mercredi 6 février 2019

"Qu'est-ce la liberté ?" de Hannah Arendt - Résumé des deux premières parties

Partie 1
Savoir ce qu’est la liberté semble impossible parce qu’il y a une contradiction entre ce que la conscience nous dit, à savoir que nous sommes libres et ce que la raison nous dit, à savoir que nous ne le sommes pas. Nous retrouvons exactement cela avec l’antinomie kantienne. Du point de vue de la raison pure, la question ne peut être tranchée. C’est pourquoi Kant distingue la raison pure et la raison pratique pour laquelle la liberté humaine est un postulat auquel nous devons croire pour que la morale et plus encore la loi morale (impératif catégorique) puisse se constituer. Toutefois Hannah Arendt, tout en soulignant la cohérence de la distinction kantienne, refuse cette solution en arguant qu’il est tout de même difficile de croire à la liberté d’un point de vue moral quand la pensée (scientifique) refuse cette existence.
Si la philosophie en général, et celle de Kant en particulier, a tant de mal à gérer cette contradiction, c’est tout simplement parce que la philosophie, notamment quand on prête attention à son histoire, a déplacé la liberté de son terrain de prédilection et de naissance: la politique, pour en faire un problème de conscience, de volonté, de pensée alors que rien n’est moins lié à la pensée que la liberté en tant qu’elle ne signifie qu’une chose: l’action. Tout le propos de cet article est de prouver que la liberté est la raison d’être de la politique et que son champ d’expériences est l’action.
De ce point de vue, rien n’est plus clair, démonstratif que cette supposée liberté intérieure des Stoïciens. Comment faire d’une notion dont le sens est celui de l’extériorisation, de l’effectuation dans le monde une notion inversée tournée plutôt vers l’intérieur?
Historiquement, nous réalisons que c’est dans l’Antiquité tardive que cette intériorisation de la notion s’est produite avec notamment Epictète (50 après JC). Que s’est-il passé? Epictète a repris la conception en vigueur à l’époque à savoir que la liberté était un statut donnant à celui qui le possédait le droit d’acquérir des biens, une terre, un foyer et l’a appliqué à sa condition, qui précisément était légalement privé de ce statut. Qu’est-ce qu’un esclave possède qui ne peut lui être arraché? Lui-même, à savoir l’âme. Que l’on puisse être libre dans son âme sans avoir à craindre les agressions venant de l’extérieur, c’est exactement ce que décrit le concept de citadelle intérieure tel qu’on le voir en vigueur chez Marc-Aurèle ou encore de façon plus démonstrative avec le taureau de Phalaris. Mais en quoi consiste la vraie liberté, non pas dans le fait d’avoir un foyer, pas plus que dans le fait de cultiver son âme au fin fond de cette citadelle, mais plutôt dans la liberté de circulation, d’action, d’expression au sein d’un espace public. C’est cela qu’il faut entendre par liberté politique: un homme qui par son statut peut s’extérioriser par la parole et par l’action dans un espace public. Ni les familles, ni les tribus, ni les totalitarismes ne peuvent être considérées comme libres parce que ,soit elles constituent un espace privé: celui du foyer, soit elles ne cessent pas de limiter, d’enfermer l’homme dans l’espace de son intérêt privé, par la terreur, ou tout simplement par la satisfaction de ses appétits individuels, mais finalement cela revient au même. Comme la constitution de cet espace public désigne exactement la politique (polis, la cité: des hommes reliés par leur statut de citoyen), on comprend que politique et liberté ne peuvent se concevoir l’un sans l’autre. La liberté n’a donc rien à voir avec l’indépendance à l’égard de nos besoins vitaux: il faut être libéré de ses besoins mais ce n’est pas cette libération qui fait la liberté.
Mais alors, comment peut-on expliquer qu’aujourd’hui, on en soit arrivés à croire exactement le contraire de la vérité, à savoir que la liberté commence là où la politique finit? Il y a trois raisons: d’abord les penseurs politiques comme Hobbes et Spinoza qui conçoivent le rôle de la politique comme celui de garantir la sécurité du citoyen, comme si la politique n’était pas déjà en soi l’expression de la liberté. Du coup, la liberté est soumise aux exigences requises par la sécurité. La deuxième raison est l’essor de la sociologie au 19e et 20 siècle: la société est considéré comme un « tout vivant » dont la politique doit assurer le développement, comme s’il s’agissait d’un processus vital mais du coup, on fait cette confusion entre l’économique et le social dont le but est en effet de garantir la vie de l’homme en société et la politique qui dé »signe le souci non de la vie mais du monde. La liberté est dés lors marginalisée de tout ce qui favorise ce processus.
La troisième raison tient au fait que le concept de liberté n’a jamais été considérée par le peuple lui-même comme étant celui de sa participation aux affaires politiques mais seulement de la garantie de sa propriété comme l’atteste la révolution anglaise et le discours de Charles 1er sur l’échafaud. Il a été renversé non par une volonté politique d’être libre mais seulement par un sentiment de défiance à l’égard de celui qui avait un pouvoir sur leurs biens. Pourtant il ne fait aucun doute que la liberté est bien la raison d’être du politique.
Partie 2
    

C’est ce que la 2e partie va essayer d’établir. En premier lieu, il faut distinguer l’action déterminée et l’action libre. La première est forcément prévisible et précédée par deux choses: la délibération de l’entendement et la détermination de la volonté. Par conséquent l’action libre, elle, au contraire, n’est précédée par rien. Sa liberté se manifeste par son caractère instant et improgrammable. Nulle par l’action libre ne se fait pressentir avant d’être. Est-ce à dire qu’elle n’a pas d’origine? Si mais cette origine n’est pas une cause, ou une détermination ou un projet, cette origine est un principe. Pour Montesquieu chaque régime politique a son principe et n’est ce qu’il est que corrélativement à son principe. Pas de principe qui ne soit actualisé par une action et pas d’action qui ne soit constituée par un principe. L’un fait advenir l’autre dans l’instant même de leur effectivité, de leur venue au monde. Et cela nous fait vraiment comprendre le rapport que l’on peut faire entre l’action chez Hannah Arendt et la praxis chez Aristote.
Mais où pourrions nous trouver une référence qui nous fasse mieux comprendre ce rapport entre action et liberté dans l’instance politique? Nulle part ailleurs que chez Machiavel et son apologie de la virtu, de la virtuosité, laquelle est liée à la Fortuna. Nous retrouvons cette alliance entre la virtuosité (le bon geste) et Fortuna (au bon moment) dans le concept grec de Kairos. Machaiavel est en outre l’auteur qui a enfin dégagé le politique comme sphère autonome de la morale et de la philosophie.
De plus si nous prêtons attention aux métaphores utilisées par les auteurs grecs de mal première antiquité (Aristote notamment) nous réalisons que ce sont toujours les arts d’exécution qui sont utilisés: l’art d’être acteur, navigateur, médecin, joueur de flûte. Il n’est pas question comme les artistes de création de faire son oeuvre dans l’intimité de son esprit ou de son atelier mais de la faire surgir dans le réel à un moment donné, à un moment requis. De plus, concernant notamment les arts comme la flûte ou le jeu, il faut à ces actes la caisse de résonance d’une scène et d’un public, et cela aussi nous fait saisir tout ce que requiert et sous entend l’espace public du politique. Il n’y a pas d’acte politique sans le bon geste au bon moment au bon endroit, sur la bon ne scène (poignée de main par exemple entre François Mitterrand et Helmut Kohl à Douaumont). « Il faut un théâtre où la liberté puisse apparaître ».
Pour comprendre vraiment ce qu’est la liberté, il faut remonter au sens étymologique de la politique, à la « polis », et ce n’est pas une lubie d’historiens ou d’érudits, de spécialistes de l’antiquité. C’est le seul moyen de comprendre que la liberté était un statut lié à l’exercice de la politique comme activité propre, noble, complète, contenant en elle-même sa propre fin (praxis), et incompatible avec le travail. A la fondation de cet espace public et scénique que crée la polis, il faut rajouter la conscience historique seul à même d’ancrer les actes dans une temporalité humaine, narrative et mémorielle.
Ici encore l’évidence de cette vérité se heurte à l’erreur que constitue le libre-arbitre. La liberté a été détournée de son authenticité. Mais le libéralisme du 19e siècle a également sa part de responsabilité dans cette déviation. Le libéralisme de Smith et de Mill entretient cette idée que la liberté s’accomplit dans l’opinion et réduisent ainsi la politique à la sauvegarde des intérêts privés de l’individu, parvenant sous cet angle au même résultat que cela même qu’ils prétendent combattre, à savoir le totalitarisme. Car que ce soit par la terreur ou pas l’intérêt exclusif porté aux entreprises et aux bénéfices individuels, le résultats est de maintenir l’individu hors de la sphère publique sans laquelle rien de libre ne pourra jamais voir le jour, à savoir tout simplement une action. C’est bien ce dont témoigne aujourd’hui la corrélation entre le rétrécissement de la sphère du politique par rapport à l’économique et la défiance envers l’Etat.
    
Il faut pourtant prendre acte du fait que l’économique ne se soucie que de la vie, que des besoins vitaux de l’individu alors que la politique désigne le souci que nous portons au monde. C’est exactement ce qui explique que l’économie suppose une forme de prudence et la politique du courage. On entre dans la politique quand on pénètre dans une zone où « le souci de sa vie a perdu sa vitalité. »

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