dimanche 13 février 2022

Qu'est-ce que la liberté? Hannah Arendt - Phases de l'argumentation ( 4 parties)

 Vous trouverez dans cet article (court! comme quoi faut pas désespérer!) une division de la totalité de l'oeuvre que nous sommes en train d'expliquer.  Il vous permet non seulement de vous faire un idée globale de la dynamique d'argumentation suivie par Hannah Arendt mais aussi de pouvoir situer n'importe quel passage dans la perspective de l'ensemble. Sa lecture est donc très utile, que vous envisagiez ou pas de rédiger pendant les vacances l'explication facultative (article précédent). Bon courage à vous!



1 - Du début jusqu’à la p 187: « des autres hommes comme à l’introspection »

La liberté est une antinomie, une contradiction entre le libre arbitre et la causalité. Autant l’homme est libre politiquement, autant il ne l’est pas scientifiquement parce qu’il est alors situé dans un univers régulé par des lois naturelles (lesquelles s’exercent sur l’homme physiquement)

2 - Jusqu’à la page 188: « …soit le refuge de la liberté. »


Kant est le philosophe qui a peut-être le plus habilement tenté d’aborder cette antinomie en distinguant deux usages de la raison:  pure (scientifique et rationnel) et pratique (morale). Pour Kant la liberté est un postulat de la vie morale. Il faut que l’homme soit libre pour que la morale ait un sens mais aussi plus largement la vie humaine en société elle-même. Or cela n’enlève rien au fait que 1) penser est une activité qui ne se divise pas d’emblée entre deux « usages » ou deux domaines de compétence. On pense d’abord la réalité « comme ça » et nous ne voyons pas du tout le libre arbitre s’effectuer métaphysiquement dans la réalité (pour Arendt, on ne voit pas la liberté métaphysique d’un individu mais on voit bien la liberté politique d’un collectif humain animé par les mêmes valeurs) et 2) comment un impératif de la volonté (ici il faut bien voir que Hannah Arendt qui connaît bien la philosophie kantienne ne lui fait pas crédit de la place qu’il accorde à la capacité d’un individu d’être le législateur de la loi morale pour tous les individus) pourrait-il être le refuge de la liberté?





3 - Jusqu’à la page 189: « Saint Augustin ensuite, qui la suscita. »


Pour Hannah Arendt la liberté est collective factuelle et politique et non individuelle, métaphysique et philosophique. Le premier argument en faveur de cette classification politique de la liberté consiste dans le fait qu’historiquement c’est tardivement que la liberté s’est imposée comme une question métaphysique, ce qui signifie que les tout premiers penseurs (grecs notamment, ne l’ont pas perçue comme une question philosophique.


4 - Jusqu’à la page 190: « et son champ d’expérience est l’action »


Le second argument à faire valoir en ce sens, c’est qu’aucune question de politique ne peut être évoquée sans que la liberté ne lui soit présupposée (justice, pouvoir, égalité, etc.) La liberté n’a été que tardivement une question métaphysique alors qu’elle toujours déjà présente implicitement à toute question politique.


5 - Jusqu’à la page 193: « l’une à l’autre comme deux côtés d’une même chose »


Mais alors d’où vient que personne n’ait perçu cette nature profondément et exclusivement politique de la liberté? D’abord, c’est à cause du stoïcisme tardif (romain) et de l’importance que ces philosophes, Epictète en premier lieu, ont accordé à la notion de « liberté intérieure », soit l’idée que la liberté consistait dans cet espace de soi à soi que tout homme selon les stoïciens peut intercaler entre lui et l’impact des évènements.  Mais la liberté n’est aucunement intérieure. Ce concept pointe au contraire une sorte de dénégation de la part de personnes ne jouissant pas du statut d’hommes libres de s’en donner artificiellement une. Ne disposant d’aucune puissance politique, ces philosophes ont tout fait pour en transposer les caractéristiques en l’homme lui-même mais c’est une construction totalement artificielle, fallacieuse et historiquement seconde, voire secondaire. La liberté suppose un espace commun, une capacité de déplacement et de rencontre, bref un scène publique, une res publica.


6 - Jusqu’à la page 194: « une possibilité de se libérer de la politique? »


Mais on peut trouver également des raisons historiques qui expliquent que l’on ne réalise pas à quel point liberté et politique sont indissociables (deux faces d’une même pièce). Là, Arendt pose vraiment une question fondamentale faisant l’objet de toute l' argumentation à venir: « être libre ne serait-ce pas au contraire se libérer de la politique? » Evidemment elle va s’efforcer de prouver que la réponse est négative.



7 - Jusqu’à la page 195: « se nécessités et ses intérêts immédiats »


On voit bien notamment pour des auteurs comme Hobbes, Spinoza, Montesquieu ce qui explique cette dénaturation, ce quiproquo sur la nature même de la politique et cela vient de la notion de « sécurité ». Tous ces auteurs commettent l’erreur de situer la politique comme la nécessité institutionnelle (l’état) de garantir à l’individu la sécurité, alors même que cette notion concerne la vie (économie) et non l’inscription d’une action collective, humaine dans le monde (politique). Le but de la politique n’est pas du tout de garantir la sécurité du citoyen.


8 - Jusqu’à  la page 196: « Réfléchir sur ce vieux truisme » (fin de la partie 1 de l’article)


Le 30 janvier 1649, Charles 1er, roi d’Angleterre, est décapité. Dans un petit discours qu’il fit juste avant de mourir, il explique à quel point le soulèvement des parlementaires (du peuple si l’on veut) n’est pas du tout causé par le désir de se libérer du joug du monarque mais seulement par la peur de voir ses propres biens, ses acquis, sa propriété dominée ou menacée. La confusion de la liberté avec la sécurité des personnes et des biens remonte donc à loin. Malheureusement les humains ont déjà fait la preuve qu’ils sont plus enclins à se battre pour leur propriété que pour leur liberté. Il est troublant de mesurer l’écart entre le discours selon lequel les hommes sont prêts à se battre pour être libre et la réalité historique de cette affirmation qui est quasi-invalidée. Pour les  penseurs chrétiens, notamment on voit bien à quel point c’est la vie contemplative qui doit être visée plus que la vie politique, laquelle n’est pas, pour eux, une fin en soi. 


9 - Jusqu’à la page 198, « être libre et agir ne font qu’un »


Hannah Arendt entreprend ici de prouver à quel point « la liberté est la raison d’être de la politique et son champ d’expérience est l’action ». Pour cela, il faut comprendre que la liberté ne s’accomplit nullement dans la volonté mais dans l’action. Mais pourquoi? Parce qu’autant la volonté est une affaire de motifs, autant l’action de principe (en un sens non kantien). Par principe, Hannah Arendt désigne des valeurs qui font moins l’objet d’une réflexion que d’un effort, du courage de passer à l’acte. Il faut bien parler ici de « force » vertu mais au sens latin de « virtu ». Le terme de courage de passage à l’acte est fondamental ici pour bien saisir l’importance de la notion de principe (princeps, commencement) et de vertu (le sens ici n’est pas du tout moral, il désigne une force d’âme)




10 - Jusqu’à la page 201, « « mais n’est plus politique au sens strict du mot. »


Ce passage est probablement le plus intéressant, le plus notable et le plus subtil de l’article. Hannah Arendt y manifeste autant d’esprit d’analyse que de culture et de connaissance de l’antiquité grecques et romaine. On pourrait l’intituler de la « virtu » à la virtuosité.

On sait bien que c’est à  Machiavel que l’on doit le retour en grâce de cette notion de virtu, de force rehaussée au statut de qualité politique majeure, mais Hannah Arendt, avec beaucoup d’intelligence rapproche cette  notion de celle de virtuosité en la mettant en perspective avec la distinction grecque des arts de création (composition de tragédies, de poèmes,  de statues, de peintures, etc.)  et des arts d’exécution (flutistes, interprètes, acteurs de théâtre). Comment pourrions nous connaître Sophocle Aristophane, Euripide si leurs oeuvres n’était pas à un moment donné, portées par des acteurs vivants sur une scène délimitée, etc. La virtuosité, c’est l’art de passer à l’acte, c’est ce courage là et c’est aussi l’art de la politique en son sens le plus « noble » (si nous avons des acteurs médiocres, c’est aussi parce que la scène médiatique d’aujourd’hui l’est)





11 - Jusqu’à la page 202, « de facteurs et intérêts économiques. »


Pour bien comprendre ce passage, il faut savoir que la citation: « personne ne prétend que les actions ne doivent être aussi libres que les opinions » est de Stuart Mill, un philosophe anglais participant au mouvement philosophique de l’utilitarisme, prônant finalement l’observation d’une morale fondée sur les intérêts et servant de base au libéralisme économique moderne (capitalisme). Ce mouvement a également une part de responsabilité déterminante (et nous sommes nous aujourd’hui bien placés pour le savoir) dans l’adhésion d’une majorité de personnes et d’électeurs à cette idée selon laquelle la politique ne serait pas compatible avec la politique. 


12 - Jusqu’à la fin.


Peut-être réalisons nous à la toute fin de cette 2e partie de l’article, le cheminement parcouru par Hannah Arendt pour nous faire saisir la qualité qu’il nous faut cultiver mais surtout tout simplement EXERCER (au sens fort de ce terme: "exécuter") pour être libre, c’est-à dire citoyen, c’est-à-dire politique. Il nous faut d’abord sortir de ces antinomies philosophiques qui ne débouchent nulle part, puis s’extraire de cette coquille vie qu’est la croyance en une pseudo-liberté intérieure totalement caduque, se détacher enfin de ces corrélations fausses entre liberté et sécurité oui encore liberté et propriété. Ce qui se met en place dans la 2e partie, c’est finalement l‘affinement d’un processus de pacification par le biais duquel l’auteure essaie de définir ce qu’il faut que la libération d’une force soit pour être politique et donc libre. Tout tourne autour de cette notion de force, d’habileté ce qui nous mène de la virtu machiavélienne à la virtuosité des arts d’exécution de l’antiquité grecque, puise enfin de cette virtuosité dans l’exécution au courage. De quoi la politique doit-elle être le « théâtre » (et c’est bien à ce lieu là qu’il faut penser)? Ce n’est pas du spectacle de la vie, « se préservant » (ça c’est l’économie) mais de la prise de risque encourue par une action « s’effectuant » C’est pourquoi le courage est LA qualité requise par la politique et conséquemment par  la liberté.




Si vous êtes pressées, voilà une version courte:

            Ce qui est intéressant c'est que le propos de l'auteure est constamment polémique, en ce sens qu'elle n'affirme jamais quoi que ce soit gratuitement, mais toujours "CONTRE" une référence opposée: Kant, d'abord, Epictète ensuite, puis Hobbes, Spinoza, Montesquieu,  et enfin contre Stuart Mill.  On distingue alors quatre parties plus importantes et plus claires :
                      1) On peut dire que Hannah Arendt s'efforce d'abord de dessaisir la philosophie du "dossier de la liberté" en démontrant que cette notion est plus politique que morale ou métaphysique (contre Kant jusqu'à la page 188).
                    2) Elle argumente ensuite contre la notion de liberté intérieure que l'on retrouve chez les Stoïciens et en particulier Epictète. Il s'agit de prouver historiquement la liberté intérieure est en réalité seconde par rapport à une liberté première qui finalement est une liberté statutaire, légale et politique (citoyens libres et non esclaves) - Jusqu'à la page 193
                  3) Mais alors d'où vient que tout un chacun raisonne comme si le dosage de  politique était inversement proportionnel à celui de la liberté? Cela est dû à une confusion qui remonte probablement à Hobbes, suivi par Spinoza et ensuite tous les prétendus théoriciens de la politique pour lesquels le premier rôle de la politique est de garantir la sécurité du citoyen. Or, comme on le sait pour Hannah Arendt, tout ce qui est de l'ordre de la préservation de la vie concerne non la politique mais l'économique. Ici on voit bien que toute la richesse de la thèse de Hannah Arendt consiste finalement à ne pas abandonner Aristote (jusqu'à la page 198) 
                4) Dans cette dernière partie qui est, sans aucun doute, la plus intéressante la plus puissante (la plus audacieuse aussi), Hannah Arendt entreprend à la fois historiquement et philosophiquement de prouver que la liberté, contrairement à ce que nous croyons, n'est pas un droit mais une force, encore faut-il expliquer et affiner cette force. Elle s'appuie sur Machiavel  pour effectuer le passage conceptuel de l'habileté politique à la virtù (force ruse), puis sur une analyse très fine de la notion "d'art d'exécution" dans l'antiquité pour relier la virtù à la virtuosité, et enfin sur la destruction de la distinction que l'on retrouve dans la philosophie libérale entre liberté d'action et liberté d'opinion pour légitimer l'association entre la virtuosité et le courage (jusqu'à la fin)
                        J'espère que tout est plus clair maintenant et que vous pouvez relâcher la pression.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire