1) Conseils pour le choix du sujet
- Il convient de se retenir de choisir la question dont la réponse nous semble la plus évidente. Si nous croyons pouvoir trancher, c’est probablement que nous n’avons pas saisi toute la dimension problématique du sujet. Il faudrait, au contraire, se décider pour la formulation la plus à même, selon nous, de nous « tenir en haleine » pendant quatre heures, tant parce qu’elle nous interpelle que parce que nous nous sentons incapables de répondre clairement oui ou non.
- La réception de sujets de philosophie suppose un certain état d’esprit. Il s’agit de ne pas tomber dans le piège de la question. Il n’y a pas de réponse juste. Nous serons jugés non pas sur notre réponse positive ou négative mais sur notre capacité à maintenir toujours en nous une marge critique qui nous permettra de nous dégager des arguments précédents, aussi justes qu’ils aient pu d’abord nous paraître, et ainsi à descendre, pallier par pallier, dans des « teneurs de complexité » de plus en plus profondes. Ce que l’on attend de nous c’est que nous manifestions notre réalisation de la justesse de cette question, en tant que question. Ce point est très important : il faut aller à contre-courant de la direction indiquée habituellement par une question, à savoir celle de la réponse. Il convient de se dire : si on me pose une telle question, c’est qu’il y a vraiment là un problème pour la réflexion, une contradiction, et c’est vers cette contradiction qui est la source du questionnement qu’il faut aller. Assimilons la question à une pierre qui serait lancée à partir du sommet d’une colline et que nous croiserions en gravissant la montagne. Il faut se retenir de suivre le mouvement de sa chute et continuer notre ascension pour voir d’où elle tombe. Choisissons donc le sujet dont nous percevons le plus clairement l’ambiguïté.
- Il convient de se sentir attiré par une question, c’est-à-dire troublé. Un sujet peut d’avance nous donner quasiment une sensation de vertige parce que nous sentons bien que sa formulation cache un gouffre de complexité. C’est celui-là qu’il faut choisir.
2) L’introduction
2) L’introduction
Si cette question se pose, c’est qu’elle met le doigt sur un paradoxe, sur une contradiction. Plutôt que de chercher tout de suite à répondre, il convient de se demander d’où vient une telle interrogation. Par exemple, on ne nous poserait pas la question de savoir si les autres nous empêchent d’être nous-même si justement les autres n’étaient pas aussi des agents favorisant le travail de notre identification. La formulation du sujet ne peut se concevoir que comme un appât qui vous met sur la piste d’un problème très difficile, voire impossible à trancher. L’introduction est pour vous l’occasion de montrer que vous n’êtes pas tombé dans le piège de la précipitation vers la réponse mais que vous avez remonté le courant jusqu’à la source du questionnement c’est-à-dire jusqu’au problème.
Il y a trois moments dans une introduction :
- Une phrase d’accroche simple qui amène « gentiment » le problème en partant d’une prise de position commune.
- La contradiction de cette affirmation. Il s’agit justement de montrer que les choses ne sont pas si simples (sans quoi la dissertation à venir n’aurait pas lieu d’être).
- Cette contradiction fait donc apparaître un problème qu’il vous faut formuler le plus précisément et le plus clairement possible. C’est ce que l’on appelle « la problématique ».
Le schéma directeur d’une introduction suit donc les connecteurs logiques suivants : « On entend souvent dire (moment 1)…Pourtant (moment 2)…Le problème est donc de savoir si (moment 3)…En lisant votre problématique, votre correcteur saura si vous avez compris le sujet ou pas.
3) Le plan
Un plan se compose généralement de trois parties. Deux types de plans sont possibles : dialectique ou progressif.
a) Le plan dialectique
Il consiste d’abord à justifier la réponse positive ou négative à la question, puis à développer la thèse opposée enfin à dépasser la contradiction dans une troisième partie qui marque un dépassement, un angle plus subtil de la question posée. Les parties 1 et 2 ne s’opposent pas parce que « ça dépend des points de vue », ou parce que « ça dépend des fois ». Le mieux est d’être vraiment d’accord avec ce que vous dites en première partie et avec ce que vous dites en deuxième partie, au-delà de la contradiction. Vous n’êtes pas dans une discussion pour laquelle il s’agirait de ne pas perdre la face. Vous essayez honnêtement de comprendre quelque chose et d’être attentif à la complexité d’un problème. Il vous appartient donc de saisir à quel point la partie 1 a raison et la partie 2 aussi. Cela dit, la partie deux succédant à la partie un, elle se doit d’être plus forte.
Il importe de bien comprendre que si ces deux « moments » s’opposent par rapport à la thèse défendue, ils ne contredisent pas sur les mêmes arguments. On ne peut pas dire une chose et son contraire. Ils font plutôt « varier les angles ». C’est à cela qu’il importe d’être attentif au fur et à mesure que l’on avance dans une partie, à savoir que la réponse défendue s’appuie en fait sur un principe, un présupposé. On se rendra compte ensuite que la seconde partie se fonde, elle aussi sur un présupposé, complètement différent. Finalement, les deux positions s’affrontent parce qu’elles ne partent pas des mêmes principes. Quand on perçoit bien cette nuance, on détient la clé de la troisième partie. Il s’agit de « soulever » les développements précédents en dégageant clairement les présupposés qui travaillaient chacun d’eux et sont la cause profonde de leur désaccord. Maintenant on peut franchir un cran supplémentaire dans la compréhension de la question posée en faisant porter la réflexion sur ces présupposés et la possibilité de dépasser leur opposition.
(Ainsi sur le sujet : « Les autres nous empêchent-ils d’être nous-même ? », on peut s’apercevoir à la fin des deux parties que le oui s’appuie sur le principe qu’il y a un soi-même authentique alors que la deuxième considère qu’il n’y a aucune autre « moi » à être que celui que les autres nous donne l’opportunité de construire, fût-ce en le jouant comme une succession de rôles. Cette opposition est peut-être un peu simpliste car si nous percevons bien la continuité dynamique de ce flux qui sans cesse nous fait devenir un autre et rend donc impropre le terme de « même » dans « soi-même », il est impossible de remettre en cause l’efficience continuée d’un « même » référent dans la multiplicité de ce qu’il faut bien appeler « nos » ressentis. S’il n’est pas certain que nous ayons un « nous-même », il est impossible que nous ne ressentions pas le fait d’être comme « un ». Exister est une expérience qu’on se sent toujours faire et dont la permanence constitue le fond de cet être que nous appelons « moi ». Mais être, c’est aussi ce que les autres font. Ne serait-il pas possible qu’en moi le sentiment d’être moi soit finalement second, artificiel, suscité par les conventions sociales ? Ne serions-nous pas d’abord, tous les angles différents d’une seule et même réalité, assez écrasante pour occuper la totalité du terrain du vivant, à savoir simplement « le fait d’exister » ? Nous serions tous alors à notre manière « ce que c’est qu’être ». Si cette hypothèse se vérifiait, comme nous y invite finalement les manifestations de « sympathie », terme à prendre ici littéralement : « ressentir avec », comment les autres pourraient-ils m’empêcher d’être moi-même si nous sommes en profondeur ce qui justement ne laisse subsister aucune délimitation entre les êtres ? On peut remarquer ici que la 3e partie dépasse les précédentes sans pour autant éviter la réponse nette à la question posée, à savoir « non »)
b) Le plan progressif
Le plan progressif suppose une réflexion préalable plus importante permettant au candidat de discerner plusieurs sens possibles au problème posé. On peut dés lors traiter autant de parties que l’on relève de sens possibles à la question. La difficulté ici consiste à n’oublier aucune signification importante du sujet, sans quoi on rédigera une dissertation hors sujet. Lorsque l’on a distingué les différentes parties, il convient de les classer en partant de l’acception la plus simple du sujet jusqu’à la plus complexe.
(« Les autres nous empêchent-ils d’être nous-même ? » - Evidemment « les autres » est un terme assez vaste pour revêtir plusieurs sens : 1. les autres personnes 2. La société 3. L’autre que l’on est à soi-même quand on se voit agir et vivre. On dispose ainsi d’un plan en trois parties).
4) Le développement
a) le style d’écriture
Dans la vie de tous les jours, nous « parlons pour parler », c’est-à-dire ce que nous disons est complètement parasité par une fonction première et finalement exclusive de communication. Nous ne défendons pas vraiment un point de vue parce qu’il nous semble vrai mais d’une part pour prendre place dans une conversation qui nous intègrera à un groupe, d’autre part pour nous donner au sein de ce groupe une certaine image. Cette mécanique aboutit le plus souvent à ce que nous nous mettions d’accord sur des opinions qui, au vrai, ne sont celles de personne (et donc aussi de tout le monde). C’est ce que le philosophe Heidegger appelle « bavarder ». Une dissertation de philosophie nous donne l’occasion de nous débarrasser de ce « parasitage ». Vous n’avez à vous situer nulle part, à l’égard d’aucun groupe. Il s’agit de s’exprimer sans se soucier de projeter de soi une image quelconque et donc d’explorer une question pour ce qu’elle est. On peut toujours objecter qu’il faut plaire à celui qui vous corrigera mais vous ne pouvez rien en savoir personnellement, le jour du baccalauréat. Une chose est sûre : cette personne enseigne la philosophie, ce qui signifie qu’elle vous jugera sur votre aptitude à traiter une question, et pas sur une certaine façon d’être dont il s’agirait d’imprégner votre écriture.
Se situer hors de tout bavardage, éviter d’alourdir son style en voulant absolument impressionner le lecteur pour qu’il soit de votre avis, constituent deux impératifs absolus pour ce type de rédaction. Il convient de chercher la partie de vous la plus froide et la plus observatrice possible pour dire ou déduire « ce qui est », indépendamment de ce que vous pensiez avant ou de ce que les préjugés d’un milieu vous faisait penser. Ecrire en soi nous empêche de recourir aux facilités, aux signes de complicité, à la souplesse qu’autorise la parole. C’est un exercice qui ne présuppose pas la séduction de l’interlocuteur. C’est exactement cela qui explique que l’on n’ait pas le droit d’utiliser le « je pense que.. ». Il s’agit de court-circuiter toute tentative d’auto-fondation de ces propos comme s’il suffisait que ce soit moi qui pense pour que la thèse défendue soit validée.
b) la structure d’un paragraphe
Un paragraphe approfondit un aspect du problème et argumente un moment de la thèse défendue dans la partie au cœur de laquelle il est inséré. Il sera forcément efficace s’il est rédigé calmement avec le simple souci d’observer et de déduire sans forcer l’adhésion du lecteur. Ce n’est pas un exercice de rhétorique pour lequel il s’agirait d’avancer n’importe quel exemple en accord avec l’affirmation défendue. Il peut être opportun de suivre logiquement le fil du paragraphe précédent en faisant remarquer que ce qui y a été avancé pose une question. On formule cette interrogation et on entreprend simplement d’y répondre le plus rigoureusement possible en prenant vraiment cette question pour ce qu’elle est. Il importe de bien tenir compte des idées qui vous viennent pendant la rédaction. Peut-être est-on en train de se rendre compte que ce que l’on est en train de prouver est conforme à un certain présupposé du sujet qui, en lui-même, est discutable. On peut noter cette pensée sur une feuille de brouillon à côté parce que votre devoir alors est en train de se construire tout seul et vous venez d’avoir un argument qui vous servira dans la partie suivante. Qu’une part de votre attention soit ainsi constamment à la pointe de l’écriture, projetée vers la suite, est très bon signe.
Il existe un critère de rédaction qui guide constamment la structure d’un paragraphe. Il n’est pas question d’avoir une idée et de l’argumenter ensuite, il s’agit plutôt de l’inverse : vous avez l’idée qui suit logiquement le fil de l’argumentation tel qu’il se déploie dans toute la dissertation. Il n’est donc pas question de se creuser l’esprit en attendant « la révélation » mais de prêter attention à l’idée qui se dégage des paragraphes ou de la question qui précédent. C’est la raison pour laquelle il est essentiel de ne jamais aborder cet exercice avec des idées reçues. Une dissertation, c’est le travail d’exploration et de fondation d’idées acquises finissant par craqueler et disperser les épaisses couches fossilisées de nos idées reçues. Dans le fil de cette démarche, une référence à un auteur, un exemple ou un argument irréfutable et suivi peuvent venir à notre esprit séparément ou successivement pour une même démonstration. L’essentiel est ici de maintenir une authentique densité d’écriture, c’est-à-dire une implication réciproque continuelle de vos phrases de telle sorte que votre lecteur comprenne toujours pourquoi vous êtes en effet autorisée à dire ceci après avoir dit cela. Il importe vraiment de se tenir à cette exigence d’implication, d’une part parce que votre expression sera claire, d’autre part parce que les idées s’enchaîneront sans rupture ni effort. Il s’agit simplement de se laisser porter par cette sorte de processus d’engendrement rédactionnel par lequel chaque phrase « accouche » de la suivante.
5) La conclusion
Elle se divise en deux moments :
- Récapituler le chemin effectué en marquant clairement les étapes décisives de votre réflexion, c’est-à-dire les moments de votre travail à partir desquels votre dissertation a pris un nouveau tour, s’est relancée par le biais d’une certaine orientation.
- Répondre clairement au sujet par une phrase (pas par un « oui » ou un « non ») qui prend nettement position tout en décrivant à partir de quel angle du sujet elle le fait (pour un plan dialectique, cet angle doit bien marquer sa supériorité par rapport aux prises de position de la partie 1 et 2 par sa finesse et son esprit nuancé).
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