dimanche 15 septembre 2019

Méthodologie de la dissertation

Sujet pour le 03/10:  Pour se connaître, faut-il renoncer à être soi-même?

1) Dans quel état d’esprit accueillir un sujet ?
        Quand une personne nous pose une question dans la vie courante, nous partons du principe qu’elle attend une réponse. Pour une dissertation de Philosophie, ce n’est pas le cas et cela se devine assez rapidement à l’énoncé de la question elle-même à laquelle intuitivement nous serions tentés de répondre: « ça dépend! » Ou « tout dépend de ce que vous entendez par… » ou pire encore: « qu’est-ce que j’en sais? » « vous avez pas plus compliqué comme question? » Etc. Il peut parfois arriver qu’une interrogation soit formulée dans un entretien ou une réunion et que l’on se dise à son sujet: « ça, c’est une sacrée question à la fois parce qu’elle exprime exactement le problème dans lequel tout le monde est en train de se débattre et aussi parce que du coup, on mesure à quel point ce problème est ardu, difficile, peut-être insoluble. « Ah oui! C’est bien parce que c’est ça le problème que l’on n’échange depuis le début que des banalités, parce que l’on ne prend jamais la question à bras le corps. Généralement la formulation d’une telle question est suivi d’un long silence. C’est peut-être par ce silence qu’il convient aussi d’accueillir un sujet de dissertation parce que cette question essaie en effet de vous orienter vers la réalisation d’un problème.
        La première chose dont il faut bien se convaincre consiste donc à comprendre que l’on n’attend pas de vous que vous répondiez à la question mais que vous ne vous trompiez pas à son égard, que vous mesuriez, derrière sa formulation banale (il est rare que des termes savants soient utilisés dans un sujet) à quel point elle « va loin ». Un énoncé de dissertation crée une onde de choc. Alors que la réponse est quasi immédiate dans les questions du quotidien, ce n’est vraiment pas le cas pour celle-là. Pour reprendre l’expression courante, un « abîme de perplexité » doit s’ouvrir sous nos pieds et loin de nous faire fuir ce vide doit nous attirer. Cette réception est réellement décisive pour la suite, si nous ne nous sentons pas attirés par l’effet de souffle créé par cette « déflagration », ce n’est pas vraiment la peine de commencer. Il faut prendre un autre sujet.
       
Il faut rompre définitivement avec l’idée qu’une question est un peu comme une situation intenable dont il nous faut sortir au plus vite en trouvant la solution. Toute interrogation crée un « suspens », une attente, exactement comme une porte dérobée ouvrant sur un labyrinthe dont on n’est pas sûr que l’on va sortir. Mais c’est justement pour cela que nous avons envie de la pousser, parce que le confort des idées communes et de la pensée courante nous déconseille de le faire voire nous l’interdit. C’est de la « prise de tête ». Pousser cette porte, c’est probablement entreprendre une démarche qui changera notre façon de penser voire notre être définitivement.
        Donc deux conditions sont absolument requises pour recevoir correctement un sujet de dissertation:
Renoncer à l’idée d’une réponse définitive et rapide
Tenir ferme le cap de l’interrogation proposée, ne pas se tromper sur le fond de la question posée.
2) Utiliser le brouillon
       a) La problématique
        Ce n’est donc pas l’abondance de réponses que doit provoquer cette prise de contact avec le sujet, mais plutôt la multiplicité des questionnements présupposés, implicites présents dans l’énoncé. Ainsi par exemple sur le sujet « pour se connaître, faut-il renoncer à être soi-même? », il faut bien saisir qu’au moins deux questions contradictoires se posent pour un tel sujet: a) Si je renonce à être-moi-même, comment pourrais-je me connaître, puisque ce ne serait plus moi qui serait à connaître? Et conjointement: comment pourrais-je à la fois me connaître, c’est-à-dire me mettre à distance de moi et être ce moi que j’essaie de connaître? Autant la première interrogation nous incline plutôt à répondre « non », autant la deuxième à répondre « oui ». Finalement, le problème réside dans la question de la compatibilité entre connaître et être. Deux réalités indiscutables sont à prendre à compte: 1) « je » suis   2) comme je suis conscient, je me demande qui je suis, en tant que quoi je suis. Faut-il se contenter de la connaissance de cette personne que ma conscience me désigne comme étant moi, sachant que cette personne est totalement sous le contrôle (notamment moral) de cette conscience même, ou faut-il m’avouer à moi-même que je ne suis pas cette personne et qu’il y a en moi un moi plus obscur, plus opaque, moins « clean », mais aussi plus authentique? A supposer que ce moi plus opaque existe, est-ce qu’il est connaissable? Ne serait-il pas condamné à surgir de temps à autre de façon complètement inattendue et brutale, à « être » finalement mais surtout exclusivement, de telle sorte que chacun de nous vivrait finalement dans l’angoisse et le questionnement perpétuel par rapport à l’émergence proche et lointaine de cet inconnu qui n’affleurerait à la surface de nos agissements que de temps à autre et qui consisterait dans cet affleurement même. Peut-on vivre autrement que dans la méconnaissance continuelle de ce soi-même? Mon moi conscient (auquel forcément j’accorde toute mon attention) ne serait-il pas seulement l’ombre de cette présence menaçante?
       
L’utilisation du brouillon est incontournable dans cette étape de questionnement, probablement parce que toutes nos questions ne seront pas forcément dans le sujet. Nous nous accordons le droit de « patauger dans la formulation », de revenir sur telle ou telle interrogation, de noter rapidement les références que l’on croise, quelle que soit leur importance philosophique. Notre brouillon doit à ce moment ressembler à un fourre-tout d’idées, d’auteurs, de références plus ou moins proches dans lequel on fera le tri plus tard. Il n’est pas désastreux de consacrer une heure à ce moment dans lequel on bat le rappel de tout ce qui nous semble concerné par la question.
        Puis vient le moment de se concentrer sur la formulation du problème. Nous avons bien compris que le sujet pose simplement ce qui n’est pas simple et l’on attend de nous que l’on exprime clairement cette complexité. Le sujet nous installe dans la confusion mais il faut que nous exprimions rigoureusement cette confusion. D’où vient que cette question nous plonge autant dans l’embarras? Comment exprimer cet embarras de façon précise, philosophique, éclairante, tout en restant problématique au plus haut point? C’est ce que l’on appelle passer du sujet au problème, comme si le sujet était une pierre que quelqu’un a jeté et qu’au lieu de suivre le mouvement de la pierre, il nous appartient d’aller voir d’où elle a été lancé, d’où vient que la question se pose. Ce n’est pas en aval de la question qu’il nous faut aller mais en amont, remonter la pente jusqu’au sommet. Ainsi par exemple le sujet n’évoque pas la question de la conscience, de l’inconscient mais nous nous le pouvons, nous le devons puisque c’est bien là l’un des aspects vraiment cruciaux de la question. Il convient que nous voyons l’implicite d’un questionnement.
       
Pour ce sujet, nous voyons bien que le problème est de savoir si je ne devrai pas me résigner à être tout autre chose que ce que la conscience me désigne comme étant moi. Se pourrait-il que ce décalage incessant entre le spectateur que je suis consciemment et l’acteur auquel je m’identifie soit finalement tout ce que je peux connaître  de moi comme si finalement le fait d’être moi ne se concevait que comme une perspective, une ligne de fuite, une directive plus qu’un fait, un idéal régulateur davantage qu’une réalité? Ce que l’on pourrait alors de soi, ce serait seulement le décalage d’avec soi, l’effet de dédoublement, la non-coïncidence?
        Peu à peu, on comprend bien ce qui est fondamentalement insoluble dans ce sujet: soit, je suis bien moi-même, mais alors comment pourrais-je établir la distance qui me permettrait d’être à moi-même mon propre objet d’étude, soit je prends conscience de moi, mais alors est-ce bien « moi-même » que je connais, et non une sorte de clone dirigé, contrôlé par ma conscience morale? La connaissance de soi désigne-t-elle une démarche pouvant aboutir? Ne serait-ce pas seulement en tant que mouvement que je pourrais envisager authentiquement de me connaître? Suis-je un être, une substance, « quelqu’un » ou plutôt une multiplicité ou encore ce qui se constitue au fil des circonstances, de façon contingente, hasardeuse, insignifiante? Ne serait-ce pas précisément quand je ne pars plus en quête d’une unité, où d’une identité à trouver que précisément je deviens attentif à une multitude de détails, de mouvements flous et presque indétectables, de « tropismes » (mouvements indéfinissables et fugaces qui échappent à la conscience et qui peuvent se révéler d’une importance cruciale). Ne peut-on se connaître qu’en ne croyant plus à son identité, au sens propre du terme (idem: le même)?
    b) le plan
        Nous commençons à voir un peu plus clair dans la question et nous jetons littéralement sur notre brouillon toutes les idées qui nous semblent présenter un rapport avec le problème, lequel nous semble lui-même relié à de multiples interrogations:
- Ai-je vraiment une identité?
- La conscience me permet-elle de connaître celui que je suis vraiment?
- Ce que je connais de moi-même, n’est-ce pas ce que je ne suis pas vraiment (trop contrôlé par la morale), voire ce que je ne suis plus (décalage dans le temps: ce que je sais de moi, c’est celui que je viens juste de cesser d’être. Ce que je suis en train d’être, je ne peux pas le connaître parce que ma conscience ne peut pas être synchronisée avec mon existence présente)?
Ne pourrai-je pas consister dans cette multiplicité de personnages joués en fonction des circonstances, des autres? Est-ce que le meilleur moyen de me connaître ne consisterait pas à m’accepter dans ma diversité, dans ma superficialité, dans cette aptitude déconcertante et presque vertigineuse à m’adapter à ce que l’on attend de moi. Pourrions-nous consister dans cet effet de miroitement social, familial professionnel au fil duquel on se prête à toutes les mascarades, on revêt tous les masques adéquats au moment opportun sans jamais se tromper, mais aussi sans vraiment perdurer?
Pour me connaître, ne faut-il pas me résigner à observer plutôt qu’à être? Et si je ne fais qu’observer, ne vais-je pas me rendre compte qu’en réalité, je n’ai pas d’existence propre, substantielle (ce point est intéressant car il nous conduit à parler de Descartes qui dans un premier temps semble adopter cette posture d’observateur de plus en plus distant de la vie mais qui finalement récupère en bout de course, la notion de substance, de moi).
Comment situer l’inconscient, par rapport à cette question? Si par être soi-même, on entend une sorte de spontanéité, l’idée commune selon laquelle notre identité est toujours déjà présente en nous, alors Freud dynamite cette spontanéité, en montrant, par le biais des trois instances à quel point notre psyché se constitue peu peu au fil des refoulements et des répressions du désir sexuel. Mais en même temps la psychanalyse serait incompréhensible sans cette quête de soi ou du moins sans cette tentative visant à se connaître au gré de tous les déplacements et processus de l’inconscient. Autant la liberté d’être est compromise par tous les éléments et toutes les opérations de l’inconscient, autant la liberté de se connaître est effective dans la psychanalyse elle-même.
 

Qu’est-ce que cela peut vouloir dire: « renoncer à être soi-même? »: jouer à être quelqu’un d’autre comme nous l’avons vu, c’est-à-dire renoncer à cette idée d’authenticité, d’unité, de substantialité, de permanence du moi. Mais cela peut vouloir dire aussi, plus subtilement qu’être soi-même est moins un fait qu’un horizon, qu’un idéal régulateur. Renoncer à être soi-même, c’est renoncer à exister, à donner à sa vie le sens d’une quête, d’une recherche de sens. Ce n’est pas parce qu’il n’existe en moi aucune identité de fait, naturelle ou substantielle que je ne peux pas, notamment par une oeuvre, par un engagement ou par un style m’efforcer de lui en donner un. On peut penser ici à cet extrait de la 3e considération inactuelle de Nietzsche:
« Si le grand penseur méprise les hommes, c’est leur paresse qu’il méprise, car c’est elle qui leur donne l’allure indifférente des marchandises fabriquées en série, indignes de commerce et d’enseignement. L’homme qui ne veut pas appartenir à la masse n’a qu’à cesser d’être indulgent à son propre égard ; qu’il suive sa conscience qui lui crie : “Sois toi-même ! Tu n’es pas tout ce que maintenant tu fais, penses et désires”. Toute âme jeune entend cet appel jour et nuit, et tressaille : car elle pressent la mesure de bonheur qui lui est destinée de toute éternité quand elle pense à sa véritable émancipation : bonheur auquel d’aucune manière elle ne parviendra aussi longtemps qu’elle restera dans les chaînes de l’opinion courante et de la peur. Et quelle vie sans espoir et dépourvue de sens peut s’ouvrir sans cette libération ! Il n’existe pas dans la nature de créature plus sinistre et plus répugnante que l’homme qui s’est dérobé à son propre génie et qui louche maintenant à droite et à gauche, en arrière et de tous les côtés. On n’a même plus le droit à la fin d’attaquer un tel homme car il n’est qu’extérieur sans noyau, vêtement bouffant, teint et usé, fantôme chamarré qui ne peut inspirer la peur et moins encore la compassion ».
        

Avec sa violence habituelle, Nietzsche évoque ici une autre adéquation que celle de la conscience avec cette part de moi qu’elle commanderait. Nous avons à être celui que nous sommes. Il n’’est pas d’individu sans promesse, sans potentiel et c’est de l’accomplissement de ce « génie » que dépend non seulement notre bonheur, mais ce que l’on pourrait appeler notre consistance. Or, en même temps Nietzsche insiste sur la nécessité d’entretenir à son égard une c certaine ignorance:
« Il n’existe au monde qu’un seul chemin sur lequel nul autre que toi puisse passer. Où mène-t-il ? Ne le demande pas, suis-le. Qui donc énonçait ce principe : “Un homme ne s’élève jamais plus haut que lorsqu’il ne sait pas où son chemin peut encore le mener” ?
        Pour être honnête, c’est souvent au fil des auteurs qu’un plan commence à se profiler, ce qui nous fait comprendre l’importance de disposer de quelques connaissances, mais il importe bien de ne jamais se soumettre entièrement à la nécessité purement gratuite de montrer nos connaissances: si des auteurs se manifestent c’est parce que l’on peut grâce à eux discerner clairement les oppositions, les paradoxes, les dépassements. Nietzsche n’est pas un plus grand philosophe que Descartes mais étant né plus tard sa philosophie prend en compte des acquis culturels, des mouvements de pensée qui ne pouvaient qu’échapper au philosophe français. Toutefois, nous sommes les seuls à décider de l’ordre d’exposition des auteurs et celui-c- peut parfaitement contredire la chronologie. Ce qui justifie à nos yeux que tel auteur soit évoqué après celui-ci, c’est seulement que sa pensée est plus complexe, peut-être plus nuancée, plus subtile que le précédent.
        Ce moment est crucial: nous nous rendons compte que du sujet essaime une multitude de problèmes, tous plus ou moins directement liés à l’interrogation. C’est comme si, de la question posée, proliférait un rhizome constitué par plusieurs racines qui descendent très profondément dans le sol. Nous n’avions que la partie visible de la plante (la question) mais voilà que surgissent toutes ces interrogations présupposées. Si nous avons cette sensation, c’est très encourageant. Cela signifie que nous avons parfaitement saisi la fécondité du questionnement. Tout élève qui se découragerait à ce moment gâcherait la lucidité qui lui a permis de détecter le rhizome. Maintenant tout ce que nous avons à faire c’est mettre de l’ordre, ne pas suivre les racines qui sont trop éloignés du problème authentique posé par le sujet et finalement faire un plan  qui descendra progressivement vers ce qui se situe à la racine du sujet.

        Nous pouvons ici penser à quelques textes qui sont indiscutablement liés à ce sujet:
Texte de Hannah Arendt
 

« En agissant et en parlant les hommes font voir qui ils sont, révèlent activement leurs identités personnelles uniques et font ainsi leur apparition dans le monde humain […]. Cette révélation du “qui” par opposition au “ce que” – les qualités, les dons, les talents, les défauts de quelqu’un, qu’il peut étaler ou dissimuler – est implicite en tout ce que l’on fait et tout ce que l’on dit. Le “qui” ne peut se dissimuler que dans le silence total et la parfaite passivité, mais il est presque impossible de le révéler volontairement comme si l’on possédait ce “qui” et que l’on puisse en disposer de la même manière que l’on a des qualités et que l’on en dispose. Au contraire, il est probable que le “qui”, qui apparaît si nettement, si clairement aux autres, demeure caché à la personne elle-même, comme le daimôn de la religion grecque qui accompagne chaque homme tout au long de sa vie, mais se tient toujours derrière lui en regardant par-dessus son épaule, visible seulement aux gens que l’homme rencontre »
Texte de Pascal
« Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants ; si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.
Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n’aime personne que pour des qualités empruntées. »
Pascal, Pensées, "Qu’est-ce que le moi ?" Laf. 688, Sel. 567.
Texte de Descartes
Je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps ; ne me suis- je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition: Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. Mais je ne connais pas encore assez clairement ce que je suis, moi qui suis certain que je suis ; de sorte que désormais il faut que je prenne soigneusement garde de ne prendre pas imprudemment quelque autre chose pour moi, et ainsi de ne me point méprendre dans cette connaissance, que je soutiens être plus certaine et plus évidente que toutes celles que j’ai eues auparavant…
....Mais qu’est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent.
Texte de Freud

« Tu crois savoir tout ce qui se passe dans ton âme, dès que c'est suffisamment important, parce que ta conscience te l'apprendrais alors. Et quand tu restes sans nouvelles d'une chose qui est dans ton âme, tu admets, avec une parfaite assurance, que cela ne s'y trouve pas. Tu vas même pour tenir « psychique «  pour identique à « conscient », c'est-à-dire connu de toi, et cela malgré les preuves les plus évidentes qu'il doit sans cesse se passer dans ta vie psychique bien plus de choses qu'il ne peut d'en révéler à ta conscience. Tu te comportes comme un monarque absolu qui se contente des informations que lui donnent les hauts dignitaires de la cour et qui ne descend pas vers le peuple pour entendre sa voix. Rentre en toi-même profondément et apprends d'abord à te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu vas tomber malade, et peut-être éviteras-tu de le devenir.
C'est de cette manière que la psychanalyse voudrait instruire le moi. Mais les deux clartés qu'elle nous apporte : savoir, que la vie instinctive de la sexualité ne saurait complètement être domptée en nous et que les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, et ne deviennent accessibles et subordonnés a u moi que par une perception incomplète et incertaine, équivaut à affirmer que le moi n'est pas maître dans sa propre maison. »
Essais de psychanalyse appliquée, « Une difficulté de la psychanalyse »
Texte de Nietzsche
« Il n’existe au monde qu’un seul chemin sur lequel nul autre que toi puisse passer. Où mène-t-il ? Ne le demande pas, suis-le. Qui donc énonçait ce principe : “Un homme ne s’élève jamais plus haut que lorsqu’il ne sait pas où son chemin peut encore le mener” ?
…Mais comment nous retrouver nous-mêmes ? Comment l’homme peut-il se connaître ? […] Que la jeune âme se retourne vers sa vie intérieure et se demande : “Qu’as-tu vraiment aimé jusqu’à ce jour, quelles choses t’ont attirée, par quoi t’es-tu sentie dominée et tout à la fois comblée ? Fais repasser sous tes yeux la série entière de ces objets vénérés et peut-être te livreront-ils, par leur nature et leur succession, une loi, la loi fondamentale de ton vrai moi Compare ces objets, vois comme ils se complètent, s’élargissent, se surpassent, se transfigurent mutuellement, comme ils forment une échelle graduée sur laquelle jusqu’à présent tu as grimpé jusqu’à ton moi. Car ton essence vraie n’est pas cachée au fond de toi, elle est placée infiniment au-dessus de toi ou du moins de ce que tu prends communément pour ton moi.»
Ne peut-on se connaître qu’en renonçant à être soi-même?


On voit bien un plan se dessiner au fil des références (attention ce plan ne décrit ici qu’une possibilité, il est envisageable de s’en inspirer, de reprendre les références mais en les intégrant à la progression de notre réflexion - Il ne. S’agit pas de seulement recopier ce plan):
1) La difficulté de se connaître soi-même  (distinction moi / Qualités) et le rôle des autres (le moi en société: perspective sociologique)
    a) Distinction entre qui je suis (moi) et ce que je suis (qualités): Hannah Arendt
    b) Il n’y a pas de moi mais seulement des qualités : Pascal
2) La connaissance et l’être: puis-je consister dans l’effort de me connaître? Suis-je la conscience que j’ai d’exister (perspective métaphysique)
    a) Descartes: « je suis une chose qui pense » - Je sais avec un certitude indépassable que je suis la conscience d’être même si je ne sais pas qui je suis. Etre soi-même, c’est se connaître et se reconnaître dans cette certitude de conscience: je suis j’existe
    b) Il est pourtant impossible que je ne consiste qu’en cela (Critique de Nietzsche ou de Freud, ou des deux) - La position défendue par Descartes fait la part trop belle à la conscience. Nous sommes peut-être une chose qui pense, ou une instance dans laquelle « ça » pense mais nous percevons à de multiples occasions que nous ne consistons pas seulement dans cette transparence de soi à soi créée par la conscience.
3) Me connaître, c’est suivre la voie de celui que j’ai à devenir: « Deviens ce que tu es » Citation de Pindare reprise par Nietzsche
    a) Opposition entre deux maximes: celle du temple de Delphes reprise par Socrate: « Connais toi-toi-même » et celle de Pindare: « Deviens ce que tu es »
    b) Personne ne peut se mépriser soi-même au point de ne pas devenir celui qu’il est.
Conclusion
Reprise du trajet parcouru par la progression et justification de la réponse « oui ».


3) l’introduction
   
 Il importe de vraiment soigner l’introduction, de la faire au brouillon, non seulement parce que c’est le premier contact entre ce que vous écrivez et la lecture de l’examinateur mais aussi parce que c’est le moment où la compréhension du sujet doit se manifester le plus clairement. Notre correcteur verra tout de suite si cette étape fondamentale a été bien menée ou pas.
    Toute introduction doit faire trois choses:
Amener la référence au champ problématique pointé par le sujet
Problématiser
Formuler la problématique

En restant dans la pensée de tout un chacun, vous devez signaler une occasion, un moment, une situation simple, quotidienne dans laquelle ce problème affleure. Pour le sujet « ne peut-on se connaître qu’en renonçant à être soi-même? », il est possible d’évoquer cette aptitude que nous avons à passer rapidement d’un personnage à un autre au gré des entourages et cela sans jamais nous tromper.
Mais précisément ne sommes nous que cela? Il faut maintenant passer à une phase vraiment philosophique en approfondissant cette aptitude: serait-elle l’indice d’un manque de consistance d’identité authentique de ma part? Si je prends conscience de cette capacité vertigineuse à être sans cesse autre à moi-même, multiple? Est-ce que justement je ne serai pas au moins cet effet de distanciation? Dois-je me résoudre à ne consister que dans cet effet de miroitement de toutes mes mutations d’identité sociales professionnelles, familiales? Pourquoi utiliser le « Je » dans ce cas? Etc.
Formulation précise du problème contenu dans la question, sachant que je ne peux me contenter de répéter la question du sujet.
4) Le style d’écriture
Rédiger une dissertation de philosophie suppose que l’on se distancie le plus possible d’un style d’écriture qui viserait à l’affirmation personnelle d’une pensée : « moi, je pense que… A mon avis….Pour moi… En ce qui me concerne» sont des expressions à bannir absolument. Il s’agit de s’interdire toute prise de position qui dénoterait un parti pris sur le sujet, la volonté de se positionner gratuitement de tel ou tel côté. Rien de notre existence particulière, personnelle et privée ne doit pointer dans notre écriture. L’utilisation du « Je » est possible mais seulement à condition qu’elle émane d’un sujet universel, exactement de la même façon que Descartes lorsqu’il dit « je pense donc je suis ». Ce « je » ne désigne aucunement « moi, René Descartes né à La Haye, etc. », mais toute personne suivant le même raisonnement. Le style d’écriture est donc impersonnel (« On peut en déduire que… Il en résulte que… Il apparaît que… etc.). Même le « toi-même » du « Connais toi toi-même » de Socrate n’est pas un appel à se portraiturer en tant que personne particulière (mais à la prise de conscience de chacun de nous). Ce que nous écrivons doit pouvoir se dire aussi et se faire comprendre de tout homme en tout lieu et en tout temps. I nous faut jouer pleinement la carte de l’écriture, en tant qu’elle s’oppose à l’oralité. Quand nous parlons devant des personnes ou avec tel interlocuteur, nous allons nécessairement chercher à le persuader, à gagner sa confiance, à multiplier les signes de complicité, jusqu’à éventuellement modifier le sens même de notre discours. C’est de ce genre de compromissions que l’écrit est totalement dépourvu. Nous y suivons simplement le fil d’une argumentation rigoureuse, sans nous laisser distraire par la tentation de nous faire des amis en parlant. Quiconque veut voir clair dans une question devrait écrire plutôt que parler et c’est aussi à cela, voire surtout que peut servir une dissertation.
Ce dernier point est crucial et peut sembler paradoxal : quand nous écrivons, nous sommes seuls alors que nous parlons à d’autres mais en réalité, c’est justement dans l’écriture que nous parlons vraiment à l’Autre, parce que toute prise de parole s’inscrit d’abord dans un milieu au sein duquel nous voulons nous intégrer ou du moins nous faire reconnaître, de telle sorte que notre propos sera toujours connoté en fonction de l’entourage.
Le style d’écriture d’une dissertation est argumentatif. Cela signifie qu’aucune phrase ne peut figurer sur la page sans être justifiée par celle qui la précède, ou par une évidence qu’il est vraiment impossible de remettre en cause. L’utilisation des connecteurs logiques (car, donc, par conséquent, en effet) est donc très vivement conseillée). En un sens, il n’est finalement question que d’exprimer dans la phrase à venir ce que l’on peut déduire de la phrase précédente. Les propositions ne font pas que se suivre, elles s’impliquent. Il faut quasiment s’imposer de changer de paragraphe et de marquer un alinéa toutes les vingt ou trente lignes en moyenne. C’est tout simplement pour nous la possibilité de faire comprendre à notre correcteur que nous passons à une autre idée ou plus clairement d’une partie à une autre, d’une sous-partie à une autre. Dans chaque partie, il devrait y avoir au moins trois paragraphes. Dans cette limite, nous nous efforçons de poser « un » argument de telle sorte que nous pouvons simplement en regardant notre dissertation faire le compte des idées défendues rien qu’en comptant le nombre de paragraphes.

Nous ne devons pas avoir peur d’exprimer clairement les enchaînements de pensée logique qui justifie que nous passions de telle partie à telle autre, de telle sous-partie à telle autre. Chaque phrase étant reliée à la suivante par la dynamique d’un « sens », il est toujours possible et nécessaire de faire apparaître littéralement ces rapports d’implication de paragraphes à paragraphes. Cet effort de transition est toujours motivé par le sens, l’implication du contenu du paragraphe  et pas du tout par l’exigence formelle de rédiger une dissertation. Cela signifie qu’il ne faut jamais écrire de formulation du type : « maintenant que nous avons la réponse positive, intéressons-nous à la réponse négative. »
Les exemples prouvent que nous comprenons assez ce que nous développons pour faire le rapprochement avec des situations de la vie courante ou avec des scenarii de films. Ils ne démontrent rien mais font parfois naître de nouvelles pistes. Les éléments que nous avions dégagés par le raisonnement s’incarnent alors dans un moment de la vie réelle. C’est plus clair et cela prouve que nous ne parlons dans le vide.
Les références sont cruciales. Evoquer les prises de position argumentées des auteurs, c’est bénéficier d’un appui considérable. Que nous y adhérions nous-même ou pas du tout ne doit pas entrer en ligne de compte. Tout philosophe « reconnu » décrit une prise de position cohérente et argumentée sur un sujet, c’est un support sur lequel nous pouvons vraiment nous appuyer à condition de l’exprimer sans le trahir.
5) Conclusion
    

« La bêtise consiste à vouloir conclure » - Flaubert: faut-il en déduire qu’une conclusion serait forcément bête? Non car notre dissertation n’est pas interminable, même si le problème abordé est rigoureusement insoluble. Nous avons bien rendu compte du fait que ce sujet avait plusieurs strates de significations, qu’il était complexe et nous avons exploré cette consistance «étagée». Par conséquent un certain chemin a été parcouru et c’est de ce « trajet » qu’il faut donner idée en conclusion: « Nous sommes partis de cette thèse selon laquelle….ce qui nous a amené à considérer…. ». Nous récapitulons les points importants de notre travail.
Puis, nous formulons, en toute humilité (« Il semble que… », nous pouvons en déduire que… », bref pas de formule trop tranchée) ce qui nous apparaît moins comme la réponse vraie que comme la perspective la plus intéressante, en exprimant toutes les nuances à la question que nous avons relevées dans notre dissertation.

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