mardi 29 septembre 2020

Amendement de l'article 20 de la loi sur la bio-éthique

 

On a pu se rendre compte des effets considérables que cet amendement à l’article 20 de la loi portant sur la bioéthique pouvaient engendrer. L’ironie de cette affaire réside dans le fait que c’est précisément en voulant clarifier la loi qu’en réalité on crée des réactions qui ne font que l’obscurcir davantage, les opposants à l’avortement profitant de l’occasion pour relier cette incongruité d’un avortement à 9 mois avec un contexte économique et social en crise. L’IMG est réservé à des situations vraiment critiques pour lesquelles il est absolument impossible que l’enfant à naître soit élevé par la mère dans des conditions décentes.
        Mais autant les indignations nombreuses que l’on trouve sur le net concernant cet amendement sont douteuses en ce qu’elles témoignent d’une méconnaissance profonde de la loi telle qu’elle est appliquée depuis 2002, autant le fond du sujet demeure:
          

A partir de quelle phase du développement du foetus avons-nous affaire à une personne de droit? Peut-on faire valoir des arguments sociaux et économiques pour intervenir sur un processus naturel. Peut-être atteignons nous le point critique de cette question sur laquelle chacun des deux camps défend des prises de position viscérales (preuve que c’est une question absolument fondamentale) lorsque nous pointons la contradiction d’une venue au monde qui s’inscrit à la fois dans une dimension sociale, à savoir qu’aucune naissance ne s’effectue simplement « comme ça », mais qu’elle est toujours pré-déterminée par les conditions dans lesquelles les futurs parents se sont rencontrés, par ce qu’ils gagnent, par leur valeurs, bref par un contexte précis qui en aucune manière ne saurait être neutre et qu’en même temps, dans une  dimension naturelle, c’est-à-dire « sacrée ». Dés qu’elle est enceinte, la mère n’est plus seulement responsable d’elle-même mais aussi de cet enfant qui est le fruit de la vie avant d’être le sien.

        On sait bien que souvent les anti-avortement sont aussi les défenseurs de positions très traditionnelles sur la place de la femme au sein de la famille et de la société. Elle est « la procréatrice », mais ces options de vie qui relèvent d’un autre âge cachent d’autres arguments plus puissants, à savoir que la vie est en soi « une valeur » et qu’aucune donnée socio-économique ne peut relativiser le caractère absolu de cette valeur. Le fait que l’on trouve notamment à l’extrême droite de l’échiquier politique, notamment aux EU des militants anti-avortement qui sont en même temps des défenseurs de la peine de mort suffit à les discréditer complètement. Il est absolument impossible d’accorder à la vie une valeur en soi « ici » et soudainement de se rétracter « là » dés que la question concerne les condamnés à mort.
          
Khalil Gibran dit: « Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont fils et filles du désir de Vie en lui-même. Ils viennent par vous mais non de vous, et bien qu'ils soient avec vous, ce n'est pas à vous qu'ils appartiennent. » et nous pourrions considérer qu’il s’agit là d’une position clairement anti-avortement qui pointe vraiment la question du rapport parental. Jusqu’à quel point est-il assimilable à cette appropriation marquée par le pronom possessif?  Aussi pertinente que soit cette affirmation, elle se prolonge nécessairement dans l’éducation et devrait, si elle était respectée, justifier un étrange devoir de « neutralité » très difficile à concevoir « concrètement »: comment maintenir l’enfant que l’on élève hors des valeurs qui sont les nôtres, en s’efforçant de ne pas l’influencer?  Si le rapport à la vie est en lui-même par lui-même sacré, pourquoi ne pas lui faire droit également dans la relation que nous avons aux animaux, aux expérimentations animales, etc? Ici encore, le fait que très souvent les anti-avortement aient des convictions religieuses très fortes pose problème lorsque ces religions accordent à l’homme une place privilégiée dans la création. La valeur défendue ici n’est pas la vie mais « la vie humaine », mais alors si la vie humaine vaut en elle-même et pour elle-même, quelle position faut-il adopter concernant les inégalités sociales et économiques dans lesquelles les bébés humains naissent?

« Avoir un enfant: ça n’a pas de prix »
Si, ça en a un, dans tous les sens du terme et cela doit être un prix que l’on est vraiment heureux de payer
          

Cette dernière considération est vraiment fondamentale: elle doit nous faire comprendre le sens de la parentalité. Qu’est-ce que c’est: être un parent? C’est donner, dans la conscience avertie et assumée que ce don n’appelle à aucun niveau le moindre retour. Il n’est pas question d’être récompensé par quoi que ce soit. On donne de soi à un autre être qui, en aucune manière n’est tenu à nous rendre « la pareille », laquelle en l’occurrence est absolument impossible. Etre parent c’est renoncer à la règle habituelle de l’échange du « donnant donnant ». On donne et puis, c’est tout, sans arrière pensée. L’amour parental doit être donné, sans condition. En toute dernière analyse, il se trouve que ce don est à l’image exacte de ce qu’une vie « est » existentiellement, à savoir une pure et simple libération d’énergie gratuite dans une atmosphère où elle se perdra, diminuera, s’éteindra. Ce que l’on est seulement en droit d’espérer de cet exercice de la parentalité, c’est une forme de sagesse, un certain type de rapport qui nous situe dans l’exacte trajectoire de ce que vivre « est », à savoir donner de soi, « se dépenser », « s’effectuer » sans espoir de retour, ni même de gratitude. A bien des titres, cela ressemble à ce que Spinoza appelle de « la joie ». Vivre est bien en effet, une situation absolue mais pas au sens où nous devrions la produire aveuglément, plutôt parce que nous n’avons rien à en attendre. Vivre ne se mérite pas, cela se donne comme une réalité qui jamais ne nous a été « dûe ». Contrairement à une idée reçue, nous ne contractons aucune dette à l’égard de nos parents, nous ne leur « devons » rien. C’est une condition que l’on assume dans une entière verticalité et c’est précisément parce que l’on ne gagne rien à être parent que cette condition est paradoxalement si avantageuse en terme de sagesse de vie. Elle fait comprendre le sens de la vie au sens littéral du terme: donner sans recevoir, libérer sans contraindre, faire s’épanouir sans contrepartie. La maternité, c’est de l’héroïsme silencieux, du sacrifice sans ostentation, de l’humilité bien comprise qui ne s’affirme jamais.

           
Qu’une femme ne se sente pas prête pour acquérir ce type de sagesse est  plus que compréhensible si la grossesse n’a pas été désirée ou pire encore: si elle s’est déclarée dans un contexte de violence ou d’inconscience. Il n’est pas exclu que cette sagesse aurait pu être acquise dans le feu de cette action consistant à assumer malgré tout sa maternité, mais aucune question de société (puisque c’en est une) ne saurait légitiment être moins « idéologisée » que celle-ci. C’est pourquoi ce débat est aussi falsifié. La loi sur l’avortement ne fait que donner aux femmes une possibilité qu’elles n’avaient pas, donnant ainsi plus de poids encore au « choix d’être mère ». Etre parent est  une forme optimisée de relation à l’autre qui consiste à se porter garant de lui, à en répondre. C’est donc en effet une forme de responsabilité qui en aucune manière ne saurait être idéologiquement dictée et encore moins contrainte. Cela participe donc de l’ipséïté au sens donné par Paul Ricoeur à ce terme. On ne peut être soi qu’en se portant garant de l'autre et il existe une multitude de façon de répondre d’Autrui. La parentalité en est simplement une forme extrême qui, à ce titre, ne peut se concevoir sans un consentement radical. Il n’est donc pas défendable d’imposer la parentalité comme un impératif légal, moral ou religieux.


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