jeudi 15 février 2024

Présentation de la spécialité HLP aux élèves de seconde



1) Le spectre large

Ce court moment de présentation s'adresse à vous toutes et à vous tous et pas seulement à celles et ceux qui sont intéressé.e.s par cette discipline. C’est finalement une manière d’entrer déjà dans la matière puisque de fait la philosophie se caractérise par ce que l’on pourrait appeler un « spectre large » qui se déploie dans toutes les dimensions de l’existence de l’être humain. Il est impossible d’être présent dans un cours de philosophie en se disant je ne suis qu’un élève qui assiste à un cours. De fait le cours traitera de questions qui débordent totalement le cadre scolaire de ce qu’un élève vit en tant qu’élève. Pour être plus précis et pour caractériser vraiment cette matière, on peut dire que si vous faites spécialités SI (sciences de l’ingénieur) ou spécialité gestion et finances, vous êtes mobilisé.e.s en tant que travailleur, que professionnel; si vous faites une spécialité HGGSP ou SES vous êtes mobilisé.e en tant que citoyen; si vous choisissez HLP, vous êtes mobilisé.e en tant qu’être humain.

L’un des avantages de cette discipline c’est que vous assistez à un cours comme un autre sauf qu’à un moment, si tout se passe bien, si vous saisissez de quoi il est question, vous allez vous rendre compte que toutes les situations qu’on évoque, toutes les questions qu’on aborde  vous ont touché ou vous toucheront de près un jour et pas de façon théorique. Elles vous toucheront de plein fouet.  Ce qui est paradoxal, c’est que parfois, des élèves se font une idée très abstraite, très perchée de cette spécialité alors que c’est peut-être l’une de celles qui l'est le moins en ce sens qu’elle a pour objet le réel concret de la vie de chacun et de chacune, des questions qu’il est impossible qu’un être humain ne se pose pas. 

Une élève avait fait remarquer il y a longtemps alors que le cours évoquait la mort chez Heidegger que, je cite, « ce n’était pas au programme de terminale », mais comme il est possible de lui faire remarquer par la suite, la mort par contre est bel et bien au programme de sa vie. Cela vous donne une première indication, si vous n'êtes pas curieux.se de ce qui vous concerne au plus prés, effectivement ce n’est pas une spécialité pour vous. 


2) La "clé"
Cela dit mon propos est de vous dire quand même quelque chose qui puisse vous aider, chacune et chacun même et peut-être surtout si a priori vous vous dites que ce n’est pas une spécialité pour vous et vous avez peut-être raison, mais je voudrai profiter de ce forum qui me donne la chance de pouvoir rencontrer des élèves de seconde que je ne croiserai peut-être plus après, pour leur communiquer une information qui me semble importante à prendre en compte.

Si vous êtes ici, c’est pour choisir une spécialité coefficient 16 pour le baccalauréat qui va donc s’avérer cruciale pour votre réussite à l’examen mais aussi pour votre poursuite d’étude et peut-être pour votre métier. Quelque chose de votre travail futur, de votre profession va peut-être se décider dés l’année prochaine et sur ce point il y a une donnée absolument cruciale qu’il faut que vous que vous gardiez en tête. Vous avez probablement noté que pour ce choix deux signaux qui vous sont envoyés:

1) Il y a ce que vos parents, vos enseignants, vos amis vous disent sur ce qu’il faut choisir sachant que cela fait de bonnes carrières, un compte en banque bien garni, une bonne considération dans la société;

2)  Il y a le ressenti des cours et le fait que certaines disciplines vous attirent ou pas, le fait que peut-être certaines séances se passent de telle sorte que quand la sonnerie retentit, vous vous dites « Déjà? » Et non pas « Enfin! » Tout mon propos aujourd’hui est de vous conseiller très vivement de favoriser le second critère par rapport au premier, parce que vous vous trouvez précisément à la croisée des chemins, et que même si il est compréhensible que vous demandiez des conseils aux autres, il y a là, dans ce choix que vous vous apprêtez à faire, un caractère insubstituable qui constitue la raison pour laquelle vous devez venir au front de la décision, vous et personne d’autre. Le fond de l’affaire c’est que ce n’est pas à la société de vous dire qui vous êtes mais c’est à vous de dire quelle type de société vous voulez et l’on peut être sûr que quiconque commence sa phrase par « vu l’état de la société en ce moment" est en train d’essayer de vous influencer idéologiquement. Ce ne sont pas les hommes qui sont faits pour la société mais toujours la société qui est faite pour les hommes et ce que cela veut dire  concrètement maintenant, c’est que ce ne sont pas les élèves qui sont faits pour s’adapter aux spécialités mais les spécialités qui sont là pour que vous et vous seule vous y retrouviez.


3) La fable du raté riche

Si on va encore un peu plus loin en philosophie, on va réaliser que le fond de cette histoire, comme, par exemple Spinoza nous le fait comprendre, c’est qu’il est impossible d’appliquer une logique de moyens à fins à l’existence. Je ne peux pas faire quelque chose seulement pour une autre chose, ce n’est pas possible. Vous ne devez pas choisir une spécialité qui vous ennuie en vous disant que cela vous apportera quelque chose après coup. Je fais médecine non pas parce que le corps humain m’intéresse, non pas parce que l’acte de soigner suscite en moi une forme de passion, mais parce que c’est une profession qui rapporte et qui jouit d’une bonne considération. Ce type de pensée se retrouve chez celles et ceux que j’appelle des « ratés riches » et il y a des milieux et des partis politiques où l’on en croise beaucoup. Qu’est-ce qu’un raté riche? C’est forcément quelqu’un qui à 60 ans, faisant ses courses chez Vuitton  avec son SUV Mercedes se dira: « je ne manque de rien sauf que je ne suis pas celle où celui que j’avais à devenir. » 



Voilà le seul critère que vous devez faire jouer dans cette matinée. Si les signaux que vous recevez quand vous êtes en cours de maths sont favorables, alors faites spé maths, si c’est quand vous faites du dessin, de la musique, du théâtre, alors faites spécialité arts plastiques. C’est comme la naissance la mort, la maladie ou l’amour: là il est impossible de déléguer. Ecouter les autres c’est toujours bien mais si vous sentez qu’ils sont en train de juxtaposer leurs intérêts aux vôtres, il faut rompre avec cette influence toxique. Montez au front de la décision! 


La vérité simple qu’il faut garder en tête dans cette situation qui est la vôtre est la suivante. Je vais vous la donner comme une clé, un critère précieux à partir duquel vous pourrez choisir. Toute le monde vous dit que vous allez vivre DE votre métier mais personne ne vous dit que vous allez surtout et avant tout VIVRE VOTRE METIER, et que si vous ne le vivez pas avec passion, vous aurez raté votre vie. Vivre une existence sans passion ne présente pas le moindre intérêt et le raisonnement qui consiste à se dire que vous allez vous ennuyer cinq jours par semaine pour vous éclater dans les deux suivants est, d’un pur point de vue comptable, absurde. La plupart des salariés qui font un travail qui les dégoûte sont les premiers responsables parce qu’il y a un moment où ils ont craqué devant une évidence. Ils se sont dit, j’accepterai n’importe quoi pourvu que j’ai de quoi vivre, mais la vérité  c’est qu’un être humain ne s’effectue vraiment en tant qu’être humain quand il travaille non pas pour vivre mais pour être. Aucune conduite humaine n’est vitale en fin de compte et l’être humain c’est justement cet être à part pour lequel il est impossible de dissocier ce qu’il vit de ce dont il vit. Vous n’avez pas à vous soumettre à des exigences vitales vous avez à créer les vôtres et c’est cela que l’on appelle « exister ».



4) Questions lycéennes

Je vais pour terminer essayer de répondre à deux questions:

  • Quel profil d’élèves peut-il se retrouver dans cette spé?
  • Quels sont les avantages pour un lycéen de la choisir? 

Il va sans dire que les considérations qui vont suivre sont moins cruciales que la précédente. Si les signaux que vous recevez dans toutes les disciplines qui requièrent avant tout un engagement personnel et une curiosité existentielle (et toutes ne le demandent pas), alors ce choix est réellement ouvert et viable pour vous.

Pour toutes celles et tous ceux qui sont intéressés par les métiers de contact, ceux qui réclament de l’écoute et de la prise de parole, le programme de première est très orienté vers cette démarche. Ce sont des cours dans lesquels il est absolument exclu que vous restiez dans une attitude passive. Il faudra se lever prendre la parole, jouer un rôle, ne jamais déléguer votre présence à un quelconque "effet de groupe". Si vous êtes timide, il ne convient pas de vous dire que ce n’est pas fait pour vous; ça l’est justement et à cause de cela. Il vous faudra sortir de votre coquille et tout sera fait pour cela. Tous mes cours commencent par la formule: « est-ce qu’il y a des questions? » Et la totalité de la séance peut consister à répondre aux interrogations ou à laisser les élèves le faire. Jamais une question ne peut être stupide, seules les réponses sont susceptibles de l’être.



Il importe d’être suffisamment impliqué.e dans le questionnement pour résister à la tentation de le clôturer par manque de réponse immédiate. Cela peut être un critère si vous êtes fasciné.e par les hommes de pouvoir qui se présentent à vous avec une solution tranchée pour tout, ce n’est pas une spécialité pour vous. Comme le dit Friedrich Nietzsche:

« la bêtise d’un être humain, se mesure à son incapacité à se maintenir dans l’humilité de ses questionnements personnels. Il faut avoir des leçons à recevoir de tout le monde pour n’avoir de comptes à rendre à personne. »



Les quatre qualités les plus attendues à la fois pour l’écoute l’oral et pour l’écrit sont:

  • Curiosité, 
  • Passion
  • Humour
  • Ouverture d'esprit

Le plus important est de ne pas venir en cours pour vous mettre au fond de la classe et attendre que l’on vous dicte. Il est certain que nous vous demanderons de sortir de votre zone de confort parce que c’est seulement là, dans cette zone là, que vous situez vraiment et seulement. " là" Chacune, chacun de nous le sait bien.


Quels sont les avantages de cette spécialité dans une optique purement lycéenne? 

  • La préparation aux épreuves qui, en terminale, ne feront pas l’objet d’un contrôle continu, à savoir le grand oral et la philosophie. 
  • L’entraînement à l’oralité, à gagner une aisance dans toute prise de parole quelle que soit le contexte (conférence, entretien d’embauche, présentation , etc) , faire comprendre que la parole est une puissance.
  • C’est une spécialité qui est très ouverte aux autres domaines de compétence. Il est impossible de faire HLP sans s’intéresser à la sociologie, à la psychologie, aux sciences, à l’art, à l’histoire, etc.



Plus que toute autre chose, ce qui vous aidera, si vous choisissez cette spécialité à y réussir, c’est la passion et la certitude que l’adolescence loin de répondre aux questions que vous vous posiez enfant, les a affutées, aiguisées comme si vous vous rendiez compte qu’aucun âge de la vie ne répondra vraiment à tous ces questionnements et qu’il y a là du coup de quoi attiser votre soif qui de toute façon heureusement n’est en aucun susceptible d’être comblée, comme le dit Kierkegaard:

« Ce qui me manque, au fond, c'est de voir clair en moi, de savoir ce que je dois faire, et non ce que je dois connaître (…) il s'agit de trouver une vérité qui en soit une pour moi, de trouver l'idée pour laquelle je veux vivre et mourir. Et quel profit aurais-je d'en dénicher une soi-disant objective, de me bourrer à fond des systèmes, des abstractions et des idéologies? C'est de cette vérité que mon âme a soif, comme les déserts de l'Afrique aspirent après l’eau (…) C’est là ce qui me manque pour mener une vie pleinement humaine et pas seulement bornée au connaître, afin d'en arriver par-là à baser ma pensée sur quelque chose - non pas d'objectif comme on dit et qui n'est en tout cas pas moi - mais qui tienne aux plus profondes racines de ma vie, par quoi je sois comme greffé sur le divin et qui s'y attache, même si le monde croulait. »

                                                                      Sören Kierkegaard (1813-1855)




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