science / Technique / Esprit / Matière/ Liberté

" Je suis plus sage que cet homme-là; il se peut qu' aucun de nous deux ne sache rien de beau ni de bon; mais lui croit savoir quelque chose, alors qu'il ne sait rien, tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc que je suis un peu plus sage que lui par le fait même que ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir ".
                                                                      « L’apologie de Socrate » - Platon


Cette citation décrit finalement le cœur de la vocation philosophique de Socrate et peut-être même de toute vocation philosophique tout court. Par « vocation », il ne s’agit pas ici d’une disposition particulière propre à certains au détriment d’autres, mais simplement de la compréhension qu’il y a plus de « consistance » et de valeur à se rendre compte que l’on ne sait pas plutôt qu’à croire savoir quelque chose qu’en réalité nous ignorons. Entre deux hommes ignorants, le plus avisé est celui qui s'aperçoit de cette déficience et l'exercice de cette attention est à la portée de tout homme, à condition qu’il ne se laisse pas piéger par la réputation de savant que les autres lui prêtent, par sa fonction ou par son amour-propre. Le terme de conscience est d’origine latine et ne pouvait donc pas être utilisé à Athènes au 5e siècle avant Jésus Christ. On trouve souvent dans l’œuvre de Platon, au sujet de Socrate le terme grec d’ « egkrateia » (maîtrise de soi). Entre le statut de connaissant et celui d’ignorant, il y a place pour celui qui sait qu’il ignore et ce savoir maître de lui-même pourrait se révéler incroyablement plus riche, plus fécond, plus porteur que la connaissance elle-même. Pourquoi ? Parce qu’il existe une différence fondamentale entre savoir ce qu’est la mort (connaissance) et savoir que je vais mourir (conscience) : autant la première est rigoureusement impossible, autant la seconde est à la portée de chacun d’entre nous. 

De la même façon, il est très difficile, voire impossible d’avoir de l’amour une connaissance stricte, objective, savante. Par contre je peux savoir que je suis amoureux, et si on y réfléchit un peu, c’est exactement la seule modalité de savoir qui compte car l’amour est un mouvement, un élan et non une chose qui se laisserait limiter dans une définition. Ce que décrit Socrate ici est donc une sagesse à la mesure de laquelle il est en effet plus sage que tous les hommes qu’il est allé visiter après la révélation que l’oracle de Delphes a faite à son ami Chéréfon, à savoir que lui, Socrate était l’homme le plus sage de la Grèce. Au-delà de son origine historique qui est celle de l’Antiquité, il est possible d’interroger cette sagesse en la situant dans un contexte scientifique contemporain. Les récentes découvertes de la Physique quantique donnent à la sagesse de Socrate des prolongements fascinants. Le principe d’incertitude de Heisenberg notamment place l’observateur scientifique dans cette situation qui est celle-là même que décrit Socrate car ce que je peux savoir de la position d’un électron, c’est exactement là où il n’est pas. La mesure ne se porte plus sur une position mais sur une zone. Ce que je sais précisément de lui, c’est là où il n’est pas.

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
                                                                    « Pantagruel » – Rabelais
On possède une connaissance mais on exerce sa conscience. La conscience ouvre ce que la connaissance a plutôt pour vocation de limiter, de forclore. La science désigne le savoir complet que l’on peut détenir sur un objet. La conscience marque au contraire l’effort d’implication par le biais duquel on se sent touché, concerné par une question, par un événement, par une condition. Rabelais nous avertit donc qu’il est dangereux de détenir ou plutôt de penser détenir un savoir sans s ‘interroger en conscience sur cette maîtrise. Einstein découvre la formule autorisant la conversion d’une masse en énergie: E=mc 2 (l’énergie d’une particule est égale à sa masse multipliée par la vitesse de la lumière au carré) et rend du même coup possible, en tant qu'"application", la bombe atomique (alors que ce n'était pas du tout le but de sa démarche). La conscience, parce qu’elle revêt une dimension morale, pose la question de savoir si nous devons nécessairement et aveuglément donner suite à ce que la science rend possible. Ceci étant dit, peut-être importe-t-il de problématiser et de préciser la citation de Rabelais : est-ce vraiment la science qu’il convient de mettre ainsi en accusation ou la technique ? Les deux notions se recouvrent d’autant moins qu’il faut aujourd’hui en inventer un troisième : entre science et technique se glisse la « techno-science ». Celui qui en parle le mieux est peut-être Bergson à la fin de son livre « Les deux sources de la morale et de la religion » : 

« Ajoutons que le corps agrandi attend un supplément d’âme, et que la mécanique exigerait une mystique. Les origines de cette mécanique sont peut-être plus mystiques qu’on ne le croirait ; elle ne retrouvera sa direction vraie, elle ne rendra des services proportionnels à sa puissance, que si l’humanité qu’elle a courbée encore davantage vers la terre arrive par elle à se redresser, et à regarder le ciel. »

La science désigne finalement cette recherche rigoureuse et rationnelle visant à nous donner une explication des phénomènes qui nous entourent. C’est sous l’influence de Descartes, de Galilée, de ce que l’on a appelé la science moderne et après elle du positivisme d’Auguste Comte qu’elle est devenue une application directe des connaissances en inventions, en « moyens », en applications visant à rendre notre vie plus durable, plus confortable, « plus » (en un mot). Bergson fait remarquer que la technologie (ou la techno-science) contribue finalement à prolonger notre corps. Ce que mon corps peut faire (courir, sentir, porter, frapper, etc.) l’instrument technique le fait plus et mieux. Plus nous développons la techno-science, plus nous donnons à notre corps un développement conséquent, voire exponentiel. 
Par la technique, le corps humain devient surdimensionné. Il lui faut donc une âme proportionnelle à son corps (Rabelais dirait une conscience). Bergson reformule donc la citation de l’auteur de Pantagruel : « une mécanique sans mystique serait un corps sans âme », un corps obèse qui aurait tous les pouvoirs à sa disposition sans inspiration, ni orientation, ni perspective. Il importe donc de revenir à l’origine même de la mécanique, de cette compréhension et de cette utilisation des forces physiques qui nous entourent et s’exercent sur nous. Nous ne baptisons pas l’installation utilisant la force du vent : « Eolienne » sans raison. C’est cette intuition mystique de la présence des Dieux dans les sources, le vent, les éléments qu’il nous faut aujourd’hui adapter aux progrès technologiques (sur ce sujet, il faut voir le film de Spike Jonze « Her »)


« Les hommes sont conscients de leurs désirs et inconscients des causes qui les déterminent »
                                              « Lettre à Schuller » - Baruch Spinoza

Il est une notion impliquée dans cette citation sans y être explicitement présente, c’est celle de liberté. Les hommes se croient libres parce qu’ils ne sont pas conscients des causes réelles qui motivent leurs désirs. Plus tard dans la lettre, Spinoza utilise des exemples simples et éclairants. L’ivrogne pense que c’est de son plein gré qu’il se saoule, sans s’apercevoir que c’est parce qu’il est alcoolique. Nous pourrions utiliser d’autres exemples, encore plus efficients : tel fils de notaire pense que c’est librement qu’il reprend l’étude de son père sans percevoir le déterminisme à l’œuvre dans ce prétendu « choix ». Que chacun de nous se penche honnêtement sur sa vie et il n’y verra qu’une succession de déterminations. Nous ne faisons que ce que nous pouvons faire en fonction de notre situation, de notre implication (au sens littéral : être pris dans les plis de… ») dans un milieu ou dans une nature qui nous imposent ses lois. Il existe donc une conception de la liberté du sujet à laquelle Spinoza ne croit pas : c’est celle de l’initiative, d’être les auteurs purs et comme « sortis de rien » de nos actes. 
Sur ce point comme sur finalement tous les autres, Spinoza s’oppose à Descartes et « préfigure » trois philosophes sur lesquels se fondera plus tard ce que nous pourrions appeler une nouvelle ère philosophique: «Marx, Nietzsche et Freud» (le point commun de ces trois philosophes, au-delà de leurs profondes différences, est de considérer le sujet humain comme pris dans un ensemble de structures et de forces qui décident de lui, lui qui, à tort, croit décider de tout par lui-même). Pour Spinoza, l’homme ne voit qu’un moment du dynamisme qui le projette dans telle direction, vers tel but qu’il pense s’être volontairement fixé à lui-même, comme une pierre qui n’aurait pas conscience d’avoir été lancée et qui croirait se diriger par elle-même vers telle direction.

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