mardi 3 décembre 2019

HLP - Structurer un discours dans un concours d'éloquence


Trois consignes préalables absolument impératives pour commencer: respirer, se poser, articuler
Tout ce qui suit s'appuie sur le livre de Bertrand Périer: "la parole est un sport de combat", professeur à Paris VIII
1) Le plan
    Le mot rhétorique vient du grec ancien rhêtorikê technê qui se traduit par technique oratoire. Elle désigne l’art de disposer des arguments de façon efficace pour convaincre une assemblée. Son but et son contexte sont donc fondamentalement politiques. Hannah Arendt utilise toujours la formule suivante pour décrire l’exercice de la liberté dans la Grèce Antique: « par la parole et par l’action ». Elle désigne ainsi la capacité d’un citoyen grec libre (donc pas un esclave, pas un étranger, pas une femme) d’avoir un impact réel sur la politique d’Athènes en prenant la parole dans un espace public. La parole est ainsi un mode d’action politique. On élabore un discours comme un forgeron cisèle une lame. Il y a des techniques, cela s’apprend. La rhétorique désigne alors l’art de persuader.
    Dans l’antiquité Romaine, naît une conception différente de la rhétorique comme art de l’éloquence: « Bene dicendi scientia »: « Art de bien dire ». Il ne s’agit plus de persuader, mais de savoir bien tourner un discours, en utilisant des figures de style. Une dimension plus esthétique s’adjoint dés lors à la rhétorique en jouant de registres plus étendus et en ne visant plus que la seule persuasion. La perspective des concours d ‘éloquence se situe dans le prolongement de cette dernière conception du discours.
    Déjà Aristote avait défini trois piliers de l’art rhétorique: logos, Ethos, Pathos:
- Le logos (raison en grec) désigne le raisonnement, la capacité de convaincre par une argumentation précise et logique
- Le Pathos s’adresse à la sensibilité des auditeurs. Il est question de les incliner à admettre une thèse en jouant de registres tels que la passion, le désir, les sentiments
- L’Ethos désigne l’aptitude de l’orateur à se faire reconnaître par les auditeurs comme une personne crédible, d’imprégner son discours de sa personne, de s’y engager de façon suffisamment marquée et stylisée pour que les auditeurs lui fassent crédit du bien fondé de sa parole. Le bon sens la vertu et la bienveillance sont, selon Aristote les trois qualités que l’orateur doit susciter comme Ethos.
Tout discours dans un concours d'éloquence doit suivre la structure suivante:
Exorde / Narration / Argumentation / Réfutation / Péroraison
2) L’exorde
        Toutes les indications qui vont suivre sont applicables à la construction d’un discours aujourd’hui, et particulièrement dans le cadre d’un concours d’éloquence. L'état d'esprit dans lequel il convient d'accueillir le sujet consiste à se débarrasser d'emblée de la question de savoir si c'est intéressant ou pas au profit d'une perception assez technicienne: quelle machine de guerre convaincante vais-je pouvoir articuler, construire sur la réponse négative ou positive à cette question? Quelles envolées, quels exemples, quelles images, quelles figures vais-je pouvoir intégrer à mon discours? Comment le déborder ou répondre au clin d'oeil d'un sujet dont le sens est plurivoque (qui revêt plusieurs sens) ? (par clin d'oeil il faut entendre le double voire triple sens d'une formulation. Par exemple, "l'amour est-il un libre échange" peut prêter à plusieurs interprétations: l'échange amoureux est-il vraiment libre? L'amour est-il capitaliste? Les lois économiques du libre échange sont-elles applicables aux transports amoureux? Il faudra jouer de tous ces sens en créant des fausses pistes, en jouant à fond la carte du sous-entendu: vous pensiez que je parlais de ça alors que je parlais de ça)
        L’exorde doit susciter l’attention des auditeurs. Il se situe d’emblée au niveau de l’ethos. Il faut non seulement « appeler » l’assemblée à nous prêter l’oreille, mais aussi créer d’emblée un certain climat de confiance. Trois types d’exorde sont utilisables:
- L’hommage: on remercie les organisateurs, ou les personnes qui nous ont invité. On s’avoue « touché » de pouvoir parler en ce lieu prestigieux, etc.
- L’enjeu: on peut également d’emblée insister sur ce qui se joue de notre prise de parole: « ce que je vais vous dire est doublement important pour moi ». « Je dois vous avouer que… » ou alors « L’heure est grave, mes amis car il en va de l’intérêt commun… »
- La surprise: il s’agit de surprendre complètement l’auditoire en évoquant quelque chose qui semble n’avoir aucun rapport avec le sujet que l’on est censé traiter. Évidemment on va le retrouver en fin de parcours, mais le détour crée sans conteste un certain charme qui nous prédispose à l’écoute. Nous sommes séduits. (il est également possible de créer la surprise en s’appuyant sur un objet qui ne présente pas le moindre rapport avec le sujet mais qui en réalité sera relié à la fin de cette introduction. Au terme de l’exorde, il faut annoncer la thèse que vous allez défendre. C’est crucial. Le suspense est alors terminé: il faut clairement annoncer la couleur. C’est de cela dont je vais vous convaincre.
3) La narration
       
Cette phase prend tout son sens pour la plaidoirie d’un avocat. Il s’agit de raconter l’histoire qui va aboutir à la condamnation de son client. La narration ici concerne les faits et elle revêt une importance capitale mais dans un discours politique, elle prend un autre sens. Obama raconte ainsi dans un discours datant de 2008 l’histoire vraie d’une femme centenaire qui a connu l’esclavage et l’époque où les femmes américaines n’avaient pas le droit de vote. On part d’une histoire personnelle vraie ou inventée qui permet de sensibiliser le public au sujet que l’on va aborder. Autant l’exorde est dans l’ethos, autant la narration est dans le pathos. La narration est une induction (on part du particulier pour aller au général; elle ne prétend pas être démonstrative, elle n’est pas du logos, elle est éclairante, elle « illustre » mais le vrai but est à la fois de susciter un intérêt, d’aller chercher l’enfant qui aime les histoires et qui se cache en tout adulte. Elle s’efforce aussi parfois de créer un rapport d’identification.
4) L’argumentation (ou confirmation)
        C’est à ce moment là que l’on va vraiment juger de la pertinence de votre discours. Nous étions d’abord dans l’ethos, la narration était dans le pathos, puis nous entrons dans le logos. Il faut respecter trois principes:
- Ordonner vos arguments de la façon suivante: les plus forts au début et à la fin, les plus faibles au milieu. Par exemple, supposons que l’on souhaite convaincre l’auditoire de la nécessité de dépénaliser la vente de cannabis. Considérons ces trois arguments: a) mettre fin au marché parallèle b) rendre possible un suivi médical des personnes dépendantes c) dépouiller totalement cette substance du charme de l’interdit. C’est dans cet ordre qu’il faut présenter ces arguments car le a et le c ont plus de poids que le b (même si le b est important, mais dans l’esprit de l’auditoire, on doit présumer de l’impact de nos arguments)
- Qualifier la nature des arguments présentés avant de les exposer. Ainsi par rapport aux trois arguments précédents: le premier est celui de la légalité, le second de la santé, le troisième due la psychologie. Si on veut justifier le rétablissement du service national, on peut préciser: mon premier argument est politique: le service militaire favorise le sens de la citoyenneté, mon second est économique: on peut apprendre un métier à l’armée, le troisième est militaire, défendre son pays.
- Donner à l’auditoire les moyens de nous suivre pas à pas en formulant clairement nos arguments et en annonçant son plan: notre argumentation s’appuie sur trois arguments. D’abord…j’en viens maintenant au second temps de mon propos…Voilà ce qu’il convient de justifier…il faut dire exactement au public où l’on en est. On est un peu au musée et l’on prend la main de l’auditeur pour lui montrer ceci puis cela, et ainsi de suite.
5) La réfutation
       
Un discours défend une thèse et une seule. Par conséquent il faut démontrer que le point de vue contraire est nul. Il faut le détruire sans pitié en utilisant tous les moyens dont on dispose. Il s’agit ici purement et simplement d’être « un tueur », et de bien réaliser que c’est avec des arguments certes frappants mais aussi précis, calculés, incisifs que l’on y parviendra. Il importe de ne pas sembler trop partisans. C’est le moment où il importe vraiment de s’interroger sur ce qui vous permettra d’avoir le public dans votre poche avec plus d’efficacité que votre opposant. Quoi de plus terrible que l’anaphore « Brutus est un homme honorable » de Marc Antoine?  Ou que le « Bien monsieur le premier ministre » de Mitterand dans le débat contre Jacques Chirac? « Les adversaires de cette thèse vous diront que…Mais honnêtement qui peut croire que…. » Telle est la structure de la réfutation. Mais imposer l’uniforme n’est-ce pas le subterfuge le plus grossier de l’école républicaine qui tente ainsi de dissimuler la reconduction des inégalités sociales en imposant le port d’une uniformité vestimentaire de façade? Dans la réfutation, on est toujours dans le logos évidemment mais on peut aussi se considérer dans l’Ethos, faire peser de tout le poids du crédit que l’on a acquis l’option défendue
6) La péroraison
       
Elle a deux buts: insister sur le bien fondé de la thèse que l’on a défendue et faire comprendre par un coup de maître que l’on termine. Il faut viser les applaudissements même si on ne les a pas. C’est comme le dernier coup de burin à une statue. Il faut que cela marque la fin d’un tout. Cela ne pouvait se terminer que de cette manière. On ne doit surtout pas terminer par un « j’en ai fini » ou par un « voilà ». La fin s’impose d’elle-même comme une évidence. On peut concevoir deux types de péroraison:
- Par le haut: On clôt le discours par une formule exaltée, soit habituelle: « vive la république, vive la france », soit inattendue, mais magistrale, éloquente.
- Par le bas: On détache bien les syllabes. « De tout mon coeur, législateurs français, je vous remercie. » La péroraison est sans aucun conteste dans le pathos. Il faut vouloir laisser l’auditeur un peu groggy, KO sous la puissance d’impact du discours que l’on vient d’exposer. C’est ici un exercice de pure séduction. Que la fin de notre prise de parole laisse le charme agir. « Ce jour là elle (la face déformée par la torture de Jean Moulin) était le visage de la France.
7) Ce qu’il ne faut pas faire
- Etre vulgaire ou ordurier
- Le métadiscours: c’est lorsque l’on sort de l’exercice pour évoquer ce que l’on s’est dit en le faisant. C’est perçu comme un évitement et effectivement c’est une façon de refuser la difficulté
- Les références trop lourdes à l’actualité.
- Les poncifs journalistiques: aux jours d’aujourd’hui. De tout temps, dans le contexte de crise qui est aujourd’hui le notre, etc.
- Le langage courant. Il faut sortir de l’ordinaire, manifester des qualités stylistiques, une originalité. Ne dissimulez pas ce qui fait de vous une personne unique.

8) Improvisation et humilité
        Improviser dans un concours d’éloquence n’est ni facile, ni une chose à s’imposer systématiquement quand on participe à son premier concours. En même temps, quelque chose de l’improvisation accomplit exactement ce qu’une prise de parole est par opposition à l’écriture. On se rend parfaitement compte de cette évidence quand on réalise que le support de l’écriture est la feuille ou l’écran, support inerte, stable, identique, invariable, immuable (c’est matériel et invariant) alors que l’orateur parle sur ce support extrêmement variable et imprévisible qu’est de l’attention humaine (ce n’est pas matériel et c’est improgrammable).
        L’une des pires choses à faire est de considérer l’improvisation comme l’occasion de briller, d’épater, de se mettre en avant. Il y a quelque chose de très humble dans l’improvisation, d’abord parce qu’elle suppose que l’on a beaucoup travaillé en amont. Pouvoir se lancer sans note dans un discours, c’est un saut dans l’inconnu, c’est comme se jeter du ponton sans voir l’eau, mais cela vous interdit tout retour en arrière. Vous n’avez pas d’autre choix que de parler ici et maintenant devant des personnes qui n’attendent que votre parole, pas votre style d’écriture ou votre intelligence de pur raisonneur, mais vous, c’est-à-dire votre visage, votre voix, votre regard votre modalité d’adresse, votre capacité à occuper seul(e) le terrain, c’est-à-dire à assumer d’être maintenant le centre d’attention de tout un auditoire.
       

On n’imagine pas un acteur de Shakespeare s’arrêter au beau milieu d’une réplique et dire: « vous devriez lire le texte plutôt que d’être là à me regarder jouer », parce qu’il sait bien que que les spectateurs ne sont pas venus lire Roméo mais «écouter sa voix à lui, ici et maintenant ». Jouer, prendre la parole en public, c’est un acte de résistance parce que c’est sortir de ce que Heidegger appelle la dictature du « On ». On se met en pleine lumière non pas parce que l’on pense que l’on vaut mieux que le groupe mais parce que l’on a compris qu’il existe des dynamiques de groupe dans lesquelles le rapport à autrui est annulé au profit d’une indifférenciation dommageable au fil de laquelle n’importe qui est capable de n’importe quoi parce que personne n’assume simplement le fait d’exister. Aucune prise de parole n’est davantage éclairante de ce point de vue que celle du 8e juré dans « douze hommes en colère ». Il ne fait pas valoir un point de vue différent parce qu’il se croit supérieur mais parce qu’il réalise ce qu’induit d’être vraiment là, à cet instant, dans un jury qui doit statuer sur la vie d’un adolescent.

1 commentaire:

  1. Un article clair, précis qui va à l'essentiel tout en expliquant parfaitement. J'ai adoré et ça m'a beaucoup aidé, merci beaucoup!

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