vendredi 21 janvier 2022

La (très) mauvaise "littérature" de Bruno Lemaire (très!)

               

Bruno Lemaire qui regarde Emmanuel Macron

 A plusieurs reprises, certaines de mes élèves m'ont demandé des exemples de littérature dans lesquelles le vouloir-dire de la parole serait écrasé, étouffé par le vouloir dire de la langue. J'ai beaucoup cherché et j'ai fini par trouver. Il n'est pas rare que nos hommes politiques, Valéry Giscard D'Estaing, Alain Juppé, et donc Bruno Lemaire, Ministre actuel de l'économie et des Finances nourrissent des ambitions littéraires. Peut-être les nourrissent-ils trop, en fait, et donnent-ils ainsi naissance à des essais littéraires saturés de graisse hyperbolique et bouffis de protéines périphrastiques. Trouver la solitude nécessaire à la création d'une oeuvre quand on est homme politique n'est pas évident et finalement, de ce point de vue là, Bruno! franchement!  Il aurait mieux fallu jeûner. 

                    Dans son livre: "Mémoires provisoires" , (très bon titre à condition que ce soit vrai....), Bruno Lemaire nous assène cette longue description d'un regard d'Emmanuel Macron: "Il se tut, me fixa de son regard bleu sur lequel glissaient des éclats métalliques comme un lac accablé de soleil dont il aurait été impossible sous le scintillement des reflets de percer la surface."

                Je distingue bien dans cette phrase le vouloir dire de la langue: les verbes sont bien conjugués, la métaphore est filée...Euh...... très, très filée, j'irai même jusqu'à dire que ça tient plus de la corde, du câble que du fil. C'est grammaticalement imparable. C'est beau comme un camion  neuf sur l'autoroute du soleil  qui fait  Pouêt! Pouêt!  


Bruno Lemaire met le pied sur sa table de travail. Il est cool Bruno!

                Seulement voilà, du point de vue du vouloir dire de la parole, c'est-à-dire de ce qui dans l'ACTE de prendre la plume peut ici faire "évènement", et bien..... J'ai un peu de mal. Emmanuel Macron a les yeux bleus et pour ma part je me suis un peu "noyé dans le lac" parce que je ne vois pas du tout à quelle couleur ça peut correspondre: " bleu sur lequel glissaient des éclats métalliques comme un lac accablé de soleil dont il aurait été impossible sous le scintillement des reflets de percer la surface."    Imaginons une autre scène:

- Tiens hier je me suis acheté un pull.

- Ah de quelle couleur?

 - Bleu

- Tu veux dire bleu ciel, bleu turquoise?

- Non, plutôt "bleu sur lequel glissaient des éclats métalliques comme un lac accablé de soleil dont il aurait été impossible sous le scintillement des reflets de percer la surface."

- Ah oui, je vois bien. Super!

 

Regard bleu sur lequel glissaient des éclats métalliques comme un lac accablé de soleil dont il aurait été impossible sous le scintillement des reflets de percer la surface

Nous avons affaire à de la mauvaise littérature quand le vouloir-dire de la langue fait perdre tout effet de réel, de surprise, de nouveauté à l'éventuel vouloir-dire de la parole de l'auteur. Bon! Ici, en plus, il n'est pas avéré qu'il y en ait vraiment, parce qu'évidemment ce qui est sous-entendu c'est qu'Emmanuel Macron a des yeux qui sont magnifiquement bleus, et même qu'on n'arrive pas à en percer la surface....peut-être qu'on a autre chose à faire en fait que percer la surface des reflets métalliques machin truc! Mais passons! On aurait pu plagier les inconnus et leur superbe poème: "Emmanuel a les yeux bleus, Bleus les yeux Emmanuel a".  Ça nous aurait fait gagner du temps. 


            Quand une métaphore tombe-t-elle dans l'eau du lac bleu où les reflets machin chouette....? Quand est-elle mauvaise?  Quand elle ne va nulle part, quand elle ne crée aucun effet de cohérence avec le personnage ni aucun effet de style avec l'atmosphère du roman...Bref ici, quand Bruno Lemaire écrit. Soyons clair: relier la pigmentation des yeux d'une personne à un lac "accablé" de soleil, c'est tout à fait possible (même si "accablé"....Bon! Passons!) mais encore faut-il que cela recouvre quelque chose quant à l'action, au caractère du "héros", à la situation. Relier des traits de la physionomie d'un personnage à des éléments du paysage et du temps, c'est très, très courant dans la littérature, mais chez les vrais auteurs , ça va quelque part, cela revêt un "sens" dans l'oeuvre, alors que là, tout ce que cela dénote, c'est la volonté d'un ministre de théâtraliser son président, pratique dont Bruno est apparemment fervent puisque dans une conférence de presse très modeste il avait parlé d'Emmanuel Macron sous les traits de  Jupiter et  de lui comme Hermès (je ne sais pas si c'est une bonne idée d'Olympiser comme ça à tout va parce que tôt ou tard, on va quand même se demander qui c'est la Gorgone, Cerbère, Pan, Bacchus?)


              Il est nécessaire que quelque chose d'existentiel, voire de vital s'engage et se joue dans la littérature. Lire du Virginia Woolf c'est percevoir à quel point chaque phrase qu'elle a rédigée est une façon pour elle de procrastiner son suicide. Chaque virgule est empreinte de cette remise à plus tard jusqu'à ce que cela ne soit plus possible. Quand nous lisons donc la prose de cet homme politique,  nous pouvons légitimement en déduire que Monsieur Lemaire n'est pas prêt de mettre fin à ses jours. 

Regard bleu sur lequel glissaient ..machin truc...mais en plus crispé

                    Une dernière précision: je n'ignore pas que Bruno Lemaire a été reçu premier à l'agrégation de Lettres Modernes. En fait, c'est absolument essentiel pour comprendre la différence entre ce que Maurice Merleau Ponty appelle la parole instituée et la parole constituée (ou se constituant). Je suis sûr que "mémoires provisoires" est un "chef d'oeuvre"  mais plutôt de la parole instituée, c'est-à-dire de "non-littérature" absolue. On n'écrit pas si l'on ne ressent pas vivement la nécessité  éventuellement douloureuse de prendre la parole. Annie Ernaux, par exemple, est à la fois diplômée et auteure, mais elle a quelque chose à faire entendre: le conflit entre ses origines sociales déclassées et le milieu au sein duquel  elle s'est frayée un chemin par son talent. On n'écrit pas si l'on ne "balbutie" pas sa langue, comme dit Gilles Deleuze, c'est-à-dire si on ne la fait pas céder sous la pression bienheureuse des affects. C'est exactement cela: "brutaliser le vouloir dire de la langue par le vouloir dire de la parole." 

            Le parcours de Monsieur Lemaire, par contraste, est édifiant: né dans un milieu social très favorisé (mais vraiment!), doté quasiment dés sa naissance de tous les bons mots de passe nécessaires à la traversée sans encombres des check-points des institutions, il a été premier partout, adoubé par ses pairs à chacune des étapes décisives de son existence. Il peut sembler difficile de ne pas envier une vie si lisse, si productive en termes de diplômes et d'ascension (même si à bien y regarder, il n'est rien dans ce parcours qui dessine autre chose qu'un pléonasme social). Prenons au pied de la lettre sa métaphore olympique, Hermès, le messager ailé, n'a jamais vraiment touché terre. Mais, en même temps, il n'a peut-être jamais vécu, comme semble l'attester son intense activité sur les réseaux sociaux, sur sa passion pour les cochons d'Inde, sur les clichés de ses vacances en famille dont je dois honteusement reconnaître ici que je les situe au même niveau que les confessions de Nabila sur sa shopping-mania ou les placements produits de Marlène Schiappa. C'est le triomphe glorieux et consternant du stade de miroir, de l'extimité youtubeuse de celles et ceux qui dans la clandestinité prolifique de l'être à soi d'un corps senti n'ont rien à dire.  N'ayant que peu vécu il peut discourir sur tout sans avoir finalement à prendre la parole sur rien (d'ailleurs Bruno! Jackie est très mignonne...mais euh.....ce n'est pas une "personne" en fait....à moins d'adhérer à cette déclaration de Stéphanie de Monaco, je cite: "les animaux sont des êtres humains comme les autres." Méditations métaphysiques" Steph de Monac, p 26)


                Qu'on y réfléchisse un peu et nous nous rapprocherons d'un critère effectif de sélection entre les vrais auteurs et les autres puisque il semble aller de soi que la publication, en elle-même, ne peut pas en constituer un. En effet, que Monsieur Bruno Lemaire ait trouvé tout de suite un éditeur alors que Marcel Proust, non (le manuscrit de la Recherche  a été d'abord refusé par Gallimard), pose quand même un peu question. L'avidité de ces "adoubés de naissance" est d'une veulerie sans bornes, mais cela peut parfaitement se comprendre car il est une dimension (la seule authentique, en fait) de l'existence dont l'évitement et le ratage  portent la marque et signent la garantie même même de leur réussite. Est-ce que Monsieur Lemaire sait écrire (au sens du vouloir dire de la langue: accorder les participes, déployer les relatives et les conjonctives, veiller à la syntaxe et la conformité grammaticale de ses phrases)? Oui, et mieux que quiconque. Est-ce que Monsieur Lemaire a quelque chose à écrire (au sens du vouloir dire de la parole, d'une efficience existentielle à exprimer, d'un élan idiosyncrasique qui puisse tenir la gageure d'un style authentique)? Non.

Une femme (Annie Ernaux)  qui écrit (vraiment) sur la table sans mettre les pieds dessus.


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