mardi 15 avril 2025

Verticalité / Horizontalité: le dernier homme de Friedrich Nietzsche


                Pour expliquer le texte assez difficile de Heidegger dans lequel il décrit et situe comme oeuvre d'art les souliers de Van Gogh, nous avons utilisé la notion de "verticalisation". La paysanne travaille la terre "horizontalement" c'est-à-dire dans une perspective utilitaire, rentable. Van Gogh, lui, peint ses souliers et à partir de ce surlignement d'un élément de son quotidien, il "verticalise" son quotidien, c'est-à-dire qu'il crée par là même un effet sidérant de révélation, d'authenticité de l'expérience de vivre ...qui du coup devient autre chose: exister, comme si au cœur même d'une vie vouée à la stricte satisfaction de la nécessité vitale et du travail, une autre perspective soulevait cette vision horizontale pour lui donner du prix, comme si cette utilisation alimentaire d'une terre nourricière  se trouvait investie d'une autre puissance nourricière qui pourrait être de donner du sens à la vie de la paysanne en sacralisant ce travail, en l'inscrivant dans un autre cadre, celui de l'aiôn et non plus celui linéaire de chronos.  Verticaliser revient à inscrire les choses que nous faisons dans l'éternel retour du cycle de l'aiôn et, sans cela, nous ne pourrions pas donner du prix (mais précisons: un prix SANS PRIX) à ce que nous vivons à ce que nous sommes.  

        Quelque chose se fait jour ici qui atteste de ce que le contenu de nos actions est peut-être moins important que la perspective dans laquelle nous l'inscrivons en la faisant: verticale ou horizontale. Il est toutefois difficile d'inscrire certains métiers (bullshit jobs) dans une perspective verticale. Mais alors d'où viennent ces métiers? D'où viennent ces étranges activités: être à son portable sans arrêt, regarder des vidéos en permanence sans même savoir pourquoi, remplir son caddie d'aliments toxiques qui vont empoisonner nos enfants mais leur faire plaisir,  suivre les injonctions publicitaires et les impulsions du désir mimétique (René Girard) qui s'y activent souterrainement, regarder des personnalités occupant des postes à responsabilité dans des organisations pseudo-politiques surenchérir de propositions infaisables, absurdes, racistes, nationalistes parce que cela semble aller dans le sens des des désirs obsessionnels d'une masse (et absolument pas d'un PEUPLE, sachant qu'un PEUPLE a des valeurs alors qu'une masse a des réflexes)? 

            La réponse est la suivante: de l'aplanissement,  de l'écrasement des biens, des personnes et des expériences dans l'équivalence des valeurs marchandes (Aristote, Karl Polanyi et le "désenclavement") c'est-à-dire de la désertion du sacré, de l'élévation, de la "noblesse", de la contamination d'une idéologie égalitaire (mais ce n'est pas le bon terme, nous confondons "égalitaire" et  "équivalente") au sein de laquelle le capitalisme triomphant, la valeur marchande s'est substituée à la valeur esthétique et sacrée. Tout valant tout, plus rien ne vaut rien (ce rapport entre la démocratie équivalente (qui en fait n'est pas du tout égalitaire) et capitalisme nous permet d'expliquer la plupart des avatars de l'hybris dont atteste notre égalité, comme un humain mangeant les croquettes de son chien par exemple).

             Dieu est mort, et, avec lui, la notion de révérence, de déférence à l'égard de l'être, de ce qui est. Les humains vivent mais il n'est plus rien de leurs expériences qui puisse leur donner le désir d'exister, de persévérer dans leur être, par quoi nous cultiverions notre style, et poursuivrions le processus de notre individuation. A l'inverse, c'est l'individualisme qui envahit tout le champ social et détruit l'aspiration politique authentique: la noblesse de l'action politique, celle par le biais de laquelle la participation à un Nous détermine la constitution d'un Je. Tout ceci supposerait cette verticalité qui nous fait de plus en plus défaut, tout ceci impliquerait la réalisation par chacune et chacun de l'éternel retour Nietzschéen. 

        Or, c'est exactement cela (l’Éternel retour) la bonne nouvelle que Zarathoustra veut transmettre à l'humanité après avoir longuement réfléchi. il veut donner l'intuition du  surhomme aux humains (Éternel retour). Mais cela ne va pas du tout se passer comme prévu: décrivant le contraire absolu du surhomme pour créer un effet de dégoût de répulsion et ainsi favoriser la venue du surhomme, Zarathoustra crée, à son insu, et vraiment malgré lui un mouvement d'adhésion de la foule. il comprend alors que le dernier humain est arrivé et que l'horizontalité a déjà tout aplani. De tous les textes philosophiques, c'est vraiment à la lumière de celui-ci qu'il peut être précieux de regarder aujourd'hui notre "actualité":




« Il est temps que l'homme se fixe un but. Il est temps que l'homme plante le germe de son espérance suprême. Son sol est encore assez riche pour cela. Mais ce sol, un jour, de pauvre et débile, ne pourra plus donner naissance à un grand arbre. Hélas! le temps approche où l'Homme ne lancera plus par-de là l'humanité la flèche de son désir, où la corde de son arc aura désappris de vibrer. Je vous le dis, il faut avoir encore du chaos en soi pour enfanter une étoile dansante. Je vous le dis, vous avez encore du chaos en vous. Hélas ! Le temps vient où l'homme deviendra incapable d'enfanter une étoile dansante. Hélas ! ce qui vient, c'est l'époque de l'homme méprisable entre tous, qui ne saura même plus se mépriser lui-même

Voici, je vais vous montrer le Dernier Homme:

« Qu'est-ce qu'aimer? Qu'est-ce que créer? Qu'est-ce que désirer? Qu'est-ce qu'une étoile? » Ainsi parlera le Dernier Homme, en clignant de l' oeil. La terre alors sera devenue exiguë, on y verra sautiller le Dernier Homme qui rapetisse toute chose. Son engeance est aussi indestructible que celle du puceron; le Dernier Homme est celui qui vivra le longtemps.
« Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes en clignant de l'oeil." Ils auront abandonné les contrées où la vie est dure ; car on a besoin de la chaleur. On aimera encore son prochain et l'on se frottera contre lui, car il faut de la chaleur. La maladie, la méfiance leur paraîtront autant de péchés ; on n'a qu'à prendre garde où l'on marche ! Insensé qui trébuche encore sur les pierres ou sur les hommes ! Un peu de poison de temps à autre ; cela donne des rêves agréables; beaucoup de poison pour finir, afin d'avoir une mort agréable.
On travaillera encore, car le travail distrait. Mais on aura soin cette distraction ne devienne jamais fatigante. On ne deviendra plus ni riche ni pauvre; c'est trop pénible. Qui voudra encore gouverner? Qui donc voudra obéir? L'un et l'autre, trop pénibles.
Pas de berger et un seul troupeau ! Tous voudront la même chose pour tous, seront égaux; quiconque sera d'un sentiment différent entrera volontairement à l'asile des fous.
"Jadis tout le monde était fou », diront les plus malins, en clignant de l'oeil. On sera malin, on saura tout ce qui s'est passé jadis; ainsi l'on aura de quoi se gausser sans fin. On se chamaillera encore, mais on se réconcilie bien vite, de peur de se gâter la digestion.On aura son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit; mais on révérera la santé.
"Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes, en clignant de l'oeil".

Ici prit fin le premier discours de Zarathoustra qu'on appelle aussi le prologue : car à ce moment les cris et l'hilarité de la foule l'interrompirent. "Donne-nous ce Dernier Homme, ô Zarathoustra, criaient-ils; fais de nous ces Derniers Hommes ! Et garde pour toi ton Surhumain ! » Et tout le peuple exultait et faisait entendre des claquements de langue. Mais Zarathoustra en fut affligé et se dit en son coeur: "Ils ne me comprennent point, je ne suis pas la bouche qui convient à ces oreilles."

                                    Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, prologue


lundi 14 avril 2025

Cours HLP: Education transmission émancipation: articulations

 Enchaînement des articulations du cours:


« Le temps est hors de ses gonds. O sort maudit que ce soit moi qui aie à le rétablir » dit Hamlet de Shakespeare. Sur un escalier mécanique qui descend, il faut avancer pour rester stable. C’est l’image qui illustre cette référence et la thèse de Hannah Arendt. Le monde est ce que les Humains en font, tout simplement parce que, comme le dit Heidegger « la pierre est sans monde, l’animal est pauvre en monde et l’homme est configurateur de monde ». Le cadre de l’animal n’est pas le monde mais son milieu, par contre l’humain est dans le monde, il est même en charge du monde, ce qui revient à tirer la juste conclusion du fait qu’il n’a pas de milieu.

La citation de Shakespeare, c’est donc la phrase que toute nouvelle génération peut prendre à son compte. Si nous laissons les Anciens décider de ce que le monde est il est certain que ce monde suivra la pente déclinante de cette ancienne génération. Par conséquent le rôle de l’éducation n’est pas du tout de transmettre la pseudo sagesse des anciens à la nouvelle génération mais de protéger la nouvelle de toute velléité de l’ancienne de rester en charge du monde, ce qui reviendrait à le contaminer de sa vieillesse.

Nous pouvons croire à tort que l’existence du monde est un fait donné, inaltérable, irrévocable, mais le monde, ce n’est pas l’univers, ni la terre, ni le milieu. Nous pourrions dire que le monde, c’est une certaine interprétation de la nature. Jeté dans la nature, le Dasein est pris par l’angoisse née du désœuvrement de ne pas y avoir de « place » de biotope.  L’être humain s’y voit confronté à l’épreuve étrange de saisir « ce que c’est qu’être », dans tout ce que cela implique de « critique », de questionnant. Le Dasein existe mais sur un mode tel que cette existence lui apparaît aussi « de l’extérieur » puisque qu’il n’est pas réquisitionné par cette tâche d’avoir à être en résonance avec un milieu.

C’est cela qui fait être « le monde », à savoir un regard sur la nature dans laquelle il reste à construire de toute pièces un lieu humain, une polis, une société. « L’homme est un animal naturellement politique ». Il est un être qui ne peut pas faire autrement que d’exister dans la construction d’un monde. Par conséquent qu’il y ait monde c’est un acte dont seul l’être humain peut être tenu pour responsable. L’homme est en charge de faire sans cesse advenir un monde stable.

Mais c’est justement cette stabilité qui pose problème puisque nous sommes mortels. La permanence du monde dépend donc du mouvement des générations humaines. On ne comprend rien à ce passage du texte de Hannah Arendt si l’on ne saisit pas que la nature conservatrice de l’éducation trouve exactement ici sa justification. Pour que le monde soit, il faut que la succession de la jeune génération à l’ancienne se fasse et c’est là la tâche des éducateur.trice.s. Il n' y a pas de monde sans renversement de l’ancien monde par le nouveau, de telle sorte que c'est pour la conservation de ceci qu'il y ait monde que le travail de transmission peut et doit s'opérer (tout éducateur.trice est conservateur.trice en ce sens là).  Cette stabilité factuelle (de ceci qu'il y ait un monde) repose sur la montée en puissance de la nouvelle génération au détriment de l’ancienne (de ce point de vue enseigner ne peut se faire qu'avec la jeune génération CONTRE l'ancienne)

Mais concrètement en quoi consiste cette tâche là d’éduquer, de favoriser ce mouvement de révolution par le biais duquel la nouvelle génération va apporter cet élément nouveau qui le sauvera de la vieillesse? En premier lieu d’assumer la responsabilité du monde présent, tel qu’il est maintenant. Il n’est ici question pour l’éducateur.trice que de répondre de l’état du monde tel qu’il est aux yeux de cette jeune génération porteuse du projet même de sa transformation. En fait il est ici affaire d’affirmer la corrélation entre le dasein et le monde, ni plus ni moins. Que le monde soit et qu’il soit ce monde là, c’est nécessairement le produit de l’action de l’humain sur la nature. Ce n’est pas du tout une sorte d’argumentation par le biais de laquelle l’ancienne génération s’efforcerait de prouver que ce monde là n’est pas si mal, c’est juste une sorte de rappel de la corrélation être humain/monde.  C’est aussi ce qui fait de l’éducation une tâche si ardue. Toutefois Il n’y entre aucun esprit de « promotion ». Les éducateur.trice.s ne font pas la publicité de ce monde. Ils seraient bien en peine de le faire. C’est un fait: les humains sont configurateurs de mondes, tout simplement parce qu’ils ne sont pas happés par la construction d’un biotope. 

Par conséquent nous pourrions dire que l’éducation est responsable de la responsabilité de l’être humain par rapport au monde. C’est une forme de « responsabilité au carré », plus que toute autre chose qu’il revient à l’éducation d’assumer et donc de faire assumer.

        On mesure ainsi à sa juste hauteur l’importance de l’autorité de l’enseignant, mais d’une autorité bien comprise, étymologiquement comprise. L’autorité n’est pas du tout une fonction de commandement mais d’ « augmentation ». Eduquer c’est faire croître, accompagner le mouvement naturel de croissance de cette nouvelle génération porteuse du germe de l’élément nouveau par le biais duquel un monde neuf  doit prendre la relève de l’ancien. L’auctoritas en latin penche du côté de la potentia plutôt que de celui de la potestas. Or la potentia désigne l’aptitude d’une personne à affecter autrui (à donner de soi pour autrui). 

            Soyons plus clair: les deux termes de potentia et de potestas ont une connotation en rapport avec la politique, au sens de polis, cité, délibération, prise de décision et action collectives. Mais alors que la force de lien de la potestas est horizontale, c’est-à-dire qu’elle relie entre eux des citoyens égaux sur un même plan, la force liante de la potentia et donc de l’auctoritas est verticale, inégalitaire. Les éducateur.trice.s sont en charge de l’éducation des éduqué.e.s, ce qui implique une force liante verticale qui vient d’un « haut »: « les dieux aussi ont de l’autorité chez les hommes, plus qu’un pouvoir sur eux, ils augmentent et confirment les actions humaines mais ne les commandent pas. » Exercer une autorité c’est être un auteur au sens de promouvoir quelque chose de totalement inédit, mais quoi? L’élément de nouveauté dont la jeune génération est porteuse.

Est-ce à dire que les éducateur.trice.s sont des Déesses et des Dieux?….Euh…Non! Mais vraiment NON! Plutôt des vestales en un sens puisque ce ne sont pas elles ou eux qui détiennent cet élément, mais la jeune génération. Il n’est question que d’une chose en fait: inspirer suffisamment de confiance à cette jeune génération pour que celle-ci à son tour assume son rôle.  Pendant la guerre de Troie, Athéna et Aphrodite sont simplement les porte voix des deux camps en présence, elles ne font aucune action véritable mais elles pèsent de tout leur poids dans les plateaux de la balance tenue par Zeus.

Mais c’est cette notion d‘autorité qui est la plus importante à cerner. On peut ici penser à une phrase un peu mystérieuse de Socrate lors de son procès: « je crois comme aucun de ceux qui m’accuse ». Où Socrate puise-t-il la légitimité de sa vocation? Dans un oracle. Nous pouvons bien épuiser tous les moyens de fonder une autorité enseignante sur de la compétence, sur de la transmission, sur du pouvoir répressif, la source de l’autorité est totalement ailleurs. Elle n’est pas laïque, ni vraiment fondée sur un mérite quelconque. Elle est aussi mystérieuse et difficile à maitriser que la notion de puissance avec laquelle elle a tant à voir. Elle est une puissance libératrice d’affects. Enseigner c’est envoyer des signaux, lesquels auront pour fonction de déclencher chez les éduqué.e.s qui les perçoivent, le désir d’apporter cet élément nouveau grâce auquel le monde temporairement reviendra sur ses gonds.C’est justement parce que la tâche de la jeune génération est d’innover, d’amener cet élément de transformation de l’ancien monde que l’éducation elle ne doit pas être novatrice amis conservatrice, protectrice. Il n’est pas absurde d’envisager la possibilité que la source même de l’autorité des enseignant.e.s soit finalement le dasein, cette épreuve angoissante d’une existence que l’on perçoit à la fois de l’intérieur puisque on existe et de l’extérieur puisque on se sait exister.

Si le monde était la nature, nous n’aurions pas besoin d’éducation, mais comme le monde est cette interface dont l’être humain est en charge, il implique de la responsabilité, de l’autorité, de l’intériorité, c’est-à-dire de l’être à soi. C’est ce qui place en première position du métier d’enseignant l’ipséïté de Paul Ricoeur.  L’individu ce n’est pas ce que nous sommes mais le devenir dont nous sommes porteurs. L’identité est un avoir à être, un ethos, une promesse, un engagement qui se formule d’abord dans un rapport de soi à soi par le biais duquel on a à répondre de l’existence des autres. C’est exactement cela éduquer, se retrouver en charge de l’individuation des autres, et cela évidemment passe par l’assomption de la sienne propre. Eduquer c’est un travail d’ipséïté réciproque. Les enseignés.s  y gagnent cette conscience d’avoir leur identité devant eux et non derrière eux et les enseignant.e.s y acquièrent la fermeté d’un éthos.

Tout ceci met au premier plan de l’enseignement l’identité narrative puisque pour Paul Ricoeur c’est grâce à elle qu’elle se conquiert. Ce qui revient donc aux éducateur.trice.s c’est de donner aux éduqué.e.s suffisamment d’assurance et de confiance en elles, en eux, pour vivre leur existence comme un récit, récit qu’il leur revient donc à la fois d’écrire, d’incarner à titre de personnage principal et de lire ou d’écouter. Ne jamais désespérer de la dimension légendaire  (digne d’être lue) de sa propre existence: c’est à cette finalité là que l’éducation finalement doit tendre auprès des personnes éduquées. En-deçà de toutes nos tentatives pour donner du sens à ce que nous vivons, il y a cette puissance là, celle de ne jamais abandonner le présupposé de la nature lisible de notre existence. 


Cette thèse peut sembler trop poétique à bien des égards, Il convient de lui donner un fondement plus assuré en donnant au propos de Hannah Arendt un sens plus scientifique, une assise plus conceptuelle et plus démontrée. Il est un élément vraiment fondateur dans toute cette définition de l’éducation, c’est l’entropie, à savoir le principe de dispersion qui œuvre en tout organisme en tout ensemble vivant, physique, existant. L’entropie c’est la flèche du temps, le sens vers lequel nous inclinons en ceci que nous y perdons de l’aptitude à réordonner. De fait il y a de l’entropie et quiconque prête attention à ses aptitudes, à ses difficultés le perçoit. 

Or Schrodinger dans son livre « qu’est-ce la vie? » définit la vie comme le mouvement de limitation de l’entropie par la néguentropie (capacité à renouveler le chaos par de l’ordre, par de l’organisation). La jeune génération est exactement cela: cette puissance porteuse de l’élément nouveau grâce auquel de la néguentropie va s’opposer à l’entropie qui gagne nécessairement l’ancienne génération.

Mais il y a un bémol dans ce schéma, c’est que la fonction néguentropique qui indiscutablement œuvre en tout organisme vivant endosomatique (être son corps, avoir son corps EN soi) n’est pas naturellement opérationnel pour un être exosomatique  (avoir son corps hors de soi, avoir un corps fait de prothèses technologiques) comme l’humain. C’est la raison pour laquelle l’éducation est vraiment nécessaire pour l’être humain. Elle est le rétablissement artificiel grâce auquel la fonction naturellement néguentropique des organismes endosomatiques peut s’activer également pour nous, qui sommes des animaux exosomatiques. L’éducation c’est la fonction néguentropique artificielle des animaux exosomatiques que nous sommes. Il n’est pas du tout question de nous opposer à notre nature exosomatique, c’est-à-dire au fait que notre développement se fait par des pharmaka,:  des innovations technologiques potentiellement susceptibles d’aggraver l’entropie, mais de rappeler que ces pharmaka sont aussi des remèdes dés lors que nous stimulons leur puissance néguentropique en enseignant les nouveaux savoirs correspondants.

L’éducation est toujours conservatrice en ceci qu’il lui faut veiller à la stabilité du monde, c’est-à-dire à cette passation de pouvoir par le biais de laquelle la nouvelle génération remplace et destitue l’ancienne mais le mouvement des pharmaka est de plus en plus rapide et il est de plus en plus dur pour l’éducation de créer ces nouveaux savoirs dont le but est toujours la stabilité du monde. 

C’est exactement ce que Bernard Stiegler appelle le redoublement epokhal. Toute innovation technologique de grande amplitude exige deux moments:

  1. Technologique: c’est l’apparition stricte de l’innovation
  2. Noétique (qui veut dire connaissance): c’est la cristallisation par le biais de laquelle une époque va se constituer autour de cette innovation (ce n’est pas le cas pour toutes les innovations mais pour celle qui portent en elles, un « passage », comme le feu, la roue, l’imprimerie, la machine à vapeur, etc.). C’est exactement le mouvement propre aux animaux exosomatiques que nous sommes (l’os dans 2001 Odyssée de l’espace de Kubrick) 

Or selon Bernard Stiegler nous vivons une phase préoccupante de disruption, c’est-à-dire que nous n’avons plus le temps de réaliser le deuxième moment de cette double opération epokhale: la phase noétique. C’est ce qui explique la prolétarisation des savoirs. De quoi s’agit-il? Du fait que nous utilisons des technologies que nous ne comprenons pas, comme le chauffeur de taxi parisien qui ne connaît pas sa ville, comme la cadre qui se trouve à son tour, ainsi que  l’ouvrier, pris dans des stratégies managériales insensées au coeur desquelles les impératifs sont fixés par des algorithmes, c’est-à-dire par personne en fait.  Pour que l’éducation assume sa fonction pérenne de renouvellement, ou plutôt veille à ce renouvellement, à cette révolution, il faut qu’elle aille de plus en plus vite mais elle ne parvient pas à créer les nouveaux savoirs susceptibles d’assurer le deuxième moment du redoublement epokhal.

Si nous ne sommes pas capables de sortir de cette phase de disruption selon Bernard Stiegler, l’éducation ne pourra pas assurer sa fonction néguentropique artificielle grâce à laquelle l’être exosomatique que nous sommes se révèle capable de s’opposer à l’entropie. L’anthropocène de fait semble malheureusement s’accorder à l’entropocène (victoire de l'entropie sur la néguentropie). Quelque chose du devenir de l’être humain se joue donc bel et bien là, dans cette capacité de l’éducation à retrouver  son autorité, à s’inscrire au cœur de son action authentique qui a rapport à la capacité à inspirer  et à stimuler chez  éduquée.s leur aptitude à faire récit à se vivre eux-mêmes au travers de la narration d’un récit. La disruption ne marque pas seulement une rupture pour l’humanité dans le double mouvement epokhal mais aussi à l’échelle individuelle à l’impossibilité de donner du sens à des réalités de plus en plus fragmentées, incompréhensibles, accélératrices d’entropie.

Mais puisque le péril n’a jamais été aussi grand, le salut n’a peut-être jamais été aussi proche puisque « dans le péril croît aussi ce qui sauve. » La notion de quasi-causalité du philosophe Gilles Deleuze est de nature à susciter en nous la détermination de ne pas désespérer.   Il est sans aucun doute de nouveaux styles d’existence qui déjà se font jour dans ces éléments nouveaux des jeunes générations. La quasi-causalité décrit une forme de stoïcisme moderne qui revient à détourner les évènements les plus dramatiques et les plus contraignants en nouveautés, en incitations à la création, au style, comme si l’être humain se révélait capable de trouver dans l’émergence du pire, le processus même d’effectuation du meilleur. Il est un nouveau style d’être humain qui se module, qui se  forge  dans le pire creuset qui soit et c’est peut-être justement à cause de cela qu’il est le pire. Ce qu’il convient le plus de viser c’est que le transhumanisme ambiant soit dépassé par la surhumanité Nietzschéenne, et surtout que nous restions vigilant.e.s sur l’impossibilité conceptuelle et pratique de faire l’amalgame entre les deux comme certains transhumanistes essaient de le faire en se réclamant de Nietzsche. Peu de contre-sens se révéleraient plus dommageables que celui-là.  

(une remarque très (trop) personnelle: quiconque a regardé "Iron man" a 1) perdu son temps 2) repéré le rapport entre Tony Stark et Ellon Musk. Non seulement les Avengers n'ont donné que des films vraiment, vraiment "nuls" mais en plus ils étalent devant nous le fantasme transhumaniste dans toute sa crétinerie. Ellon Musk n' a pas lu Nietzsche et il n'a pas dit OUI à l'éternel retour. Le trans-humain rêve de devenir un super héros et il est assez logique que le gros méchant Thanos soit finalement porteur de considérations plutôt écologiques sur le monde et ces considérations ont le mérite d'être formulées, aussi radicales que soient les solutions proposées. De ce point de vue, la destruction récente par le gouvernement Trump / Musk du ministère de l'Education est totalement révélatrice et malheureusement pas du tout fictive)


dimanche 13 avril 2025

Terminale HLP (deux groupes): Histoire et violence (2 et fin)


 

3)  Dasein et violence 

a) les trois sens (sémantique, existentiel et téléologique)

Il y a de la place pour une autre conception de l’Histoire dans ce rejet du sens téléologique de l’histoire. Finalement il est possible de distinguer trois acceptions différentes de cette notion de sens: a) téléologique (Bossuet Kant, Hegel) b) existentiel: donner du sens à son existence dans une histoire qui ne va nulle part c) sémantique: le fait que l’Histoire des historiens est un récit et que les mots, les phrases ont un sens: le fait même que l’histoire soit écrite, intégrée dans un discours suppose évidemment que nous lui donnions « le sens des mots ».

Ceci étant clair, nous percevons parfaitement à quel point le sens téléologique est puissant en ceci qu’il permet aux êtres humains de supporter toutes les violences de l’histoire en les interprétant comme voulant signifier quelque chose et progresser quelque part dans une certaine lecture. Mais c’est comme si le détournement des évènements vers l’idée consolatrice d’une destination avait été débordé par la violence effective des évènements eux mêmes jusqu’à ne plus être en aucune façon orientable vers un second degré de lecture. C’est exactement comme si la toile de l’anamorphose représentait un chaos qu’aucun miroir ne pourrait plus « rationaliser », ordonner par son reflet.

Toutefois cela n’interdit pas de donner un sens existentiel à notre vie au sein même d’une histoire violente. Que ce sens soit à donner c’est justement ce que cette violence manifeste et c’est exactement à ce niveau que nous pouvons situer la réponse du croyant à l’athée dans les camps de la mort nazis. Il n’y a pas de meilleur lieu où nous serions légitimes à donner du sens que là, dans la révélation brute d’un chaos pur. Mais cet acte de foi est alors révélé dans la toute puissance « nue » de son origine, de sa nature, de sa texture. Il n’est absolument pas question d’affirmer que Dieu se manifeste dans l’Histoire ou que la nature ordonne les actions des humains vers des fins bonnes et presque malgré eux. Il s’agit simplement d’affirmer que l’être humain peut construire du sens, même là, surtout « là » et que finalement il n’a pas vraiment d’autre choix. Ce n’est pas que la violence soit alors justifiée ou niée. Il n’est plus ici question de déni. « Il y a «  de la violence et «  il y a » en l’être humain de quoi assumer son existence en elle, dans ce chaos parce qu’alors seulement l’assomption de cette existence s’effectue vraiment. C’est peut-être même à ceci que l’on reconnaît un être humain, dans cette capacité à créer du visage à partir de cette grimace informe de l’horreur. Nous sommes des machines à tisser du sens existentiel au cœur même d’une radicale absence de sens téléologique et finalement la conscience affûtée de l’inexistence du second (sens téléologique) est cela même qui crée l’absolue nécessité du premier (sens existentiel). 

Mais alors, qu’est ce que le sens téléologique  de l’histoire? Ni plus ni moins que le denier mythe résiduel d’un type de discours qui s’est constitué de rompre précisément avec le mythe, comme si l’aptitude de l’être humain à créer et à raconter des histoires se poursuivait dans l’Histoire. Cela signifierait-il que nous avons besoin des illusions téléologiques de la même façon que des histoires mythologiques pour fonder ce sens existentiel de nos vies dans ce terreau de pure violence qu’est l’histoire des peuples et des religions? Oui jusqu’ici nous en avons eu besoin et si ces mythes sont violents, ce n’est pas du tout, comme le croit René Girard, parce que les humains sont animés par un désir mimétique qui aurait besoin de se canaliser dans une violence sacrificielle  mais parce que la violence participe de ce fond absurde de pur non sens à partir duquel seulement l’ouvrage de donner du sens à ce qui n’en a pas peut se concevoir, s’effectuer

Les êtres humains ne sont pas violents mais ils ont besoin de croire qu’ils le sont afin de justifier un travail qui leur est réservé et qui consiste à donner du sens à l’existence, à se réaliser dans cette nuance d’être de l’être: donner du sens, de la solennité, du sacré, apporter du soin, de la ritualisation. Plus que de toute autre chose, l’être humain est la créature initiatrice et porteuse de l’œuvre de sacralisation du réel. Nous n’avons pas d’autre tâche à réaliser que celle-ci: donner du prix à l’être par son esthétisation, sa célébration, son sacre. Tel est le seul invariant culturel clairement identifiable par les historiens, les anthropologues et les philosophes: le sacré.

Mais d’où vient cette « mission » et s’agit-il bien du terme adéquat? Ne serait-ce pas encore une survivance du mythe? Non parce que le fait même de cette désignation ne se révèle à nous qu’à partir de nous, c’est-à-dire qu’à partir de cette réalisation de soi du dasein dans l’émergence de laquelle il se vit comme un être dont l’être lui-même est « en question » Que l’existence ait un sens, c’est justement ce dont nous vivons le questionnement et nous le vivons parce que nous le sommes. L’existence c’est ce dont le sens nous importe et nous revient en tant que question et pas du tout en tant que réponse. Nous sommes tenus par notre être, par la nuance que nous assumons auprès de l’être à être de ce que c’est qu’être la nuance questionneuse, à tête chercheuse et pas « trouveuse ». Il faut que se pose la question de l’être, juste cela,  et le dasein précisément « est » cela. Il est précisément ce qui maintient ouverte cette question là. Il est ce qui maintient ouverte la porte du souci de soi de l’être, au sein même de l’être d’où sa condition toute à la fois anxieuse, angoissée, nourrie de sa propre contingence et inventive, prolixe, féconde, créatrice d’histoires, de mythes, d’art  et de rites. 

Par conséquent  la violence dont nous humain.e.s sommes capables vient de l’ignorance ou plutôt  du déni de notre condition de dasein. Nous n’avons nullement à créer du chaos dans l’histoire (res gestae) pour justifier notre statut de dasein puisque de fait c’est déjà ce que nous sommes. La seule violence est celle qui est inhérente à notre existence, à la réalisation de ce qu’induit le fait d’être jeté dans le fait d’être. Ce statut nous semble tellement insupportable que nous nous inventons toutes les raisons du monde de nous y dérober, en croyant à un autre monde, à une autre vie, à une dimension supra-terrestre, etc. Mais la vérité est que nous sommes là, et que nous sommes cela: des êtres là. La violence est comme une façon de justifier notre être en le projetant dans l’urgence d’un devoir être, d’un « avoir à être » artificiel, d’une réparation, d’une rédemption par rapport à une « faute ». Il faut qu’exister soit un péché pour que nous inventions des raisons d’avoir à réparer un tort et dés lors se crée une sorte de couple violence / repentir qui traverse notre Histoire.  C’est particulièrement visible dans le christianisme: les êtres humains se fédèrent par leur commune culpabilité dans les souffrances et le martyr du christ, fils de Dieu,  de telle sorte qu’être chrétien c’est d’abord être marqué du sceau d’une dette insolvable, c’est se donner comme tâche (impossible) d’être à la hauteur de cet amour là, de cet amour dont le sacrifice du Christ est la manifestation. Tout nous apparait clairement alors dans ce schéma: violence mimétique / violence sacrificielle, / repentir / organisation d’une communauté chrétienne liée par cet amour du christ motivée par l’amour incommensurable du supplicié




Mais une autre perspective est possible, articulable à partir du dasein. De fait ce qu’il y a d’abord, c’est l’être et au sein de cet être un être vivant ce fait d’être comme question.  Le maintien de cette ouverture de l’être à soi comme questionnement est ce qui se pose comme demande de sens, étant entendu que c’est justement l’essence même de ce sens que d’être une demande et seulement cela. Le dasein, c’est ce qui se demande ce que c’est qu’être au cœur même de l’être, ouvrant ainsi en lui la question du sens. Si nous comprenions cela nous n’aurions plus du tout besoin de créer de la violence pour rendre nécessaire la question du sens puisque nous réaliserions qu’elle nous est est fondamentalement propre, « naturelle », en tant que dasein. Pourquoi le dasein est-il violent ? Parce qu’il n’a pas encore compris qu’il en est un.  C’est comme si nous nous inventions les raisons d’avoir à être ce que nous sommes déjà fondamentalement, essentiellement, existentiellement, ontologiquement. La violence de notre histoire naît de ce contre-sens extrêmement dommageable sur notre condition de départ et exclusive. Finalement ceci revient à dire que la violence est le contre sens d’un mode d’existence voué originellement et politiquement à donner du sens.


b) Mimesis Catharsis et Eudaimonia

Peut-être convient-il de revenir à notre référence première pour bien saisir cette articulation entre violence et Dasein. René Girard affirme que le désir mimétique explique une violence efficiente dans tout collectif humain. Dés lors le passage d’une violence mimétique et chaotique, multiple, à une violence organisée par et dans le sacrifice permet non seulement de passer de la nature à l’état de culture mais aussi de relier la violence et le sacré dans cette étape fondamentale et incontournable du sacrifice, d’une violence canalisée et perpétrée à l’égard d’une ou de plusieurs victimes expiatoires. 

Indépendamment du fait que la thèse de René Girard, comme nous l’avons dit, n’est pas du tout prouvée anthropologiquement puisse il existe plusieurs civilisations qui ne sont pas fondées sur ce passage d’une violence mimétique première à une violence rituelle seconde (Les Inuits, la mythologie polynésienne, le bouddhisme, etc.), cette doctrine se heurte à l’écueil considérable de la pensée d’Aristote et notamment à la philia telle qu’elle est développée dans l’éthique à Nicomaque (livre 8 et 9).

Ce qui, selon lui, caractérise les êtres humains tient dans le fait qu’ils se sentent exister parce qu’ils sont dotés d’une âme réflexive alors que les animaux sont pourvus d’une âme sensitive (ce qui signifie bien que les animaux éprouvent des sentiments mais qu’ils ne les réfèrent pas à eux-mêmes: les animaux sentent mais ils ne se sentent pas).

Or se sentir exister procure un sentiment de bonheur qu’il désigne par le terme de « eudaimonia » (εὐδαιμονία). Cette satisfaction qui, donc nous, est réservée, à nous qui nous sentons exister n’est pas assimilable, appropriable par un individu. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons « faire notre », dont nous pourrions nous faire les propriétaires. L’eudaimonia n’est pas un bien que l’on peut posséder. Être heureux n’est pas posséder le bonheur, mais éprouver en soi une joie qu’il est absolument impossible de ne pas supposer comme existant aussi chez toutes celles et tous ceux qui, comme moi, se sentent exister.  Je suis bel et bien « moi-même » mais ce « même » qui se trouve dans l’expression être moi-même signifie « qu’être moi », au sens de se sentir exister (et seulement dans ce sens là), c’est précisément ce dont je sens l’efficience chez tous les autres ressentis d’existence. Le sentiment de bonheur que je ressens dans cet espace de moi à moi qui est celui de ce ressenti d’existence, c’est justement ce qui m’interdit de me le réserver, de me l’approprier, de me considérer comme son seul propriétaire. 

        Nous sommes ainsi originellement liés les uns aux autres par l’impossibilité même de cette appropriation, de cet enfermement. Être heureux, c’est précisément ce qui porte en soi le rapport à autrui au sein d‘une communauté (polis), laquelle est la seule voie possible de mener à bien l’entéléchie, c’est-à-dire d’actualiser mon potentiel d’être raisonnable et d’être heureux. Aucun être humain ne peut vraiment être humain et heureux ailleurs que dans une cité.

Évidemment, cette description et ces définitions de la philia de la polis et de l’eudaimonia correspondent très mal avec l’évolution de l’humanité telle que nous la considérons dans l’histoire et, de fait, nous ne pouvons pas nous empêcher de penser qu’à la lumière des faits, c’est plutôt René Girard qui a raison contre Aristote.

Toutefois, il suffit de se faire une petite idée des conflits traversés par les cités grecques à l’époque d’Aristote (qui fut, rappelons le le précepteur d’Alexandre le Grand) pour réaliser que le penseur grec ne pouvait certainement pas ignorer les conflits, les guerres, ni les atrocités dont les humains sont capables. Lorsque il affirme que « l’homme est un animal naturellement politique », cela signifie (aussi: cette affirmation est porteuse de strates de sens assez vertigineuses dans leur profondeur et leur multiplicité) que l’être humain est porteur de cette entéléchie (perfection) que trace un devenir politique. C’est comme si Aristote nous avertissait, en approfondissant le trait déjà souligné par Sophocle dans Antigone (le deinos), qu’il est absolument illusoire d’envisager notre accomplissement  (souverain bien) ailleurs qu’au sein de la polis, étant entendu que cette cité repose absolument et originellement sur la philia, c’est-à-dire sur cette radicale impossibilité de l’appropriation personnelle de l’eudaimonia. 

(Si nous devions citer un film qui irait totalement dans le sens de ce que nous dit Aristote, ce serait sans aucun doute « into the wild » de Sean Penn, dont la fin, que nous ne divulguerons pas ici, illustre exactement tout ce qui a été posé par le philosophe grec) 



Il semble vraiment opportun, voire incontournable de situer dans cette opposition entre Aristote et René Girard un jeu de distinctions conceptuelles essentielles pour la question de la violence historique, et cela d’autant plus qu’Aristote est probablement l’un des premiers philosophes à avoir développé une théorie de l’imitation, de la mimesis, mais dans un sens tout à fait différent de ce qu’en développe René Girard. Avant d’approfondir cette opposition entre les deux philosophes, il faut bien noter que finalement elle repose d’abord sur la distinction entre ce que nous pourrions appeler un « faire comme.. » (mimesis) et un « sentir avec…" (Sympathie: συμπάθεια (sumpatheia): ressentir avec). 

Tout devient particulièrement clair quand nous réalisons que finalement ce rapport entre la mimesis et le sacrifice était déjà posé par Aristote mais dans un contexte particulier qui est celui de l’œuvre d’art, de la tragédie, c’est-à-dire de l’esthétisation de la violence dans la représentation théâtrale.

En effet le terme « tragédie » provient du grec ancien tragôidia, composé de tragos (« bouc ») et ôidê (« chant »), désignant à l’origine le « chant du bouc », rituel lié au sacrifice du bouc durant les fêtes de Dionysos. Ce lien étymologique met en lumière l’origine religieuse et sacrificielle de la tragédie grecque, où le sacrifice du bouc était une offrande collective. La tragédie, dès ses origines, s’inscrit donc dans une dynamique rituelle où le sacrifice joue un rôle central.

Dans sa Poétique, Aristote définit la tragédie comme une imitation (mimèsis) d’actes nobles, suscitant terreur et pitié (eleos kai phobos) pour réaliser une purification (katharsis) des passions. Ce processus cathartique est essentiel : en représentant des émotions extrêmes, la tragédie permet aux spectateurs de se libérer de leurs propres passions. Contrairement à René Girard, qui voit dans la tragédie une réactualisation du mécanisme du bouc émissaire (la victime sacrificielle qui apaise les tensions sociales), Aristote se concentre sur l’effet esthétique et psychologique produit par l’œuvre sur le spectateur. Oedipe, par exemple, est un personnage de fiction dont la vie tragique ne peut pas ne pas pointer des rapports avec « nous », avec notre rapport à un monde violent, absurde, chaotique dans lequel les Dieux poursuivent aveuglément le héros. C’est encore plus évident avec sa fille Antigone dont la révolte contre Créon épouse totalement nos interrogations sur l’exercice du pouvoir des humains sur les humains. Il y avait bien sacrifice pendant les Dionysies mais c’était le sacrifice qui était finalement le simple prétexte à la tragédie et non l’inverse, étant entendu que c’est alors par la tragédie que les grecs réalisent quelque chose de la violence inhérente à notre être au monde (ce que Heidegger appellerait ici sans aucun doute la réalisation de notre condition de dasein) 

René Girard interprète la tragédie comme une mise en scène du mécanisme victimaire : le héros tragique devient une figure sacrificielle qui catalyse les conflits sociaux. Cependant, Aristote ne réduit pas la tragédie à un simple rite d’expulsion ou à une fonction sociale. Pour lui, la tragédie célèbre la grandeur humaine en assumant pleinement les conséquences des actes héroïques. Le héros tragique n’est pas un bouc émissaire passif ; il revendique ses choix et incarne une praxis noble. La catharsis aristotélicienne dépasse donc le cadre du rituel religieux pour s’inscrire dans une réflexion esthétique sur les effets de l’art, sur la capacité de l’art à assumer pleinement le rôle crucial de la catharsis, qui n’a plus besoin, dés lors, de s’exercer hors d’un contexte fictif

Par conséquent, l’étymologie de la tragédie renvoie indéniablement au sacrifice, mais Aristote transforme cette dimension rituelle en un processus artistique visant à purifier les passions humaines. Contrairement à Girard, qui insiste sur le rôle social du bouc émissaire, Aristote établit un lien entre mimesis et catharsis, non pas dans un cadre religieux ou sacrificiel, mais dans une perspective esthétique et psychologique. 


Tout est très clair à présent: ce que René Girard situe finalement dans une forme de nature humaine ou d’incontournable de l’existence humaine: à savoir la mimesis, Aristote le situe, lui, dans l’art, dans l’esthétisation de nos passions au sein de la tragédie, œuvre qui est en quelque sorte assumée, et organisée par la cité, par la polis, parce qu’il faut bien qu’il y ait Polis pour que s’effectue cette esthétisation.  On a beau chercher, on ne voit pas pourquoi les êtres humains se lieraient ensemble autour du sacre de la violence s’il n’existait pas déjà avant quelque chose qui les unit (sympathie). On ne perçoit pas vraiment comment les humains pourraient se réconcilier par ce qui les désunit. 


Que l’on y réfléchisse un peu: ce sentiment étrange de communier par la violence, de se mêler les uns aux autres dans une décharge collective de violence pure (telle que nous la retrouvons finalement dans ce que les romains appelleront les saturnales et qui correspond à notre carnaval) n’est pas compréhensible hors d’une démarche qu’il faut bien caractériser par une esthétisation. 



A la fin du carnaval, en rhénane, par exemple, l’effigie appelée Nubbel est brûlée pour expier les péchés et les excès commis durant le carnaval. Ce rituel est accompagné d’un simulacre de procès où la foule accuse le Nubbel d’être responsable des débordements, avant de réclamer sa mise à mort par le feu. Ce rituel trouve ses racines dans des célébrations païennes marquant la transition entre les saisons. Avec l’intégration au calendrier chrétien, il a été réinterprété pour correspondre à la période précédant le Carême, où l’on renonce aux plaisirs matériels. Dans certaines régions, comme en Suisse romande ou en Allemagne, ces effigies incarnaient également un bouc émissaire collectif ou une caricature des excès festifs. Nous retrouvons exactement tout ce que dit René Girard, à cette différence fondamentale prés que c’est fictif, festif et représenté, et cela change tout. Toute la question dés lors est de savoir si c’est parce qu’il est violent que cette violence est représentée ou bien si c’est justement parce qu’il ne l’est pas que cette violence  N’EST QUE représentée? Re / présentée, redoublée par la fiction dans une dimension parallèle au présent mais qui n’est pas le présent.  L’être humain fait-il jamais autre chose que jouer à être violent? Simuler la violence? Le « faire comme » se métamorphoserait dés lors dans un « faire comme si… » et c’est bien cela que pose Aristote en limitant l’exercice de la violence dans la catharsis de la mimesis. 

Nous nous rapprochons ici de l’essentiel: les thèses de René Girard nous semblent, de prime abord, plus à même de rendre compte de l’histoire des humains, notamment celle de notre présent historique (assez violent). Toutefois en se basant sur la violence mimétique, René Girard donne son aval à l’idée selon laquelle l’attention des êtres humains est continuellement portée sur notre prochain avec un désir d’imitation, comme si nous n’avions de cesse qu’à avoir ce qu’il désire, qu’à en jouir pour se présenter à ses yeux comme le gagnant du concours de ces prétendants que seraient les humains. Nous nous forçons donc à désirer ce que nous ne désirons pas naturellement, individuellement, vraiment. Cela signifie que ce « décentrement », cette impossible appropriation de l’eudaimonia que chacune et chacun de nous ressent en soi comme étant justement ce qui l’empêche de se refermer dans ce « soi » devient pour René Girard de « l’envie », de la comparaison, de la déficience, du « moindre être », de l’insuffisance, de l’incomplétude.

Or 1) on ne voit pas comment nous pourrions contredire Aristote sur l’idée que l’être humain se sent exister (à la limite on peut questionner la limitation humaine de cette sympathie, mais certainement pas la contredire)

Et 2) Il est tout aussi difficile de remettre en cause l’idée que ce sentiment est en soi porteur de bonheur (eudaimonia) pour à peu prés les mêmes raisons que celle qui nous font adhérer au conatus spinoziste ou à la joie de l’effort décrite par Bergson. Nous pouvons souffrir de certains évènements qui nous heurtent de plein fouet, mais l’existence en soi, le fait que nous nous sentions exister et libérons en existant une énergie ne peut être que bon, en soi.

Par conséquent, ce déplacement radical par le biais duquel nous négligerions ce bonheur de la philia pour lui préférer cette insatisfaction inhérente au désir mimétique est incompréhensible. Mais cette incompréhensibilité ne signifie pas qu’elle ne soit pas efficiente. L’être humain cédant au désir mimétique pense qu’il est ce qu’il n’est pas et se comporte comme s’il n’était pas ce qu’il est, c’est-à-dire fondamentalement sympathique, touché par la sympatheia (sum pathéïa). La violence de notre histoire trouve ici la clé de son explication, de sa généalogie.




c) Ontologie de l’amitié et dasein

René Girard a toujours insisté pour affirmer que toutes ses thèses étaient fondées sur la mimesis et le fait que selon lui, l’être humain est un animal mimétique, ce qui, de fait s’oppose frontalement à la thèse de Aristote selon laquelle il est un animal naturellement politique, c’est-à-dire qu’il n’est ce qu’il est qu’en étant associé à d’autres êtres humains dans la cité. Grâce à Giorgio Agamben, nous avons bien compris sur quelle thèse de fond appuyer finalement l’animal politique, à savoir l’amitié comme expérience proto-philosophique mais aussi proto-politique, c’est-à-dire finalement proto-humaine ( logistiké psuché: âme réflexive). 

Pourquoi l’histoire donne-t-elle raison à René Girard contre Aristote? Parce que la mimétique, c’est-à-dire la tendance de l’être humain à désirer la même chose que son prochain l’emporte sur le « sentir avec » (sympathie) qui est à l’oeuvre dans la vision ontologique de l’amitié.

Toutefois une analyse sérieuse des termes et des raisonnements utilisés s’impose ici. Si l’on en croit René Girard, les êtres humains sont assez stupides pour faire semblant de croire que la conquête de l’objet d’un désir commun leur donnera suffisamment de prestige auprès des autres pour obtenir d’eux leur reconnaissance. Il n’est pas du tout question de conquérir cet objet, ce statut, ou cette personne (ce graal ) pour lui-même mais seulement parce qu’il est « fantasmé », idéalisé par les autres. Ce que l’on désire, c’est le désir de l’autre, et pas l’objet (le désir n’a pas d’objet et cela c’est indiscutable). Cela suppose donc que les êtres humains fassent semblant de désirer ce qu’ils ne désirent pas réellement, qu’ils se laissent ainsi détourner de leur « intérêt propre » pour se mettre sur la piste commune de la rivalité mimétique et se lancer ainsi à corps perdus dans une quête fantasmatique dont l’objet idéalisé et extérieur est pur prestige (grosse voiture, grande maison, écran plat, etc, tous les signes EXTERIEURS de richesse, de réussite sociale). 



(Remarque sur l'extrait proposé: Ce n'est pas la scène que je voulais mais celle ci est peut-être la plus cruciale d'American Beauty de Sam Mendes. C'est justement celle d'un bonheur comme alethéia: pure assomption d'un moment de grâce. Celle que je cherchai est "l'antithèse absolue" de celle-ci: un magnant de l'immobilier révèle qu'il a découvert le secret du bonheur: renvoyer l'image de la réussite) 


Ce qui s’amorce ici c’est ce tournant par lequel le désir mimétique (faire comme) devient un « faire comme si », c’est-à-dire un ETRE mimétique au sens de « faire semblant d’être », quelque chose qui à voir avec une représentation fantasmée de soi, que l’on pourrait appeler l’image. L’être humain semble s’être dirigé sur une voie dans laquelle le pouvoir de projeter l’image extérieure de la réussite l’emporte sur l’évidence intérieure d’une sympathie partagée, de ce que nous avons appelé « leur intérêt propre », mais cette notion est très ambiguë parce qu’elle signifie exactement le contraire d’un intérêt personnel, privé et qu’en même temps, elle fait signe d’une intériorité, mais d’une intériorité qui est pour Aristote commune aux êtres humains (et dont on pourrait se demander si elle ne serait pas commune à tout le vivant, mais ici nous ne serions pas en accord avec Aristote pour lequel seuls les êtres humains sont dotés d’une âme réflexive - nous serions probablement plus proche de la nature naturante selon Spinoza). 

De quoi s’agit-il? De cette expression très complexe de Giorgio Agamben commentant Aristote: « altérité immanente dans la mêmeté ». Autrui n’est pas tant un autre que moi qu’un autre être à soi, qu’une altérité qui comme moi ne peut pas se refermer sur un moi, sur une « bulle », sur un EGO.  Il y a quelque chose qu’il m’est radicalement impossible de ne pas supposer, de ne pas savoir comme existant chez Autrui, et cette chose c’est 1) qu’il se sent exister intérieurement (daimon) 2) qu’en se sentant exister il est « bien » (Eu). Si nous associons ces deux propositions nous obtenons le terme grec « Eu / Daimonia » qui finalement signifie « le démon intérieur du bien », mais aussi un bonheur conçu comme effectuation de soi, floraison du bourgeon, le vrai bonheur chez Aristote, celui qui assume la notion d’entéléchie: parvenir à la perfection de son être. Que les êtres humains se laissent absurdement fasciner par l’illusion de désirer les mêmes choses, les mêmes accessoires extérieurs susceptibles de projeter de soi l’image d’un bonheur faux, c’est de fait indiscutable et cela n’a pu qu’être encouragé par l’adhésion à une économie de type capitaliste fondé sur sa capacité spéculaire et spéculative à susciter de faux désirs alimentant des industries de produits parfaitement inutiles et toxiques aussi bien pour les humains que pour la nature.

Mais que de ce fait l’être humain oublie cet intérêt propre (pas au sens de personnel mais au sens d’interne) qui en réalité pointe l’existence en nous dans cette intériorité commune que dessine la philia, cela est beaucoup plus douteux, disons incompréhensible. Cela dénote une ignorance de soi que la seule rivalité mimétique ne saurait pas justifier, n’en déplaise à René Girard. Mais alors qu’est-ce que c’est puisque de fait, il FAUT que nous admettions que le monde tel qu’il va aujourd’hui donne davantage raison à René Girard qu’à Aristote?

Le dasein de Heidegger exprime et pose un certain type de rapport à l’être qui est une ouverture: l’être humain vit le fait d’exister en le voyant, en le vivant tel qu’il est, à savoir pur, brut, porteur de rien (d’aucune promesse de sens téléologique), donné, là, contingent . Il faut relier. Le dasein de Heidegger et le zôon politikon de Aristote parce que de fait, c’est exactement la même intuition d’un être dont l’existence ne peut se concevoir qu’en tant que devenir. Il existe un devenir humain politique, et c’est exactement ce que signifie pour Aristote le terme « naturellement politique », c’est-à-dire naturellement « pas naturel ». L’être humain est un être dont l’ouverture clairvoyante sur ce que c’est qu’être (soit: être jeté dans l’existence)  dessine un devenir: la politique, la cité (ce qui signifie aussi l’histoire en ce sens). L’être humain est un être historique, ou: « l’être humain est un être pour lequel le fait d’être est objet d’histoire, au sens de devenir » 

Mais alors, comme le fait bien remarquer Aristote, cela signifie aussi que cette clairvoyance sur l’existence qu’il décrit comme « se sentir exister » est structurellement partagé dans une sympathie de toutes celles et tous ceux qui se sentent exister et perçoivent en leur propre être l’impossibilité de refermer cette expérience d’être dans un moi privé. Par conséquent, simultanément à cette ouverture du dasein vers l’être s’impose de façon irréductible l’impossibilité radicale de refermer ce sentiment de désoeuvrement et d’angoisse en « soi ». Heidegger relie le dasein et l’alétheia, c’est-à-dire le dévoilement, la réalisation d’un monde « là », de la même façon que finalement Aristote relie l’amitié et l’eudaimonia. C’est exactement le même mouvement de révélation de soi à soi par le bais duquel on réalise l’existence d’un monde « commun » dans lequel il devient évident que nous ne pouvons vivre qu’en cité, politiquement, soit historiquement. 


Conclusion

Toutes les notions s’articulent ainsi de façon rigoureuse pour nous fournir la réponse attendue: il n’est rien de toutes les thèses défendues par René Girard et en particulier celle de la violence mimétique des humains qui puisse vraiment se justifier sans ce mouvement incompréhensible de défiance ou de déni du dasein envers lui-même.  C’est comme si l’être humain procrastinait absurdement le moment de révélation  (alétheia) de soi à soi par le biais  duquel l’eudaimonia pointe et guide chacune et chacun vers une histoire sans violence. 

Il est assez logique que le da sein soit angoissé, puisque ce qui se manifeste à lui c’est une absence radicale de destin historique tracé. Il fait l’expérience d’une absence première de raison d’être, précisément parce que c’est juste le fait d’être qui se manifeste à lui. Mais grâce à Aristote, nous réalisons que cette sensibilité au fait d’être ne peut absolument pas être ressentie sans l’être intérieurement et surtout communément par tous les Da sein. 

Ce qui semble malheureusement  s’être glissé là et avoir malencontreusement "interféré" entre zôon politikon et eudaimonia) , c’est l’absurde désir de « faire comme » (mimesis) créant par là même la violence inhérente à la rivalité. Mais il est absolument impossible que cette mimesis ne soit pas seconde par rapport à la primauté ontologique de l’eudaimonia.  Les êtres humains se racontent à eux-mêmes le mythe de la violence de leur histoire sur ce fond commun de l’expérience la plus à même de la contredire. Le spectacle sidérant auquel nous assistons est celui d’un déchainement de violence mimétique orchestré par des êtres humains qui font semblant de croire qu’ils sont ce dont ils ne peuvent pas ignorer qu’ils ne le sont pas. La solution est sans aucun doute dans la notion d’alétheia, de révélation. Que le monde soit « là », c’est ce dont nous faisons l’expérience en tant que da sein, ce qui signifie qu’en fait cette idée de « sens » n’est pas tant ce que nous voyons que ce que nous sommes, ce qui, de fait s’installe en nous, par nous, dans la nature et sur la terre. Autant la notion de sens téléologique de l’histoire est absolument fausse et infondée autant celle de sens existentiel est inhérente à l’existence de notre être. Nous la portons à notre corps défendant, et n’avons rien d’autre à faire que de transformer ce corps défendant en corps consentant, ce qui implique simplement que nous réalisions vraiment ce que nous sommes.