dimanche 10 avril 2022

Terminales 2/4/5/6: Puis-je trouver mon bonheur à chercher la vérité?


 

  1. Saisir les contradictions et problématiser

Plusieurs formulations du sujet dénotent la volonté d’orienter la réflexion des élèves vers plusieurs contradictions (ne serait-ce que parce qu’un sujet de philosophie est nécessairement contradictoire en soi). Peut-être la plus évidente est-elle celle de « trouver/ chercher ».  Se pourrait-il que le mouvement par lequel je recherche quelque chose finisse par m’apparaître en lui-même comme porteur d’autre chose que je pourrai avoir, dont je pourrai jouir. Il s’agirait de « lâcher la proie pour l’ombre » en quelque sorte. Cela suppose qu’une insatisfaction se transforme en satisfaction. Peut-on réaliser dans l’élan même de la recherche du vrai qu’il n’y a rien d’autre dont on puisse se satisfaire que cet élan même, dans son inachèvement? La vérité ferait-elle parti de ces concepts un peu idéalisés dont la puissance ne vaudrait qu’à titre de critère régulateur de leur propre recherche comme l’axe d’une courbe asymptotique qui jamais ne la rejoint, ne se confond avec elle?

Que l’on puisse trouver ceci en cherchant cela implique également que l’on ait changé d’objectif en cours de route ou bien qu’un retour sur soi nous ait révélé assez brutalement que le temps passé « vers » était aussi le « temps de…. ».  Il se produit ici un effort d’attention au temps même de l’attente. On devient attentif à des instants que l’on passait dans la perspective d’une chose à atteindre comme si les moyens devenait une finalité et que nous nous en contentions.

La notion de « contentement » pointe alors dans toute la justesse que permet son double sens: on est « content » parce qu’on se « contente »  de  ce que l’on a ou de ce que l’on vit, même et finalement « parce que » ce que l’on vit au présent est peut-être tout ce que dont on peut espérer jouir dans cette quête, à savoir la vivre dans sa teneur de quête. On peut donc trouver en cherchant mais cette conversion par l’intermédiaire de laquelle je passe d’un verbe à son contraire, à son antonyme fait signe d’un retour à soi et d’un décalage temporel , comme si je passais d’une certaine dimension du temps à une autre (de Chronos à Aiôn?)

Trois points semblent donc à garder en tête dans la perspective de cette opposition entre chercher et trouver:

  1. On peut trouver le bonheur en cherchant la vérité par un travail sur soi, mais quelle est exactement la nature de ce rapport à soi? Est-ce que cela n’aurait pas un certain rapport avec le stoïcisme et l’idée de « mesure » (« changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde »  comme dit Descartes) . Nous trouverions notre mesure en nous mesurant à de l’incommensurable. Nous nous donnons un but pour nous satisfaire de ne pas l’atteindre en activant le fond d’une sagesse de remise à niveau du réel, de contentement, mais cela suppose un effort de ma raison, presque au sens étymologique de « ratio », qui veut dire en latin « proportion ». Je réalise que l’acte de chercher me rend paradoxalement heureux précisément parce qu’il n’est pas comblé. Chercher pour chercher sans trouver me permet étrangement de « trouver » par l’efficience d’une révélation soudaine: se pourrait-il que nous ne soyons pas sur terre pour trouver, finalement?
  2. Une expression commune fait écho à la pensée précédente: « je m’y retrouve ». On finit par trouver un intérêt dans un processus qui semblait plutôt nous résister, voire tourner en notre défaveur. J’échoue dans ma quête initiale mais dans cet échec, voilà que j’éprouve une satisfaction. Comment la vivre sans envisager la possibilité que rien dans cet échec en soit vraiment un et qu’après tout, j’ai peut-être gagné sur tous les tableaux, que la sagesse de cette quête consiste dans le mouvement même d’y renoncer et qu’il y a une vérité dans mon bonheur. Comment être « vraiment » heureux sans cela d’ailleurs?
  3. Mais alors cela signifierait qu’on ne trouve la vérité qu’à la faire changer de sens, de dimension, qu’à la ramener à l’accessibilité d’un bonheur présent (Kaïros). Trois termes s’articulent alors dans le mouvement de cette quête: a) croire: si je cherche la vérité, cela signifie d’abord que j’espère l’obtenir ce qui suppose une certaine forme de croyance ou de manque: nous avons soif de vérité parce que nous éprouvons que notre vie ne nous met en présence que d’apparences. b) Savoir: en même temps cette croyance n’est pas celle de la foi. Nous ne partons pas en quête d’un être ou d‘une révélation religieuse, spirituelle mais de la vérité, ce qui suppose un rapport au savoir, à la rationalité, à la connaissance. c) la sagesse: par une forme de retour à soi, de réflexivité, nous mesurons que nous cherchions ce qui se révèle à notre portée, que nous n’avons pas cessé d’activer cela même en quoi consiste finalement notre « but », à condition précisément de ne plus le considérer comme tel. C’est comme si tout n’était en fin de compte qu’une affaire de perception. Il ne dépend que de nous d’être heureux à condition de ne pas chercher midi à 14h, mais bel et bien midi à midi. 


Une autre contradiction traverse celle de trouver/chercher, c’est celle des pronoms: « Mon » et « La » qui établissent en eux-mêmes toute la différence entre un idéal personnel et une quête universelle. Une recherche objective, rationnelle, impersonnelle peut-elle se révéler indexable à des intérêts qui me sont propres, qui ne concernent que moi. Puis-je ainsi prélever « ma » dime d’un travail dans lequel je ne peux m’engager qu’impersonnellement, de façon totalement désintéressée, et exclusivement scientifique, au sens d’absolument non relatif à des conditions ou à des caractéristiques qui me seraient spécifiques? C’est sur ce point que le sujet semble finalement le plus difficile car peu de philosophes, pour ne pas dire aucun, ne pourrait défendre l’idée selon laquelle le bonheur serait un concept universel aussi clairement objectif que la justice ou…. la vérité. Que je puisse faire « mon » bonheur à partir de la recherche universelle de « la » vérité implique quand même que je ne fasse plus de la vérité l’objet authentique de ma quête une fois que j’aurai compris qu’en fait chercher le vrai est le simple prétexte de la jouissance de « mon »  bonheur. Mais alors comment être heureux si j’ai compris que je ne cherchais la vérité que pour être heureux et que le bonheur résidait en fait dans la méconnaissance de ce véritable objet? Ne serais-je pas alors victime de ma lucidité?  Comment poursuivre une quête dont la jouissance véritable réside dans l’inconscience qui est la mienne de son objet authentique, à savoir mon bonheur? De deux choses l’une: soit je me rends compte que cherchant la vérité je trouve le bonheur et alors je ferai semblant de chercher la vérité, mais du coup, je ne jouirai pas d’un véritable bonheur, soit je ne réalise pas tout ça et alors je serai heureux en cherchant la vérité mais je ne le saurai pas et alors je serai heureux sans l’apercevoir, mais alors, est-ce du bonheur, si je ne me rends pas compte que je suis heureux?

 


Le problème du sujet se dessine indiscutablement de façon plus claire ici, dans toute l’ambiguïté du rapport qui s’y établit entre l’attention et la distraction: n’est-ce pas en me laissant distraire par la préoccupation du vrai que j’atteindrai mon seul but authentique: être heureux? Mais en retour si la vérité n’est qu’un faux prétexte, ce bonheur sera-t-il vrai? Se pourrait-il que la vérité du bonheur atteint dans la recherche du vrai soit finalement inconscient? Tout ceci serait dés lors un processus de dissimulation assez sournois au fil duquel je jouirai de ce que je cherche: la vérité, mais de telle sorte que cette notion pèserait sur ma recherche autrement que je ne le penserais en la cherchant. La vérité de la vérité consisterait à n’être pas l’objet de ma quête mais son moteur même, ce qui la sous tend, la motive clandestinement en sourdine, souterrainement, intérieurement  plus que ce qui la stimule extérieurement, comme un but. La jouissance de ce que je cherche résiderait alors dans l’acte de la chercher et pas du tout dans la représentation terminale d’une quête à accomplir. La vérité que je cherche est toujours déjà trouvée en la cherchant et ce serait ça: le bonheur, mais alors, encore faudrait-il que je ne m’en aperçoive pas, car comment chercher ce dont on sait qu’on l’a déjà trouvé en le cherchant? Jusqu’à quel point la résolution de cette difficulté ne résiderait pas dans l’abandon complet de la recherche du bonheur?  Le paradoxe d’une vérité qui se situerait dans la quête plus que dans sa finalité extérieure se résoudrait dans l’efficience d’un bonheur inconscient. Chercher la vérité radicalement, aveuglément, fanatiquement afin que, dans cette quête, s’accomplisse le seul bonheur vrai, à savoir celui de ne pas se réaliser en tant que bonheur, de ne pas même s’accorder  à soi-même le temps de la réflexivité et du retour sur soi: et si c’était ça le bonheur? 

La question de la lucidité, de l’attention nous apparaît donc centrale ici: est-il possible d’être assez lucide pour se vouloir « aveugle »? Peut-on pousser l’exigence du vrai assez loin pour que l’on puisse jouir en la concrétisant d’un bonheur sans mélange, ni médiation, d’un bonheur non dit, maudit, échappant à toute possibilité de nomination, de conscience, d’attention?

 




2) Définition des termes

Les concepts de vérité et de bonheur se révèlent ainsi à nous dans toute la complexité de leur résonance car nous sommes tout à la fois convaincus qu’ils s’excluent et étrangement s’impliquent, c’est-à-dire qu’il est impossible de jouir d’un bonheur s’il n’est pas vrai comme il semble difficile de trouver une vérité sans en éprouver de la jouissance, mais qu’en même temps, les exigences de vérité sont telles qu’elles imposent que nous leur sacrifions notre bonheur.  Nous pouvons ici songer à une expression populaire: « c’est trop beau pour être vrai ».  Cette formule recèle une notion fondamentale: celle du sens. Les humains sont des créatures assez fascinantes prêtes à supporter les pires douleurs à partir du moment où elles sont convaincues qu’elles ont du sens. On peut donc les priver de bonheur à condition que les épreuves qu’elles subissent leur semble justifier par une forme de « raison » supérieure, que ce soient celle de Dieu, de la raison elle-même ou d’une cause politique qui leur semble « vraie », cohérente.  Pour que cela soit vrai il faut que cela soit « pas beau » et moins ce sera beau, plus cela apparaîtra comme vrai. C’est comme si un bonheur « supérieur », régulateur, «  finalisant » pouvait se substituer et résulter d’un bonheur  plus « terrestre » qui lui serait sacrifié. C’est comme si nous pouvions nous satisfaire de ne pas être heureux à l’idée qu’un bonheur plus total, plus abstrait se réalisait secrètement dans notre malheur concret. Le bonheur aurait ainsi plusieurs niveaux. Il serait reconductible peut-être à l’infini, dans un jeu d’effacement et de suggestion permanent: il ne peut pas être absent ici sans être présent là. A titre d’aspiration, le bonheur est un concept indéracinable, indestructible, ineffaçable. Quoi que nous fassions, comme le dit Pascal, nous le faisons dans l’efficience même de cette dynamique de reconduction. Même si nous accomplissons des actes qui semblent en tous points contraires à la jouissance d’un bonheur simple, c’est que nous en escomptons à quelque autre degré un autre type de satisfaction. Un ascète ne se retirerait pas dans le désert s’il n’en attendant pas une expérience mystique, un certain bien (jouissance personnelle) qu’il retirerait de sa renonciation aux jouissances terrestres. Quoi qu’on fasse, c’est en vue d’être heureux qu’on le fait. Les idéologies religieuses,  politiques et sociales tirent un grand parti de cette donnée humaine là.

 Une autre expression commune nous fournit de précieux renseignements sur le bonheur: « je n’ai pas eu le bonheur de vous connaître ». Dans cette formulation, nous retrouvons l’étymologie la plus riche de la notion car cela signifie: « je ne suis pas tombé sur le hasard heureux de faire votre connaissance » et, de fait, le bonheur exprime aussi sa caractéristique la plus troublante et la plus puissante car il ne consiste pas dans une satisfaction provoquée, attendue. Le bonheur s’oppose au plaisir en ceci que contrairement à lui, il n’est pas «  programmable »? Nous savons comment avoir du plaisir et cette satisfaction là trouve son siège dans le cerveau de tous les mammifères: le système de récompense. 

 




Mais le bonheur est inconditionné. On est « heureux » quand rien ne le laissait présager, parce que le bonheur lui-même surgit comme un heureux présage. C’est là son étymologie: heur vient du latin augurium qui signifie « signe favorable ». Le bonheur désigne alors ce qui est « de bon augure », la perspective favorable dans laquelle nous pouvons relier entre eux des évènements. Aucun évènement n’est donc heureux en soi, le bonheur c’est le signe à partir duquel nous pouvons favorablement interpréter les évènements comme porteur d’une dynamique heureuse. Mais cela vient sans prévenir ni s’expliquer. Il y a dans le bonheur quelque chose d’aussi donné, d’aussi irrationnel que les augures des oracles, au temps de l’antiquité. 

Ici encore donc, nous croisons les stoïciens: ce n’est pas aux évènements de nous rendre heureux mais à nous de nous rendre heureux à l’occasion des évènements qui ne font qu’être. La sagesse à l’oeuvre dans le stoïcisme, comme toutes celles de l’antiquité vise le Souverain Bien, soit l’idée selon laquelle la vertu, le bien-être et la vérité sont indissociables. Même si le bonheur contient la notion de hasard, il ne tient qu’à nous d’exercer un travail intérieur grâce auquel ces hasards seront perçus et vécus avec « bonheur », dans le hasard heureux de leur acceptation, de leur émergence pure et donnée. Nous ne sommes que ce qui nous arrive et nous ne pouvons pas jouir d’un autre bonheur, d’une autre incidence que celle de ces blocs d’espace temps là. Tout notre travail consiste donc à nous construire nous-mêmes comme les résonances heureuses de ces sons là, de ces bruits que sont les évènements qui adviennent. Faisons en sorte de devenir les bons échos de « cris » qui ne sont pas les nôtres mai ceux de la fatalité. Tel est le secret du bonheur, selon les stoïciens.


Mais cette référence illustre parfaitement l’ambiguïté qui oeuvre au plus profond de cette notion. Le bonheur est à la fois ce qui ne dépend pas de nous en ce sens que les évènements qui nous arrivent ne sont pas de notre fait. Nous n’en sommes pas la cause et en même temps qu’il y a pourtant bel et bien quelque chose de nous qui doit s’activer à l’occasion de ces évènements. Ce que j’ai à être c’est la bonne incidence, le bon angle, le bon « heur » par l’abord duquel les choses qui arrivent arrivent sous les meilleurs auspices , de telle sorte que ce que l’on ne peut pas éviter s’effectue dans la tenue juste, à la bonne hauteur, dans la meilleure perspective qui puisse être même quand l’évènement est en lui-même tragique.

Ainsi s’explique le fait que le bonheur soit une notion profondément individuelle en ce sens qu’il n’est rien qui puisse me rendre heureux sans que j’y participe, sans qu’en un sens j’y « oeuvre ». On est heureux que si l’on y met du sien mais en même temps ce n’est pas une pure « création » et il faut qu’il y ait dans le bonheur de l’inattendu, du non causé, du non voulu. Il nous est donc impossible d’être heureux sans le vouloir mais en même ce vouloir ne suffit pas. La condition heureuse décrit en fait un être-au-monde du « da sein » très particulier. Il ne dépend pas du Da sein d’exister ou pas; il vit le fait d’être comme une réalité donnée, étrangère mais en même temps il n’est rien d’autre que cette étrangeté, que cette incongruité là. Le bon heur est la condition fondamentale d’un être qui ne peut faire l’expérience d’être là comme la sienne, comme « fondée » justifie, spontanée, auto-suffisante. C’est donc la condition fondamentale d’un être auquel in n’est pas donné de vivre le fait d’être fondamentalement, essentiellement mais accidentellement, fortuitement, de façon contingente. Il semble donc envisageable que l’on trouve son bonheur à éprouver la vérité de son statut de chercheur ou d’être en perpétuelle questionnement sur le fait d’exister.  Qu’exister soit une expérience que nous vivons sous l’angle heureux de la question, c’est toute à la fois vrai et exhaustif, incontournable, porteur d’une plénitude indépassable. C’est tout à la fois factuel et finalement opportun, bienvenu. C’est exactement cela: du hasard heureux. A cette lumière là, il semble bien que je puisse trouver mon bonheur à réaliser la vérité indépassable d’être un chercheur, c’est-à-dire un insatisfait, un être dont l’être consiste être structurellement exclu de la réponse.

Mais que faut-il entendre par « vérité »?  Pascal dans un texte célèbre distingue les vérités dites de raison et les vérités de coeur, insistant sur la nécessité d’inclure les secondes dans l’acquisition des premières.  Il y a des vérités que l’on déduit (démonstration) en faisant s’enchaîner des propositions les unes des autres par des rapports de causalité et de consécution strictes, de telle sorte que l’on ne peut que conclure ceci de telle ou telle prémisse. Mais précisément, il faut des prémisses et surtout une modalité d’adhésion à ces principes qui soit « donnée ». Il existe donc des vérités dont on éprouve l’exactitude intuitivement, comme le fait qu’il y ait de l’espace ou bien que l’on ne rêve pas (intuition). 

On peut donc concevoir qu’il existe 1) des vérités intuitives, perçues immédiatement et définitivement comme vraies 2) des vérités déduites c’est-à-dire logiquement déployées les unes des autres par des chaînes de raisonnement pur 3) des vérités construites, c’est-à-dire scientifiquement confirmées par une expérimentation conçue comme le moment de validation d’une hypothèse (au terme de vérité, Popper substitue celui de véri-similarité pour pointer qu’aucune expérience accomplie dans un certain temps et un certain lieu ne saurait vérifier, rendre vraie une hypothèse). Il convient de rajouter à ces trois types de vérités la vérité « dévoilée », « l’alétheia »  des grecs reprise par Heidegger pour l’appliquer à la vérité qui surgit de l’oeuvre d’art. L’artiste manifeste l’être là de la chose ou du paysage qui est avant que nous le recouvrions d’un voile d’habitudes, d’usages et de classifications linguistiques qui en dissimulera l’acte de pure émergence, de venue au monde. Nous pourrions aussi utiliser le terme aristotélicien de catharsis., de purification. 


Finalement la vérité peut être définie au fil de trois actes:

1- le jugement (intellect et médiatisé) : a) je dis la vérité quand je juge que l’herbe est verte et qu’elle l’est en effet b) quand je déduis d’une proposition une autre proposition c) quand je retire la conclusion d’une expérience dont j’ai conçu le protocole à partir d’une hypothèse

2 - l’intuition (épreuve immédiate d’une vérité reçue comme telle) : a) quand je perçois l’évidence d’une donnée immédiatement et absolument vraie, sans examen b) quand j’éprouve la nécessité de supposer vraie un principe pour que des chaines de raisonnement puisse se déployer à partir de lui (vérité apodictique par opposition à assertorique (vérité constatée))

3 - le dévoilement: quand l’effet de polarisation, de neutralisation et de purification (catharsis)  de l’oeuvre révèle la réalité brute dépouillée de toutes les arrière-pensées utilitaristes et linguistiques de l’humain (aléthéia).

Une chose ou une proposition peuvent être considérée comme vraie dés lors:

  1. Qu’elle se manifeste dans l’émergence d’un effet de contrainte (ou d’évidence), c’est-à-dire que l’on ne puisse pas s’y soustraire, qu’elle s’impose à nous comme ne pouvant pas ne pas être (Nécessité)
  2. Que cette reconnaissance comme vraie soit la même pour tout humain en tout lieu et en tout temps. (Universalité)
  3. Qu’elle peut receler aussi un caractère de primarité. Est vrai ce qui n’est pas trafiqué, travaillé, faux, second, feint. Sincère veut dire « sans fard » en latin (on peut aussi penser à la parhésia ainsi qu’à la dimension performative de certaines prises de parole) - ( Arché: commencement) 


3) Introduction

Aristote insiste sur l’étonnement en tant qu’origine même de la philosophie. Le propre de l’être humain consiste en effet, selon lui, à s’étonner: « Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les premières à l'esprit ; puis, s'avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l’Univers. » nous ne nous satisfaisons pas de la présence des éléments, ni même de la notre, de telle sorte que le premier moment de cette recherche que l’on appelle la philosophie est celui de la reconnaissance de notre ignorance.  En d’autres termes il semble acquis qu’exister pour l’être humain va de pair avec l’expérience du manque de vérité dont sa propre vie est à la fois l’attestation et le témoignage. En l’être humain quelque chose d’une existence en suspens s’effectue, suit son cours mais un peu comme on le dirait d’une expérimentation « faite à l’aveugle ». Nous sommes donc fondamentalement, existentiellement en quête de vérité et c’est notre tâche que de faire avec cette donnée incontournable qui nous définit plus et mieux qu’aucune autre caractéristique. Il nous revient d’avoir à habiter ce paradoxe au fil duquel il est acquis que rien de nous n’est vraiment acquis et qu’être humain est une condition laissée là sans réponse.  En tant que tout bonheur suppose une forme de plénitude, de satiété, d’accomplissement, il semble difficile d’envisager, de prime abord, une condition plus incompatible avec la satisfaction d’être heureux que celle de ce « Da Sein » que nous sommes. Comment pourrions nous nous satisfaire de quelque façon du fait d’être cet être en question sans réponse? Cette affirmation du critique littéraire Maurice Blanchot contient pourtant une forme de promesse: « toute réponse est le malheur de la question ». Si c’est vrai cela signifie  logiquement que l’absence de réponse est le bonheur de la question et qu’il existerait comme une éthique heureuse à disposition de toute créature susceptible de se réjouir de demeurer ainsi dans le monde comme dans le vide abyssal de toute réponse donnée. Peut-on se réjouir du « silence éternel de ces espaces infinis » qui effraie tant Pascal?  Que pouvons nous trouver d’heureux dans cette condition hasardeuse qui est la notre d’être jeté là dans une existence sans réponse? Peut-on se satisfaire vraiment d’avoir à rendre habitable le chaos d’une existence sans raisons jusqu’à envisager sereinement la possibilité suivante: n’aurais-je été que cette question que cette question « aurait été » et cette « pose » de la question ou l’ouverture de cette dépose recèle en elle-même, tout le secret de l’ethos heureux dans lequel l’acte d’être humain consiste. (Il faut imaginer Antigone heureuse)



4) Le plan


(Pour une fois, j’ai parfaitement joué le jeu du plan, mais honnêtement celui-ci  est davantage une tentative d’ordonner les points de repère dont j’aimerais bien tisser le lien dans une dissertation que le suivi rigoureux et linéaire d’une réflexion  ordonnée. En fait je serais très content qu’il le soit effectivement , mais je ne suis pas certain de pouvoir articuler tout cela dans ma dissertation. L’avenir le dira. Pour être clair, ce plan est risqué. Il est davantage ce que je voudrai écrire que ce qui suit rigoureusement de ma problématique, laquelle est fortement imprégnée de la question du Da Sein…..Inch’Allah.)

  


Puis-je trouver mon bonheur à chercher la vérité?


1 - La soif de vérité

a) Le réconfort triste (expérience de Asch)

b) La dialectique ascendante (Platon)

c) Le bonheur par A+B (Mathémata / Pathémata)

2 - Par quel heureux hasard?

a) Expérience et Da Sein

b) Les régimes de vérité (Nietzsche)

c) Multivers et Vérité

3 -  L’Univers à connaître contre la multiplicité des univers à faire naître 

a) Un cosmopolitisme pluriversel

b) « Emietter l’Univers » - Nietzsche  

Conclusion (Ethique et Absolution)





5)  le développement

1 - La soif de vérité

a) Le réconfort triste

Que nous puissions trouver notre bonheur à chercher la vérité semble impliquer d’abord que nous y satisfassions un appétit, un manque, une soif et qu’à mesure que la vérité est cherchée, quelque chose du bonheur grandit parce que l’insatisfaction née de l’inquiétude de l’ignorance diminue. Il existerait donc « un manque de vérité » et ce sentiment de vide, d’absence se transformerait en bonheur à mesure qu’il se réduirait. Mais pour que cette satisfaction progresse à mesure que la vérité se révèle, encore faut-il que nous nous éprouvions nous-mêmes comme dépossédés par son absence  de quelque chose qui nous revient, comme si naturellement nous étions faits pour connaître la vérité. Mais est-ce la vérité? Sommes nous une créature vouée à la vérité par «  essence »? Nous serait-elle dûe?  Cherchant la vérité, serions-nous envahis par la certitude de nous rapprocher de nous-mêmes, de nous accomplir, de nous réaliser? Sommes-nous faits, nous humains, pour chercher et obtenir la vérité?

La réponse proposée par Platon à cette question est « oui » et elle correspond exactement à ce mouvement assez étrange qui voit le prisonnier de la caverne détaché de ses chaînes, le philosophe, revenir dans l’obscurité pour informer ses anciens compagnons de chaîne qu’ils ne voient que des ombres. Mais on sait bien que Platon retranscrit aussi dans ce retour la mort de Socrate et tente de l’expliquer ainsi: il se produit un phénomène d’accoutumance, de confort par le biais duquel les hommes préfèrent se satisfaire ensemble de ce qu’ils pressentent faux plutôt que de tenter seul la douloureuse ascension vers les idées, vers les Essences. L’expérience célèbre de Asch a démontré clairement la dynamique fallacieuse de cet effet de groupe pointant ainsi ce confort du conformisme qu’il s’agit de secouer si l’on envisage vraiment de découvrir la vérité.




b) la dialectique ascendante 

Mais toute la question est de savoir si la satisfaction indiscutable de ce confort accessible aux pensées courantes, aux lieux communs, aux préjugés ne serait pas inférieure en intensité à la satisfaction de progresser vers ce que l’on sait être vrai, parce que l’on en a l’intuition juste, adéquate et avérée, pure en ce sens de « distincte de toute influence sécurisante ». Où le philosophe est-il allé chercher l’intuition que ces apparences n’étaient que l’ombre de la réalité?

Nulle part ailleurs que dans son âme si l’on en croit le mythe de la réminiscence du Phédon.  Nous sommes structurellement estampillés d’un manque qui se trouve être finalement une empreinte, un sceau, une trace, celle laissée par notre expérience des idées dans cette période première, à tous égards « initiale » où nous n’étions qu’une âme. 

 


Le désir de vérité trouve ainsi son origine: nous sommes aiguillés par nos expériences terrestres par le souvenir confus de cette intuition première de la vérité et le désir oriente nos recherches des premiers étages de la dialectique ascendante vers les tout derniers jusqu’à la connaissance de l’UN. C’est bien ce que Diotime a dit à Socrate selon ses propres dires dans le banquet. Le bonheur que nous éprouvons à grimper ces marches qui sont autant de phases de généralisation, d’abstraction, d’activité idéalisante (de la beauté de ce visage à la beauté de tous les visages puis celle de tous les corps, puis des belles actions, etc.) est indissociable et corrélé à celui d’un retour aux sources de l’âme à sa nature même. L’horizon de ma recherche se trouve être dés lors un retour saisissant à un passé originel, à l’arché même de tout être et cela explique d’ailleurs aussi formellement le recours de la philosophie de Platon à la mythologie. Le bonheur de la connaissance est un retour à soi mais aussi un retour à la nature profondément et originellement contemplative de mon âme. Ce que je trouve à chercher n’est rien d’autre que ce que je retrouve de moi-même en moi-même comme constituant mon être le plus pur et le plus universel.

Mais précisément on a du mal à percevoir ce qui de ce retour de l’âme à sa nature première peut procurer un bonheur authentique au sens philosophique du terme d’improgrammable. C’est davantage une sorte de désir nostalgique qui se satisfait un peu comme ces photos du passé que l’on regarde avec satisfaction parce qu’elle nous permette de nous rappeler de bons moments, mais il n’est rien de cette âme restaurée qui se réjouisse d’autre chose que d’avoir toujours été ce qu’elle est, pas davantage que de redécouvrir ce qu’en réalité elle savait déjà, mais sans savoir qu’elle le savait. Cette âme ne trouve pas son bonheur à chercher la vérité mais au contraire à l’avoir toujours déjà connue.  Ce qu’elle trouve n’est que ce qu’elle retrouve et ce qu’elle cherche n’est que ce qu’elle a déjà trouvé. C’est de cette façon que l’on peut expliquer le bonheur de chercher par la certitude ancienne d’avoir toujours déjà trouvé et dont il ne s’agit en fait que de faire revenir à la surface le souvenir.




c) Mathémata / Pathémata

Quelque chose ici nous permet de pointer le lien avec la célèbre formule que Platon avait fait graver au fronton de son école: « que nul n’entre ici s’il n’est géomètre » car il existe un rapport évident entre cette connaissance par le biais de laquelle l’aime retourne à son origine contemplative et les mathématiques. C’est ce que l’étymologie du terme révèle clairement. Mathématiques vient du grec mathémata qui signifie: « ce que l’homme connaît d’avance et qu’il porte en lui-même sans avoir à l’extraire des choses. » Il s’oppose à Pathêmata qui au contraire s’applique aux choses que nous connaissons en en faisant l’expérience, en étant sorti de nous-même par cette expérience. 

De fait l’épreuve que nous faisons d’une vérité mathématique est toujours celle d’une pensée qui se révèle à elle-même par l’exercice rigoureux de ses propres rouages. Elle ne consiste pas dans une science empirique (« empeiria »: expérience). L’effet de vérité d’une proposition mathématique exacte ne vient donc aucunement de son rapport au monde mais seulement de la concordance avec soi d’un esprit humain. Ce ne serait pas excessif que d’affirmer que la grande force mais aussi la faiblesse des mathématiques est de pouvoir fonctionner « sans monde ». Un mathématicien porte avec soi sa science et l’on ne peut en dire autant d’aucune autre science, qui toutes effectuent un passage par l’observation d’une réalité donnée. Il existe donc bel et bien une satisfaction mathématique, mais elle est finalement en tous points semblable à ce que décrit Platon de la réminiscence:  elle consiste dans l’effet de transparence à soi d’une pensée qui se déploie dans des opérations d’une rigueur totale mais aussi « pure » au sens de non influencée par les aléas des circonstances ou des imprévus du monde réel.

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