samedi 3 février 2024

Terminale 2 / 3 / 6: est-ce par la technique que l'homme est homme?

 


I- La problématisation du sujet et la question de l’humanisation

Pour rédiger une dissertation philosophique, il faut savoir qu’elle consiste en fait dans l’exploration des présupposés de la question posée. Cela veut dire qu’il ne convient pas, comme on le fait habituellement dés que l’on nous adresse une question dans la vie courante, de regarder dans la direction d’une réponse éventuelle mais toujours de se demander d’où vient que l’on puisse nous poser une telle question. C’est ce qui justifie l’image que j’utilise assez souvent d’un chien avec lequel son maître s’amuse à lui lancer un bâton pour qu’il aille le chercher et qu’il le lui ramène. Imaginons un chien qui au lieu d’aller chercher le bout de bois regarde son propriétaire et lui demande pourquoi il le lance.

D’où vient que la question de savoir si c’est par la technique que l’homme est homme se pose? Et ici la réponse « fuse »: de ceci qu’elle est aussi ce qui le déshumanise, ce qui crée un processus au fil duquel l’humain n’est plus tellement humain. Mais de quelle déshumanisation est-il ici question? De celle qui finalement ne dissimule même pas son nom et que l’on appelle « transhumanisme » ou « homme augmenté »: l’homme est tellement fasciné par une technologie qui lui permet de vivre plus longtemps, d’exploiter la nature, les animaux, les éléments en les transformant, en les élevant, en les détournant de leur cours ou de leur existence  naturelle de façon à satisfaire les seules exigences de son pouvoir fantasmatique suivant les paroles formulées par René Descartes: « se rendre comme maître et possesseur de la nature ».

Réaliser cette évidence, c’est jouir de la certitude d’avoir vraiment compris les intentions cachées du concepteur de ce sujet. C’est cela qu’elle ou il veut, c’est ça qu’elle ou il veut, et c’est cela que nous allons lui donner. Voici un point fondamental pour le baccalauréat: ne jamais se lancer dans un sujet à moins d’avoir suivi un cheminement  rétroactif de compréhension des présupposés impliqués dans une formulation. Nous avons tendance à vouloir répondre à une question alors qu’il faut toujours se demander d’où vient qu’elle nous soit posée « comme ça ».

Or si nous faisons cela, nous nous apercevons qu’il y a une contradiction dans le sujet qui vient de la nature même de la technique, laquelle est un processus de fabrication d’outils et d’outils à faire des outils, et même d’outils à faire des hommes les utilisateurs les destinataires et les consommateurs de tout ce qui sera produit à partir d’eux. Si c’est par la technique que l’homme est homme et puisque la technique est finalement l’effectuation d’une dynamique par le biais de laquelle les êtres humains créent les outils qui vont à leur tour faire naître des êtres humains lesquels vont créer des outils et ainsi de suite, alors il serait plus juste d’affirmer que c’est par la technique que l’humain n’en a jamais fini de mettre en oeuvre le processus de son « humanisation ». En d’autres termes, c’est justement parce que la réponse est « oui », c’est-à-dire parce que le propre de l’humain est bel et bien son aptitude technique, son ouverture à la puissance de créer des objets qui le transforment et le font devenir autre à ce qu’il était avant, que finalement la réponse est « non », puisque il n’en aura jamais fini d’être homme. Tout ceci est trop manifestement (on aurait presque envie de dire génialement et monstrueusement) paradoxal pour ne pas être le fond du sujet. C’est bien ça: alors on a compris le sujet. Méthodologiquement, il y a là VRAIMENT un point crucial  à retenir pour tout sujet de dissertation du baccalauréat: tant que nous n’avons pas touché sa dimension paradoxale, nous ne l’avons pas saisi, tant que l’interrogation nous semble simple et la réponse d’un seul tenant, c’est que l’on est forcément à côté, et il sera très dangereux de se lancer dans le traitement d’une question « simple » parce que si elle est simple ou tranchée, ce n’est pas de la philosophie.




Nous savons que l’être humain, en tant que dasein, n’en finit pas non plus de s’étonner d’être. Il ne peut y avoir ici de hasard quand à cette correspondance entre la possibilité qu’un être ne soit que le processus de son devenir technique et la définition d’un existant dont le propre est de ne pas en revenir d’exister. L’être humain est cet existant qui est l’absence de réponse à la question « qui suis-je? » et qui ne vit finalement rien d’autre que « ce suspens là », que la procrastination perpétuelle de cette réponse. Nous vivons la remise à plus tard de la réponse à cette question, et c’est cela que nous « sommes ». Technique et Dasein sont nécessairement liés, tout simplement parce que la technique est la manifestation de l’exosomatisation de l’être humain, c’est-à-dire de cette production hors de soi d’un corps d’appareillages techniques multiples par l’émergence duquel notre présence au monde est médiatisée, médiate, inter-décalée, en un sens puisque nous ne sommes pas impliqués dans la nature par l’effectuation d’un biotope.

Que l’être humain ait finalement à composer avec cette indétermination structurelle de son être, indétermination à l’égard de l’être qui, finalement et paradoxalement, constitue, effectue spécifiquement, fondamentalement « son » être, c’est ce qui résonne avec cette modalité de développement interne et dynamique en perpétuel instance d’effectuation. Il faut travailler ce parallèle entre un Dasein qui ne sait pas vraiment ce qu’il fait « là » et une créature technique, étrange, dont le corps ne cesse de se produire hors de son organisme biologique et dont la définition est ouverte. C’est justement parce qu’il est technique que l’être humain est ce phénomène étrange dont on pourrait dire qu’il est « en gestation », en instance continuelle de se produire sans que jamais cette production s’accomplisse définitivement.

Dés lors la question se révèle à nous porteuse d’un enjeu crucial: la ligne de démarcation entre l’exosomatisme qui est notre essence et le transhumanisme qui sanctionne au contraire l’aliénation de cette essence  est étroite et il n’est pas une seule innovation qui ne soit au coeur de cette opposition, de ce conflit où notre humanité se joue comme au pile ou face de chaque pharmakon.





Prenons un exemple édifiant: le premier pas de l’Humain sur la lune. S‘agit-il d’un jalon, d’une phase décisive de cette curiosité native de l’être humain à l’égard de l’univers, par l’entremise de laquelle notre existence de Dasein s’affirme, se confirme, se valide, se spécifie se « signe » de telle sorte que nous soyons un peu plus encore Dasein après qu’avant, tout simplement parce que cet exploit continue, proroge le mystère de cet être improbable que nous sommes dans l’émergence d’un univers tout aussi improbable? Peut-on au contraire définir cette expérience comme un accomplissement, une conquête, l’émergence d’un pouvoir que l’être humain se donne à l’égard d’un univers voué à devenir sa propriété, « SON » territoire? D’ailleurs Neil Armstrong a bien planté un drapeau américain sur la lune, comme si la lune était un nouvel état des EU. Il semble difficile d’affirmer qu’il n’y a pas quelque chose de cette réussite qui participe de l’essence de ce que c’est qu’être homme. De fait nous sommes bel et bien cette espèce là, cette créature terrienne capable de sortir de sa planète de naissance. Mais est-ce la manifestation de notre curiosité ou l’exercice de notre pouvoir?

         Pour mesurer le bien fondé de cette question et son importance dans le traitement de celle qui nous est posée ici, il suffit de s’interroger sur ce que cet exploit d’avoir mis le pied sur la lune satisfait en nous, être humains: est-ce la joie de se dire que nous avons découvert de nouvelles ressources que nous allons pouvoir exploiter à notre profit pour intensifier « notre emprise de l’univers »? Ou bien est-ce la simple satisfaction d’avoir effectué une puissance, d’avoir libéré une certaine énergie faite de courage et d’inventivité, de curiosité et d’attention portée à un dehors à une réalité extrêmement distante et à tous égards « autre »? C’est finalement comme si nous pouvions rajouter à la liste de Sophocle inventoriant les exploits du deinos une nouvelle page incroyable, à peine représentable, miraculeuse. L’homme est la merveille du deinos. Mais il est aussi le côté terrifiant du deinos dés lors que son appétit de richesse et de pouvoir lui fait perdre de vue qu’il n’est rien de cet accomplissement qui puisse annihiler son essence de Dasein. Sur la lune, nous n’y sommes pas arrivés autrement que par curiosité et cette curiosité n’est pas moins forte après qu’avant. Elle est là, elle demeure  intacte  et intensifie la question de savoir qui nous sommes et ce que nous faisons ici, même s’il fait partie intégrante de nous que nous le saurons jamais.

Nous ne nous sommes pas contentés de comprendre la question, nous l’avons prolongée, nous avons à quel point il va falloir approfondir au fil de notre dissertation la distinction entre exosomatisation et transhumanisme. C’est par la technique que finalement l’humain remet toujours à plus tard la réponse à la question de savoir qui il est et de toute façon cette question n’a pas de réponse. Ce que nous sommes c’est entièrement et spécifiquement son ajournement. Nous sommes le retard de la réponse à la question de l’être, à celle de savoir qui nous sommes, et ce retard se décline technologiquement d’abord.

Mais comment allons nous ordonner ces éléments de traitement à la question de façon à ce que l’on puisse y voir clair?

Il est un point qui doit nous sauter aux yeux immédiatement, c’est qu’être humain, c’est une expression qui n’a pas une signification unique. On est humain si:

  1. On n’est pas divin, ce qui veut dire qu’il y a dans le rapport aux dieux ou à Dieu tel qu’il se constitue dans la mythologie et la religion quelque chose de notre essence qui se décline, qui s’énonce. Etre humain, donc, cela a d’abord un sens du point de vue de la religion
  2. On n’est pas animal, végétal, minéral, ce qui veut dire qu’il y a dans la spécificité de l’être humain au sein même du vivant quelque chose qui dessine un devenir particulier, une voie. Etre humain cela a donc un sens anthropologique, phylogénétique
  3. On n’est pas inhumain ou bien si on ne perd pas son humanité, au sens moral du terme. Il s’agit alors de ne pas s’aliéner par une pratique dans laquelle on perd son âme. Etre humain ou pas c’est une question d’éthique
  4. On est un Dasein et que l’on parvient à maintenir ses actes et son essence en étroite corrélation. Ce n’est plus seulement une question d’éthique mais une question d’éthologie, ou plutôt d’ontologie.

Nous disposons ainsi de quatre parties bien distinctes, susceptibles de circonscrire assez efficacement la pluralité des sens que peut revêtir le terme d’humain.




II) Plan détaillé

Est-ce par la technique que l’homme est homme?


  1. Technique,  religion, mythologie: la technique définit-elle l’être humain dans sa relation au divin?

a) Prométhée et le statut d’exception (Platon)

- L’espèce humaine objectée (l’oubli d’Epiméthée et le désoeuvrement)

- La transgression technique (Interdit devant la nature, viol de l’interdit divin) 

- Mesure et démesure (Aidôs et hybris)

b) La vérité qui vient du choeur (Stasimon d’Antigone de Sophocle)

- Le deinos et l’exosomatisme

- Techné et auto limitation (« L'autolimitation est indispensable justement parce que l'homme est terrible (deinos), et que rien d'extérieur ne peut limiter véritablement cette faculté d'être terrible, pas même la justice des dieux garantie par les serments -  Castoriadis) 

- Antigone « soeur du genre humain »: nomos et techné. 

c)  Technique et travail (le fruit défendu)

- La malédiction: conscience et technologie

- La nature déchue

-  Le premier moment du naturalisme (au sens de Philippe Descola)





  1. La technique caractérise-t-elle le devenir anthropologique et phylogénétique de l’être humain?

a) 2001, Odyssée de l’espèce - (Stanley Kubrick)

- Scène de l’os 

- le fondu enchaîné

- Le monolithe

b) Distinction entre l’humain et l’humanisation

- Homo Faber (Henri Bergson)

- Aiôn et Chronos: la question du progrès

- Reformulation du sujet: est-ce par la technique que l’être humain se donne à être ce qui nulle part ne saurait être pensé: nomos humain de l’innommable nommé.


  1. La technique dessine-t-elle un ethos humain susceptible de l’investir d’un rapport d’ipséïté à soi, ou bien est-elle au contraire ce qui le fait sortir d’une éthique humaine?

a) La science moderne et la confusion entre science et technologie 

  -  De la machine comme modèle de compréhension du vivant  (Descartes)

  -  Confusion des fins et des moyens

b) Distinction entre exosomatisme et transhumanisme

    - le pouvoir et la puissance

    - La conquête spatiale

    - Provoquer et révéler ( La centrale de Heidegger)

c) Le pharmakon

      - Le Phèdre de Platon: l’écriture (Teuth et Thamous)

    - Les trois rétentions: Husserl et Bernard Stiegler (confusion introduite par la supériorité de la 3e)

      - « Dans le péril croît aussi ce qui sauve. »  - Holderlin: application à la question du numérique.


      4 .  Le questionnement ontologique du Dasein est-il aliéné ou réalisé par la technique? 

a) Aléthéia (Heidegger)

    - Les deux définitions du vrai

    - Le dévoilement du monde

      - Technique et production (pro-ducere): de la consommation comme problème


b) L’aliénation

- La gestell (sommation et consommation)

- Le temple et la centrale

- de l’ouverture de l’objet technique (Gilbert Simondon)

c) Animal Faber et zoon politikon (Hannah Arendt)

- Vita activa (travail oeuvre et action) - Hannah Arendt

- Sortir de l’oïkos et de la consommation: venir au monde 

- «  L’homme est un animal spécifiquement politique » - Aristote



III) Conclusion (Tragique et Techné)

D’un évènement tragique, nous entendons le plus souvent « dommageable » terrible pour la vie de celles et ceux qui en sont impactés. Mais ce terme a une autre signification pour Nietzsche et il raconte une autre histoire: « affirmation aimante et amorale de la vie qui ne condamne rien, qui n’interdit rien, qui dit oui à tout, même au pire et qui danse sur l’abîme. » Nous ne sommes pas tenu.e.s d’adhérer à tout dans cette définition mais cela ne nous empêche pas particulièrement dans la perspective des innovations techniques de nous rallier à cette dernière image. De fait, c’est comme si l’humanité avait à danser sur l’abîme comme un funambule sur le fil très fragile qui se tend pour nous d’une innovation technologique à une autre et de fait il semble indiscutable que nous tombons. 

La référence au Deinos dans le premier Stasimon d’Antigone de Sophocle est vraiment révélatrice du rapport entre technique et tragique et du caractère énigmatique de notre espèce dont il semble clair que non seulement elle naît, comme ne cesse d’y insister Heidegger, dans un désœuvrement profond en termes de biotope, de milieu, d’endo-somatisme, mais aussi ou plutôt consécutivement à ce « blanc », à cette objection fondamentale (au sens où nous avons l’impression d’être objecté de la création comme l’illustre bien le mythe de Prométhée du Protagoras) elle se retrouve confrontée à une tâche difficile qui est celle de l’autolimitation aussi bien d’un point de vue, légal, éthique que religieux (ce dont la question est celle-là même, en fait qui se développe dans la pièce de Sophocle, laquelle suit de peu Œdipe à Colonne dans laquelle le rapport entre Oedipe et Antigone est souligné: La vie d’Œdipe est comme une limite externe de l’existence humaine, elle l'est au moins jusqu’à la révélation finale du côté de la transgression). Technique et exigence éthique vont de pair pour définir ce par quoi une existence peut être à bon droit considérée comme humaine. 

Or, plus que toute autre chose, cet attelage désigne une feuille de route compliquée et surtout ténue, improvisée. Le sort de l’humanité se joue dans la justesse du dosage de chaque Pharmakon et ce dosage ne peut être compris qu’aux yeux de celles et ceux qui sont à même, comme le fait Antigone, de distinguer le pouvoir et la puissance, c’est-à-dire entre le transhumanisme et l’exosomatisme. Il ne fait aucun doute que c’est bien par la technique que l’être humain est ce qu’il est, c’est-à-dire exosomatique, et il est tout aussi clair que ce corps externe que nous ne cessons de nous composer, de nous faire devenir hors de nous, est « tragique », nous imposant d’être des funambules progressant sur une corde tendue sur l’abîme de la démesure et de l’hybris. C’est donc parce que la technique est bien ce qui ne cesse d’agiter devant nous la tentation d’un pouvoir sans limite sur la nature par lequel nous tomberions dans l’inhumanité qu’elle est aussi le seul point d’équilibre auquel nous pouvons nous tenir pour lui résister. Puisque jamais le sentiment du péril transhumaniste ne s’est imposé à nous avec autant d’intensité qu’aujourd’hui, au sein d’une société adulant celui que Zarathoustra baptisait peu flatteusement du qualificatif de « dernier des hommes »: 




    "Hélas! Le temps vient où l'homme deviendra incapable d'enfanter une étoile dansante. Hélas ! ce qui vient, c'est l'époque de l'homme méprisable entre tous, qui ne saura même plus se mépriser lui-même.

Voici, je vais vous montrer le Dernier Homme :
« Qu'est-ce qu'aimer? Qu'est-ce que créer? Qu'est-ce que désirer? Qu'est-ce qu'une étoile? » Ainsi parlera le Dernier Homme, en clignant de l'œil.
La terre alors sera devenue exiguë, on y verra sautiller le Dernier Homme qui rapetisse toute chose. Son engeance est aussi indestructible que celle du puceron, le Dernier Homme est celui qui vivra le plus longtemps.
« Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes, en clignant de l'œil.
Ils auront abandonné les contrées où la vie est dure ; car on a besoin de chaleur. On aimera encore son prochain et l'on se frottera contre lui, car il faut de la chaleur.
La maladie, la méfiance leur paraîtront autant de péchés ; on n'a qu'à prendre garde où l'on marche ! Insensé qui trébuche encore sur les pierres ou sur les hommes!
Un peu de poison de temps à autre; cela donne des rêves agréables. Et beaucoup de poison pour finir, afin d'avoir une mort agréable.
On travaillera encore, car le travail distrait. Mais on aura soin que cette distraction ne devienne jamais fatigante.
On ne deviendra plus ni riche ni pauvre; c'est trop pénible. Qui donc voudra encore gouverner? Qui donc voudra obéir? L'un et l'autre sont trop pénibles.
Pas de berger et un seul troupeau ! Tous voudront la même chose, tous seront égaux; quiconque sera d'un sentiment différent entrera volontairement à l'asile des fous.
Jadis  tout le monde était fou diront les plus malins en clignant de l'œil 
On sera malin, on saura tout ce qui s'est passé jadis; ainsi l'on aura de quoi se gausser sans fin. On se chamaillera encore, mais on se réconciliera  bien vite, de peur de se gâter la digestion.
On aura son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit; mais on révérera la santé.
« Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes, en  clignant de l'œil. »
Ici prit fin le premier discours de Zarathoustra qu'on appelle aussi le Prologue; car à ce moment les cris et l'hilarité de la foule l'interrompirent. Donne-nous ce Dernier Homme, ô Zarathoustra, criaient-ils; fais de nous ces Derniers Hommes! Et garde pour toi ton Surhumain! » Et tout peuple exultait et faisait entendre des claquements de langue. Mais, Zarathoustra en fut affligé et se dit en son cœur :
« Ils ne me comprennent point, je ne suis pas la bouche qui convient à  ces oreilles.
J'ai trop longtemps vécu en montagne, j'ai trop écouté les ruisseaux et les arbres; je leur parle à présent comme on parle aux chevriers.
Mon âme n'est point ébranlée, elle est claire comme la montagne au matin. Mais eux me croient froid, ils me prennent pour un sinistre farceur.
Et maintenant ils me regardent en ricanant; non contents de ricaner, ils me haïssent par surcroît. Il y a de la glace dans ces rires. »



             Il nous revient de porter toute notre attention à ces passages de l’œuvre de Heidegger dans lesquels le philosophe allemand situe l’exacte place du Dasein par rapport à l’être. Si de fait l’être ne se manifeste à nous que dans les termes d’un questionnement, c’est aussi parce qu’il se révèle à nous tel qu’il est dans sa juste vision comme un authentique visage (Un visage selon Emmanuel Lévinas, c'est "ce qui fait sens à lui tout seul", c'est-à-dire ce dont les expressions n'ont besoin de rien d'autre que soi pour être signifiantes, même si l'on ne sait pas de quoi elles sont signifiantes. C'est l'énigme du visage et c'est aussi l'énigme du dasein) . La technique, c’est-à-dire la production humaine d’ustensiles, d’objets d’art, et d’œuvres sacrées désigne donc la seule activité susceptible d’accueillir l’être tout en l’investissant d’un sens. Si comme le dit Heidegger, « il n’est de monde que comme toujours gros de sens », seul le dasein, en tant que visage, est à même de l’en faire accoucher, et cela suppose un savoir faire de « sage-femme. »




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