Il est rare qu'un évènement auquel nous nous étions préparés se déroule comme nous l'avions prévu. Il y a des aléas, des surprises de dernière minute qui transforment un moment que nous appelions de nos vœux en déception, en échec, voire en catastrophe. La tentation se manifeste alors d'en construire une autre version, de constituer de toutes pièces le souvenir heureux d'une réalité douloureuse ou dramatique. Non seulement nous prenons alors nos désirs pour la réalité mais nous gardons en mémoire la trace d'une fiction qui ne s'est jamais déroulée, en tout cas pas de cette façon. Mais jusqu'où pouvons nous aller dans le processus de notre adhésion à cette version illusoire? Il nous est impossible de ne pas être les premiers au courant de la supercherie et donc de la dénoncer. On ne voit pas comment nous pourrions nous abuser nous-mêmes puisque nous serions alors à la fois trompeurs et trompé.e.s. Si je sais que je me mens, je ne mens pas vraiment. Mais d'un autre côté s'il y a bien une personne avec laquelle je peux m'arranger pour faire passer de la fiction pour de la réalité, c'est bien moi. La rigueur de la vérité s'oppose ici à la tentation de l'illusion accommodante et si, dans le premier cas, la tricherie est impossible, dans la deuxième option, elle est facilitée précisément parce qu'elle se situe dans un rapport à soi-même. De fait, l'impossibilité logique du mensonge à soi même est totalement contrariée par ces distorsions psychologiques ou par ces impostures sociales au gré desquelles nous jouons des personnages que nous ne sommes absolument pas. Mais comment une action impossible pourrait-elle s'ancrer suffisamment dans les habitudes, les mentalités, les usages voire les ressorts mentaux d'une espèce ou d'un individu jusqu'à en constituer le style d'être? L'être humain peut-il se donner d'une réalité connue une représentation fausse et s'en persuader suffisamment pour ignorer, oublier ou nier qu'elle le soit? Le fait qu'il soit doté d'une pensée réflexive, d'une conscience constitue-t-il une garantie de vérité et de sincérité ou ouvre-t-elle au contraire la voie à une perversité inouïe faisant de lui un être opaque à lui-même qui se déroberait à toute transparence, à toute intégrité, à tout crédit, comme Œdipe recherchant sans le savoir le coupable d'un crime dont il est l'auteur?


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