mardi 10 octobre 2017

Le désir et le symbole - Texte de Siegmund Freud extrait de "Au-delà du principe de plaisir" (1920)


« J’ai profité d’une occasion qui s’était offerte à moi pour étudier les démarches d’un garçon âgé de 18 mois, au cours de son premier jeu, qui était de sa propre invention (…) Cet enfant avait l’habitude d’envoyer tous les petits objets qui lui tombaient sous la main dans le coin d’une pièce, sous un lit, etc. En jetant loin de lui ses objets, il prononçait avec un intérêt et de satisfaction le son prolongé o-o-o-o qui, selon les jugements concordants de la mère et de l’observateur, n’était nullement une interjection mais signifiait le mot « Fort » (loin). Je me suis aperçu que c’était là un jeu et que l’enfant n’utilisait ses jouets que pour les jeter au loin. Un jour je fis une observation qui confirma ma manière de voir. L’enfant avait une bobine de bois, entourée d’une ficelle. Pas une seule fois l’idée ne lui était venue de trainer cette bobine derrière lui, c’est-à-dire de jouer avec elle à la voiture, mais tout en maintenant le fil il lançait la bobine avec beaucoup d’adresse par-dessus le bord de son lit entouré d’un rideau où elle disparaissait. Il prononçait alors son invariable o-o-o-o, retirait la bobine du lit et la saluait cette fois par un joyeux « da ! » (voilà). Tel était le jeu complet, comportant une disparition et une réapparition, mais dont on ne voyait généralement que le premier acte, lequel était répété inlassablement, bien qu’il fut évident que c’est le deuxième acte qui procurait à l’enfant le plus de plaisir.
L’interprétation du jeu fut alors facile. Le grand effort que l’enfant s’imposait avait la signification d’un renoncement à un penchant et lui permettait de supporter sans protestation le départ et l’absence de la mère. L’enfant se dédommageait pour ainsi dire de ce départ et de cette absence, en reproduisant avec les objets qu’il avait sous la main, la scène de la disparition et de la réapparition (…) Une observation exempte de parti pris laisse l’impression que l’enfant a fait de l’événement qui nous intéresse l’objet d’un jeu, c’est pour la raison suivante : il se trouvait devant cet événement dans une habitude passive, le subissait pour ainsi dire : et voilà qu’il assume un rôle actif, en le reproduisant sous la forme d’un jeu, malgré son caractère désagréable. »

  
Questions:
1) En quoi cette interprétation du jeu de l'enfant par Freud pose-t-elle une articulation du désir et de la faculté de symbolisation ? Peut-on la généraliser (à tout être humain dans l'enfance)? Pourquoi?
2) Combien de niveaux d’abstraction, ou de représentation peut-on  relever dans cette analyse? Décrivez-les.
3) Freud utilise le terme de "dédommagement". Rousseau décrit le désir comme une force consolante: que pouvons-nous en déduire sur la nature du désir et sur sa relation avec l'objet?
4) A la lumière de cette analyse de Freud commentez cette affirmation du philosophe Alain:
« Le désir est, à ce que je crois, un très petit personnage. Il n’y a rien de plus commun que de désirer être un grand peintre, ou un évêque, ou un général. Ou bien l’on désire d’être aimé d’une belle fille. Ce n’est que rêverie, et sans aucun développement ; les désirs ne font rien."
5) Pourquoi peut-on dire du désir amoureux qu'il est constamment impliqué dans l'acte de décrypter, d'interpréter des signes? Utilisez un ou plusieurs exemples (éventuellement puisés dans la littérature ou le cinéma)
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire