«Tout objet technique nécessite pour être fabriqué un savoir-faire. Celui-ci est d’abord étranger à l’apprenti, qui, par la répétition des gestes, l’intériorise sous la forme d’habitus (1). En apprenant à faire un mur, l’apprenti maçon intériorise ce qu’il mettra en œuvre en tant qu’artisan. Dire qu’il connaît le métier veut dire qu’il peut monter un mur selon les règles de l’art. Devant l’oeuvre, en revanche, l’artiste n’est pas tout à fait dans la même situation. Qu’il le sache ou non, il ne produit pas un objet qu’il sait faire, mais justement ce qu’il ne sait pas faire, ce qui n’appartient pas à son habitus. Plus précisément, il apprend, pour une prochaine fois qui n’aura jamais lieu, à faire l’oeuvre qu’il n’a pas encore créée par des gestes qui lui donnent naissance. Il est en train d’apprendre à faire une œuvre qu’il ne connaît pas autrement que par cet apprentissage. (...) Ce serait à peine métaphoriser que de dire que c’est l’oeuvre qui a l’initiative. Mais ce serait une métaphore. En réalité, chaque geste de l’artiste anticipe une œuvre qui vient vers lui parce qu’il la suscite. C’est cette anticipation effectuée qui se donne à voir dans l’exposition, dans la manifestation de l’oeuvre. (...) C’est pourquoi la jouissance esthétique consiste à plonger dans la transparence de l’origine, puisque c’est exactement ce que montre l’oeuvre: aucune autre raison d’être qu’elle-même, aucune autre justification que d’être soi.»
Alain Cugno La puissance du mal
Cette capacité de l’objet technique à installer autour de nous ce double périmètre de sécurité vient concrètement du fait que le fabriquant a construit le produit selon des normes. Aucun objet technique ne vaut par lui-même mais seulement pour l’usage qu’il rend possible. Il existe donc un cahier des charges. Pour donner naissance à ce qui n’est qu’un « moyen de », il faut utiliser des moyens. La nature transitoire de la plasticité de l’objet technique implique ce que l’on pourrait appeler un historique de la performance, un savoir-faire traditionnel. La visée de l’objet dirige le travail du concepteur et l’inscrit dans le passé d’un savoir-faire. Il peut éventuellement essayer d’augmenter l’efficacité mais il lui est impossible de négliger le caractère ancestral de méthodes dans la continuité desquelles il s’inscrit forcément puisque l’objet ne peut être abordé indépendamment d’une fonction qui existe depuis très longtemps. On peut changer le matériau et la forme des verres, mais on le fera toujours dans l’optique de servir à boire. Par conséquent, ce qui est la finalité de l’objet est le point de départ de l’artisan. Nous pouvons observer dans certains métiers comme la menuiserie, l’institution de confréries s’efforçant de maintenir l’usage de méthodes très anciennes (les compagnons du tour de France). On parle alors d’une pratique de son métier qui permet de concevoir des objets dans les règles de l’art, mais on comprend bien que c’est d’artisanat qu’il s’agit, pas d’art tout court au sens que nous lui donnons aujourd’hui. Ce qu’on apprécie alors, c’est l’imprégnation de savoir-faire très anciens par des apprentis d’aujourd’hui qui, devenus maîtres à leur tour, enseigneront à leurs élèves les techniques d’hier. Un bon artisan, en ce sens, est donc un homme qui perpétue la tradition et qui n’invente rien mais qui applique les consignes du bon ouvrage avec respect et minutie.
Alain Cugno fait explicitement référence à cet apprentissage pour caractériser la fabrication artisanale d’un objet. Un outil est le produit d’un processus d’intériorisation d’un savoir faire extérieur par l’artisan. Il faut avoir appris à faire un mur pour être maçon. Aucun bâtisseur n’aurait la prétention de savoir cela tout seul. Finalement il s’agit ici de graver dans la matière de sa gestuelle l’empreinte d’une tradition. Le terme d’ « habitus » est ici très important. Il se distingue de celui d’habitude en ceci que nous sommes relativement passif par nos habitudes. L’habitus marque, au contraire une forme d’activité parce qu’il nous définit. L’artisan donne idée de ce qu’il sait faire par la mise en œuvre d’habitus qui prouve son inscription dans un milieu d’initiés, de spécialistes. Il est l’intermédiaire entre le savoir-faire et le produit, autant dire qu’à aucun moment il ne se trouve devant la matière première, le bois, le ciment, l’argile ou le fer sans idée préalable de la forme ou de l’opération qu’il doit lui imposer. Le face à face avec le matériau n’est jamais « brut », donné. On pourrait presque dire qu’il ne s’effectue pas au présent dans la mesure où il sait avant ce que le produit sera après. Le travail du technicien sur le matériau est le passage d’un « préalable » à un « résultat » sans passer par la case « expérience présente ». Il n’est aucunement question de faire droit aux qualités propres de l’élément travaillé. Le menuisier travaille moins le bois qu’il ne construit déjà une chaise, et cela à cause de l’habitus dont il est imprégné. Le travail de l’artisan décrit un processus par le biais duquel le passé d’une tradition ou d’un plan préconçu a l’avenir d’une fonction sans qu’une rencontre avec une plasticité, avec la présence d’une matière ait vraiment lieu. De ce point de vue, la démarche artisanale consiste à faire comme si les caractéristiques données d’un matériau naturel n’avaient aucune existence « propre ». On peut effectivement objecter ici qu’il faut bien qu’il en tienne compte mais il ne le fera que dans l’optique préalable d’un projet. Si tel nœud du bois s’avère difficile à sculpter pour faire le coin du commode, il le contournera peut-être mais il n’en fera pas moins une commode. Ce qui importe ici c’est l’absence totale de neutralité, d’innocence de l’artisan qui ne découvre pas le matériau mais qui ne se porte à lui qu’avec l’idée de le façonner.
Ainsi nous comprenons bien que nous nous situons dans le cadre d’une procédure de reconnaissance par le biais de laquelle l’acheteur appréciera dans la commode, le travail d’humanisation par le biais duquel l’artisan a donné au bois « figure humaine ». Devant elle, il saura quoi faire parce que le menuisier n’a jamais tenté l’expérience d’un face à face pur avec le bois, mais a toujours appliqué les règles d’un savoir faire humain conçu pour constituer un produit prenant place dans un « savoir vivre » humain.
L’artiste ne se situe pas du tout dans les mêmes dispositions. Il n’a pas pour fonction de réconforter l’être humain en lui fournissant des produits empreints de sa marque, de son image. Il n’applique pas les règles d’un savoir faire parce qu’il n’a pas contracté d’habitus artisanal. L’artiste nous ramène à l’existence pure et brute d’un monde « donné », non humain. Il nous met en face de la dimension inhumaine de la présence. La compréhension de cette idée est fondamentale : l’art consiste à nous faire rencontrer une façon « d’être là » que quelque chose dans notre mode de vie humain essaie inutilement de dissimuler. Cette façon d’être là réside toute entière dans le fait de n’inciter à aucune action, à aucune pensée, bref à aucun dépassement vers un avenir éventuel. De ce fait, la rencontre de l’artiste avec la matière première n’est prédéfinie par aucune règle. Le musicien fait simplement l’expérience de la matière sonore et son œuvre ne réside aucunement dans ce qu’il va pouvoir en faire mais dans ce que c’est pour lui que d’être dans un univers dans lequel « il y a du son ». Un musicien explore le son, un peintre explore la lumière, un sculpteur explore les qualités de la densité, de la masse, de la solidité, un cinéaste explore la qualité donnée du monde d’être en images, un écrivain explore la qualité du monde de faire signe.
Un être humain est un peu comme un papillon qui volerait sans cesse de droite à gauche en se disant sans cesse qu’il a autre chose à faire que de vivre au présent. L’œuvre d’art le cloue sur place en lui imposant le moment donné de jouir de la présence donnée d’une réalité donnée. Toute œuvre d’art est un pur « c’est », un « il y a ». Si nous sommes si soucieux de faire passer l’artiste pour un rêveur qui ne voit pas les choses en face, c’est parce que nous soupçonnons inconsciemment qu’il est vraiment le seul à le faire, le seul à nous enraciner dans la vérité d’une factualité qui constitue la seule chose à être vraiment là. Que chacun de nous s’interroge sur la teneur de ses indignations devant certaines œuvres, il y trouvera nécessairement confirmation de cette évidence. « Où veut-il en venir ? » La réponse : « nulle part » est prise par la majorité d’entre nous comme une bonne excuse à son manque de travail parce que nous ne souhaitons pas voir que l’œuvre nous ramène à l’origine de l’existence gratuite de l’univers et de toute chose dans l’univers. Ce n’est pas seulement qu’il ne souhaite pas en venir à ceci ou cela, mais c’est surtout qu’il nous suggère implicitement qu’il n’y a nulle part où aller : « L’œuvre d’art, nous dit Maurice Blanchot, n’est ni achevée, ni inachevée : elle est. Ce qu’elle dit, c’est exclusivement cela, qu’elle est, et rien de plus. En dehors de cela, elle n’est rien. Qui veut lui faire exprimer davantage ne trouve rien, trouve qu’elle n’exprime rien. »
Par conséquent, un artiste ne se présente jamais devant sa matière première avec une idée préalable, c’est exactement dans la mesure où il saura, au contraire, se débarrasser de tout préjugé, de tout prérequis qu’il se révélera à même de faire surgir de la rencontre avec la plasticité brute cette part ingérable, non « humanisable », donnée de la présence. Nous comprenons ainsi ce trouble qui nous gagne devant certaines œuvres quand nous sommes envahis d’un sentiment vague de reconnaissance alors même que nous n’avions jamais vu ou entendu l’œuvre. Avant de voir la toile j’avais bien fait l’expérience des couleurs, avant d’entendre la musique, je connaissais déjà le son mais cette musique a, d’une certaine façon, fait surgir le « son du son » et cette toile les couleurs des couleurs et je ne l’avais pas vu parce que je n’avais jamais joué le jeu de la couleur ou du son mais toujours d’abord celui d’un « avoir à faire humain ».
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’art est, de toutes les pratiques humaines, la plus athée parce qu’à aucun moment il ne se laisse aller à supposer, à croire ou à extrapoler quoi que ce soit. Pour faire une chaise avec du bois, il faut encore croire à un futur de chaise humaine, et plus encore à un avenir fonctionnel de l’espèce, comme si l’homme avait quelque chose à faire d’un monde qui n’attendrait que ça. L’artiste ne croit plus dans tout ceci, sculpter le bois n’est ni plus ni moins que vivre en direct la présence d’une matière « là » et l’artiste ne la sculpte lui-même qu’en tant qu’il est là « aussi ». L’œuvre est le fruit de cet « aussi », il est l’interaction présente d’une rencontre. L’art est l’accomplissement d’un destin étrange dans lequel nous percevons la réalité de notre ancrage dans le flux physique de certains « devenirs élémentaires ». Ce n’est pas que Mozart était fait pour la musique, c’est plutôt que Mozart n’a jamais cessé d’être inscrit dans le devenir du son. Avant nos ascendances familiales, il y a nos ascendances physiologiques, ce mixte de forces physiques dans le creuset duquel nous nous sommes constitués. Toute peinture est une autocélébration de la lumière, la musique une autocélébration du son, l’écriture une autocélébration du signe, c’est-à-dire qu’un être vivant éprouve la nécessité absolue de marquer par son œuvre le rapport senti de son origine, voire de sa texture existentielle (de quoi il est fait) avec le présent. Monet est l’occasion pour la lumière de se composer dans les Nymphéas. Un artiste n’est ni plus ni moins que le trait d’union des forces avec elles-mêmes. C’est en ce sens qu’il est fondamentalement athée : il est le seul à nous rappeler à l’évidence de la teneur exclusivement physique de notre être, comme si, enfin, se taisait le mensonge du statut moral de notre existence d’humains.
Peut-être pouvons-nous saisir maintenant plus clairement la difficulté de certains passages du texte : « il apprend pour une prochaine fois qui n’aura jamais lieu, à faire l’œuvre qu’il n’a pas encore créée par des gestes qui lui donnent naissance. » Ce n’est pas seulement qu’il n’a aucune idée de ce qu’il va faire avant de le faire, c’est que son œuvre n’est que physique et que son statut de personne est complètement excédé par des forces supérieures en intensité auxquelles sa rencontre avec une matière première va donner l’occasion de se manifester. C’est comme si ce monde de forces ne cessait d’affleurer à la surface de notre monde socialisé et saisissait toutes les occasions données de s’y insinuer par le biais de toutes les brèches qui s’y creusent. Les artistes sont ces ouvertures, c’est-à-dire des êtres humains pas suffisamment convaincus de tous les mensonges par lesquels nous essayons d’entretenir l’illusion d’un progrès humain moral, programmé, rationnel et contrôlé pour ne pas sentir la pression de ces flux bouillonnants, volcaniques, de matières et de forces en fusion qui ne cessent de s’agiter et de dynamiser la réalité. Les œuvres sont toujours des interstices de vérité crue dans un monde de mensonges humains fabriqués. Il s’agit donc de parvenir à un maximum de dépouillement à l’égard de tout savoir institué. C’est en ce sens que l’artiste « apprend ». Il apprend ce qui jamais ne revêtira de valeur exemplaire. Nous instituons comme « chefs d’œuvre » l’original d’un brouillon sans lendemain. Il apprend aussi en ce sens qu’il tend à une absolue passivité à l’égard du réel. Se tenir dans la marge la plus dépourvue d’humanité de la présence. Il importe de se déconnecter de la fibre activiste de l’espèce humaine pour saisir dans l’événement de sa seule matérialité le fait pur et simple pour l’univers « d’être là ».
On comprend une œuvre d’art quand on réalise que le processus de sa constitution repose sur un dynamisme qui n’est pas celui du temps. Ce dernier n’est qu’une fiction humaine. Ce qu’il y a vraiment c’est du mouvement dans l’espace et ce mouvement change selon les différences de densité des régions de l’espace. En d’autres termes nous inventons l’idée qu’une heure de temps s’est passée quand la vérité est qu’une région de l’espace est devenue. Si les jours se succèdent c’est parce que la terre tourne autour du soleil. Une heure correspond à 1/24e de rotation sur soi de la terre autour du soleil. Il n’existe aucune assurance dans l’espace que le 1/24e de rotation dans lequel nous sommes en train d’évoluer soit nécessairement suivi d’un 1/24e à venir. Qu’ 1/24e de rotation va venir c’est finalement ce que mon ordinateur, mon stylo, mon portable m’incitent à penser parce qu’il est impossible qu’ils me fassent tendre vers un avenir de travail, d’écriture ou d’appel à donner pour rien. C’est également ce que notre croyance au temps nous fait espérer en nous faisant penser qu’il existe une dimension abstraite du changement, comme si les mouvements dans l’espace s’effectuaient d’ailleurs que de l’espace mais la vérité physique tient dans le fait que ce n’est pas parce qu’il y a du temps qu’il y a du mouvement dans l’espace mais parce qu’il y a des mouvements dans l’espace que nous avons inventé la fiction du temps et ce que nous y gagnons, c’est l’illusion d’un univers dont les mouvements sont programmables.
Ce que cela signifie, c’est que l’univers s’invente au jour le jour. Ce 1/24e de rotation de la terre sur elle-même autour du soleil que nous vivons constitue entre toutes les autres choses qui font l’univers tout ce que le monde peut faire pour le moment. Autrement dit, ce que le monde peut faire pour le moment, c’est le moment. L’univers n’a aucun avenir, il n’est ni plus ni moins que l’émission de forces nécessaires et coordonnées à se faire exister maintenant. Ce que nous vivons maintenant, c’est la limite ultime de l’effort prodigieux de l’univers de vivre. Nous vivons ces derniers instants parce qu’il ne vit jamais que ces derniers instants. Chaque présent est le tout dernier moment d’exister comme on dit d’une nouvelle version d’un appareil qu’elle est la dernière. L’œuvre d’art est en phase avec ce mode insensé de production sans programme ni promesse de lendemain. Elle est un objet qui ne promet rien, comme l’horloge arrêtée du temps humain qui, du fait de ce blocage, se laisse envahir par le seul véritable dynamisme qui existe, soit celui d’un univers qui se fait tout seul, « à l’impro ». C’est exactement ce qui nous remplit à la fois de joie et de terreur. L’authenticité d’une existence sans promesse nous heurte de plein fouet et nous saisissons le fond de présence inhumaine de toute réalité.
Dans cette perspective l’art, c’est aussi la lumière de vérité susceptible de venir éclairer l’objet technique sous l’angle mort d’une absence totale d’avenir. La plasticité des ustensiles se voit ainsi cruellement ramenée à elle même : les porte bouteille ne sont que des statuettes hérissées de pointes en acier, les urinoirs des sculptures de porcelaine, les lycées des volumes et des pans de murs érigés dans l’espace. C’est tout un monde réel de plasticités brutes désertées de toute fonctionnalité humaine qui soudain se manifeste à moi, monde qui n’a jamais cessé d’être là mais qu’enfin je vois parce que mes yeux sont lavés de tout conditionnement à croire d’abord en l’existence de l’avenir humain de toute chose.
Alain Cugno s’intéresse toutefois ici à la création spécifique de l’œuvre d’art par opposition à la conception d’un objet technique, que cet objet technique soit finalement et exclusivement une œuvre d’art, c’est ce que l’artisan ne sait pas encore, tout simplement parce que s’il le savait, il ne se fatiguerait pas à produire un objet utile. L’artiste, par contre, est exactement en phase avec « ce bord du monde » de l’œuvre, avec ces derniers instants d’un univers qui ne vit que ces derniers instants parce qu’il n’a aucune idée des prochains. Voilà pourquoi « la prochaine fois n’aura jamais lieu ». L’artiste apprend à faire ce qui n’a ni précédent ni succession. C’est un peu comme un élève qui, effectuant le travail donné par le maître, se tournerait vers lui pour savoir si ce qu’il a fait est « bien » et réaliserait qu’il n’y a jamais eu de maître. Il ne fait pas son travail par conformité à un « devoir faire », il le fait dans la dimension toujours nouvelle d’un faire sans équivalent, faire qui, de tout ce qui se fait, constitue l’improgrammable loi.
Il serait tout aussi faux, dans cette approche, de dire que c’est l’artiste qui fait l’œuvre ou l’œuvre qui fait l’artiste car la vérité tient en réalité dans le dynamisme cosmique de cet impératif de nouveauté. Ce qu’il faut comprendre ici c’est non pas qu’il y a toujours du nouveau mais que la façon d’être de « l’il y a » est de devenir. La nécessité qui s’empare de l’artiste afin qu’il crée son œuvre est la même que celle de ce 1/24e de rotation de la terre autour d’elle-même d’en faire advenir un « nouveau ». L’artiste épouse le mouvement de la loi de création des instants. Il se tient dans cette expectative infiniment humble, lente et bégayante d’un monde à inventer en train de naître. Comment pourrait-il savoir ce qu’il fait puisque tout est seulement en train de commencer ? Il faut en avoir fini avec le monde des objets fonctionnels humains pour réaliser que tout ne fait toujours que commencer. C’est exactement ce qu’Alain Cugno appelle « la transparence de l’origine ». L’artiste épouse dans le flux par lequel il donne naissance à l’œuvre le mouvement par lequel tout ce qui est vient au monde, mouvement purement gratuit par le biais duquel le fait d’être s’engendre lui-même de lui-même sans explication ni compte à rendre. On peut bien parler si l’on y tient de « mystère de la création », la vérité est que rien vraiment ne se fait autrement mais que cette modalité de création nous semble étrange et terrifiante parce que nous en avons inventé de toutes pièces une autre fictive, rassurante et que ce retour à la vérité crue de l’engendrement déstabilise nos repères.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire