Ce qui suit est un résumé très abrégé du cours qui décrit seulement les articulations du traitement de la question - Il ne remplace aucunement la lecture des deux articles qui composent le cours en entier et qu'il est conseillé de consulter dans la perspective du DS.
Le développement et la succession des parties sont vraiment des éléments à prendre en compte pour comprendre ce cours. C’est la raison pour laquelle il peut être éclairant de reprendre les articulations en insistant sur les références. On doit insister sur le fait que la structure de ce cours est assez identique à celle d’une dissertation de baccalauréat (mais sans la limite du temps de l’épreuve: l’analyse des textes et leur mention sont évidemment plus travaillées).
Dans cette démarche il faut vraiment mettre à part le tout début qui aurait pu se limiter à pointer la difficulté d’un tel sujet, ce que l’on pourrait appeler son « endless loop », c’est-à-dire cette étrange tournure qui finalement nous ramène toujours au « non », ou plus exactement au fait que cela ne peut pas être un mensonge puisque soit on le sait et on n’est pas dupe, soit on se trompe effectivement, totalement mais alors cela remet en cause la notion de moi « même », pourtant présente dans le sujet.
Si je peux me mentir à moi-même comme à un autre, alors cela signifie que je peux être autre à moi-même ou bien qu’il y a en moi de l’autre à moi, et que donc nécessairement la proposition selon laquelle « je suis moi » est fausse, faillible.
Ce dernier terme est intéressant: « faillible, faille ». Il y a en nous la possibilité de la dissociation, de la dissimulation totale ou partielle de « quelque chose », comme si exister était une expérience traumatique que nous ne pourrions appréhender qu’en nous divisant, qu’en séparant en nous celle ou celui qui la vit et celle ou celui qui se dit, qui se voit en train de la vivre. Est-ce que nous nous mentons à nous-mêmes ou bien est-ce qu’« on se la raconte », comme on dit. « Tu te la racontes »: "t’es en train de te raconter une belle histoire mais c’est juste une histoire! "
Que ce soit l’une ou l’autre de ces possibilités il faut être deux (le conteur ou la conteuse et celui ou celle qui écoute et éventuellement croit (ou pas!)) et ce dédoublement pose question parce qu’il est aussi impossible qu’incontournable. C’est ici qu’il nous faut prendre à bras le corps ce sujet:
- ce dédoublement est incontournable parce qu’il faut être aveugle ou stupide pour ne pas voir que nous nous mentons continuellement à nous-mêmes en société en jouant sincèrement un rôle qui n’est pas ce que nous sommes (persona, paraître, désir d’intégration à des groupes, à des milieux à des classes sociales, désir d’être identifié.e comme étant ceci ou cela, dans les réseaux sociaux avec tel ou tel profil, etc.)
- Ce dédoublement est impossible parce que subsiste une forme même affaiblie de vigilance, cette ligne d’attention à soi par l’entremise de laquelle je ne suis jamais complètement dupe de ce que je me raconte à moi-même comme étant la réalité (alors que je sais bien que c’est faux et que cela m’arrange de faire comme si c’était la réalité). Peut-on maintenir le souci de vérité de façon suffisamment forte et sincère pour se connaître soi-même et ne pas tomber dans l’hybris (cette démesure qui nous guette dés que nous nous perdons de vue nous-mêmes)? Il faut peut-être que nous ne renoncions pas facilement, voire pas du tout, à la possibilité de répondre « oui » à cette question, c’est-à-dire « non au sujet donné.
Dans le cours, je consacre beaucoup (trop) de temps et de place à cette question (notamment avec la référence au somewhere, etc: ça ce n’est pas trop important, vous pouvez zapper). La mention du « connais toi toi-même! », par contre doit être comprise. Il faut que ce qui suit soit bien compris, totalement assimilé:
Autant il est évident que scientifiquement, logiquement et éthiquement nous ne pouvons pas nous mentir à nous-mêmes, autant il est évident que psychologiquement, socialement, culturellement (au sens où nous sommes des êtes culturels et pas naturels) nous le faisons. De ceci découle avec évidence le fait que cette question a une dimension anthropologique (qu’est-ce qui se joue de notre statut d’être humain dans cette possibilité?) Est-ce que finalement nous ne nous constituerions pas comme marque de fabrique de notre condition humaine d’habiter psychologiquement une impossibilité logique et éthique fondamentale: celle de se mentir à soi, d’être donc fondamentalement un être distordu, et, en ce sens, voué à la perversion? (En fait ce n’est pas seulement un sujet sur l’inconscient psychique mais aussi sur le mal, et cela explique la référence à Gombrowicz - les animaux peuvent parfois se comporter d’une façon extérieurement perverse, comme le chat qui joue avec la souris, par exemple, ou le phasme avec l’insecte, mais pour autant cela ne nous viendrait pas à l’esprit de dire que le chat ou le phasme sont pervers).
Voici le plan développé dans le cours (dans le cours c’est 3, 4 et 5 mais en fait dans une dissertation ce serait numéroté comme suit (retenez bien ça parce que vous allez avoir à faire des plans) - Il faut absolument que vous travaillez la connaissance des références et des auteurs étudiés (il y aura forcément des questions là dessus)- Je veux parler de Pascal, René Girard, La genèse (ancien testament), Freud, Gombrowicz, Jean-Paul Sartre, Aristote, Giorgio Agamben, l’aidôs :
- Distorsion et divertissement ( Pascal- René Girard - La genèse)
a) Le déni
Mais pourquoi faudrait-il que nous nous mentions? Parce que quelque chose nous a traumatisé, parce que la réalité est trop dure à avaler. Quelle réalité? Le fait que nous n’avons aucune idée de ce que nous faisons ici et que notre existence est complètement hasardeuse. Elle l’est parce que nous sommes des êtres contingents (nous aurions pu ne pas exister) et aussi parce que nous sommes mortels et que notre fin peut intervenir à tout moment.
Si nous pouvons nous faire à cette vérité, nous serions heureux, mais nous sommes trop faibles, trop faillibles et trop vains (absurdes) pour en être capable, d’où les divertissements, le fait que nous passions notre vie à faire autre chose que ce qui nous permettrait de nous connaître et de nous admettre nous mêmes. Du coup, on travaille, on s’agite, on se disperse, on fait tout pour ne pas avoir à se confronter à l’ennui et la consternation devant la vérité de notre condition.
b) La nature et le péché
Plus que cela encore, c’est notre nature qui nous rend incapable de cette fermeté, de cette justesse, de cette éthique. Cela vient du fruit défendu. On se rend compte alors que les humains ont sciemment choisi la contingence. Eve et Adam ont mangé le fruit ce qui leur a donné la conscience et la finitude, la mort, la mortalité. S’ils arrivaient à s’y tenir, ça irait très bien mais justement nous n’en sommes pas capables et nous vivons dans le regret du paradis perdu. C’est aussi pour cela que nous nous divertissons parce que nous ne sommes même pas capables de tenir fermement au choix d’Eve et Adam. Nous regrettons l’éternité heureuse des fruits de l’arbre de vie.
c) Le désir mimétique
Pascal est bien conscient qu’il y a un problème dans sa démonstration: on ne voit pas comment ni pourquoi les êtres humains, aussi faillibles et peccables qu’ils soient se divertiraient avec une telle frénésie, avec un tel enthousiasme si n’agissait pas en eux une certaine intuition même confuse de la vérité. On ne peut pas échapper à une angoisse sans avoir une certaine idée de cette angoisse. A cela il y a deux réponses:
- Celle de l’instinct secret (intuition d’une forme d’inconscient)
- Celle de l’amour propre et de la rivalité - or dans cette cause là nous retrouvons la thèse essentielle d’un auteur célèbre du 20 e siècle (René Girard) : le désir mimétique. Les êtres humains désirent ce que les autres désirent. On mesure la vanité des humains quand on réalise que finalement ce que nous faisons semblant de désirer ne nous attire pas en soi, mais seulement pour pouvoir apparaître aux yeux des autres comme en possédant la jouissance. Ici nous retrouvons bien tous les ressorts de la société d’hyper-consommation dans laquelle nous vivons. Quiconque regarde l’intérieur de tout habitation humaine dans la société occidentale y verra un luxe d’objets inutiles et vains qui ne doivent leur présence qu’au pratique de pouvoir apparaître aux yeux des autres comme possédant ceci ou cela. Nous nous mentons à nous mêmes dans nos achats et dans les signes extérieurs de richesse et de pseudo-bonheur que nous voulons envoyer à nos semblables (pour pouvoir nous imposer à eux comme supérieur à eux)
- L’hypothèse de l’inconscient
a) le refoulement
Pascal évoque donc un instinct secret et Freud (20e siècle) va donner à ce secret un sens extrêmement puissant qui dépasse largement du cadre de la pensée de l’auteur français (17e siècle). Il se produit aussi une totale inversion des termes du problème avec Sigmund Freud: ce n’est pas parce que l’être humain est malade, traumatisé qu’il se ment à lui-même, c’est parce qu’il se ment à lui-même qu’il est malade et qu'il faut donc le soigner ou du moins l’aider à voir un peu plus clair (enfin un peu moins sombre) en soi.
Mais pourquoi nous mentons nous et est-ce vraiment du mensonge au moi? Nous sommes à la fois des créatures dotées de pulsions sexuelles à la naissance et des êtres socialisés. De là va naître un conflit entre le ça (pulsions sexuelles) et le sur-moi (intériorisation des interdits et de l’instance de l’autorité (paternelle). Nous sommes donc toutes et tous des sexualités refoulées qui avons à nous construire nous-mêmes sur cette dualité conflictuelle.
b) Le moi comme processus
Mais ici encore il faut inverser les termes du problème, ce n’est pas parce que nous avons dés le départ un moi doté d’une sexualité que nous mentons à ce moi, c’est sur la base de ce conflit qu’un moi se construit « comme il peut » (c’’est-à-dire de façon fragilisée, poussive, processuelle, inachevée, toujours en chantier). Qu’en est-il du mensonge alors? Il se manifeste essentiellement dans le déguisement emprunté par les pulsions refoulées dans l’inconscient qui vont tout faire pour se manifester de façon dissimulée mais néanmoins effective et violente au sujet. Le mensonge à soi c’est le déguisement du refoulé, mais en même temps, ce moi auquel « on » ment n’est pas une instance figée, close sur elle-même Le grand apport de Freud, c’est de nous faire comprendre que le moi n’est ni naturel, ni défini, ni substantiel. Il fait ce qu’il peut pour « tenir » dans une situation difficile, problématique qui l'écartèle entre deux directions contraires (la sexualité et la culture ou la socialisation)
c) la tentation du non sens (Witold Gombrowicz)
Lorsque Freud affirme que « tout enfant est un pervers polymorphe », il veut simplement dire que l’on ne peut pas être enfant sans orienter ses pulsions sexuelles dans d’autres directions que celles de la sexualité dite « reproductrice ». Eu égard à ce que la société va lui imposer par la suite, tout enfant est « un monstre », notamment incestueux. Mais Gombrowicz donne à cette notion de perversité un sens différent plus profond philosophiquement. La perversité est bien de l’immaturité mais aussi au sens métaphysique, anthropologique. Il nous est toutes et tous déjà arrivé de nous imaginer l’horreur de la chose à ne surtout pas faire, le « couac » scandaleux, inadmissible du ridicule ou bien tout simplement de la littéralité absolue dans une cérémonie ou un rite. Après tout dans une messe chrétienne, un homme fait boire à certaines personnes du vin et leur fait manger du pain. C’est le rite de l’eucharistie. On s’agenouille mais pourquoi? La perversité, est-ce que ce ne serait pas aussi, ce qui justement au coeur du mensonge déjoue le mensonge. Mais est-ce vraiment du mensonge?
C’est ici qu’est développée la référence au visage (le philosophe utilisé ici est Emmanuel Lévinas). Quand vous voyez un visage, après tout vous voyez de la chair, de la peau, mais il est vraiment singulier que vous ne la perceviez pas comme ça. Consciemment ou pas, un visage s’impose à vous comme « signifiant ». Cela ne veut pas dire que vous sachiez ce qui est signifié (parce que le visage change sans cesse d’expressions) mais tout en étant du corps, un visage est perçu différemment comme ce qui porte en soi, un message, une forme de sacralité. Bien sur il est possible de faire mal à la personne qui porte un visage mais en même temps, vous savez bien que cette agression est abjecte, interdite, inadmissible et vous le savez par le visage qui implique une forme de sainteté, de sacralité. De faite, même chez Gombrowicz, « la messe est dite » et nous réalisons que ce n’est pas un mensonge que de reconnaître le visage d’autrui ou bien qu’il y a des espaces religieux dans le monde, c’est une évidence (un peu comme le monolithe de 20001 odyssée de l’espace). Ici quelque chose de fondamental apparaît dans le cours: on peut se mentir à soi-même en faisant semblant d’être à la messe ou de respecter le visage de l’autre mais il y aussi une forme de justesse éthique à respecter aussi bien la messe que le visage, Parce que de fait « il y a » du sacré. L’eccéité c’est du sacré.
- La puissance de ne pas…
a) l’acte et la puissance
Le sujet gagne en intensité et en complexité (en philosophie, les deux vont toujours ensemble). Nous ne pouvons comprendre la profondeur du passage de Gombrowicz qu’en saisissant l’importance de la notion de conscience. L’être humain est conscient, ce qui signifie qu’il se voit et se sait agir quand il agit se sait penser quand il pense, se sait ressentir quand il ressent. Frédéric peut s’agenouiller pour ridiculiser l’agenouillement parce qu’il sait qu’il s‘agenouille. Il en est "conscient". En tant qu’être conscient, nous sommes constamment en train de nous dédoubler et du coup, nous pouvons agir de façon adéquate, intègre ou pas (distordu) .
Chez Aristote, nous retrouvons cette référence à l’âme réflexive (qui fait retour sur soi comme conscience) et la distinction entre l’acte et la puissance (potentiel)? C’est fondamental parce que nous réalisons que ce n’est pas parce que nous nous représentons à nous mêmes une chose, un projet, une possibilité, un désir que nous cédons nécessairement à cette représentation.
Dans le prolongement de ce qu’affirme Aristote, nous pouvons poser la distinction entre le pouvoir et la puissance, notamment en la situant dans le face à face avec le visage de l’autre. Je sais que je vois le visage d’autrui et que je peux l’agresser, le tuer, l’asservir, etc. Mais j’ai la puissance de ne pas exercer ce pouvoir là. La domination est une intention qui sommeille en chacune et en chacun mais qui voisine avec la puissance d’en suspendre la réalisation.
b) Perversité et mauvaise foi
Jean-Paul Sartre choisit de situer la question de la perversité dans le contexte de la séduction amoureuse. La femme (mais ça pourrait tout aussi bien être le « mâle »). On pourrait croire de prime abord qu’elle suspend le choix, qu’elle exerce sa puissance en laissant sa main dans celle de son séducteur, mais ce n’est pas le cas. Ici la suspension consisterait à retirer sa main, à préférer ne pas….C’est important parce que nous voyons bien ici que la puissance de ne pas se mentir à soi-même coïncide avec la capacité à ne pas se dissimuler à soi-même la réalité stricte de la situation. L’exemple de Sartre ne résout rien du tout, en fait à moins de s’interroger sur les sentiments de la femme en question. Si elle est amoureuse, pourquoi retirerait-elle sa main? Sartre dévoile une dimension possible du mensonge à soi qui éclaire bel et bien l’ambiguïté des relations amoureuses. Mais après tout, c’est ce que veut dire René Girard. Il peut nous arriver de nous mentir à nous-mêmes parce qu’en nous se trouble et se parasite mutuellement ce que nous éprouvons réellement et l’image de celle ou celui pour qui nous voulons être pris, vu, fantasmé.
Si nous voulons bien saisir cette distinction entre la puissance et l’acte chez Aristote, il faut définir d’autres concepts en lien avec ces deux notions. Rappelons que la puissance c’est la possibilité. Le marbre contient en puissance la statue que ‘son peut en extraire. La forme est ce qui fait qu’une chose est cette chose. Par exemple, il y a la forme du marbre et la forme de la statue pour que l’on puisse donner naissance à la deuxième à partir d ola première, il faut l’acte du sculpteur. Mais ils serait plus éclairant ici de prendre un exemple plus en prise avec le vivant. Il y a le chêne et puis le gland du chêne qui en est le fruit. Le potentiel de ce gland; sa puissance est de devenir un chêne mais qui va lui permettre d’arriver à cet aboutissement? La nature, la physis, la force de croissance. Qu’est ce qui agit ici? La nature grâce à laquelle le gland va accomplir sa puissance en devenant un chêne, étant entendu que cet accomplissement est aussi ce que l’on appelle son « entéléchie », sa perfection.
Le pouvoir n’a rien à voir avec la puissance qui revêt quelque chose de métaphysique, de naturel. Le pouvoir est une notion purement « humaine », c’est l’exercice d’une force que l’on nous déléguée ou bien que nous nous sommes appropriés, force de contrainte qui n’est pas du tout naturelle et qui n’a rien à voir avec l’entéléchie, avec la perfection dont nous sommes potentiellement doté.e.s.
La femme qui est draguée et dont le « séducteur » prend la main est parfaitement consciente de la situation. Elle comprend bien que laisser sa main comme ça n’est pas vraiment possible. Elle fait comme si ce fait ne s’était pas produit, un peu comme les gens qui font comme si telle ou telle femme dans une rame de métro n’était pas ennuyée par des harceleurs. Evidemment les conséquences sont bien moindres et beaucoup moins graves éthiquement mais c’est la même capacité à se mentir à soi-même. Elle ne veut pas ne pas se mentir, ce qui imposerait 1) soit qu’elle saisisse à son tour la main de son prétendant (ce qui équivaudrait à un acquiescement de la relation) ou bien qu’elle la retire. Elle fait comme si il ne se passait rien. C’est ce pouvoir de ne pas prendre la situation en compte qui définit ce que Sartre appelle la mauvaise foi. Elle se raconte une autre histoire que celle qui se passe. C’est un pouvoir que sa conscience lui donne mais ici conscience au sens de capacité de représentation d’une autre scène que celle qui se passe en effet. Elle fait semblant, elle choisit le petit plaisir d’être encore « en maîtrise » de la situation plutôt que de laisser libre cours à la puissance d’être en adéquation avec soi soit par la main qui s’ouvre soit par la main qui se retire.
De même aider la femme qui se fait harceler par un ou plusieurs agresseurs, ce n’est pas un pouvoir qu’on exerce c’est une puissance qui se libère, c’est la seule possibilité de jouir de l’intégrité de son être, de ne pas être en porte-à-faux; distordu, perverti, au sens de détourné, menteur de soi à soi. Il faudrait sonder cette parole qui nous vient parfois lorsqu’on nous remercie d’un geste de déférence, laisser son siège à une personne fragile par exemple. Nous disons « c’est naturel ! » Oui, jusqu’à quel point? C’est la même chose ici, mais ce n’est pas du tout le même naturel faillible et peccable de la perspective Pascalienne. C’est le naturel d’une puissance, d’un potentiel. Je ne peux pas me sentir exister (âme réflexive) sans partager avec tout ressenti d’existence une forme de continuité qui arrive à sa pleine et naturelle puissance quand je réponds à sa détresse, quand je réponds à son cri. Il y a bel et bien action, intervention mais elle va réellement de soi parce qu’il y a quelque chose de cette conscience réceptive qui se prolonge dans l’appel de la conscience en détresse.
La femme se ment à elle-même, fait comme si sa main n’était pas cette chose morte dans les mains de son prétendant. Elle procrastine (ce qui selon Edgar Poe est la définition même de la perversité). Elle se rassure en profitant du petit plaisir de jouer sur tous les tableaux: tout le monde voit qu’elle est courtisée, son prétendant est en train de se faire plein de plans, elle-même peut se dire qu’après tout le oui et le non restent là, en balance. Mais elle est aussi en train de « se la jouer », de limiter absurdement le flux de sa puissance d’exister, de la même façon que quiconque n’intervient pas pour aider la femme harcelée est en train d ‘être moins ou d’être « chichement », « à l’économie », comme si chaque instant qui passe était autre chose pour nous que le temps venu d’être et d’être heureux, c’est-à-dire d’être simplement à la hauteur de sa puissance de son entéléchie, d’être exactement ce que la situation réclame de nous.
c) L’aidôs
Ne pas se mentir à soi-même (puissance) alors même que nous le pourrions (pouvoir), c’est la clé qui définit l’être humain comme une créature éthique, dotée d’une intériorité réflexive. C’est à cette condition exclusive que nous pouvons exister (dans le film Pierre ne peut plus exister, il n’a plus d’intérieur, plus de réflexivité, plus d’âme). En fait nous retrouvons ici le concept très ancien; l’aidôs ( c’est la qualité dont Zeus a gratifié les humains après que Prométhée leur ait donné ce qu’il avait volé aux dieux; le feu et l’habileté technique). Aidôs est un terme grec très difficile à traduire mais que l’on peut assimiler à « retenue ». Ce qui définit le plus précisément et le plus justement l’être humain ce n’est pas qu’il puisse se mentir à lui-même mais qu’il puisse se constituer comme une puissance de ne pas le faire étant entendu qu’il pourrait le faire (pouvoir). C’est aussi cela l’aidôs.
- Conclusion
Peut-on se mentir à soi-même? Evidemment « oui » et nous avons bien vu à quel point cette possibilité était caractéristique, profonde, spécifique. Mais tout dépend de ce que l’on entend par « peut-il »? Il le peut parce qu’il en a à la fois la puissance et le pouvoir mais que justement son ethos, sa vérité et son bonheur dépendait entièrement de sa capacité à maintenir cette puissance en tant que puissance inaboutie. SI l’être humain dispose de cette capacité à se mentir à soi-même il jouit aussi de cette aptitude à « être », à s’effectuer en tant qu’être humain dans cette puissance qui se retient d’exercer un pouvoir. Par conséquent ce qu’il « est », c’est l’efficience de cette puissance toujours active de ne pas se mentir à soi.


















