dimanche 5 septembre 2021

Terminales 2/4/5/6 - Puis-je parler de moi-même sans faire erreur sur la personne? (Partie 1)

 


DM pour le 13/10/2021

(Cette question fait l’objet d’une dissertation que chaque élève devra rendre le 13/10 et d’un cours dont l’objectif sera à la fois d’apprendre la méthode et de commencer les notions au programme de terminale (en l’occurence Conscience / Inconscient / Devoir (responsabilité)/ Justice / Liberté / Vérité). Il convient donc que les développements et les séances à venir soient toujours perçues et réfléchies sous ces deux angles: 1) comment construit-on une dissertation de type baccalauréat 2) « entrer de plain pied » dans cette discipline « nouvelle » pour la plupart d’entre vous). 

Une remarque préliminaire sur ce sujet: pour tout travail de philosophie, il est vraiment ESSENTIEL de ne JAMAIS parler de sa vie personnelle et de ne JAMAIS commencer une argumentation par « pour moi, en ce qui me concerne, d’après mon expérience ». La réflexion philosophique suppose que nous activions une pensée qui  ne tombe pas dans la facilité de ne parler qu’à partir de son intérêt, de « sa » vison des choses, de son ressenti. Rédiger une argumentation en sous-entendant qu’elle n’engage que vous, que c’est ce que « vous » pensez à partir de votre vie personnelle ne constitue en RIEN un travail philosophique. Nous ne donnons pas notre opinion (tout simplement parce que ça n’intéresse personne. Si c’est cela que vous souhaitez faire, il faut aller sur les réseaux sociaux, mais dans une dissertation philosophique, on attend de vous une pensée non pas personnelle mais individuelle (ça n’a rien à voir) qui produit un effort universel de pensée, c’est-à-dire qui s’efforce d’argumenter pour tout humain, en tout lieu, en tout temps). Cette exigence qu’il nous faudra respecter toute l’année se complique ici du fait qu’il y a dans ce sujet le terme « moi-même ». Evidemment chacune et chacun doit prendre ce terme de façon impersonnelle. On ne nous demande ce qu’implique pour Albert, Raoul, ou Gustave le fait de parler de soi-même en tant qu’Albert, Raoul ou Gustave. Ce « moi » et ce « je »   sont universels. Ils ne désignent rien de personnel. Il serait désastreux en terme de notes que nous prenions ce sujet comme l’occasion d’évoquer notre vie privée, laquelle ne doit jamais être exposée dans un travail philosophique (évidemment il se peut que certaines de nos expériences propres nous aident à comprendre une réalité ou une notion philosophiques, mais cela, ce n’est pas du tout la peine de le dire. Gardons-le pour nous!)




1) Aborder un sujet de dissertation

Nous avons déjà évoqué « la naissance » de la philosophie, non pas d’un point de vue historique mais métaphysique (la métaphysique étant l‘étude se donnant comme objet « l’être » (le fait d’exister, l’esprit, la matière, Dieu), les causes de l’univers et les premiers principes. Pour être plus clair, on pourrait définir la métaphysique comme désignant toute réflexion sur le commencement de la vie individuelle, humaine mais pas seulement, celle de la nature, celle d’un principe: Dieu, etc.). La philosophie ainsi que le dit Aristote (384 - 322 avant JC) est née de l’étonnement. On peut s’étonner que le monde soit, que la vie se manifeste, mais plus encore que cela, il convient de s’étonner d’exister. S’intéresser à la philosophie, saisir sa légitimité la plus évidente, revient à tout ramener à cette considération essentielle: l’existence nous a été donnée, à nous individuellement sans que l’on puisse savoir ce qui nous l’a donnée, ni pourquoi. Ignorer cette situation fondamentalement interrogatrice, c’est rater l’Ethos (l’attitude) philosophique.

  


Dés qu’on y réfléchit un peu, on constatera que la plupart des idéologies qui se sont révélées provoquer des effets catastrophiques pour l’humanité (comme le fanatisme, l’intégrisme, toutes formes de dogmatisme, le transhumanisme) ont comme cause cette ignorance là, c’est-à-dire la certitude de connaître « son but », «  d’avoir une mission », bref de s’illusionner sur soi en méconnaissant sciemment l’énigme de son origine. Chacune et chacun de nous est existentiellement une question sans réponse. Assumer cette condition foncièrement suspensive décrit quelque chose comme une éthique que l’on retrouve dans toutes les philosophies essentielles.

  

Méthodologiquement cette donnée première et constitutive de l’Ethos philosophique se traduit par la nécessité de ne jamais entretenir l’illusion qu’on nous pose une question pour que nous y répondions. Ce que l’on attend de nous, c’est que nous comprenions, autant qu’il est possible, le paradoxe compris dans le sujet. On parle alors de « problème ». Tout sujet contient un problème. Une dissertation consiste d’abord à saisir le problème et à réaliser progressivement sa complexité, à sonder cette épaisseur énigmatique, à faire jouer plusieurs recoupements et oppositions qui vont se révéler à nous dans toutes leurs nuances. Probablement une réponse finira-t-elle par se dégager peu à peu mais c’est à peine une réponse tellement sa formulation aura fait l’objet de conditions, de restrictions, de clarifications et de distinctions précises. Plus nous parviendrons à nous retenir de répondre ou de croire qu’on peut répondre, plus nous nous installerons durablement dans les meilleurs conditions pour traiter un sujet de dissertation.

Si nous sommes incapables de percevoir sur ce sujet que la réponse « oui » ou que la réponse « non » ne peut être tenue séparément, isolément, alors nous ne pouvons pas entrer dans le sujet. Ce qu’il convient de ressentir d’abord, c’est à quel point ces deux réponses sont toutes les deux bonnes, exactes, pour des raisons différentes. Nous nous plaçons ainsi dans l’embarras voulu, désiré par l’ordonnateur de la question, nous commençons à entrer dans le sujet quand celui-ci se révèle à nous dans son insolubilité.

 

Puis-je parler de moi-même sans faire erreur sur la personne? Quand faisons-nous erreur sur la personne dans la vie courante? Par exemple quand nous faisons un faux numéro, ou bien quand on voit une personne de dos et que l’on croit qu’elle est telle ou telle alors que c’est une ou un inconnu. On fait erreur sur la personne, quand la détermination de l’identité de quelqu’un se révèle fausse, quand cette personne n’est pas celle que l’on croyait qu’elle était. 

C’est là le sens le plus courant, mais il en existe un autre: nous pouvons également faire erreur sur la personne de façon un peu plus métaphorique lorsqu’une personne se révèle à nous sous un autre visage que celui que nous lui connaissions. On peut parfaitement imaginer qu’une femme dise à son petit ami qu’elle a fait erreur sur la personne si celui-ci se comporte d’une façon différente de ce qu’elle pensait qu’il était. Faire erreur signifie alors que la personne n’a pas les qualités ou la personnalité que nous pensions être la sienne. Cela suppose que l’on se fait toujours une certaine idée de ce qui constitue la nature, les qualités de quelqu’un et qu’on peut se tromper. Mais en même temps que tel ou tel doive nécessairement se conformer à l’idée qu’on s’en fait est finalement une étrange attente, non seulement parce que tout le monde change mais aussi parce qu’il n’est pas du tout facile de savoir ce que l’autre pense que nous sommes « nous ». Nous ne cessons de nous portraiturer mutuellement dans toute vie de famille ou même de société mais nous ne savons pas comment l’autre nous décrit, nous perçoit.

 


Le sujet prend ainsi dés l’abord une certaine profondeur: faire erreur sur la personne signifie 1) se tromper sur l’identité physique d’une personne, sur son nom finalement 2) se tromper sur les caractéristiques, sur les qualités d’attitude d’une personne. Finalement c’est exactement la différence pointée par le terme « vraiment »  jouant entre ces deux questions: 1) « qui es-tu ? » et 2) « qui es-tu « vraiment »? 

A moins d’être amnésique on voit mal comment nous pourrions parler de nous sans savoir que nous sommes tel ou tel et que nous appelons Paul ou Gustave. Par contre que nous connaissions exactement et précisément la personne que nous évoquons quand nous parlons de nous-même est beaucoup plus envisageable, et cela pour de multiples raisons. Il n’est pas du tout stupide ni incohérent de penser que tout discours sur soi, tout travail d’auto-description ou d’auto-portrait pourrait rater son objet. Allons même plus loin: je ne peux que faire erreur sur la personne quand je parle de moi parce que je ne peux pas être objectivement de part et d’autre de cette « étude » ou de cette description. Je ne peux être à la fois l’observateur et l’observé. 

Je fais nécessairement « erreur sur la personne » quand je parle de moi-même parce que je ne peux pas être exactement celui que je décris quand je parle de moi. Nous avons toutes et tous fait l’expérience de cette inexactitude des mots à s’appliquer parfaitement à notre ressenti, à notre impression, à nos qualités. C’est comme si à chaque fois que nous disions que nous sommes comme ci ou comme ça, nous ressentions la nécessité de rajouter « mais pas seulement…c’est aussi autre chose, autrement…etc. » et alors de deux choses l’une: soit nous nous embarquons dans un roman, dans un travail (que l’on pourrait peut-être opportunément qualifier d’auto-fiction), soit nous nous résignons à utiliser ces outils imparfaits que sont les mots. C’est cette dernière solution que choisit la majorité de nos semblables. Nous nous décrivons avec des mots «  faute de mieux ». « Faire erreur sur la personne quand on parle de soi nous apparaît alors comme incontournable. Tout ce que nous pouvons faire c’est nous efforcer de l’effectuer le moins possible comme une ligne asymptotique frôle l’axe des absides sans jamais se confondre avec lui. Nous ne pouvons qu’explorer l’infini de cette marge de cette éternelle et irréductible proximité.

  


2) Problématiser un sujet

Puis-je être vraiment et sans aucune ambiguïté possible cette première personne dont je parle quand je dis: « je »?  Puis-je être à la fois sur la table de dissection et celle ou celui qui tient le bistouri ?(évidemment c’est une image) Problématiser un sujet consiste à saisir et à formuler le paradoxe qui oeuvre plus ou moins explicitement dans un énoncé. L’un des meilleurs moyens de le trouver est de réfléchir, quand le sujet se prête à la réponse oui ou non, ce qui fait qu’EVIDEMMENT la réponse est OUI et ce qui fait qu’EVIDEMMENT la réponse est NON. 

ATTENTION: pour l’instant, nous ne rédigeons rien directement sur les feuilles qui seront rendues. Nous y réfléchissons dans notre pensée ou sur un brouillon (c’est mieux) mais il n’est pas question de rédiger précipitamment le résultat de cette appréhension du sujet. Nous n’en sommes qu’au début.

Oui:   Je peux parler de moi-même sans faire erreur sur la personne, tout simplement parce que si quelqu’un sait ce que c’est qu’être moi, évidemment, c’est moi. Nous pourrons peut-être nous contenter de cette « raison » même si sa puissance argumentative est très faible, mais il est évident qu’il va falloir faire beaucoup mieux. 

  


Un meilleur argument consiste à évoquer ce décalage que nous percevons souvent entre la façon dont nous sommes « perçus » « compris, ou justement mal compris par les autres et nous-mêmes. On nous fait un cadeau, par exemple, mais ce cadeau tombe complètement à côté et nous mesurons alors à quel point notre entourage, souvent le plus proche se méprend à notre égard. Cette situation qui se produit de temps à autre pointe une caractéristique de la vie familiale, professionnelle ou affective très vive et assez cruelle. « Tu crois vraiment qu’une nouvelle cravate va me faire plaisir? Comment peux-tu te tromper à ce point sur moi-même pour croire cela…a moins que tu n’aies pas vraiment cherché, en fait…etc. »

Ce qui nous frappe dans une telle situation, c’est justement que nous, nous nous aurions offert exactement ce qui nous aurait fait plaisir, parce que nous nous connaissons mieux que quiconque. (Evidemment, nous allons devoir trouver de bien meilleurs arguments mais celui-ci est à la fois simple et assez significatif en fait)

Non: Il est impossible de ne pas se tromper de personne quand on parle de soi-même, parce l’exigence d’objectivité nécessaire à toute connaissance ici fait défaut. Ce processus de clarification, d’élucidation de soi est vicié en soi, du simple fait que l’on est le sujet et l’objet d’une connaissance qui dés lors ne peut être neutre, pure, rigoureuse.  Quoi que je dise de moi, c’est faux, parce que c’est moi qui le dit et que dés lors, la suspicion de partialité est légitime. Plusieurs exemples de qualités auto-attribuées l’attestent très clairement. Je ne peux pas dire que je suis modeste et l’être, puisque si je l’étais vraiment, je n’aurais pas l’impudence de le dire. Il existe ainsi de nombreux traits qui s’annulent en se revendiquant parce qu’il existe une distance radicale entre l’acte et la dénomination. Si je suis vraiment ce que je prétends être pourquoi le dire, puisque je le suis?

Il est particulièrement encourageant de ressentir un léger « vertige » lorsqu’on réalise les implications d’un problème. Ici, on ne peut pas s’empêcher d’être un peu troublé(e) par la considération suivante: le nombre de conversations échangées qui ne font qu’entrecroiser les « Moi, je…. » est très, très important. On pourrait dire qu’il est le plus répandu. Une fois demandées vaguement des nouvelles de notre interlocuteur: « ça va? », on constate que souvent l’interrogateur confisque à son profit  le sujet de la discussion, soucieux de nous informer de "sa" vie, de "son" moi, de "ses" biens » Si nous gardons en mémoire l’argument du « Non »,nous réalisons qu’il est possible d'envisager sérieusement l'idée selon laquelle la plupart des propos échangés avec nos semblables sont « faux », "à côté de la plaque" ,empreints de déni, de simulation, d’erreurs conscientes ou pas (ce point va vite se révéler essentiel) sur la personne.




                    Nous pouvons commencer à tenter de formuler ce paradoxe. C'est ce que l'on appelle "trouver la problématique". Il n'existe pas UNE problématique exclusivement correcte. De très nombreuses sont envisageables à partir du moment où elles clarifient le paradoxe vers lequel l'énoncé du sujet ne fait que pointer. "L'objectivité d'un discours sur soi est-elle possible?" "Le fait de parler de soi ne nous condamne-t-il pas à mentir consciemment ou inconsciemment ?" "Puis-je raconter ma vie sans me tromper nécessairement d'objet, sans raconter en réalité une autre vie, plus romancée, plus dicible, plus recommandable, plus légendaire" au sens étymologique? Pour dire la vérité sur soi, ne faudrait-il pas plutôt se taire et faire silence? L'authenticité du moi ne serait-t-elle pas ce qui précisément ne sera jamais exprimable par moi, un peu comme la lettre volée d'Edgar Allan Poe?



3) Analyser les termes

Nous n’en sommes toujours qu’au brouillon. Finalement nous sommes interrogés sur la compatibilité de deux actions: « parler de soi-même » et « faire erreur sur la personne ».  

« L’erreur » est une notion que l’on a coutume, en philosophie, de distinguer de la faute et de l’illusion.  La faute a une connotation morale. Faire une faute, c’est accomplir quelque chose que l’on n’aurait pas dû faire. C’est manquer à son devoir à la morale, éventuellement à son éthique. L’erreur est un terme plus scientifique. Si le sujet avait évoqué la faute, nous aurions du finalement envisager la problématique suivante: dans quelle mesure le fait de parler de soi ne serait-il une mauvaise action, une preuve de méchanceté, de perversité. Finalement le sujet aurait été alors se taire sur soi ne serait-il pas un devoir moral? Mais le terme utilisé est « erreur », ce qui lui donne un sens plus radical. L’intention du sujet (on peut quasiment utiliser ce terme: il nous faut finalement deviner l’intention d’un énoncé: jusqu’où veut-il nous faire aller? Si le sujet avait seulement mentionné la faute, il n’aurait pas autant mis en question la notion d’unité du moi. Il se serait simplement agi de s’interroger sur le fondement moral ou éthique d’une action. Etant entendu que le moi existe bel et bien, est-ce qu’il est moral, juste, éthique d’en parler?

  


L’erreur est tout autre. Ce n’est pas que ce serait mal, c’est plutôt que ce serait « faux », tout simplement. On réalise ainsi que le sujet recèle quelque chose de radical. Répondre non à la question, soutenir que tout discours sur soi, peut-être aussi toute pensée sur soi, rate en réalité son objet. Parler de soi n’est pas un acte impossible mais c’est une action biaisée, inadéquate, vouée à l’échec, à la fausseté. Toute parole sur soi nécessairement s’exposerait immédiatement à une sorte de décalage. Elle deviendrait consciemment ou pas une autre action que celle qu’elle pensait être. Mais c’est un peu étrange puisque elle recèle néanmoins cette caractéristique de venir de moi. 

L’erreur se distingue également de l’illusion en ceci qu’une illusion même démasquée persiste alors qu’une erreur corrigée disparaît. Le contraire de l’illusion est la réalité. Le contraire de l’erreur est la vérité, ou l’exactitude. Il y a une différence entre la thèse qui défend l’idée selon laquelle parler de soi est une illusion et celle qui qui soutient que c’est une inexactitude. Nous percevons bien ici que la distinction est beaucoup plus ambiguë. Serait-il possible que nous persistions à parler de nous alors même que nous savons que ce n’est pas vraiment de nous que nous discourons? Oui, cela semble assez vraisemblable, voire courant.  Quelque chose d’un jeu d’étiquettes et d’apparences sociales jouent ici. Une erreur que l’on accomplit consciemment pour ne pas rompre le charme des convenances ou d’une forme d’auto-complaisance devient une illusion et cela rentre totalement dans le sujet. Nous réalisons à quel point ce sujet concerne aussi l’illusion mais aussi qu’il attend de nous que nous envisagions réellement et froidement la possibilité qu’entre un moi qui dis je et ce « je », il se peut qu’il y ait une altérité, une dissociation radicale. C’est même cela le fond du sujet: se pourrait-il que dés que nous parlons de nous, nous « délirions », ou nous mentions, nous parlions sans aucun référence au réel? 

                    Il se trouve que l’expression « erreur sur la personne » a un sens juridique ». Il désigne la possibilité d’annulation d’un contrat lorsque « les qualités essentielles » de l’un des contractants ont été dissimulées, tronquées. Il convient également que cette personne soit un élément fondamental du contrat. Selon l’art 180 du Code civil, un mariage peut être annulé si l’un des époux s’est trompé sur les qualités essentielles du conjoint. Par "qualités essentielles « on peut entendre qualités physiques, intellectuelles ou morales. Supposons que le mari ait dissimulé qu’il avait un passé d’alcoolique ou de joueur addictif. Cette omission volontaire peut être cause de la rupture du contrat. Pour prendre un autre exemple si une personne ment sur son âge pour contracter une assurance vie, le contrat peut également être annulé.

Selon le site « cours de droit.net", cette notion d’erreur sur la personne claire en théorie présente deux difficultés en pratique: 1) la solvabilité 2) La notion de   « personne morale »

  


Supposons que je me sois porté caution d’un ami locataire qui ne parvient pas à payer son loyer au propriétaire. C’est à moi de payer à sa place. Peut-on invoquer l’erreur sur la personne pour signifier que l’on ne savait pas que cette personne était insolvable, qu’elle avait perdu son emploi ou d’autres raisons? Apparemment au vu des jugements rendus en cette matière, la réponse est plutôt « non ». Etre « la caution »  d’un ami ou d’un proche suppose que l’on estime connaître la personne dont on se porte garant et la loi statuera dés lors contre moi.

La notion de personne morale est souvent utilisée pour désigner des entreprises. Or il est possible que l’on est signé un contrat avec une entreprise mais que celle ci soit reprise par une autre. Ici, il est possible d’invoquer cette notion d’erreur sur la personne morale pour ne pas honorer le contrat signé. 

Qu’est ce que ce détour par le Droit nous apporte concrètement sur ce sujet?  Enormément de choses: d’abord la notion de « qualités essentielles ». C’est comme si le droit français nous amenait à distinguer les qualités accessoires, accidentelles et celles qui définissent l’essence d’une personne.  Ne suis-je que l’ensemble de mes qualités essentielles? Dans un texte célèbre, Pascal répond finalement « oui » à cette question. Il y a des qualités qui nous définissent en tant que personne. Si nous les connaissons, il semble bien dés lors que l’on ne puisse pas faire erreur sur la personne. On pourrait donc parler de soi-même sans se tromper.

Ensuite, nous pouvons réfléchir à ce concept  juridique de garantie.  Puis-je me porter garant de moi-même? Peut-on envisager de vivre en société sans ce principe de garantie par le biais duquel, aussi trouble que puisse être ce rapport à soi, on se retrouve quand même en charge de soi. Avec cette notion de solvabilité et finalement de garantie c’est bien la question de la responsabilité qui se pose à nous.  Dans quelle mesure le fait de parler de soi ne bénéficierait-il pour le moi s de cet avantage de nous mettre en charge de nous-mêmes, de prendre conscience de la nécessité de se porter caution de soi-même en un sens plus large que strictement financier?

  

Enfin le problème de la personne morale nous révèle le point crucial de l’unité de la personne. Une entreprise peut prétendre et acquérir l’unité d’une personne juridique. Pour parler de soi, on pourrait dire qu’en un sens il faut se dissocier mais toute la question est de savoir dans quelle mesure cette dissociation aide ou pas à revendiquer l’unité morale de Sa personne, étant entendu que par « sa » on entend juste un statut et pas du tout son vécu intime et personnel.

   

« Parler de moi-même »: en effet, nous parlons de nous-même dés que nous utilisons la première personne. En un sens, le sujet nous demande de réfléchir à la possibilité que cette première personne qui existe bel et bien grammaticalement soit en réalité une sorte « d’incongruité de la langue », c’est-à-dire ne repose en fait sur rien, comme une sorte de convention aussi admise que vide.  Mais d’une part, nous mesurons bien à quel point dés lors nous nous serions construits sur cette incongruité même, comme un château de cartes qui ne reposerait en réalité sur rien, d’autre part cette éventualité contrarie une donnée élémentaire de notre existence qui réside dans le fait que nous nous sentons bel et bien vivre et qu’il nous semble bien au contraire que ce retour à soi de nos sensations pointe vers une réflexivité, vers un être pour soi, comme dit Hegel, bref vers une conscience. Tout sujet de philosophie contient un potentiel de destruction, de remise en cause, de dynamitage de nos idées reçues et la puissance d’impact de celui-ci commence à se manifester à nous, avec un certain effroi. Si c’est une erreur sur la personne que de parler de soi, alors qui suis-je? Cette question a-t-elle un sens? Cela signifierait-il qu’une langue sans première personne serait plus exacte, peut-être qu’une langue sans personne du tout serait plus juste? Quel crédit philosophique convient-il d'accorder au ressenti d'exister non seulement en soi mais aussi pour soi?



                Quelque chose est néanmoins plus clair après cette analyse des termes, c’est qu’il y a une perspective radicale dans la façon dont ce sujet est libellé, d’abord parce que l’expression: « erreur sur la personne » est littéralement sans ambiguïté. Si je réponds « non »  à la question, cela veut dire que « parlant de moi », je parle en réalité de quelqu’un d’autre qui n’est pas moi. L’utilisation juridique du terme nous permet certes d’alléger un peu cette radicalité: faire erreur sur la personne, c’est s’être mépris sur ses qualités essentielles mais, en même temps, ce détour par le droit approfondit le questionnement ainsi que notre embarras car honnêtement qui peut prétendre connaître de soi-même les qualités essentielles qui constituerait notre personne? 

Faire erreur sur la personne, c’est prendre telle personne pour une autre, c’est « confondre des identités ». Même à être prise métaphoriquement (ce qui semble nécessaire puisque autrement la réponse ne pourrait être que « oui ») la possibilité émise par le sujet (selon laquelle parler de soi pourrait être une erreur faite sur la personne) pointe vers la notion d’altérité. Jusqu’à quel point le fait de faire de soi-même l’objet de sa propre prise de parole, de son discours, n’entraînerait-il pas une dissociation fondamentale, une sorte de dédoublement étrange qui culminerait dans un détachement radical jusqu’à se scinder radicalement et créer de toutes pièces un « autre ». Parler de soi, ce serait créer un autre que soi, une sorte de « clone » qui finalement s’éloignerait paradoxalement à mesure que l’on prétendrait préciser l’auto-portrait. C’est finalement ce paradoxe là qui est interrogé: celui de la conscience que l’on a de soi, celui de la parole qu’on libère sur soi, n’existerait-il pas dans cette tentative de clairvoyance, de lucidité, de transparence une sorte de «  vice de forme » par le biais duquel, plus on croit « se dire », plus on se perd de vue, plus on complète le portrait de celle ou celui qu’on n’est pas, plus on se trompe soi-même et les autres. 

Mais même si nous trouvons des arguments en faveur de ce vice de forme (et évidemment nous en trouverons), le sujet ne manquera pas de se relancer par la perspective suivante: bien qu’il existe nécessairement dans toute tentative de s’auto-portraiturer un soupçon ou un risque d’erreur propre à la forme même de la tentative, y-a-t-il vraiment moyen de faire autrement? Ne vaut-il pas mieux oeuvrer en vue de réduire  le plus possible cette erreur inévitable plutôt que se retenir radicalement de toute tentative de définition de soi? On serait alors tentés de répondre que l’on peut parler de soi sans faire complètement erreur sur la personne, et dans ce « pas complètement », c’est finalement la marge d’erreur de tout mot à l’égard de la chose qu’il signifie qui est pointée. Certes nommer, c’est forcément rater ce que l’on nomme, parler de soi, c’est nécessairement faire erreur sur la personne mais c’est quand même aussi en « faire signe » et de soi-même, il n’y a rien autre à faire sur soi-même: faire signe. 

  

Mais pourquoi, dés lors, nous entêtons-nous dans cette impasse? Pourquoi sacrifions nous tant de temps, de parole, d’énergie à une tâche vouée à l’échec? N’est-ce que par narcissisme? Non il se pourrait bien que cet acte revête un sens éthique et qu’au-delà du plaisir égocentrique de s’attarder sur le moi, le devoir de jouer le rôle d’auteur de nos actes pèse sur notre existence. Nous nous trompons sciemment sur la personne parce que nous revendiquons le statut de « personne ». Aussi impossible que soit la définition de soi en tant que personnalité, la responsabilité d’assumer, en tant que personnes, nos actes, nos pensées et notre existence est incessible.

Le terme de « personne » est donc le dernier sur lequel il convient de nous pencher dans cette analyse. Il se pourrait que parler de soi ne fasse qu’entretenir un mythe: celui d’une identité stable, posée, effective, «  Une », mythe aussi fallacieux que nécessaire à toute vie en société. Efforçons-nous en effet de percevoir la réalité le plus littéralement possible. Dans la « réalité », ce qui « arrive », ce sont des faits, des actes, des affects, des chocs, des tremblements. Nous tenir et nous maintenir à ce niveau de lecture de la vie, semble très difficile et il est bien plus facile d’assigner à cette production incessante d’actions des « auteurs »:

- « Regarde ce que TU as fait » dit la mère en colère à son enfant maladroit 

En vérité, la destruction de cette pile d’assiette, ou l’oubli de telle ou telle directive fait entrer en ligne de compte une multitude d’autres paramètres. L’assignation d’une action à une personne a cet avantage de souligner dans un monde physique brut saturé de forces, de mouvements, d’énergies, de rapports de forces, toutes plus diverses les unes que les autres, le facteur humain et seulement lui. Nous choisissions d’interpréter et d’aborder les faits qui se produisent sous le seul angle du rapport à l’humain, au sujet susceptible de dire « Je » de telle sorte qu’il deviendra possible de régler les affaires du monde comme si elle n’étaient que des affaires humaines, ce qui, évidemment, est faux.

C’est un peu comme si nos facultés de perception ne pouvaient que discerner les lignes de responsabilités humaines dans un milieu où tant d’autres causalités jouent et s’entrecroisent, causalités d’ordre purement physiques. A cette hauteur là, parler de soi consiste à entretenir un mythe peut-être nécessaire dans la mesure où l’être humain ne semble pas capable de regarder ce monde là en face, monde grouillant littéralement de cette multitude de croisements factuels, bruts incessants au sein duquel ne cessent de se produire des évènements dans le tourbillon desquels l’homme est pris, au même titre que toutes les autres composantes de l’univers. Nous faisons semblant de croire à nous-mêmes pour ne pas avoir à affronter la vérité d’un monde « non-humain » au sein duquel rien jamais ne se passe « personnellement ». Sans jeu de mot, nous faisons erreur sur la personne pour ne pas avoir à reconnaître que nous ne sommes « personne ».

 


Il faut savoir en effet que le terme de personne vient du latin persona qui désignait le masque portée par les acteurs de théâtre pour incarner un personnage. Le psychanalyste Carl Gustav Jung reprend le fil de cette étymologie pour inventer le concept de « persona » (per-sonare) , lequel désigne dans ses thèses « ce que quelqu’un n’est pas en réalité mais ce que les autres et lui-même pensent de lui-même. » Nous sommes toutes et tous tenus de nous identifier au personnage que nous devons incarner dans la société pour ne pas être exclus par elle. Se prendre pour sa personne, c’est finalement entretenir la confusion entre moi et notre masque social, ce qui immanquablement nous conduit à ne plus savoir du tout qui nous sommes réellement. Nous mesurons bien ici tout ce que ce concept de persona chez Jung apporte au sujet: parler de soi-même peut revenir à entretenir cette confusion avec la persona de telle sorte qu’en effet il y a erreur sur la personne, mais en même temps, c’est notre désir d’être reconnu en tant que persona qui engendre cette perte profonde d’identité. Nous voulons tellement en incarner une (et la plus convenable possible) que finalement nous perdons le contact avec nous-mêmes.

Dans un film d’Ingmar Bergman « Persona », on voit une actrice Elisabeth Vogler, cesser du jour au lendemain de parler, et être hospitalisée. La psychiatre qui la connaît bien s’adresse à elle en ces termes: 

   


LA PSYCHIATRE: « Tu crois que je ne comprends pas… ? Le rêve impossible d’exister. Pas seulement avoir l’air, mais exister vraiment. À chaque instant, consciente, vigilante, toujours divisée entre ce qu’on est pour autrui et pour soi-même. La sensation de vertige et le désir constant d’être enfin démasquée. D’être dévoilée, réduite, et peut-être même anéantie. Chaque intonation est un mensonge, chaque geste, une tromperie, chaque sourire, une grimace. Se suicider ? Non ! C’est trop affreux. Ça ne se fait pas. Mais on peut être immobile. On peut se taire. Au moins, on ne ment pas. On peut s’enfermer, se replier. Comme ça, plus de rôle à jouer, plus de grimace à faire, plus de geste mensonger. Du moins, on le croit. Mais la réalité est méchante. Ta cachette n’est pas assez étanche. La vie s’infiltre partout. Tu es obligée de réagir. Personne ne se demande si c’est sincère ou pas, si tu es vraie ou fausse. Ces questions ne comptent qu’au théâtre, et encore… Je te comprends Elisabet. Je comprends que tu te taises, que tu sois immobile. Que tu aies fait de cette apathie une méthode extraordinaire. Je comprends et j’admire. Tu dois jouer ce rôle jusqu’à ce qu’il soit épuisé. Qu’il soit dénué de sens. Alors tu l’abandonneras. Comme tu as, au fur et à mesure, quitté tes autres rôles. »

Cette analyse première éclaire considérablement la thèse du film, film dont il faut préciser d’ailleurs que Bergman l’a qualifié ainsi: « Je sens aujourd’hui que dans Persona je suis arrivé aussi loin que je peux aller. J’ai touché là en toute liberté à des secrets sans mot que seul le cinéma peut découvrir. » La tirade de la psychiatre permet de comprendre certains de ses « secrets dans mot ». La « persona » au sens Jungien du terme, c’est finalement ce qui frappe d’inauthenticité notre rapport aux autres et à l’existence même. Nous sommes tellement dépendants de la considération des autres que nous préférons faire semblant de vivre plutôt que d’être vraiment là, existant. L’intelligence des rôles développée par Elisabeth dans son métier lui permet d’acquérir une perception très pointue de ce mécanisme infiniment pervers. Elle choisit donc de ne plus parler, parce que les mots assurent un rôle fondamental dans cette comédie continuelle. Comme le dit la psychiatre, elle fait de l’apathie une méthode. 

    


Toutefois, elle est vouée à échouer selon la psychiatre car ce n’est qu’un rôle de plus. En d’autres termes, la persona est si insistante, si ancrée dans nos moeurs, que même cette tentative échouera parce qu’après tout, le silence d’Elisabeth est lui aussi « joué ». La fin du film est d’ailleurs assez claire sur ce point. Dans la dernière scène, on voit une infirmière avec laquelle Elisabeth a passé un long séjour prés de la mer lui demander de dire: « rien ». Elle accepte et de ce fait, c’est le seul nom qu’on l’entend prononcer dans ce film.  Elisabeth est exactement comme chacune et chacun d’entre nous. Elle cesse de ne rien dire pour dire ce « rien » qu’elle est, et il n’y a pas grand chose que nous pouvons dire de nous sans faire erreur sur la personne à cause de la persona.  Le discours de la psychiatre est très puissant aussi bien psychologiquement que philosophiquement mais en même temps, elle a probablement projeté sur sa patiente ce qu’elle éprouve elle-même de cette comédie sociale, et c’est la même chose pour l’infirmière Alma qui en l’accusant de ne pas être une bonne mère transfère sur elle sa culpabilité pour avoir avorté.  Ce film répond très explicitement à la question du sujet et il répond « non ».  

En racontant l’histoire d’Elisabeth, Bergman ne fait que filmer la décision d’une femme qui a parfaitement perçu le fond de toute vie sociale humaine. « L’homme est bien un animal politique » comme dit Aristote (par politique il faut entendre « social ») mais c’est aussi ce qui fait de lui un être inauthentique habité par « le rêve impossible d’exister », et cela à cause de « la persona » Jungienne. Il existe donc un fond d’incompréhension radicale entre les humains non seulement parce qu’ils ne disent jamais  la vérité de ce qu’ils sont mais aussi parce qu’ils ne cessent de percevoir les autres en projetant sur eux ce qu’ils pensent d’eux-mêmes (en se trompant). 


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