lundi 30 septembre 2019

Deux textes de Nietzsche pour une partie 3 ("ne peut-on se connaître qu'en renonçant à être soi-même?")"

 (Pour celles et ceux d'entre vous qui envisagez de consacrer une 3e partie à Nietzsche, voici deux textes extrêmement clairs qui contiennent non seulement la perspective de Nietzsche par rapport à la question  mais aussi la réponse à la question posée: dans le premier, nous comprenons mieux pourquoi l'image que notre conscience nous renvoie de nous-mêmes est fondamentalement fausse, banalisée et dans le deuxième on saisit que la finalité du sage selon Nietzsche n'est pas du tout de se connaître lui-même mais de devenir ce qu'il est, ce qui induit précisément un oubli, une méconnaissance, voire une "médiocrisation" de soi (c'est précisément quand on ne s'accorde pas trop d'importance que l'idée ou la pulsion dominante se développe inconsciemment en nous, synthétise les expériences, les échecs, les évènements et les pensées pour constituer, non pas notre subjectivité mais plutôt notre individualité).



« Mon idée est, on le voit, que la conscience ne fait pas proprement partie de l’existence individuelle de l’homme, mais plutôt de ce qui appartient chez lui à la nature de la communauté et du troupeau ; que, par conséquent, la conscience n’est développée d’une façon subtile que par rapport à son utilité pour la communauté et le troupeau, donc que chacun de nous, malgré son désir de se comprendre soi-même aussi individuellement que possible, malgré son désir « de se connaître soi-même », ne prendra toujours conscience que de ce qu’il y a de non-individuel chez lui, de ce qui est « moyen » en lui, — que notre pensée elle-même est sans cesse majorée en quelque sorte par le caractère propre de la conscience, par le « génie de l’espèce » qui la commande — et retranscrit dans la perspective du troupeau. Tous nos actes sont au fond incomparablement personnels, uniques, immensément personnels, il n’y a à cela aucun doute ; mais dès que nous les transcrivons dans la conscience, il ne paraît plus qu’il en soit ainsi… » (« Le gai savoir » - 1882)

« En admettant que la tâche (de devenir ce que l’on est), la détermination et le destin de la tâche ait une importance supérieure à la moyenne, le plus grave danger serait de « s’apercevoir » soi-même en même temps que cette tâche. Que l’on devienne ce que l’on est suppose que l’on ne pressente pas le moins du monde ce que l’on est. De ce point de vue, même les bévues de la vie ont leur sens et leur valeur, et, pour un temps, les chemins détournés, les voies sans issue, les hésitations, les « modesties », le sérieux gaspillé à des tâches qui se situent au-delà de la tâche. En cela peut s’exprimer une grande sagacité (lucidité): là où le « connais-toi toi-même! » serait la recette pour décliner, c’est, au contraire, s’oublier, se mécomprendre,, se rapetisser, se borner, se médiocriser qui devient la raison même (…) Pendant ce temps, l’« idée » organisatrice, celle qui est appelée à dominer, ne fait que croître en profondeur, - elle se met à commander, elle vous ramène lentement des chemins détournés, des voies sans issue où l’on s’était égaré, elle prépare la naissance de qualités et d’aptitudes isolées qui, plus tard, se révéleront indispensables comme moyens pour atteindre l’ensemble, - elle forme l’une après l’autre les facultés auxiliaires avant même de rien révéler sur la tâche dominante, sur le « but », la « fin », le « sens ». – Considérée sous cet aspect, ma vie est tout simplement miraculeuse. »
                                                                                        Ecce homo

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