jeudi 2 novembre 2017

"Peut-on se satisfaire d'être aimé(e)?" - Le Phèdre de Platon



Le Phèdre est un dialogue écrit dans ce qu’il est convenu d’appeler la troisième période de Platon. Il est consacré dans sa première partie à la question de savoir s’il est préférable d’être en relation avec une personne qui nous aime ou au contraire par un non-amoureux. Socrate rencontre Phèdre qui lui confie détenir le discours de Lysias, un orateur assez renommé, sur cette question. Il le convainc de lui en faire la lecture. Phèdre énonce alors les arguments défendus par Lysias pour justifier que l’on doit plutôt accorder ses faveurs à une personne qui ne nous aime pas.
La première raison avancée par Lysias tient à la nature éphémère du sentiment amoureux. Sitôt ses désirs satisfaits, l’amoureux se désintéresse de l’aimé. L’amour est une maladie et ses effets sont très peu durables, capricieux. De plus, il y a plus de choix pour la personne convoitée parmi les « non amoureux » que parmi les amoureux. Ces derniers ont la mauvaise habitude de se vanter de leurs conquêtes et ruinent la réputation de l’aimé. L’amoureux a tendance, selon Lysias, à favoriser tout ce qui accroît la faiblesse de l’être aimé,  parce qu’il est plus commode pour lui de briller aux yeux d’un ignorant et aussi parce qu’il est plus facile d’obtenir satisfaction d’un amant amolli par le plaisir et le confort. Lysias distingue l’amour et l’amitié (ou l’affection de la famille). On pourrait reprocher aux relations non amoureuses d’être languissantes, ennuyeuses mais alors les relations familiales (en tant que non amoureuses) seraient créditées de ce même défaut. Or, une telle affirmation est infâmante et fausse. Enfin, s’il fallait favoriser la violence amoureuse de la relation, alors l’amant que nous devrions choisir serait le plus passionné, le plus en proie au manque et au besoin au lieu que l’amant non amoureux pourrait être choisi sur des critères de dignité et de mérite « purs ». (par rapport à notre dissertation : « peut-on se satisfaire d’être aimé(e)? », nous pourrions dire que nous avons ici affaire à un petit non)
Tels sont les arguments de Lysias et ils enchantent Phèdre, son ami mais pas du tout Socrate qui finalement juge très défavorablement son discours. Nous pourrions dire aujourd’hui, en transposant ce développement dans un contexte scolaire, que la dissertation de Lysias n’a pas de plan et que n’importe quelle affirmation pourrait être placée  dans n’importe quel ordre. Aucun lien, aucune progression, bref, Lysias n’est pas un bon orateur (ni un bon élève de Terminale, en philosophie).
Socrate se propose alors de reprendre la même thèse mais avec une autre argumentation. Cependant, Socrate fait son discours en se voilant le visage pour ne pas avoir à affronter le regard de Phèdre. Il nourrit en effet la prétention de se comparer et de dépasser le discours d’un orateur de profession.
Socrate entreprend d’abord de définir l’amour. Pour ce faire, il distingue en l’homme deux mouvements : celui, raisonné, qui nous porte vers le Bien, et celui, déraisonnable, qui nous incite à chercher le plaisir notamment celui de la proximité avec la beauté corporelle de l’aimé(e). Lorsque le second supplante le premier, naît ce que l’on appelle : « l’amour ». L’amour n’est donc défini ici qu’en tant qu’ « Eros » (et non Philia ou Agape). L’aimant ne songera donc qu’à maintenir l’aimé(e) sous sa tutelle, et à l’éloigner le plus possible du second mouvement décrit qui nous oriente vers le bien. Il n’aura donc de cesse qu’à rendre l’aimé ignorant, faible, asservi. Et cela tout aussi bien d’un point de vue physique, le fait d’être aimé n’engendrera pour le jeune homme que des désagréments, que l’encouragement en lui à la mollesse, à l’isolement afin d’accroître sa dépendance. Quand la passion de l’amoureux prendra fin, l’aimé réalisera qu’il a cédé à un être capricieux suivant exclusivement ses désirs qui l’abandonnera aussi vite qu’il s’en est épris.
Socrate termine ainsi son discours, mais Phèdre lui fait remarquer qu’il n’a pas parler des avantages à être en relation avec un homme dépourvu d’amour. Le philosophe lui fait alors remarquer qu’il suffit d’inverser la teneur de son propos en attribuant à ce dernier tous les avantages qui font défaut à l’amoureux. Considérant qu’il a fini, Socrate entreprend donc de rentrer dans la cité et de traverser l’Illissos, mais il sent alors le signal ou le « daïmon » : une sorte de sentiment ou d’intuition à laquelle Socrate se réfère plusieurs fois dans les dialogues de Platon et qu’il crédite d’une signification particulière : celle de l’avertir qu’un acte impie a été commis. Il réalise alors que son dernier discours vient d’insulter Eros et qu’il convient d’expier ce (petit) crime par un autre discours défendant la thèse opposée.
(Ce qui est intéressant ici, c’est que ce revirement donne au dialogue une structure dialectique finalement très scolaire, comme si non seulement nous étions mis en présence d’une argumentation pour le « non, on ne peut pas se satisfaire d’être aimé(e) » et ensuite de l’exposition des raisons défendant le « oui », mais aussi comme si nous pouvions ainsi comprendre ce qui rend les secondes thèses évoquées infiniment supérieures aux premières. Quelque chose de la définition de l’amour préludant au premier discours de Socrate est complètement faux, parce qu’elle ne prend pas en compte ce qu’est une « âme », et le second discours de Socrate décrira, dans une acception fortement empreinte de mythologie, non seulement l’âme elle-même mais aussi son rapport aux Essences, aux idées et tout ce que ce rapport doit à l’amour, lequel est un transport qui en nous nous entraîne vers le divin, vers tout ce qu’une âme humaine peut contenir de souvenirs de la Vérité, de la Justice de la Beauté.)
Phèdre, amoureux des beaux discours, est enchanté d’être ainsi le témoin privilégié de cet « acte expiatoire » en lequel consistera le second discours de Socrate. Nous sommes alors confrontés aux thèses mêmes de Platon (plutôt que celles du vrai Socrate évidemment). Le Socrate, personnage du dialogue évoque, pour commencer quatre formes de « délires » manifestant chez les hommes, la parole et l’intervention des dieux : les délires augural (déchiffrer les signes qui nous avertissent du futur), expiatoire (religion), poétique, et enfin amoureux. Nous voyons bien la différence avec le premier discours. L’amour n’est pas l’attraction du plaisir physique, il est un transport divin. Suit alors l’exposition de l’un des mythes les plus célèbres de Platon, celui de « la réminiscence ».
Qu’est-ce que l’âme ? Elle est finalement la notion même d’ « auto-dynamisme », c’est-à-dire le principe de ce qui se meut par soi-même. Le propre de l’âme, au plus prés de son origine étymologique : « anima » : ce qui « bouge », ce qui « s’anime » est d’être en mouvement de soi-même, par conséquent, il est impossible qu’elle meurt, puisque elle ne doit son mouvement à rien d’extérieur. En tant que détenteur d’une âme, nous sommes animés par ce qui s’anime par soi. L’âme est donc un attelage. Nous les humains, nous sommes les récipiendaires provisoires de l’un des moments de tous les cycles parcourus par l’âme, laquelle est immortelle, divine, parfaite. Les âmes se nourrissent de la science la plus parfaite et éthérée qui soit, celle que l’on trouve sur la voûte des cieux. C’est dans l’orbe de ce mouvement circulaire que demeurent les Idées mêmes de Justice, de Vérité, de Beauté. Les Ames divines parcourent la totalité de ce mouvement continuellement, « en boucle », pourrait-on dire. Les autres âmes, c’est-à-dire celles que nous humains allons recueillir pendant la durée finie de notre existence terrestre, font ce qu’elles peuvent pour suivre ce cortège des âmes parfaites des Dieux. Ill faut se représenter ce parcours comme la tentative pour les âmes humaines de parvenir de l’autre côté de la voûte céleste et jouir ne serait-ce qu’un moment  de ce qu’il y a de l’autre côté de cette « courbure » que nous pourrions dire « orbitale », soient les Essences, les valeurs. Une mythologie astrophysique voisine ainsi avec ce que nous pourrions appeler une hiérarchie métaphysique des âmes humaines.
En effet, l’attelage de nos futures âmes (ce dont nous parlons se passe évidemment « avant » (même si cet « avant » fait plutôt référence à une ère originelle, primordiale, à l’âge d’or de ce qu’avoir une âme peut signifier) se composent d’un cheval courageux, obéissant (le thumos : force, courage) et d’un autre plus indocile, voire pervers (epithumia : la convoitise). C’est au Noûs, c’est-à-dire à la raison qu’il revient de conduire, comme un cocher, ces deux principes contradictoires. Nous réalisons ainsi que la distinction faite par le Socrate du premier discours se retrouve ici mais dans une dimension totalement différente, puisque l’amour n’est plus du tout réduit au cheval pervers de l’âme (l’amour ce sera au contraire le mouvement de l’âme touchée par la vision des essences). Il y aura donc des âmes humaines  qui parviendront à suivre le cortège des âmes divines et d’autres qui, mal dirigées, entreront en collision avec les autres, comme on le dirait d‘un embouteillage et n’arriveront pas à voir les idées. Elles se rabattront ainsi, toutes leurs vies durant vers des opinions, vers des « on-dit » vers des connaissances douteuses et approximatives. Seules les âmes qui auront bien perçues la justice, le bien et la beauté en soi seront dirigées pendant leur séjour terrestre, vers la science, et la connaissance rationnelle.
Toutes les âmes humaines finissent par s’épuiser et par ne plus pouvoir suivre le rythme cyclique des âmes divines. Elles retombent alors sur la terre où elles vivent pendant 10000 ans, 3000 ans seulement pour les philosophes (les âmes des philosophes jouissent d’un droit de séjour au ciel plus important que les autres âmes). Cela signifie finalement que seules les âmes nobles (dont le cocher est adroit) comprennent une fois incarnées dans un corps humain que rien ne vaut que le général et qu’il n’y a aucune connaissance qui puisse se fonder sur du particulier. Si je vois un beau visage ou un beau corps je ne dois pas m’y arrêter, mais réfléchir et m’interroger sur ce qui fait la beauté de tous les corps, puis la beauté de toutes les âmes et monter ainsi jusqu’à ce qui fait la beauté en elle-même, « Une » et universelle ». Mais qu’est-ce qui va pouvoir animer ce mouvement d’abstraction et de généralisation vers l’unité de l’absolu ? Le souvenir de ce que nous avons perçu quand notre âme, pure, sans corps, suivait le cortège des âmes divines.
Ainsi s’explique ce trouble divin que nous éprouvons devant un beau corps, un beau visage aujourd’hui. Les âmes humaines suivaient le cortège d’un certain Dieu ou déesse, Zeus ou Héra, cela explique que nous ne soyons pas émus par les mêmes qualités. Mais lorsque nous sommes touchés par le souvenir de la beauté chez une femme ou un homme, nous avons tendance à nous orienter vers lui selon les critères du dieu dans le sillage duquel nous avons perçu la Beauté et nous finissons par le convaincre de se conformer à ce divin modèle. On mesure ainsi tout le bénéfice qui existe à être aimé par une âme noble.

Mais une question demeure : nous comprenons bien pourquoi l’amoureux est ainsi ému de la beauté de l’aimé, mais comment provoque-t-il l’amour réciproque de l’aimé ? L’amour de l’aimant joue finalement le rôle et la fonction d’un réflecteur d’âme qui renvoie à l’aimé le reflet de la beauté dont il était, sans le savoir, le dépositaire. C’est comme s’il réalisait ainsi ce qui le rend beau et digne d’être aimé. Ils peuvent alors consommer leur union ou pas. Il est préférable de ne pas le faire et de privilégier la vertu au désir charnel, ce qui leur assurera un bonheur divin, mais même s’ils cèdent à leurs appétits et meurent alors pourvue d’âmes sas ailes, ils n’en auront pas moins vécu une existence heureuse.
Il serait vraiment stupide de ne pas accorder d’attention à ce mythe, non seulement parce qu’il revêt dans l’œuvre entière de Platon une dimension vraiment essentielle, dans  tous les sens du terme, mais aussi parce qu’il est difficile de concevoir un « oui » plus affirmatif et plus puissant à la question du sujet. On peut se satisfaire d’être aimé(e), et même on le doit parce que nous y gagnons la garantie et l’existence d’une existence supérieure, noble, philosophique, animée par le souvenir de la contemplation pure des idées. Evidemment, encore faut-il être aimé(e) par la bonne personne, c’est-à-dire par l’âme composant un bon attelage, celle qui dispose d’un bon cocher, un Noûs (raison) habile sachant manier ses deux chevaux.
Nous faisons suivre un extrait du dialogue lui-même, dans lequel Platon décrit à la fois la nature de l’âme, son parcours dans le sillage des Dieux et enfin la théorie de la Réminiscence. Cette référence constitue, pour le sujet donné, une aide aussi précieuse que reconnue :
« Sans doute en est-ce assez pour ce qui concerne son immortalité, mais pour ce qui est de sa nature, voici comment il en faut parler : dire quelle est cette nature est l’objet d’un exposé en tout point absolument divin et bien long, mais dire à quoi elle ressemble, l’objet d’un exposé humain et moins étendu. C’est donc de cette façon qu’il faut que nous en parlions. Elle ressemble, dirai-je, à une force à laquelle concourent par nature un attelage et son cocher, l’un et l’autre soutenus par des ailes. Or donc, dans Ie cas des Dieux, les chevaux, aussi bien que les cochers, sont, eux-mêmes, tous bons comme ils sont faits de bons éléments, tandis que, dans le cas des autres êtres, il y a du mélange : premièrement, chez nous l’autorité appartient à un cocher qui mène deux chevaux attelés ensemble ; secondement, en l’un d’eux il a un beau et bon cheval, dont la composition est de même sorte, tandis qu’en 1’autre il a une bête dont les parties composantes sont contraires à celles du précédent, comme est contraire sa nature. Dans ces conditions, c’est nécessairement, par rapport à nous, une tâche difficile, une tâche peu plaisante que de faire le cocher ! (…) La nature a doué l’aile du pouvoir d’élever ce qui est pesant vers les hauteurs où habite la race des dieux, et l’on peut dire que, de toutes les choses corporelles, c’est elle qui participe le plus à ce qui est divin. Or ce qui est divin, c’est ce qui est beau, sage, bon et tout ce qui ressemble à ces qualités; et c’est ce qui nourrit et fortifie le mieux les ailes de l’âme, tandis que les défauts contraires comme la laideur et la méchanceté, les ruinent et les détruisent. Or, le guide suprême, lui, s’avance le premier dans le ciel, conduisant son char ailé, ordonnant et gouvernant toutes choses : derrière lui marche l’armée des dieux et des démons répartis en onze cohortes; car Hestia reste seule dans la maison des dieux; tandis que les autres qui comptent parmi les douze dieux conducteurs, marchent en tête de leur cohorte, à la place qui leur a été assignée. Que d’heureux spectacles, que de révolutions ravissantes animent l’intérieur du ciel, où les dieux bienheureux circulent pour accomplir leur tâche respective, accompagnés de tous ceux qui veulent et peuvent les suivre, car l’envie n’approche point du chœur des dieux!
Lorsqu’ils vont prendre leur nourriture au banquet divin, ils montent par un chemin escarpé au plus haut point de la voûte du ciel. Alors les chars des dieux, toujours en équilibre et faciles à diriger, montent sans effort; mais les autres gravissent avec peine, parce que le cheval vicieux est pesant et qu’il alourdit et fait pencher le char vers la terre, s’il a été mal dressé par son cocher; c’est une tâche pénible et une lutte suprême que l’âme doit alors affronter; car les âmes immortelles une fois parvenues au haut du ciel, passent de l’autre côté et vont se placer sur la voûte du ciel et, tandis qu’elles s’y tiennent, la révolution du ciel les emporte dans sa course, et elles contemplent les réalités qui sont en dehors du ciel.
L’espace qui s’étend au-dessus du ciel n’a pas encore été chanté par aucun des poètes d’ici-bas et ne sera jamais chanté dignement. Je vais dire ce qui en est; car il faut oser dire la vérité, surtout quand on parle sur la vérité. L’essence, véritablement existante, qui est sans couleur, sans forme, impalpable, uniquement perceptible au guide de l’âme, l’intelligence, et qui est l’objet de la véritable science, réside en cet endroit. Or, la pensée de Dieu, étant nourrie par l’intelligence et la science absolue, comme d’ailleurs la pensée de toute âme qui doit recevoir l’aliment qui lui est propre, se réjouit de revoir enfin l’être en soi et se nourrit avec délices de la contemplation de la vérité, jusqu’à ce que le mouvement circulaire la ramène à son point de départ. Pendant cette révolution elle contemple la justice en soi, elle contemple la sagesse en soi, elle contemple la science, non celle qui est sujette à l’évolution ou qui diffère suivant les objets que nous qualifions ici-bas de réels, mais la science qui a pour objet l’Être absolu. Et quand elle a de même contemplé les autres essences et qu’elle s’en est nourrie, l’âme se replonge à l’intérieur de la voûte céleste et rentre dans sa demeure; puis, lorsqu’elle est rentrée, le cocher attachant ses chevaux à la crèche, leur jette l’ambroisie, puis leur fait boire le nectar.
Telle est la vie des dieux. Parmi les autres âmes, celle qui suit la divinité de plus près et lui ressemble le plus, élève la tête de son cocher vers l’autre côté du ciel, et se laisse ainsi emporter au mouvement circulaire, mais troublée par ses chevaux, elle a de la peine à contempler les essences; telle autre tantôt s’élève tantôt s’abaisse, mais gênée par les mouvements désordonnés des chevaux, aperçoit certaines essences tandis que d’autres lui échappent. Les autres âmes sont toutes avides de monter, mais impuissantes à suivre, elles sont submergées dans le tourbillon qui les emporte, elles se foulent, elles se précipitent les unes sur les autres, chacune essayant de se pousser avant l’autre. De là un tumulte, des luttes et des efforts désespérés, où, par la faute des cochers, beaucoup d’âmes deviennent boiteuses, beaucoup perdent une grande partie de leurs ailes. Mais toutes, en dépit de leurs efforts, s’éloignent sans avoir pu jouir de la vue de l’absolu, et n’ont plus dès lors d’autres aliments que l’opinion. La raison de ce grand empressement : découvrir la plaine de la vérité, c’est que la pâture qui convient à la partie la plus noble de l’âme, vient de la prairie qui s’y trouve, et que les propriétés naturelles de l’aile, s’alimentent à ce qui rend l’âme plus légère; c’est aussi cette loi d’Adrastée, que toute âme qui a pu suivre l’âme divine et contempler quelqu’une des vérités absolues est à l’abri du mal jusqu’à la révolution suivante, et que, si elle réussit à le faire toujours, elle est indemne pour toujours.
Mais lorsque, impuissante à suivre les dieux, l’âme n’a pas vu les essences, et que, par malheur, gorgée d’oubli et de vice, elle s’alourdit, puis perd ses ailes et tombe vers la terre (…) Une loi lui défend d’animer à la première génération le corps d’un animal, et veut que 1. l’âme qui a vu le plus de vérités produise un homme qui sera passionné pour la sagesse, la beauté, les muses et l’amour; que l’âme qui tient 2. le second rang donne un roi juste ou guerrier et habile à commander; que 3. celle du troisième rang donne un politique, un économe, un financier; que 4. celle du quatrième produise un gymnaste infatigable ou un médecin; que 5. celle de la cinquième mène la vie du devin ou de l’initié; que 6. celle du sixième s’assortisse à un poète ou à quelque autre artiste imitateur, 7. celle du septième à un artisan ou à un laboureur, 8. celle du huitième à un sophiste ou à un démagogue, celle du 9. neuvième à un tyran. »
Il faut en effet chez l’homme, que l’acte d’intelligence ait lieu selon ce qui s’appelle Idée, en allant d’une pluralité de sensations à une unité où les rassemble la réflexion. (c) Or c’est là une remémoration de ces réalités supérieures que notre âme a vues jadis, quand elle cheminait en compagnie d’un Dieu, quand elle regardait de haut ces choses dont à présent nous disons qu’elles existent, quand elle dressait la tête vers ce qui a une existence réelle ! Voilà donc pourquoi, à juste titre, est seule ailée la pensée du philosophe ; car ces réalités supérieures auxquelles par le souvenir elle est constamment appliquée dans la mesure de ses forces, c’est à ces réalités mêmes que ce qui est Dieu doit sa divinité. Or c’est en usant droitement de tels moyens de se ressouvenir qu’un homme qui est toujours parfaitement initié à de parfaites initiations, devient, seul, réellement parfait. Mais, comme il s’écarte de ce qui est l’objet des préoccupations des hommes et qu’il s’applique à ce qui est divin, la foule lui remontre qu’il a l’esprit dérange ; mais il est possédé d’un Dieu, et la foule ne s’en doute pas. »

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