jeudi 7 juin 2018

Révisions pour le baccalauréat - Le 3e sujet

« L'homme est un animal qui, du moment où il vit parmi d'autres individus de son espèce, a besoin d'un maître. Car il abuse à coup sûr de sa liberté à l'égard de ses semblables ; et, quoique, en tant que créature raisonnable, il souhaite une loi qui limite la liberté de tous, son penchant animal à l'égoïsme l'incite toutefois à se réserver dans toute la mesure du possible un régime d'exception pour lui-même. Il lui faut donc un maître qui batte en brèche sa volonté particulière et le force à obéir à une volonté universellement valable, grâce à laquelle chacun puisse être libre. Mais où va-t-il trouver ce maître ? Nulle part ailleurs que dans l'espèce humaine. Or ce maître, à son tour, est tout comme lui un animal qui a besoin d'un maître. De quelque façon qu'il [l'homme] s'y prenne, on ne conçoit vraiment pas comment il pourrait se procurer pour établir la justice publique un chef qui soit lui-même juste : soit qu'il choisisse à cet effet une personne unique, soit qu'il s'adresse à une élite de personnes triées au sein d'une société. Car chacune d'elles abusera toujours de la liberté si elle n'a personne au-dessus d'elle pour imposer vis-à-vis d'elle-même l'autorité des lois. Or le chef suprême doit être juste par lui-même, et cependant être un homme. Cette tâche est par conséquent la plus difficile à remplir de toutes ; à vrai dire sa solution parfaite est impossible ; le bois dont l'homme est fait est si noueux qu'on ne peut y tailler des poutres bien droites. La nature nous oblige à ne pas chercher autre chose qu'à nous approcher de cette idée. »

Emmanuel Kant – Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique (1784)

1)    Choisir l’explication de texte
Il existe un critère de sélection très simple pour savoir si le choix du 3e sujet peut être fait avec profit : au terme de trois ou quatre lectures du passage, percevons-nous clairement que l’auteur défend UNE et UNE SEULE idée. Pour le dire autrement, saisissons-nous ce qui fait de ces lignes UN texte ? Si nous n’arrivons pas à unifier tous ces mots dans une seule direction, c’est que nous ne comprenons pas le texte et il serait dangereux de le choisir.
Pour ce texte, il convient de réaliser assez vite qu’Emmanuel Kant nous explique pourquoi le problème politique du gouvernement de l’homme par l’homme n’a pas de solution, ou plus précisément, pourquoi nous sommes condamnés à envisager les moins mauvaises solutions possibles, mais jamais la meilleure.
Une fois que nous avons perçu cette idée essentielle, l’autre critère à observer est celui de la « stimulation ». Il y a souvent un malentendu qui consiste dans le fait de croire que l’on a compris ce que l’on peut résumer, enfermer dans le carcan de quatre ou cinq lignes. Plus on réduit le sujet à un simple énoncé plus on pense être prêt à l’expliquer. C’est exactement le contraire qui est vrai. La thèse de l’auteur suscite en nous des objections, des prolongements, un accord, des exemples, des illustrations, des auteurs opposés au philosophe, etc. Il n’est évidemment pas question pour nous de dire si nous sommes d’accord ou pas avec les propos affirmés par l’auteur. Une explication ne consiste pas à développer ce que nous pensons du texte mais à « penser » dans le texte, en lui et à partir de lui, dans le cadre proposé par le texte.


2)    L’utilisation du brouillon
Le brouillon va nous servir, premièrement, à formuler le mieux possible l’idée essentielle du passage, deuxièmement, à en comprendre la structure, le plan, troisièmement, à jeter sur le papier les implications, les nuances de sens, les références extérieures, bref tout ce que suscite en nous la lecture de ce texte et seulement de ce texte. L’erreur consisterait à choisir le texte simplement parce qu’il nous donnerait l’occasion, le prétexte à évoquer un thème que nous aimons bien, « par ailleurs ». Choisir le troisième sujet, c’est s’être engagé à maintenir constamment notre réflexion dans ce cadre là, en ne cherchant dans la référence à d’autres auteurs, à des exemples ou à des illustrations extérieures que de quoi expliquer ce texte là et rien d’autre. Il s’agit bien d’ouvrir notre réflexion mais seulement à partir de ce que le texte suscite. Tout ce que le texte affirme, argumente doit être analysé, prolongé, discuté, éventuellement contredit mais jamais éludé, ou mis au second plan. Il faut penser à cet aspect de l’explication dés le début en acceptant de passer 4h dans la pensée d’un autre, tout en pensant par soi-même. On ne nous demande pas de penser ce que l’auteur pense mais de penser dans le cadre de ce que l’auteur pense, un peu comme un vêtement à l’intérieur duquel on sera bien à son aise, libre de tous nos mouvements. Quand on comprend parfaitement une idée comme par exemple le cogito de Descartes, on se dit qu’on peut la formuler de différentes manières sans jamais perdre le fil avec ce que Descartes veut dire. C’est ça l’essentiel et c’est la différence entre une bonne explication et une paraphrase : ce défaut consiste à dire ce que l’auteur dit, l’explication dit ce qu’il veut dire mais avec nos mots et pas avec ceux de l’auteur.
3)    L’introduction (Thème / Thèse / Problématique)
Le thème désigne le sujet à partir duquel le texte se définit comme une prise de position claire et précise. Kant n’a pas inventé le thème sur lequel il prend position, mais il va proposer une nouvelle façon d’aborder cette question. Nous devons donc évoquer ce sujet de la façon la plus simple et la moins vague possible (pas de  « de tout temps… »). Ici le thème est le gouvernement de l’homme par l’homme, ou si nous préférons, la question du pouvoir politique.
La thèse est la formulation de l’idée essentielle du texte, la position précise et « nouvelle » de l’auteur par rapport à ce problème qui existait avent lui. Ici, Kant soutient que l’homme est à la fois un être raisonnable (Je transcendantal) qui comprend la légitimité de la loi et un animal qui la conteste au nom de ses appétits et de son égoïsme (Moi empirique). Cette dualité rend strictement nécessaire l’exercice d’une autorité qui va, en l’homme, contraindre l’animal et favoriser la raison. Le problème réside dans l’impossibilité de trouver ce maître ailleurs que dans l’espèce humaine, d’où la reconduction du problème au sein même de la personne censée le résoudre. Comment un homme dont la nature est fondamentalement marquée par cette dualité entre la sensibilité et la raison pourrait-il être « juste par lui-même », c’est-à-dire n’être que raisonnable ?
La problématique caractérise un travail très différent de ce que l’on appelle la problématisation pour les sujets 1 ou 2. Il s’agit en fait de décrire le plan du texte et son enjeu. On comprend ici que le propos de Kant est de nous décrire le cadre d’un problème que l’homme ne peut ni éviter ni résoudre. La dernière phrase du texte décrit exactement le schéma d’une courbe asymptotique, laquelle illustre exactement la pensée de Kant à l’intérieur de l’œuvre elle-même. Ce problème trace quelque chose qui se trouve être comme un horizon ou une étoile qui nous guide et doit orienter nos efforts sans jamais pour autant nous proposer de solution réelle accessible. Nous ne sortirons jamais de ce problème qui est insoluble mais peut-être progresserons-nous dans les expédients que nous proposerons pour essayer de le gérer « au mieux » ou plutôt au « moins mal ».
La structure du texte est donc assez simple : Emmanuel Kant pose un problème : la dualité animal / créature raisonnable de l’homme qui rend difficile la cohabitation au sein d’un collectif. Il propose ensuite une solution : le maître, c’est-à-dire l’autorité. On ne peut pas concevoir de cité (polis) sans dirigeant, lequel aura le droit de contraindre en l’homme l’animal pour que se libère, en lui,  l’être raisonnable. Mais ce maître ne peut pas être d’une autre espèce que celle des hommes, sujet donc à la même dualité que celle qu’il est censé réglementer. La solution proposée au problème est contaminée par le problème qui, à la fin du raisonnement, demeure. La fin du texte file la métaphore géométrique en opposant le modèle de la droite impossible (à cause du bois dans lequel il faut tailler la poutre) et l’asymptote qui décrit l’impossible fusion de la courbe avec l’axe des abscisses (l’impossibilité de la solution peut et doit stimuler les « approches »)
Quel est l’enjeu de ce texte ? De nous faire comprendre les impasses dans lesquelles nous nous débattons aujourd’hui : démocratie, aristocratie, autocratie ne peuvent pas constituer des régimes politiques parfaits. Nous avons l’habitude de penser que le pouvoir politique est déficient à cause des personnes qui l’exercent, mais la réalité est que ce problème est « structurellement » insoluble et pas conjoncturel. Que la politique soit un domaine sujet à des crises incessantes, cela tient à sa nature même et pas aux époques ni à la personnalité des dirigeants.
4)    « Expliquer » : démêler les plis
Un texte doit être un peu comme un caillou qui est jeté dans l’eau et dont l’impact génère des ondes dans notre pensée. Il faut que nous ayons le sentiment que nous n’arriverons jamais au terme de l’explication parce que la densité d’écriture du passage est telle qu’elle est absolument inépuisable. Expliquer n’est pas résumer, réduire, encore moins clore un chapitre. Si ce texte est UN texte, c’est que l’auteur ne veut dire qu’UNE chose. Mais c’est du « vouloir dire », du sens, et cela peut être dit autrement, accueilli par une pensée qui se formulerait en d’autres termes, les nôtres, en l’occurrence et c’est exactement cet accueil qui constituera le corps de notre explication. Il importe donc de ne pas paraphraser, c’est-à-dire répéter simplement le texte et de ne pas s’éloigner du texte. Pour éviter ce dernier défaut il importe de consacrer autant de parties que nous avons relevé d’étapes à la démonstration de l’auteur. Ici nous voyons bien que Kant formule d’abord un problème (partie 1) puis propose une solution (partie 2), mais la solution est parasitée par le problème (partie 3), il reste donc le problème (partie 4).
5)    Utiliser des références
Il convient de ne pas forcer la référence à d’autres auteurs. Si tout se passe bien, nous devrions faire naturellement le rapprochement avec des auteurs abordés durant l’année scolaire. On peut notamment penser à Aristote qui affirme qui « l’homme est un animal politique ». Pourquoi cet auteur spécifiquement ? Parce que c’est finalement le contraire de ce que Kant soutient. Quelque chose de l’homme résiste à sa citoyenneté et c’est précisément son animalité. Autant Aristote concevait l’homme comme naturellement voué à la cité, autant Kant insiste sur le fait  qu’il l’est plutôt « culturellement » (Kant a beaucoup lu Rousseau). Hobbes et Rousseau sont également sur cette question des références convocables. C’est à partir du texte que ces auteurs doivent se manifester à notre souvenir et non l’inverse.
6)    Conclusion
La conclusion reprend les passages de notre explication que nous estimons vraiment décisifs. Nous avions évoqué à la fin de notre introduction l’enjeu du texte. Il est temps de revenir à cette perspective. En quoi la lecture de ce texte nous apporte-t-elle quelque chose aujourd’hui ? Ici c’est vraiment l’affirmation d’une impossibilité structurelle de résoudre le problème politique qui pose vraiment question. On peut remarquer notamment que Kant n’envisage pas un seul instant que les hommes puissent vivre ensemble sans avoir recours à une autorité coercitive. La référence au livre de Pierre Clastres : « la société contre l’Etat » prouve qu’il existe des communautés sans Etat. Il est possible de conclure notre réflexion sur cette référence intéressante : peut-être Kant ne trouve-t-il pas de solution parce qu’il part du principe qu’il y a un problème, mais ce principe peut être contesté.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire