mardi 20 mars 2018

Explication du texte d'Aristote - Texte de Thomas Hobbes


Aristote range parmi les animaux politiques et sociables, les hommes, les fourmis, les abeilles, et plusieurs autres qui, bien que privés de l’usage de la raison, par lequel ils se puissent soumettre à la police, et faire des contrats, ne laissent pas en prêtant leur consentement quand il s’agit de fuir ou de poursuivre quelque chose, de diriger leurs actions à une fin commune et de maintenir leur troupe en une si grande tranquillité, qu’on n’y voit jamais arriver de sédition, ni de tumulte. Leurs assemblées pourtant ne méritent point le nom de sociétés civiles, et ils ne sont rien moins qu’animaux politiques; car la forme de leur gouvernement n’est que le consentement ou le concours de plusieurs volontés vers un même objet; et non pas (comme il est nécessaire en une véritable société civile) une seule volonté. Il est vrai qu’en ces créatures‑là dénuées de raison, et qui ne se conduisent que par les sens et les appétits, ce consentement est si ferme, qu’elles n’ont pas besoin d’autre ciment pour maintenir entre elles la concorde et rendre leur bonne intelligence éternelle. Mais il n’en est pas de même des hommes; car, premièrement, il y a entre eux une certaine dispute d’honneur et de dignité, qui ne se rencontre point parmi les bêtes. Et comme de cette contestation naît la haine et l’envie, aussi de ces deux noires passions viennent les troubles et les guerres qui arment les hommes les uns contre les autres. Les bêtes n’ont rien à craindre de ce côté‑là. Secondement, les appétits naturels des fourmis, des abeilles, et de tels autres animaux, sont tous conformes, et se portent à un bien commun, qui ne diffère en rien de leur bien particulier: mais les hommes ont presque tous ce mauvais génie, qu’ils estiment à peine qu’une chose soit bonne, si celui qui la possède n’en jouit de quelque prérogative par‑dessus ses compagnons, et n’en acquiert quelque degré d’excellence particulière (pour qu’une chose soit jugée bonne, il faut que celui qui la possède soit jugé supérieur aux autres et acquiert un statut plus important par la jouissance de ce bien) . 
En troisième lieu, les animaux privés de raison ne voient ou ne s’imaginent pas de voir quelque défaut en leurs polices: mais en une république, pour si petite qu’elle soit, il se trouve toujours diverses personnes qui croient savoir plus que les autres, qui abondent en leur sens, et qui, par leurs innovations, font naître les guerres civiles. En quatrième lieu, quoique les bêtes aient quelque petit usage de la voix pour exprimer leur passions entre elles ; si est‑ce qu’il leur manque cet art du discours, si nécessaire pour exciter dans l’âme les troubles et les tempêtes. Elles ne savent pas représenter le bien et le mal plus grands qu’ils ne sont en effet. Mais l’homme a une langue, qui est, à dire le vrai, une trompette de sédition et une allumette de la guerre; En cinquième lieu, les bêtes ne font point de distinction entre les injures et les dommages, c’est pourquoi elles laissent leurs compagnons en repos, pourvu qu’ils ne fassent rien qui les incommode. Mais parmi les hommes, les plus grands perturbateurs de la tranquillité publique, sont ceux qui vivent dans un plus profond loisir: car on ne s’amuse guère à contester du point d’honneur, qu’on n’ait vaincu la faim, la soif et les autres incommodités de la vie. Enfin je dirais que le consentement ou la concorde que nous voyons parmi les bêtes est naturelle; là où celle des hommes est contrac­tée, et par conséquent artificielle. Ce n’est donc pas de merveille s’ils ont besoin de quelque chose de plus pour vivre en paix. D’où je conclus, que le consentement prêté, ou la société contractée, sans une puissance supé­rieure et générale qui tienne les particuliers dans la crainte de la peine, ne suffit point pour donner aux hommes les assurances et les précautions qu’ils doivent avoir avant de venir à l’exercice de la justice naturelle c’est-à-dire les lois de nature que nous avons établies.                                        
                                      Hobbes – Le citoyen V

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