lundi 16 mars 2015

"Laïcité": gros mot, grand mot ou demi-mot ?


Le terme de « laïcité » représente l’exemple-type de notion dont on ne sait pas très bien ce qu’elle recouvre mais dont on préfère, « dans le doute », se faire, soit l’opposant sans nuance, soit le défenseur sans subtilité. Plus ce concept est l’objet de débats, moins nous pouvons calmement tenter de le comprendre. Les extrêmes de chacun des camps en présence occupent tellement la scène médiatique que nous ressentons comme une urgence la nécessité de « prendre position » et multiplions ainsi nos chances de dire des bêtises, si nous n’y prenons pas garde. Ceux qui l’insultent (gros mot) se battent avec ceux qui la vénèrent (grand mot) de telle sorte que cette notion est sortie de ce qu’elle est le plus fondamentalement : silencieuse, clandestine et neutre (demi-mot).
La meilleure définition que nous puissions lui donner est, en effet, « neutralité ». Toute la question est donc de savoir comment l’affirmation d’une simple neutralité a pu être ressentie par de nombreuses personnes comme un obstacle à leur liberté. Peut-être convient-il de distinguer trois acceptions différentes de la notion de laïcité : 1) politique 2) légale 3) philosophique.

Cette neutralité est à comprendre comme l’expression d’une antériorité : que sommes nous « avant » ? Les principes de la Révolution française se ramènent tous, en un sens, à cette idée fondamentale selon laquelle nous sommes humains avant d’être nobles ou roturiers. C’est par notre humanité que nous pouvons nous définir comme des sujets de droit et non par notre naissance ou la supposée noblesse de notre rang, de notre sang. Il suffit de prêter attention à la façon dont les assises sont disposées dans une église catholique pour comprendre pourquoi les révolutionnaires ont dévasté autant de lieux de cultes et brisé autant de statues. Les nobles avaient leurs sièges réservés, parfois autour de l’autel alors que les roturiers étaient parqués dans la nef de part et d’autre de l’allée centrale.
C’est probablement cette origine française de la notion même de « droit de l’homme » qui pose aujourd’hui plus de problèmes dans notre pays qu’ailleurs. D’un point de vue politique et national, la laïcité est interprétée comme l’antériorité de notre statut de français par rapport à notre pratique religieuse : nous serions français avant d’être chrétien, juif ou musulman. Une telle affirmation n’est pas du tout évidente. Elle serait même fausse d’un point de vue historique : les religions ont précédé les délimitations des territoires. D’un point de vue légal, la laïcité serait revendiquée par certaines personnes comme l’antériorité de notre obéissance aux lois par rapport au respect des commandements et des rites religieux. Ici encore, force est de constater qu’une telle thèse ne s’impose pas à tous comme une évidence. Elle prête pour le moins à discussion.

D’un point de vue philosophique, la laïcité pose que nous existons « avant » d’être chrétien, juif ou musulman. Il n’est même aucune réflexion philosophique qui puisse se concevoir autrement qu’à partir de cette proposition de départ qui n'est pas un postulat, mais un "fait". Avant d’exister en tant que ceci ou cela, nous « sommes ». La neutralité n’est pas une façon de ne pas « se mouiller », mais l’efficience d’une venue au monde aussi claire et indiscutable que non revendiquée, non « assignable », non partisane. La laïcité est un idéal du « demi-mot » parce qu’il n’est rien de cette notion qui puisse être « affirmée », et, en l’affirmant, on la soutient comme un dogme, ce qu’elle n’est pas et ne veut, à aucun prix, être. La laïcité, c'est ce que sous-entend le fait d'être un homme, soit une neutralité "de position", mais pas du tout en ce sens que cette position aurait été choisie. Comment le pourrait-elle? "Etre", c'est une position "sans avis". Nous venons au monde "sans opinion", et c'est bien ce qui nous donne "raison" quand nous revenons de ces incitations perpétuelles à prendre parti à l'exacte neutralité de notre condition fondamentale d'existant. Pouvons-nous dire, aimer, vivre et penser dans un autre contexte que celui de ce fond d’assignation permanente à notre confession, à notre croyance en un dogme, à notre respect de tel ou tel rite ? A "demi-mot", la réponse est résolument « oui ».

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