lundi 14 mars 2022

HLP Terminale: Les limites de l'être humain (quelle éthique pour le zôon politikon?)

  1. Deinos et Zôon Politikon

Dans le cours de cette année portant sur « les métamorphoses du moi », nous avons formulé l’hypothèse selon laquelle Narcisse pourrait correspondre à la figure de la mêmeté selon la distinction de Paul Ricoeur et qu’Antigone assumerait celle de l’ipséïté, à savoir cette « fonction » d’incarner une consistance éthique, une fermeté d’attitude se définissant par un horizon déterminé (enterrer son frère) et finalement à s’y tenir contre Créon, contre les lois humaines, contre les exigences de survie les plus instantes.  Oedipe désignerait finalement dans cette répartition un « chemin », puisque il est d’abord celui qui veut savoir qui il est (mêmeté) et finalement qui, après l’avoir appris, erre, aveugle, avec Antigone dans un voyage au cours duquel il explore le mode d’existence d’une vie qui jusque là fut broyée par la fatalité et des décrets des Dieux mais précisément qui dans ce suspens là, dans cette complicité avec sa fille et la destitution radicale de toute responsabilité politique semble expérimenter une forme d’invisibilité, de lucidité non-voyante, creuset éventuel de l’ipséïté d’Antigone. 

C’est exactement dans cette tragédie jouée pour la première fois en 441 avant JC que se situe le premier Stasimon du choeur décrivant l’être humain comme « Deinos », terme très, très ambigu signifiant à la fois merveille et terreur:

« Il est bien des merveilles (deinos) en ce monde mais il n’en est pas de plus grande que celle de l’Homme ( « Il est bien des êtres terribles en ce monde, mais il n’en est pas de plus terrible (deinos) que l’homme.) 

Il est l’être qui sait traverser la mer grise, à l’heure où souffle le vent du Sud et ses orages, et qui va son chemin au milieu des abîmes que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l’être qui tourmente la déesse auguste entre toutes, la Terre,

La Terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont chaque année la sillonnant sans répit, celui qui la fait labourer par les produits de ses cavales.

Les oiseaux étourdis, il les enserre et il les prend,

tout comme le gibier des champs et les poissons peuplant les mers, dans les mailles de ses filets,

L’homme à l’esprit ingénieux. Par ses engins il se rend maître

de l’animal sauvage qui va courant les monts, et, que le moment venu, il mettra sous le joug et le cheval à l’épaisse crinière et l’infatigable taureau des montagnes.

Parole, pensée vite comme le vent, aspirations d’où naissent les cités, tout cela il se l’est enseigné à lui-même, aussi bien qu’il a su, en se faisant un gîte,

se dérober aux traits du gel ou de la pluie, cruels à ceux qui n’ont d’autres toits que le ciel 

Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien de ce que peut lui offrir l’avenir. Contre la mort seule,

il n’aura jamais de charme permettant de lui échapper, bien qu’il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres imaginer plus d’un remède.

Mais, ainsi maître d’un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance, il peut prendre ensuite la route du mal comme du bien.

Qu’il fasse donc dans ce savoir une part aux lois de son pays et à la justice des dieux, à laquelle il a juré foi !

Il montera alors très haut au-dessus de sa cité, tandis qu’il s’exclut de cette cité le jour où Il laisse le crime le contaminer par bravade.

Ah ! Qu’il n’ait plus de place alors à mon foyer ni parmi mes amis, si c’est là comme il se comporte ! »      

  SOPHOCLE (495-406 av.JC) dans « ANTIGONE » Trad Paul Mazon)

 

Le Chœur est un groupe de personnes (de 15 mais à l’origine il pouvait être composé de 50 membres) exécutant des danses et des chants et commentant les aléas de la pièce pour éventuellement aider le public, exprimer les pensées intérieures du héros ou plus systématiquement celles de l’auteur lui-même.  Il faut donc se représenter ici la scène du théâtre grec à ce moment: Antigone est amenée à Créon après avoir été arrêtée, prise en flagrant délit d’enterrer son frère Polynice.  Créon a exprimé son mécontentement et le choeur prend la parole (Stasimon signifie chant du choeur) pour évoquer finalement « l’animal humain », ce qui fait de lui un être tout à la fois merveilleux au sens où il fait exception et pour cette raison même de terrible.

Avant de nous efforcer de comprendre ce premier Stasimon, on peut noter qu’il fût au fil des traductions l’objet de tergiversations inouïes tant il semble évident que selon le degré de confiance en l’être humain de l’époque, le terme de Deinos oscille entre la terreur et la merveille (Pour le traducteur Pic de la Mirandole (renaissance), c’est « merveille ». Pour Holderlin, c’est « monstrueux ». Pour Heidegger, reprenant Holderlin c’est l’être dont le mode d’être est violence. Jacques Lacan évoquera les termes de « terrifiant et épatant ». Finalement Jacques Derrida pointera sans difficulté et avec justesse qu’il y a une énigme du Deinos et qu’il est certain que Sophocle par ce terme, use du génie de la langue grecque pour signifier l’animal susceptible d’éveiller conjointement le sentiment du sublime et de la pure terreur).  De fait quelque chose de ce terme, par son ambiguïté, fut comme le tain du miroir dans lequel se s’est reflétée l’esprit de toutes les époques qui ont tenté de le traduire. C’est comme si Sophocle au 5e siècle avant JC avait bel et bien pris l’animal humain dans les filets rhétoriques d’une formulation aussi parfaite que prophétique. Dans ce chant la parole tragique est prophétique sans prendre de risques, en un sens, parce qu’il est impossible que l’être humain oscille finalement entre deux autres pôles que ces deux là: le miracle et l’abjection.

Dans tout ce que nous allons tenter de mettre à jour dans cette explication du texte, il convient de vraiment garder en tête la date de rédaction de cette oeuvre: 442/441 avant JC. Nous pouvons relever trois grandes parties dans ce chant:

  1. Sophocle évoque la maîtrise technique de la nature dont l’être humain fait preuve par des inventions diverses: les navires, la charrue, les pièges de chasse et les filets de pêche, la domestication des chevaux et des taureaux
  2. L’homme est autodidacte. Il s’est doté lui-même par son aptitude à la parole articulée, au Logos à la cité, à la Polis, en grec et déploie ainsi une nouvelle dimension dont la puissance ne semble pas avoir d’autre limite que celle de la mort.
  3. Mais il est donc, à cause de cette puissance, de cette absence de limites naturelles, en situation d’avoir à se fixer de lui-même des limites politiques et religieuses. L’être humain est affaire de seuil critique. Il est « l’animal critique » par excellence, celui qui ne peut être par définition que sublime ou immonde, parce que s’il sait, par lui-même, s’imposer un Ethos, alors sa puissance sera « très au-dessus de sa cité » 


Il convient également de tenter de cerner, autant qu’on le peut, l’intention de Sophocle, en mettant dans la bouche impersonnelle du choeur ou polyphonique cet avertissement qui résonne tout autant comme un avertissement lancé à l’être humain que comme une réflexion à tous égards éthique à l’égard de l’héroïne de la pièce. C’est le premier Stasimon, la première fois que le chant s’adresse au public pour l’aider à situer ce qui est en train de se jouer. L’être humain n’a pas d’autres limitations que la mort d’un point de vue physique et la loi qu’il s’impose à lui-même d’un point de vue politique. Cette puissance que tu as par les prodiges de tes inventions t’exclue de toute limitation de la nature, mais dés lors, ce qui se joue dans ton rapport à la loi est bien au-delà d’une simple bravade ou d’une simple absence de jugement. Celle ou celui qui contrevient à la loi explore une dimension de l’existence absolument improbable que l’on pourrait appeler « anomie », l’absence de Nomos. En d’autres termes, l’Humain est en prise avec une forme de chaos, de sans loi, de sans fond, précisément pour toutes les raisons qui fond de lui une merveille. S’il est merveilleux, c’est parce que les limites naturelles n’ont plus sur lui aucune prise, contrairement aux animaux pour lesquels semblent s’exercer une sorte de nomos naturel. 

Aussi étrange que cela puisse paraître, un détour (qui n’en est pas un) par les super-héros pourrait ici nous éclairer car enfin qu’est-ce qui caractérise le super-héros? Son émancipation à l’égard des lois naturelles et dés lors l’incommensurable puissance dont il se trouve l’infortuné détenteur.  Qu’est-ce que le droit, en effet? C’est une limitation de ce que nous pouvons. Ce n’est pas parce que tu peux frapper ton épouse, par exemple, que tu peux le faire légalement. Ce que tu dois, c’est précisément saisir la limite qui t’interdit de faire ce que tu peux physiquement. Mais nous avons toutes et tous tendance à croire que nous sommes physiquement limités de telle sorte que la limite légale du droit nous apparaît comme redoublant la limite physique de nos limites naturelles alors qu’en réalité, à l’échelle de l’espèce, nous sommes exactement comme Superman ou les Avengers. Notre Ethos, notre attitude ne se dessine pas sur la ligne de crêtes qui sépare ce qui est convenable de ce qui ne l’est pas mais plutôt celle qui distingue le monde du chaos, l’anomal du Nomos c’est-à-dire du droit.

  


                Cela signifie que cette absence de limite sur laquelle se dessine la limite légale est absolument illimitée.  Dés lors le principe même du droit et de la loi change: ce n’est pas parce que peux tout que tu peux tout, mais sache que tu peux tout et ainsi tu mesureras mieux à sa juste hauteur, à sa juste mesure ce qu’obéir à la loi signifie en réalité. Ce n’est pas parce que tu disposes du pouvoir d’un Dieu que tu ne dois pas te comporter comme un homme, que finalement tu n’as pas à inventer ce que c’est qu’être un humain, ce que c’est qu’une cité; ce que c’est qu’un humain dans une cité. La loi n’est pas tant ce qui te limite que ce qui te crée, ce qui fixe un cap sur ce fond sans limite qu’est un pouvoir sans bornes naturelles. C’est sur le fond d’une absolue puissance qu’être humain se dessine se constitue péniblement, éthiquement, comme « à tâtons » mais cette expérimentation se nomme la cité.

Dans ce qui peut donc apparaître à un premier regard comme une célébration du génie humain pointe en réalité un avertissement et quasiment une adresse incroyable aux humains dont on ne peut pas s’empêcher de se dire qu’elle contient l’essence même du tragique. L’être humain est cet être à part qui a pour tâche de se constituer, de s’auto-créer dans ce jeu perpétuel entre l’illumination naturelle et la limitation légale, politique. Et finalement déjà, dans le duel qui s’annonce entre Antigone et Créon, entre celle qui défend les lois des Dieux et celui qui croit défendre les lois de la cité, il va falloir faire notre choix, mesurer l’ampleur de ce qui se joue pour percevoir que c’est Antigone plus que Créon qui va jusqu’au bout de ce que ce que c’est qu’être humain en célébrant le caractère sacré de la personne humaine au-delà de sa mort physique. C’est le devoir le plus sacré qui nous incombe que d’inhumer l’être humain dans la terre plutôt que de considérer son être comme limité par sa vie organique. Que l’humain que soit plus que sa vie organique, c’est justement ce que l’enterrement fait advenir, célèbre, intègre en assimilant son corps décomposé au sol même de sa cité, de telle sorte qu’être un citoyen ne se termine pas, n’est pas accompli par sa mort physique. 

 


                Par le risque qu’elle prend de mourir pour cette célébration qu’est une inhumation, Antigone pointe en fait la seule possibilité qu’a l’homme de demeurer humain dans cette situation tragique qui lui échoit et qui finalement consiste à n’être naturellement limité par rien. Là où Créon veut signifier à Polynice: tu ne t’es pas comporté comme un homme et tu es rejeté par ta cité qui laisse pourrir ton cadavre aux quatre vents, Antigone dit « toute cité, toute loi se constitue dans le rite qui plus que tout autre fait droit au « plus que vivant » qu’ Aristote désignera comme zôon politikon ». Les lois d’une cité, contrairement à ce que l’on peut penser n’ont pas du tout pour fonction et pour objectif de faire vivre les citoyens « en bonne entente », de limiter la liberté de chacun au sein d’un « vivre ensemble » mais de faire advenir de l’humanité non pas tant dans le monde (car grâce à Von Uexkull nous avons bien compris qu’il n’y pas de monde naturellement mais des milieux qui s’entrecroisent dans un ouvrage de points et de contrepoints) mais dans le chaos. Autant l’animal est sous l’emprise d’une nature naturante au fil de laquelle se constitue cet ouvrage de milieux, autant l’être humain est incessamment sommé de faire advenir le monde. Seule cette perspective est à même d’expliquer pourquoi dans une histoire de famille (Neveu nièce oncle, etc.) surgit ainsi un Stasimon qui parle de l’humain. Comme le dit très justement Judith Butler, Antigone est la soeur du genre humain, la soeur d’un animal doté d’un  pouvoir sans limite, divin.

                        Nous réalisons ainsi petit-à-petit la raison pour laquelle au moment même où le dialogue entre Créon, roi de Thèbes, et Antigone va commencer, le choeur nous avertit de ce qui finalement va se jouer réellement et qui a à voir avec l’être humain, avec l’ethos, l’attitude qu’il revient d’adopter quand on est cet être terrible et merveilleux qui s’est donné les moyens de se soustraire à toute limitation naturelle (si ce n’est celle de la mort) et que se pose alors la question de l’autorité humaine. A qui ou à quoi se soumettre quand, contrairement aux animaux, nous ne jouissons d’aucune prérogative, nous ne suivons pas les codes de la sémiotique de la nature qui ont été évoqués dans le cours précédent? Comment savoir ce qu’il revient à l’être humain de faire, d’accomplir, quand il semble évident que nous nous sommes exclus de cette harmonie préétablie de la nature naturante (les correspondances baudelairiennes) telle qu’elle suffit à expliquer entièrement les comportements des animaux? 

Qu’Antigone se situe exactement dans le droit fil de cette continuité profondément humaine, c’est ce que dit son nom,: « anti »: contre, à l’encontre de…. et goné qui signifie « l’action d’engendrer », de procréer, d’avoir des enfants. La pièce de Jean Anouilh écrite en 1944 fait encore plus droit à cette signification en décrivant une Antigone qui avant d’aller enterrer son frère rompt tout lien avec sa famille, avec sa nourrice, avec son fiancé, bref avec tout ce qui serait susceptible de la ramener du côté de la filiation ou de la parenté, de la famille, de l’oïkos. L’attitude de révolte d’Antigone à l’égard de l’autorité de Créon va très précisément suivre la feuille de route que Sophocle a en tête concernant l’être humain et cette résonance indiscutable entre Antigone et l’humain que Judith Butler a si bien décrite par la formule déjà évoquée: « Antigone est la soeur du genre humain » apparaît nettement au regard dés lors que l’on relie son prénom à la nature, Natura (le fait de la naissance, le caractère naturel des choses, des êtres et des éléments). Ce qu’Antigone est viscéralement c’est anti-natale, c’est-à-dire « humaine ». Elle veut enterrer son frère parce que rien n’est moins naturel, rien n’est moins sémiotique que d’enterrer un corps, lequel autrement nourrirait la vie de ces rapaces, de tous ces charognards et de toutes ces larves  qui ont besoin de la mort pour vivre. La décision de Créon n’est pas politique, non pas parce qu’elle est injuste comme nous sommes enclins à le penser mais parce qu’elle fait trop droit à la vie et pas assez à l’Humain, est tant que précisément l’humain est cet être à part dont l’attitude n’est pas physiologiquement déterminée, paramètrée. L’homme est celui qui rajoute du rite à la vie et ainsi lui donne un visage humain et c’est ce visage humain que Créon ne voit pas, ne perçoit pas. 

2) Deinos et Ethos

Armés comme nous le sommes de la compréhension de ce nom et de la certitude qu’Antigone décrit bel et bien ici dans l’être à soi de son ipséïté l’être à soi même de l’humain, son ethos, celui qu’il lui suffit de suivre sans dévier pour devenir ce qu’il est, nous devrions être à même de voir clair dans la confusion même de ce passage et surtout de ce terme oxymorique de Deinos.  

De plus, il est assez difficile de ne pas rapprocher cette héroïne dont le nom dit qu’elle est « à l’encontre de l’action d’engendrer » du sens profond de l’affirmation qu’Aristote prononcera un siècle plus tard selon laquelle « l’homme est un animal naturellement politique », c’est-à-dire un être dont la nature est si profondément politique qu’elle ne saurait se confondre avec la vie. L’homme est un animal vivant (zôon) mais dont la nature même est d’être politique, c’’est-à-dire précisément pas que vivant, autre que simplement vivant. Si l’on articule entre elles ces références, on distingue clairement l’erreur d’interprétation assez commune que font la plupart des commentaires de l’oeuvre en décrivant Antigone comme la figure de la révolte contre la politique. Si elle est bien l’héroïne de la liberté contre le pouvoir, c’est précisément parce que ce pouvoir n’est pas assez politique, pas assez humain au sens de « non-vital ». Créon va à l’encontre des rituels anti-naturels des hommes qui ne laissent pas en pâture les corps de leurs semblables à des opérations de décomposition et de recomposition organiques. Dans l’inhumation quelque chose se joue entre l’humain (humus)  et la terre qui consiste à donner un visage terrestre à l’humain et un visage humain à la terre, tout cela par le rituel funèbre. L’acte de Créon fait honte au politique, au zôon politikon et à l’humain. Le contrepoint de cette défection est l’assomption d’Antigone de l’humain, ce risque assumé qu’elle prend de la mort pour marquer l’essence même de la créature humaine en tant qu’elle est fondamentalement «  non organique » et c’est tout ce que signifie l’organisation de la Polis grecque.  

 


            L’action d’Antigone est symbolique, non seulement évidement parce qu’il ne convient pas de lire cette tragédie comme une histoire anecdotique, mais parce que son écriture est suffisamment ancienne pour que nous envisagions qu’il est quelque chose de l’étymologie même du terme de symbole qui s’ y exprime, s’y illustre, s’y accomplit. Le mot symbole vient du grec « to symbolon » qui désigne un objet de reconnaissance coupé en deux parties, chacune permettant à des messagers de se faire admettre ou comprendre en emboîtant les deux moitiés. Le rapport entre le symbole et la politique est assez fort pour que l’affirmation d‘Aristote sur l’animal politique humain soit suivie par l’articulation exclusivement humaine de la phoné et du logos. L’homme est celui dont la phoné accède au symbolique par l’articulation avec le logos et c’est pour cette raison même que les idées de bien et de mal lui sont accessibles là où l’animal demeure un être de sensations agréable ou douloureuse. Après la guerre civile qui a ravagé Thèbes, il convient de rappeler les citoyens au symbôlon humain plutôt que de maintenir dans le corps exposé de Polynice la séparation entre les vainqueurs et les vaincus.

L’être humain est un animal dont l’attitude est résolument irréductible à la vie, à la Zoé, et qui donc peut se comporter de façon structurellement anti-vitale, excédent l’organique, le’ codage sémiotique qui règne et circule dans la nature. Mais encore faut-il que cette attitude fasse corps, qu’elle fédère autour d’elle tout ce qu’il y a d’humain dans la cité de Thèbes et c’est bien cela qu’effectue le symbôlon, l’objet de reconnaissance qui ici se trouve être un acte, ou plutôt une parole, celle d’Antigone, l’héroïne qui va « à l’encontre de l’action d’engendrer ».  Par un retour de bâton, l’étonnement du choeur décrit sans le savoir encore l’exil de Créon plus que l’impudence d’Antigone car c’est bel et bien lui qui, contre le symbôlon de la parole d’Antigone, impose arbitrairement le diabôlon de son absurde décret, diabôlon, étymologie du diabolique, qui s’applique tout autant à la dissociation des vainqueurs et des vaincus qu’à celle d’un humain réduit à l’état de zôon par l’exposition de son cadavre par rapport au rite funéraire réservé à la dépouille de tout zôon politikon.  C’est la diabole de l’humain dissocié de son ethos que le comportement de Créon décrit. Le sort de l’humain se joue déjà tout entier dans ce dialogue qui oppose une façon humaine d’être humain et une façon diabolique de ne plus l’être.

« Il se pourrait bien que soit fou celui qui me traite de folle » dira Antigone dans l’une de ses répliques à venir, ce qui n’a pas d’autre sens que celui-ci: il se pourrait bien celle qui semble créer la rupture soit la seule et véritable héroïne de l’esprit le plus pur et le plus symbolique de la polis et qu’inversement celui qui  est l’archonte de Thèbes se comporte comme porteur de diabôlon et que ce soit finalement lui qui se retrouvera le sujet de la malédiction finale du choeur.

Cette interprétation permet de saisir l’intégralité du stasimon, lequel consiste donc à décrire finalement la feuille de route plus ambiguë que ne peut l’être aucune autre, d’une créature structurellement oxymorique et cette ambiguïté est d’autant plus effective qu’elle se conclue finalement par une malédiction qui s’adresse, de prime abord, à Antigone.  

 

Il n’est aucunement question de critiquer la puissance de l’être humain, puissance qui lui vient de sa capacité à fabriquer des artifices, des engins susceptibles de lui donner une maîtrise totale sur des éléments naturels. Le double sens du terme de « deinos » est dés l’abord une clé de compréhension fondamentale pour comprendre le sens du stasimon. Plus que fondamentale, on peut affirmer qu’elle est proprement infinie. Ce que l’esprit de ce passage de la tragédie décrit et souligne, c’est que seule le double sens peut faire signe de la trajectoire infinie de l’être humain. En d’autres termes, c’est bien d’une définition de l’Humain dont il est question ici mais cette définition d’une créature vouée par définition à l’infinition (puisque elle n’a pas de limites) ne peut qu’osciller ou plutôt s’activer que comme un champs de forces électrisé par la mise sous tension de deux pôles: l’horreur et le miraculeux.  Ce n’est pas seulement qu’il est difficile de dire si l’humain est une calamité ou une merveille, c’’est plutôt que c’est parce qu’il est l’un qu’il est aussi constamment dans la proximité avec l’autre et inversement. L’homme est cette zone de proximité entre la terreur pure et le miracle inespéré. Il est dans tous les sens du terme la créature sans milieu:

  1. Parce qu’il n’est pas dans la nature comme dans son milieu naturel puisque il la maîtrise, qu’il l’exploite comme une ressource, qu’il la domine
  2. Parce qu’il n’a pas de milieu comme l’animal en a un (Von Uexkull)
  3. Parce qu’il est voué à être toujours soit merveilleux soit terrible, mais jamais tranquille ou « moyen »

L’humain est une anomalie dans le règne naturel parce qu’il ne semble régi, régulé par rien, ce que dit bien le terme anomalie: a-nomos. Il ne fait pas partie intégrante du Nomos des éléments, ou des lois naturelles. Dés lors les seules lois susceptibles de le limiter sont celles qu’il se fixe à lui-même. L’homme est la créature de l’auto-nomos, créature autonome, seule à même de déterminer dans la nature « son » comportement , son ethos et c’est tout à sa gloire que de pouvoir ainsi se définir dans un lieu, un espace qui de lui-même est absolument incapable de le faire. L’homme agit dans un lieu dont il a préalablement désactivé le pouvoir de le limiter, ni la mer, ni la terre, ni le vent, ni aucune puissance naturelle ne peuvent opposer leur force à cette puissance d’agir de l’être humain. Nous serions vraiment mal inspirés de lire cette description comme une critique ou comme une condamnation car à ce moment du stasimon il n’y en a aucune même si l’on sait bien que cette aptitude à désamorcer et à utiliser les puissances de la nature font partie intégrante de cette vie structurellement risquée, de cette zone qui oscille continuellement entre le merveilleux et le terrible. 

Il n’est donc rien de la nature qui puisse imposer à l’humain une quelconque limite puisque il s’est constitué comme un mode d’être d’exploiter et de dompter des puissances naturelles dont on sait bien qu’elles sont pour les grecs polythéistes et donc panthéistes les Dieux mêmes. On mesure alors la puissance de ce Stasimon quand on le situe par rapport à l’esprit même du tragique. Antigone est une héroïne tragique mais pas du tout au même sens que son père est un héros tragique car tandis que ce dernier est d’emblée marqué par la malédiction des Dieux (il est la punition que les dieux infligent à son père Laïos pour avoir violé Chrysippe  et avoir enfreint l’interdiction d’enfanter avec Jocaste - Oedipe est l’enfant qui n’aurait jamais du voir le jour), il n’est rien de tout ce qui va arriver à Antigone qui ne soit finalement assumée voire quasiment voulu par elle, car elle n’ignore pas que son refus de se soumettre la conduit à la mort. Antigone est bel et bien au coeur d’une configuration familiale et divine qui la situe de façon irrévocable comme maudite, de par sa naissance incestueuse. Mais elle aurait parfaitement pu faire comme Ismène et se soumettre à la loi de Créon. Nous atteignons ici comme un seuil critique de l’esprit tragique dans lequel non seulement l’être humain est décrit comme cette anomalie qu’il n’est pas même au pouvoir des Dieux de limiter mais où Antigone illustre l’ethos de cette merveille qu’est le versant héroïque d’un deinos dont Créon incarne le versant horrifique.

 


3) Zôon Politikon, Nomos (loi) et Auto- Nomos (le renversement du Tragique)
            C’est comme si à l’intérieur même d’une tragédie dont l’esprit est de décrire l’homme comme une créature qui n’a pas son destin en mains et qui est l’objet de la malédiction des Dieux, quelque chose s’inversait brutalement et libérait la vérité crue d’un athéisme profond disant en substance à l’être humain: « la vrai tragédie, c’est que tu es laissé à toi-même., et que ton drame, ton drame spécifique celui que toi seul parmi toutes les créatures du règne vivant  aura à traiter sera celui de Créon, lequel décrit la figure même du totalitarisme, de la biopolitique, de la confusion du zôon politikon mal compris qui croit pouvoir rabattre la politique sur le vivant, qui pense pouvoir ramener le corps des citoyens à n’être plus que « juste du vivant », corps pourrissant à l’air libre, participant au cycle de décomposition et de recomposition. Dans le rite funéraire dont Antigone assume d’être la continuité s’exprime plein le décalage dans lequel le vrai zôon politikon consiste, celui d’être un animal vivant civilisé et donc capable de substituer du rite à de l’organique.



Peut-être comprenons-nous mieux à présent le caractère troublant, mais plus que cela: traumatique, ou tout simplement « vrai » de ce  Stasimon, comme si chaque parole  était une sorte de parhésia (parole droite et sincère dont on ne peut douter à cause de l’absolue franchise de celle ou celui qui l’énonce), mais d’une parhésia d’autant plus étrange qu’étant prononcé par le chœur et ayant pour objet non pas tel ou tel personnage mais l’humain lui-même, il s’agissait d’une parole humaine se révélant, se découvrant, ou « s’avouant » dans une sorte de confession à cette différence fondamentale prés qu’étant tenue par un choeur anonyme, elle ne pouvait pas évidemment confesser une faute personnelle, intime. D’ailleurs cet aveu étrange et sidérant dans la révélation duquel une espèce, un genre d’animal se décrit au plus juste de ce qu’il est, de ce en quoi il consiste, de ce qu’il ne peut pas ne pas devenir n’avouer pas une faute. Nous nous situons bien en deçà de la confession chrétienne, notamment. L’être humain ici ne s’avoue pas coupable d’un péché, d’une « culpa », mais se définit lui-même comme un balancement, comme le mouvement d’une oscillation. Le chœur situe clairement le drame d’Antigone et son combat dans une perspective qui dépasse non seulement le caractère des personnages, leur histoire personnelle, mais aussi celle de la cité de Thèbes pour revêtir une dimension dont la symbolique est humaine, rien qu’humaine mais pleinement humaine. 

Mais quelle est donc exactement la teneur de cette parhésia étrange d’un « choeur »? Comment un choeur de voix pourrait-il tenir un discours « parhésiastique »  étant entendu que la parhésia est plutôt un registre de parole par lequel une personne s’expose, se dévoile? Par son anonymat, le choeur parle au nom de l’humain, c’est de la  parole humaine, au plus pur sens du terme, et la parhésia de cette parole au coeur même d’une tragédie redéfinit les contours de ce qu’une tragédie « est » ou « doit être »: nous passons de la description cathartique des malheurs d’un personnage écrasé par une fatalité aveugle à l’assomption par ce personnage qu’est l’humain de ce drame qui consiste finalement à n’avoir pas de Dieu.  La faute avouée de l’être humain, c’est précisément de ne pouvoir être jugé comme coupable qu’au regard des lois qu’il a lui-même instituées parce que sa nature même d’Humain est de développer des qualités exosomatiques, extra-naturelles, qui en un seul et même mouvement l’excluent de toute limitation de ses actions par les lois naturelles mais du même coup, de la sanction des dieux. 

           


                 
Nous réalisons alors que la tragédie dans ce stasimon atteint comme une sorte de seuil critique, de point limite dont elle explore la ligne de partage. De créature écrasée par les dieux, comme l’a été finalement Oedipe toute sa vie excepté dans sa toute dernière période, nous passons à une nouvelle définition de l’humain incarnée par une femme: « Antigone » dont le procès (ou ce qui est tient lieu par le dialogue avec Créon) va éclairer une notion dont on peut considérer qu’elle est la plus cruciale de toutes: la détermination d’un « Ethos Humain ».  Quelle attitude se doit d’adopter une créature dont la nature exceptionnelle la met en situation d’avoir un ethos, c’est-à-dire une ipséïté, au sens de Paul Ricoeur?  Tout ce stasimon vise en fait à décrire les contours d’un espace à soi, d’une réflexivité que l’humain se donne les moyens d’avoir parce qu’il est précisément la créature des « moyens », des engins, des artifices, qui constituent autant de processus de désenclavement des déterminations de la nature, c’est-à-dire des Dieux.

Par conséquent, nous comprenons parfaitement ce seuil critique de l’esprit même que recouvre le genre de la tragédie dans la tirade de ce stasimon lorsque il apparaît que nous allons assister non pas aux malheurs d’un personnage dont la vie est écrasée par les décrets des Dieux mais à ceux d’un personnage dont le sort est dicté par l’arbitraire d’un homme, étant entendu que c’est cela finalement qui est tragique chez l’humain: il n’est soumis à aucune loi divine. La faute de l’Humain, c’est de s’être affranchi de toute autorité au regard de laquelle quoi que ce soit de ce qu’il fait pourrait être considéré comme une faute.

Est-il pour autant laissé à lui-même, abandonné de toute référence, de toute boussole éthique, de toute possibilité de direction, de cap? En un sens, oui, et la mort d’Antigone va le prouver, mais en un autre « non », et la vie d’Antigone le prouve. Tout la raison d‘être de ce chant premier se situe « là »: dans une parole parrhésiastique qui prend sur elle d’être parole de l’humanité et dont l’adresse (dont il faut bien comprendre à quel point elle dépasse celle du public qui a assisté à la pièce) consiste à donner à l’humanité la représentation juste du seul ethos qui puisse convenir à sa condition exceptionnelle: assumer cette exceptionnalité de n’être pas limité par la nature et donc développer à toute occasion cette dynamique de l’action sous le mouvement de laquelle nous nous soustrayons par les rites, par les lois civiques, par notre sens du sacré, au règne des cycles naturels. Mais aussi saisir dans cette exceptionnalité même tout ce qui nous réunit, tout ce qui, de cette attitude religieuse, dans laquelle s’inscrit notamment le rite funéraire manifeste une gratuité humaine, un être-pour-rien, une dépense somptuaire (comme dirait Georges Bataille) , ce que l’on doit, de plein droit à tout humain.

  


                
Créon a vraiment tout faux et sur toute la ligne: non seulement il veut offrir le corps de Polynice à un processus de décomposition naturel mais il tente aussi de diviser les humains en décrétant une mesure inhumaine à l’égard de tout un camp, celui des partisans de Polynice. Créon vient du grec « Kréion »: celui qui est le plus fort, le « maître », le chef. Si l’on adopte un point de vue étymologique pour cibler ce duel, nous réalisons que « celle qui va à l’encontre de l’acte d’engendrer » s’oppose à « celui qui est le plus fort ». La femme qui fait consister le genre humain dans sa totalité dans un travail de réserve, de retenue à l’égard des seules lois de conservation et de génération du vivant s’oppose à celui qui aux yeux des hommes est le plus fort et cette lecture suffit à poser très exactement la supériorité de la première sur le second car seule Antigone situe finalement le débat dans son vrai lieu, celui de la limite entre le vivant et le sacré, cette zone de gratuité pleine et assumée par laquelle le genre humain se définit  exclusivement comme n’étant pas exclusivement vivante. On ne peut en aucune manière concevoir de cité, de citoyenneté autrement qu’à partir de cette zone. Ce que décrit donc Créon, c‘est ce mouvement absurde par lequel le chef de la cité, l’archonte renie sans s’en rendre son origine. 

Qu’il puisse exister une cité avec des lois, avec des modes de vie proprement humaine (bios), cela repose d’abord sur une capacité de mise à distance de Zoê, et finalement ce n’est rien ‘autre que défend Antigone et c’est très exactement ce qu’il convient d’entendre par « lois des Dieux ». Il est certes le plus fort mais au sein même d’une structure dont sa décision prouve qu’il en ignore l’origine: celle du sacré.

A l’appui de cette thèse, on peut citer un extrait de « la cité et les lois » de Cornelius Castoriadis:


« L’autolimitation est indispensable justement parce que l’homme est terrible (deinos), et que rien d’extérieur ne peut limiter véritablement cette faculté d’être terrible, pas même la justice des dieux garantie par les serments. Celle-ci est un des principes qui régissent la vie des hommes mais elle ne saurait suffire en aucune manière. Si elle suffisait, il n’y aurait ni Antigone ni tragédie. Comme il n’y a pas et ne peut pas y avoir de tragédie là où une autorité ultime donne des réponses à toute question : dans le monde platonicien et dans le monde chrétien (…)

L’homme est l’être tel qu’il n’en existe pas de plus terrible, parce que rien de ce qu’il fait (…) ne peut être attribué à un don « naturel ». Le « qu’est-ce que c’est? » de l’homme qui s’exprime et se développe à travers ses différents attributs, est l’oeuvre de l’homme lui-même. En termes philosophiques l’homme se pose lui-même, l’essence de l’homme est autocréation; et cette phrase peut être comprise en deux sens: l’homme crée son essence et son essence est auto-création. L’homme se crée lui-même comme créateur, dans un cercle dont la logique apparemment vicieuse dévoile sa primauté ontologique. »

Cornélius Castoriadis (1922 - 1997)


Cette analyse peut être plaquée plus spécifiquement sur la seconde strophe: « Parole, vite comme le vent …Tout cela il se l’est enseigné à lui-même et l’anti-strophe: « il peut prendre la route du mal comme du bien. »  « Rien d’’extérieur ne peut limiter véritablement cette faculté d’être terrible, pas même la justice des dieux garantie par les serments. Celle-ci est un des principes qui régissent  la vie des hommes mais elle ne saurait suffire en aucune manière. Si elle suffisait, il n’y aurait ni Antigone ni tragédie. » 

Ce qu’il faut bien remarquer ici, c’est le fond athée qui sous-tend l’analyse de Castoriadis et, en réalité, le stasimon lui-même, car une fois que l’on mesure tout ce que sous-entend le polythéisme (panthéisme), à savoir que ces éléments qui nous sont présentés au début du chant comme étant ceux-là même que l’être humain parvient à vaincre (la mer) , à dompter (le vent), à utiliser (le terre), on comprend que la justice des Dieux citée à la fin du texte ( « qu’il fasse donc dans ce savoir une part aux lois de son pays et à la justice des Dieux ») ne peut être alléguée qu’en tant que précisément elle n’a finalement plus vraiment lieu d’être, de s’incarner puisque l’humain s’est exclu de leur autorité naturelle. La justice des Dieux, c’est seulement la permanence de rituels grâce auxquels les Humains assument l’exceptionnalité de leur statut de Zôon particuliers, spécifiques, et « pas que vivants », d’animaux vivants libérés de leur soumission aux décrets exclusifs du vivant. 

La tragédie, c’est finalement le paroxysme de cette interrogation dans laquelle l’humain consiste plus que toute autre créature: quelle loi suivre quand la nature même dans laquelle on consiste réside dans un affranchissement à l’égard des lois naturelles ? Jamais nous ne sommes plus proches de comprendre notre rapport aux lois, au droit que lorsque nous réalisons à quel point notre condition est finalement en tous points identiques à celles des super-héros, nous pouvons tout, excepté ne pas mourir. Mais alors comment savoir ce qu’il nous reste à faire?

En nous tenant continuellement dans l’orbe dessinée par le sacré, par le rite, c’est-à-dire de ce qui nous rassemble, nous humains, autour d’une activité culturellement codée, signifiante et entièrement gratuite, soustraite à la sémiotique vitale de la nature. Enterrer une personne, c‘est donner un visage à sa disparition, c’est disputer son cadavre à la loi organique de décomposition vivante du vinant, c’est donc signifier par là que sa mort est un acte historique, humain AVANT d’être la simple terminaison de sa vie naturelle. Tel est l’ETHOS humain, celui à partir duquel peut se concevoir d’autres modes de vie codés, régis, réglementés: ceux qui donnent naissance à la cité. Le « qu’est-ce que c’est de l’homme? », pour reprendre la terminologie de Castoriadis, c’est justement ce qu’il fait, dés lors qu’il est posé qu’il existe davantage qu’il ne vit, qu’il est historique et non pas seulement naturel, mais cela implique que sa vie soit toujours appréhendée comme un cours « traçable », reconnaissable, susceptible d’être raconté, éventuellement écrit. Que toute vie devient en tant qu’humaine « existence », c’est-à-dire fil d’évènement susceptible d’être traversés, reliés dans le flux d’une narration, c’est cela que dit l’inhumation, l’honneur dont on se doit de célébrer toute vie humaine, parce qu’en tant qu’elle est humaine, elle n’est pas seulement « vie ».

 


Comme le fait remarquer Cornelius Castoriadis très opportunément, il n’y pas de tragédie dans le monde tel qu’il est orienté, décrit par la philosophie de Platon ou par la religion Chrétienne parce que dans ces mondes là, le divin établit son autorité. C’est comme si ce cri du Choeur (sans jeu de mot) était recouvert, étouffé par le confort rassurant d’un Nomos divin. La nature de l’humain, c’est de faire exception à la nature, c’est d’y manifester une telle maîtrise des éléments que ces forces qui sont celles là même des Dieux sont inopérantes pour lui et qu’il n’a pas de limites. S’il peut prendre la route du mal comme du bien c’est parce qu’aucun dieu, aucun démon, aucune puissance naturelle ou surnaturelle  ici ne retiendra ses actes. Le tragique dévoile donc dans ce Stasimon quelque chose de pur, de radical: un cri qu’il s’agira pour Platon, pour le christianisme de recouvrir, de dissimuler, à savoir que le bien et le mal sont bel et bien des valeurs morales absolument cruciales, d’une absolue nécessité mais pas du tout à cause de leur nature supraterrestre, pas parce que Dieu existe, mais plutôt parce qu’il n’existe pas, et qu’en fait l’oscillation perpétuelle de l’homme entre la meilleure et la pire des choses à faire se joue ici, dans ce qui s’annonce, à savoir le dialogue entre Antigone et Créon.

Nous retrouvons ici très exactement l’intuition de Friedrich Nietzsche concernant le tragique, à savoir qu’il définit une période et un peuple traversés par l’évidence fulgurante et tragique de la vérité, c’est-à-dire de la tâche quasi surhumaine de l’homme qui consiste à donner du sens à ce qui n’en a pas. Il s’agit ici de mettre des mots sur le sort réservé à l’humain mais pas du tout par les dieux, plutôt par leur absence, par la nécessité dans laquelle nous allons nous trouver tout au long de notre trajet Humain de faire notre chemin entre des « Créon » et, espérons le, des « Antigone ». L’être humain s’est placé eu égard à la nature dans une situation telle qu’il n’est rien qui puisse le commander, l’orienter, le guider. Il n’est donc soumis à aucune autre limite que celle qu’il s’imposera à lui-même. Il est autonome parce qu’il s’effectue au fil d’un processus d’auto-création, condition d’existence qu’il ne partage avec aucune autre créature vivante. C’est en cela qu’il est zôon politikon.




4) L'essence du Tragique: limitation et illimitation du Divin et de l'Humain

Que faire quand il est avéré qu’aucune autorité ne peut nous dire quoi faire? Se donner une autorité, la constituer de toute pièce. C’est cela même qui fait que les cités ont des rois, des archontes. Puisque les humains sont, du fait de ce statut absolument spécifique qu’est le leur (de zôon politikon) autonomes, leur émancipation à l’égard des lois de la nature les investit d’un devoir d’obligation à l’égard des lois de la cité. Quiconque viole ses lois se met donc au ban, non seulement de la cité, mais de l’humanité, voire de tout ce qui est. C’est l’hybris dans toute son horreur et c’est bien ce crime là qu’Antigone semble avoir commis d’où la surprise du choeur, qui représente la voix du bon citoyen, le bons sens populaire incarné (le chaleur était souvent joué par des personnes âgées), mais le chaleur est aussi la voix de l’auteur lui-même et nous percevons bien, juste après le passage énoncé, l’hésitation du poète tragique, plus encore que cela, l’axe dont le déroulement à venir de la pièce va décrire la rotation, le renversement:


« Quel est ce trouble soudain qui fait divaguer mes pensées?

Interpréterais-je dans le sens d’un prodige divin ce qui vient là?

Comment, étant donné ce que je vois et reconnais clairement,

Argumenterai-je pour défendre une anti-thèse: mais! Cette enfant, ce n’est pas Antigone! »



Comment, moi le chœur, la voix toujours omnisciente de toute tragédie, pourrais-je être mis en défaut parce que je vois? Comment pourrais-je être placé en minorité, en flagrant délit de manque de raison devant ce qui s’effectue? Comment le tragique pourrait-il ici faire surgir une défaillance de logos dans ma prise de parole si raisonnée, si rationnelle, si juste? Evidemment il s’agit ici de faire comprendre au public l’insoupçonnable onde de choc d’un tel coup de théâtre. On utilise souvent l’expression de « Deus ex machina » pour désigner le caractère un peu brutal, providentiel par lequel un auteur va faire surgir dans sa pièce un ressort absolument exceptionnel et peu crédible afin de garantir une fin heureuse à l’histoire. Ici, non seulement nous savons bien que la fin ne sera pas heureuse, mais plus que cela c’est plutôt, au sens littéral du terme d’un « Homo ex machina » dit il est question. Dans un stasimon dont le propos réside dans une louange, dans l’ode à l’être humain, surgit exactement l’héroïne qui semble en contredire le sens en ayant violé les lois de la cité. Oedipe en effet est le déchiffreur d’énigme mais aussi celui qui a fait dans sa chair l’expérience tragique, qui a subi l’épreuve d’être la victime de la machine infernale des Dieux. Il n’est pas possible que la propre fille d’Oedipe soit ainsi amenée comme la violatrice de tout ce qui vient d’être dit, presque démontré, de l’existence humaine. Si une citoyenne de Thèbes doit bien plus qu’aucune autre comprendre la nécessité impérieuse des lois de la cité, c’est elle. Or, elle est là, amenée par des gardes, prête à répondre d’un acte ignoble puisque contredisant la loi de Créon, c’est-à-dire la seule à même de tenir lieu de lois pour des hommes qui se sont émancipés de celle de la nature (et finalement des Dieux).

Ce surgissement n’est pas loin de faire douter le choeur lui-même. C’est un peu comme si Sophocle nous disait en substance: « Je n’y crois pas à ce que j’écris! », « mais qu’est-ce que je suis en train d’écrire?  Qu’est-ce qui s’empare de mon stylet? » Il faut prendre très au sérieux ce bouleversement: Sophocle est à ce moment là de sa tragédie comme soulevé par un trait de génie, par l’effet de contradiction qui s’impose clairement entre la réalisation très juste et très affûtée de ce que la condition humaine « est » et par l’insoutenable rôle qui revient dés lors à ce genre théâtral de la tragédie d’éclairer les hommes sur ce qu’il leur revient de faire, sur leur Ethos, dés lors qu’il sera avéré que les tyrans nécessairement sont faillibles, parce qu’ils sont issus de cette condition miraculeuse qu’est l’humanité mais aussi de cette condition terrible qu’est le deinos. Le courage d’Antigone n’a dés lors rien à voir avec une qualité d’âme qui lui serait réservée, propre. Il vient plutôt, sans aucun doute, de son extraordinaire lucidité, celle-là même dont on ne peut pas douter qu’elle lui a justement été transmise par Oedipe, lors de leur errance sur les routes de la Grèce, après qu’il se soit crevé les yeux. Oedipe a traversé le tragique de part en part et Antigone en est comme l’aboutissement, la parole humaine revenue de toutes les croyances et de toutes les superstitions. Elle seule voit la démesure de Créon dans cela même pourtant qui semble l’avoir placé là où il est pour qu’il incarne la mesure, le Nomos, le diapason de la citoyenneté thébaine et au-delà  « Humaine ». 

 


« Argumenterai-je pour défendre une anti-thèse? » dit le chœur, ce qui signifie: « ne serai-je pas en train de défendre le contraire de ce que je pense, de ce que je dis, moi le choeur? Ne serai-je pas en train de perdre le contrôle de cette pièce? » Se pourrait-il qu’Antigone ait raison? Se pourrait-il qu’il faille violer les lois de la cité?  Mais au nom de quelles lois, alors? 

Antigone tout au long du dialogue qui suivra évoquera les lois des Dieux, celles qui sont immuables: « J’ai désobéi à la loi car ce n’était pas Zeus qui l’avait proclamée, ce n’était pas la justice et je ne pensais pas que tes décrets à toi fussent assez puissants pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables des dieux. Elles ne datent celles-là ni d’aujourd’hui ni d’hier et nul ne sait le jour où elles ont paru. »

Or, nous savons bien que ces Dieux, en fait, sont ceux là même que le deinos de l’humain a déjà vaincus, écrasés, asservis, comme il est suggéré au début du Stasimon. Donc la question demeure: « De qui ou de quoi parle Antigone quand elle évoque la loi de Zeus? » Ici encore, il convient de répondre par tout ce qui du père à la fille s’est transmis dans cette errance du mendiant aveugle et de la guide dévouée. Que peut dire à sa fille un homme écrasé par une fatalité absurde, injuste, celle qui l’a fait à mesure tomber dans le malheur le plus effroyable tandis qu’il essayait simplement de savoir qui il était, celle qui l’a projeté dans le sort le plus haï de tous les humains alors même que son souci était simplement de déchiffrer l’énigme de sa naissance ?N’est-ce pas d’ailleurs précisément le propre des humains que d’être ainsi embarqué dans cette question là, celle de savoir d’où nous venons et ce que nous faisons là?

Antigone ne parle pas d’autre chose que de ce qu’Oedipe lui a transmis en héritage dans leur voyage, et cet héritage n’est ni plus ni moins que la parole la plus humaine entre toutes, celle d’un Deinos Humain mais approché, vécu dans le drame d’un seul destin personnel. C’est une chose que de parler comme le choeur du deinos de l’homme avec beaucoup de justesse théorique et une autre que de l’avoir vécu, d’en être l’expérience « incarnée », cet cela c’est Oedipe qui l’a vécu. Le chœur dit, sans contestation aucune, la vérité de ce qu’est l’humain mais voilà que vient sur scène une toute autre héroïne que celle qu’il attendait (ou faisait semblant d’attendre)? Cela signifie que le rôle de la tragédie est autre que de simplement illustrer le propos du bon sens, de la réflexion. Le deinos doit se faire chair. C’est le prix à payer pour assumer notre condition et c’est le prix que Oedipe a payé, celui aussi qu’Antigone va payer, mais il ne servirait à rien de comprendre ce que le choeur dit de l’homme et ne pas le faire suivre des actes qui sont à la hauteur de cette révélation quoi qu’il en coûte. L’ethos de l’humain n’a pas d’autre voie que celle d’incarner le sublime de cette terreur. C’est bien ce qui est suggéré par l’improbable disparition d’oedipe qui est ravi par les Dieux mais dont l’enlèvement même doit être célébré par les athéniens (c’est pour cela qu’il est accompagné par Thèsée quand il est ainsi « transporté »).

 


Le sort d’Antigone qui sera d’être enterrée vive sous la terre mais pour une décision qu’elle a prise fait écho à celle d’Oedipe qui finira ravi, emporté par les dieux mais au terme d’une existence qu’il n’a pas voulue. Toute tragédie est comme enfermée dans ces deux existences qui sont comme l’alpha et l’oméga de l’esprit tragique. Avec Antigone, néanmoins quelque chose d’autre se fait jour qui est la feuille de route de l’Ethos tragique, feuille de route dont le caractère héroïque ne doit pas nous troubler dans la mesure où, aussi démonstrative et rebelle que soit l’attitude de la fille d’Oedipe, elle est en même temps, la seule possible, la seule digne du deinos Humain.

Il convient pour bien saisir toute à la fois la simplicité et la nature surérogatoire de cet ethos humain de réaliser son rapport à la notion de limitation. On peut y parvenir par un détour aussi éclairant qu’inattendu à la preuve ontologique de l’existence de Dieu telle qu’elle fut développée au moyen-âge par Anselme de Cantorbéry. Cette preuve est ainsi formulée: Dieu est l’idée d’un être tel que rien de grand ne peut être conçu. Cela signifie qu’il est cet excès d’être qui s’impose à toute idée comme se situant au-delà de cette idée. Mais en quoi peut bien consister cet excès d’être à toute idée? Evidemment dans cela même qui fait qui fait qu’une idée en plus de toute sa perfection d’idée « est » réellement, effectivement, c’est-à-dire « existe »? Par conséquent on ne voit pas comment l’idée de Dieu étant ce qu’elle est, c’est-à-dire ce qu’il y a dans une idée, mais en plus de ce qui en fait une idée, pourrait ne pas exister. Donc nécessairement Dieu existe hors de son idée. Dieu existe parce qu’il est l’idée même d’une perfection qu’on ne peut pas limiter à n’être qu’une idée. Sa perfection est telle qu’elle existe.

Comparer le texte de Sophocle avec la preuve ontologique de l’existence de Dieu de Sant Anselme est extrêmement fructueux dans la mesure où l’on saisit tout de suite que l’humain est comme la créature inversée de Dieu, son reflet. Ce que l’idée de dieu fait à partir de la pensée, ou du concevable, l’humain le fait mais du point de vue de la réalité. Il est la créature réelle telle que l’on ne peut pas en réaliser de plus grande. La perfection réelle de l’homme est telle qu’elle excède la réalité même de son statut. L’humain, c’est ce qu’il y a dans le réel, mais aussi de si parfait dans le réel qu’on ne peut pas le limiter à n’être que réel et qu’il convient par conséquent de le concevoir en tant qu’idée.

 

Tout comme l’idée de Dieu est ce qui force, ce qui décadenasse par son excès de perfection son statut d’idée, L’humain est cette réalité si infinie dans sa puissance qu’elle excède son statut de réalité et s’impose à nous en tant qu’idée (Il faut bien entendre que jamais Anselme n’aurait défendu une telle idée, bien au contraire). Cette déduction nous est imposée par la comparaison à tous égards fructueuse entre Sophocle et la preuve ontologique de l’existence de Dieu. Peut-être même pouvons nous aller jusqu’à émettre l’hypothèse qu’à l’insu radical de son auteur, cette comparaison donne toute sa puissance d’usage à cette preuve. Car après tout, qu’est-ce que cela veut dire concrètement? C’est très proche de ce qu’avance Castoriadis et de Nietzsche: l’Humain est comme un passage, qui doit être dépassé.  Il est un seuil. Aussi loin que l’humain puisse aller dans ce développement réel dont le texte révèle à quel point il est infini, son concept est ouvert, c’est-à-dire que sa nature idéelle, sa substance conceptualisée, ce que Descartes appellerait la réalité objective de son idée est à faire, en suspens. Etre humain, c’est une définition dont l’assignation n’est pas à entériner, à acter mais à faire advenir dans un mouvement de création proprement dément, irreprésentable par le biais duquel nous humaines réel forçons le passage vers l’idéalisation, mais le forçons de telle sorte qu’il n’est jamais défini. Etre humain c’est une idée, mais c’est aussi une idée dont le mouvement de conceptualisation est et demeurera à jamais inachevable. C’est plus que ne peut en contenir le réel. Nous excédons le réel, ce qui est une autre manière de dire que nous sommes imprévisibles, mais en même temps, nous l’excédons tellement que nous passons du statut de réalité à celui d’idée, de concept. Mais venant d’ailleurs, venant du réel, nous crevons la dimension idéale comme une aiguille pique un ballon. Nous en sommes le point de fuite, ce par quoi le monde des Idées supra-terrestres de Platon « fuit » comme un pneu crevé. Tout comme Dieu « crève le plafond » des Idées pour nécessairement être réel et exister, l’humain crève le plafond du réel et de l’existence pour nécessairement être une Idée mais par là aussi cela même par quoi le monde des Idées fuit et se dégonfle, déchoit pour s’incarner dans une histoire qui se voit revêtue en même temps d’une dimension réelle et d’une dimension symbolique, idéelle. C’est cela que l’on peut à bon droit désigner du terme de destin tragique de l’humain dans l’histoire, car c’est l’humain qui fait de l’Histoire un destin tragique, mais par tragique ce qu’il faut entendre c’est qu’un destin s’y joue et pas du tout qu’il soit acté, et encore moins écrit. L’humain est la créature au fil de laquelle le destin s’écrit mais toujours au fil de l’histoire. L’Humain est en fait l’ultime moment de l’idée, de la conceptualisation, du divin.  Ce qui se joue chez l’humain n’est rien moins que le divin, et c’est en cela qu’il est LA créature tragique.




Conclusion

Nous sommes maintenant en mesure de saisir vraiment la portée proprement hallucinante de ce Stasimon. La Tragédie s’y manifeste dans toute sa violence et sa vérité. L’humain est tout à la fois ce par quoi il y a des Dieux et ce qui paradoxalement provoque leur déchéance, leur fuite, leur absolue non crédibilité.  On peine un peu à réaliser la portée de l’enjeu de ce chant du Choeur: ce n’est pas seulement le sort de l’humain qui se joue dans le dialogue qui va avoir lieu entre Antigone et Créon mais aussi celui des Dieux, non pas qu’ils existent mais justement parce qu’ils n’existent pas, ou, mais cela revient exactement, t au même parce qu’ils s’en remettent entièrement à Antigone qui porte par le devoir sacré qu’elle défend contre le décret profanateur de son oncle tout le sens et l’insoupçonnable valeur contenue dans l’acte d’être humain, tâche infinie dont son sacrifice porte à jamais l’empreinte.

Exercice:

Voici la dernière partie du Stasimon: Anti-strophe 2

« Mais, ainsi maître d’un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance, il peut prendre ensuite la route du mal comme du bien.

Qu’il fasse donc dans ce savoir une part aux lois de son pays et à la justice des dieux, à laquelle il a juré foi !

Il montera alors très haut au-dessus de sa cité, tandis qu’il s’exclut de cette cité le jour où Il laisse le crime le contaminer par bravade.

Ah ! Qu’il n’ait plus de place alors à mon foyer ni parmi mes amis, si c’est là comme il se comporte ! »

  1. En quoi consiste l’illumination de l’être humain?
  2. Opposez, à la lumière de cet extrait ce que l’homme peut ou sait et ce que l’homme doit. Pourquoi le transhumanisme est-il finalement presque anticipé dans ce passage?
  3. Pourquoi l’Humain ne peut-il pas se définir « moyennement »? Pourquoi ne peut-il être que merveilleux ou terrible mais jamais dans une zone intermédiaire?
  4. Pourquoi cette ode à l’être humain se termine-t-elle par une malédiction? A qui s’adresse-t-elle selon vous?


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire