lundi 29 janvier 2024

Terminales 2/3/6: " Est-ce par la technique que l'homme est homme?"

 

Qu’est-ce que la technique? C’est notre aptitude à fabriquer des objets que nous plaçons entre nous et la nature.  Toute technique porte donc en elle l’idée et la manifestation d’une médiation. L’être humain n’est pas dans la nature. Son immersion n’est jamais effective ni totale. Il lui faut un intermédiaire, du premier objet sculpté jusqu’à l’objet transitionnel de Winnicott (c’est le doudou grâce auquel le bébé peut jouir d’un réconfort psychologique en l’absence de ses parents - Winnicott est psychologue)). Exister, c’est venir au monde mais précisément, la technique prouve que l’homme jamais ne vient au monde directement ou plutôt si nous faisons valoir la différence entre Khaos (chaos) et Cosmos (univers ordonné) en grec, que quelque chose s’insinue entre l’être humain et la nature de telle sorte que ce n’est jamais directement à la nature première, donnée que l’être humain est confronté.

Il est difficile de ne pas faire ici le rapprochement avec la philosophie de Heidegger. En tant que Dasein, l’être humain éprouve le fait d’exister comme une question. Etre est étrange, angoissant, questionnant. Ce décalage par lequel il n’est pas en phase avec le fait d’être se concrétise dans l’existence de cet objet. Là où les autres espèces vivantes sont déjà accaparées par la constitution de leur biotope respectif, l’être humain met en oeuvre des objets, des installations, des relais de médiation à partir desquels se profile un monde, exactement comme un sas, ou un seuil qui favorise l’accès à la perspective d’un monde là où les animaux eux sont directement en prise avec leur biotope.

Nous n’avons évoqué jusque là que des objets ou des installations qui finalement pourraient aussi bien convenir à décrire des oeuvres d’art et des outils techniques et c’est vraiment là un fait exprès parce que pour la Grèce antique, le mot technè désigne aussi bien la métallurgie, la menuiserie la médecine que la poésie, la peinture  ou les mathématiques. Dans son article consacré à la notion de technè, Isabelle Warin écrit: « Dans l’Antiquité grecque, la notion de technè a le sens d’amener à l’existence une chose qui ne se trouve pas dans la nature et dont le principe réside dans l’être humain. Elle est associée à un ensemble de règles employées au moment favorable, le kairos (καιρός), et qui ont pour but de produire un effet précis, même si le résultat ne prend pas la forme d’un objet matériel et durable. La technè embrasse ainsi ce que nous nommons « métier », « science », « savoir-faire », « art » ou « technique »

Le terme de Technè vient de la racine indo-européenne  « tek » qui signifie « construire tailler, former, tisser, tresser, ourdir, tramer ». Il s’applique donc de façon privilégié aux charpentiers et aux tisserands mais se rapproche aussi du verbe tiktô qui signifie « faire naître une chose ». La technique désigne donc aussi l’art de faire naître une chose qui n’est pas déjà donnée par la nature, l’art de faire naître dans ce qui fait naître donc puisque natura désigne étymologiquement cela: ce qui est en train de naître et de faire naître. 

Nous pourrions d’emblée pressentir que tout déjà se joue dans cette étymologie: quel est exactement le rôle joué par cette aptitude à faire naître au coeur d’un « faire naître » initial? Peut-elle le contrecarrer ou au contraire le promouvoir, le souligner, le prolonger, de célébrer? Déjà le conflit entre la provocation et le dévoilement au sens Heideggerien s’exprime pleinement dans cette étymologie. Mais est-ce bien le sort de l’humanité qui s’y joue au sens littéral c’est-à-dire au sens que nous trouverions en ce moment critique de la question technique le point de basculement dont il dépendrait qu’il y ait de l’Humain ou pas. 



Cela signifierait qu’il existe une technique grâce à laquelle l’homme est homme et une autre sous l’influence de laquelle il ne l’est plus. Nous mesurons ainsi pleinement l’enjeu de la question. Il est absolument impossible de la poser sans que vienne à notre esprit l’éventualité  d’une technique dangereuse, sous l’oppression de laquelle nous perdrions l’authenticité de notre mode d’être et ce danger, avec des degrés d’intensité et de pertinence  divers fait partie des questions récurrentes que nous nous posons depuis Sophocle (Le deinos).

L’apport de cette dernière considération sur notre sujet est vraiment considérable parce que nous réalisons qu’il n’est pas seulement question de traiter cette interrogation « philosophiquement » mais aussi actuellement ce qui veut dire urgemment. En d’autres termes, il ne va pas du tout s’agir pour nous de prouver qu’il existe peut-être d’autres caractéristiques susceptibles d’expliquer le « phénomène humain » comme la parole (qui en fait est une technique aussi)  ou le savoir (puisque qu’ici encore la technique désigne aussi des savoirs faire, c’est-à-dire des epistémès - la technique est non seulement une epistémè mais aussi le moteur par lequel nous passons d’une epistémè à l’autre), mais plutôt de nous questionner sur la possibilité que nous soyons en ce moment même en train de perdre notre humanité. 

Il ne fait aucun doute que notre extinction physique suivra de peu notre vacuité ontologique si finalement nous n’allons pas au bout de cette question, c’est-à-dire, si après avoir vraiment pris la mesure du rôle crucial (moment critique) joué par la technique dans notre humanité, et peut-être serait-il plus juste de dire humanisation (processus continuellement en cours et peut-être arrêté), nous n’énonçons pas des propositions visant à promouvoir la technique humanisante contre le transhumanisme (technique aliénante ou provocatrice). 


Nous nous proposons de suivre voie indiquée par la question mais de la dépasser, c’est-à-dire de ne pas seulement la poser d’un point de vue anthropologique, parce que de toute façon on voit mal comment nous pourrions répondre « non ». Une question à laquelle il est facile de répondre n’est pas philosophique. Il faut prolonger l’anthropologie par l’éthique de telle sorte que la question n’est pas réellement de savoir si nous devons le fait d’être humain à la technique mais de réaliser que cela même qui nous investit de cette condition se révèle à chaque moment de son développement en capacité de nous la faire perdre, de nous la retirer et c’est bien ce qu’elle fait en ce moment (technique provocatrice, centrale de Heidegger). En fait nous court-circuitons le sujet qui semble acter le fait que l’humain soit l’humain. Puisqu’il est clair qu’en effet c’est la technique qui fait de nous des êtres humains et puisque il est de la nature même de la technique d’impulser un mouvement, il en découle logiquement que notre humanisation n’est pas davantage une condition acquise et actée que la technique elle-même. Nous avons à être humains et de fait il se trouve que cette humanisation se doit de rester fidèle à son origine qui est le dasein, l’être pour lequel il est dans son être question de son être. La question de l’être ne se pose qu’à nous elle se pose dans le dévoilement de sa justesse à l’être humain et il convient que nous nous maintenions toujours à la hauteur questionnante de ce dévoilement là, ce que la technique moderne ne fait pas. Si c’est par la technique que nous sommes humains c’est par une certaine technique qu’il convient que nous le demeurions, que nous laissions ouvertes tout à la fois la question de l’humain et la question de l’être, ce qui impose une prise de conscience, un dévoilement du dévoilement, ou en d‘autres termes, que nous comprenions la vérité de ce processus technique par le biais duquel se dévoile la vérité de l’être, processus qui inclue l’art, comme l’étymologie déjà nous l’a  pleinement révélé. Finalement le sujet lui-même évolue: si c’est par la technique que l’homme est et également par elle qu’il est en passe de ne l’être plus, que faut-il que soit la technique pour que nous nous maintenions sur la voie de notre humanisation?

Evidemment on pourrait objecter qu’il ne s’agit là que d’une dramatisation de la question, mais cette dramatisation ne suit que le mouvement d’une montée du péril. « là où croît le péril croît aussi ce qui sauve » dit le poète allemand Holderlin (le même qui a écrit le Rhin). Il faut que la technique qui se trouve être ce point de basculement à partir duquel l’humain peut se perdre soit celui d’une conquête, ou plutôt d’un ouvrage sans cesse retravaillé par le biais duquel nous finirions pas réaliser que ce qui se forge en toute innovation technologique, c’est Nous. C’est le seul moyen qu’une éthique technicienne du dasein se produise, au sens étymologique (se mette en avant. (Pro - ducere))


1) L’humanité: « l’espèce objectée » (2001 odyssée de l’espace)

« Amener à l’existence une chose qui ne se trouve pas dans la nature »: si telle est la définition de la technè dans l’antiquité grecque, définition dont il faut d’emblée souligner qu’elle englobe aussi bien les ustensiles que les oeuvres d’art et les objets sacrés, alors nous ne pouvons pas faire autrement que de décrypter la fameuse première séquence du film de Stanley Kubrick : « 2001 odyssée de l’espace comme l’apparition même de la technè. Cette horde de singes au bord de l’extinction découvre « ce premier matin du jour de l’humain » cette dalle noire, verticale, comme l’idée même de la station debout, et polie, lissée, mais de la main de qui? 

C’est ce que nous révèlera la fin du film par l’intermédiaire de ces dernières images absolument incompréhensibles pour quiconque refuserait cette évidence selon laquelle « 2001, odyssée de l’espace » est un film philosophique sur l’humanité. Peut-on tourner un film dont la trame épouserait l’évolution de l’être humain de son début à son impossible fin, non pas impossible parce que l’humanité serait une espèce vouée naturellement à une forme d’immortalité, mais impossible parce qu’en fait chronos n’est pas le temps de l’être? C’est Aiôn qui l’est. Une caméra peut-elle prendre assez de distance à l’égard du phénomène humain pour s’extraire de la temporalité créée par cet humain lui-même via la technologie?

Le temps de l’être est cyclique. Un enfant nous le dirait tout simplement parce qu’un enfant voit s’accomplir chaque année le retour des quatre saisons, la succession des périodes de naissance, de vie, de vieillesse et de mort puis de naissance et ainsi de suite. Cela signifie-t-il que moi ou tel autre individu humain je redeviendrai un embryon, un foetus, et que je renaîtrai? Non, pas du tout, cela veut dire que la temporalité de ce que c’est qu’être est circulaire, qu’elle fait retour à elle-même et que c’est pour cela que cet instant « est ». Par conséquent tout ce qui se fait en cet instant, incluant moi-même s’inscrit dans cette dynamique cyclique grâce à laquelle être, c’est ce qui revient toujours et c’est aussi ce qui sait qu’il revient toujours. Il existe une conscience de ce retour éternel à soi de l’être et c’est bien ce que désigne cette pierre noire, et plus encore le doigt du vieillard mourant vers ce monolithe et l’image de ce foetus humain baignant dans l’univers comme dans le liquide amniotique matriciel. Il est impossible qu’étant venu au monde une fois nous ne participions pas à ce que c’est qu’être monde à chaque fois, encore et encore, parce qu’en fait l’idée même d’une fin de l’être est purement et simplement impossible, grotesque, nulle, mais pas de cette nullité dont on pourrait parler, plutôt d’une nullité qui s’annulerait elle-même. Que le néant soit, c’est impossible et il n’est aucun crédit en aucun lieu à faire à cette idée. Ne pas être n’est pas. Le néant n’est pas. L’être est et on ne peut pas s’en sortir.



Il y a là de quoi s’étonner comme le sont ces hominidés devant l’émergence de cette pierre verticale et polissée qui les situe au seuil de cette réalisation, seuil qu’ils franchiront très vite en transformant un os en outil. Ce que matérialise ce monolithe, c’est cette « ligne » sur laquelle l’être humain se situe à la fois dans et devant l’être. Il « est » mais cet être est comme un seuil que l’on perçoit en tant que seuil, que bordure extérieure. Ce monolithe est « posé » devant lui comme l’idée même de ce que c’est qu’être « devant », jeté devant, « objet »  « Dasein » et cet objet fait de l’être humain l’espèce objectée, toute à la fois pris dans cette exhaustivité cyclique de l’être et conscient de l’être (par quoi il ne l’est pas totalement).

Cette réalisation de la bordure extérieure de l’être implique deux choses: la verticalité et la temporalité chronologique, précisément parce que l’être, au contraire,  est cyclique  et continu. De ce que c’est qu’être nous sommes la célébration extérieure, la spectatrice objectée mais à cause de cela lucide et curieuse. Il n’est rien qui puisse nous perdre davantage et gravement que l’abandon de cette posture là. Parmi toutes les réalisations humaines, il en une qui à ce titre doit retenir notre attention et être mise en relation avec tout ce qui, à partir du monolithe de Kubrick, est développé ici, ce sont les menhirs de Carnac et les pierres de Stonehenge. Elles relèvent nécessairement d’une forme de technicité: amener à l’existence ce qui n’existe pas dans la nature. » en tout cas pas comme ça, la pierre est là couchée sur le sol et l’être humain la redresse, la fait tenir debout.comme un être là, comme peut venir à l’esprit des humains et seulement à eux l’idée « d’être là ». L’être humain « est » mais il se trouve que de cet être il va faire un « être là », un « se poser là » et c’est ce poser là qui va se transmettre de l’homme que sa technologie aura conduit aux confins du monde à celui qui n’est pas encore né. De cet hominidé à l’homme aux confins du système solaire, s’étend le cosmos et chronos, mais en fait il ne s’git là que de positions latérales objectées, objectantes et objectives, mise en retrait humaine d’où se dévoile la circularité de l’être, ce que Nietzsche appelle l’éternel retour, ou encore l’Aiôn.




2) L’exosomatisme et le seuil critique

a) Prométhée le truqueur (mythologie)

Mais alors La technique est-elle ce par quoi l’homme est homme?  Oui, la technique est ce par quoi l’humain dispose de cet angle de vue si spécifique sur ce que c’est qu’être précisément parce qu’elle l’installe de fait sur la ligne de cette bordure extérieure d’où être se donne à voir sans pour autant cesser de se prêter à vivre. L’être humain est un point de vue, comme toute autre espèce animale en réalité. Toutefois ce point de vue est à tous égards un seuil critique. Nous cheminons sur le seuil critique. De cela même qu’être à nous, pour nous se pose là, comme un monolithe suit une évolution « border line ». Comme l’avait déjà parfaitement analysé Sophocle, l’être humain suit une route aussi dangereuse et affûtée que le fil d’un rasoir. La technique décrit finalement le seuil d’une attention portée comme nulle autre à ce que c’est qu’être.

Nous serions une espèce objectée de l’existence, mais comme il est absolument impossible que quoi que ce soit puisse s’exclure de cette condition là, nous cultivons ainsi l’art d’être à la bordure, comme en équilibre instable entre d’un côté  la très haute exigence requise par cette posture objectée (et objectivante) et de l’autre l’échec, c’est-à-dire la démesure, l’hybris, la confusion entre cette objection qui nous caractérise et l’abjection dans laquelle nous plongerait l’utilisation de cette position pour se croire au-dessus de l’être, abjection que le trans-humanisme illustre au plus haut point.

La thèse défendue sera donc que c’est bien la technique qui nous fait mais qu’elle est aussi plus que toute autre activité susceptible de nous « défaire », même si par ce terme, il convient finalement d’entendre l’aliénation de notre être, c’est-à-dire de la position de notre être à ce que c’est qu’être. Mais ce seuil critique dans lequel consisterait la technique peut-il s’entendre en plusieurs sens, et si oui lesquels? Tout dans ce qui vient d’être dit situe la question à un point de vue ontologique mais il n’est évidemment pas le seul. 




Dans le Protagoras Platon  décrit et probablement réinvente un peu un personnage déjà largement décrit dans la mythologie grecque qui est Prométhée. Quelles que soient les histoires, Prométhée est toujours ce titan qui va aider l’espèce humaine aux dépens des dieux. Platon décrit ce moment originel qui finalement précède les relations effectives entre toues les espèces vivantes. Nous pourrions dire qu’il s’agit de concevoir un écosystème dans lequel chaque espèce trouve son lieu et participe de l’ensemble. C’est à deux frères qu’ils confient la tâche de donner à chaque espèce animale de quoi assurer cet équilibre. Or il se trouve que l’humanité va se retrouver comme coincée entre deux frères l’un qui ne fait pas assez Epiméthée et un qui en fait peut-être un peu trop prométhée. Epiméthée se charge de la répartition dote chaque espèce d’un don d’une qualité propre, mais oublie inexplicablement l’être humain. Apercevant la faute de son frère Prométhée décide de voler à Athéna l’intelligence et à Héphaïstos le feu.  Une fois la dynamique écosystémique  de la chaîne alimentaire lancée, Zeus qui a pris soin de punir Prométhée  pour son crime constate que l’espèce humaine n’est pas pour autant sauvée. Il lui manque encore quelque chose: la pudeur ou la vergogne, une sorte de « mesure » « aidôs » en grec qui signifie à la fois respect d’autrui, honte, humilité. Elle est ce qui permet de nous respecter nous-mêmes aux yeux des autres. On pourrait aussi la rapprocher du concept d’ipséïté, au sens de Ricoeur. Zeus perçoit donc immédiatement que le cadeau divin fait par prométhée à l’espèce humaine est dangereux, susceptible de la faire sombrer dans l’hybris. Aidôs c’est ce qui permet à l’humain de ne pas tomber dans l’hybris.


b) Homo Faber (Phylogénétique)

Une interprétation assez rapide de ce mythe suffit pour en percevoir toute la richesse, voire l’étonnante lucidité dont il fait preuve à l’endroit de l’animal humain qui se révèle porteur d’un cadeau plus que risqué pour être au départ oublié. Il importe vraiment de lire Platon jusqu’à la fin, c’est-à-dire jusqu’à l’aidôs pour réaliser à quel point les grecs (Platon et Sophocle) relèvent l’ambiguïté de la techné. Là où les autres animaux disposent de qualités « données » l’être humain met en oeuvre des savoir faire, crée des epistémès qui finalement sont déjà potentiellement porteurs d’une autre temporalité que celle de la nature. Nous pouvons ici faire référence au premier Stasimon d’Antigone de Sophocle: 

« La terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont chaque année la sillonnant sans répit, celui qui la fait labourer par l’effort de ses chevaux ». La temporalité de la terre (Gaïa) c’est l’Aiôn, le cycle régénérateur de la croissance naturelle et tant que l’être humain se contente de la suivre de récolter chaque année le produit naturel de ses récoltes, il demeure dans l’aidôs, mais c’est comme si les grecs avaient eu l’intuition d’un savoir faire humain illimité, potentiellement capable d’insinuer dans Aiôn une autre temporalité plus rapide, plus exigeante et soumise à des appétits démesurés, celle-là même que des fertilisants chimiques imposent dans les termes de coque Heidegger appelle l’arraisonnement ou la gestell.

Rien ne serait plus absurde que de lire les mythes grecs comme de simples contes qui racontent des histoires surnaturelles et fantasmagoriques, car tout ce que Platon décrit dans ce mythe comme ETANT l’être humain, c’est ce que Bergson finalement reprendra en le définissant comme ce qui le fait DEVENIR, et cela, au sein d’une perspective qui n’est plus la mythologie mais la phylogenèse. Si l’homme écrit-il pouvait se dépouiller de tout orgueil (hybris) si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l'histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante de l'homme et de l'intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo sapiens, mais Homo faber. » 

L’être humain est un animal exosomatique. Il a fallu que Prométhée compense par son vol l’oubli de son frère qui n’a pas crédité l’espèce humaine de qualités propres qui lui serait intérieures, innées. Ce que l’être humain « est » par conséquent c’est ce que tous cette organologie externe l’incite à devenir. Un autre être humain se trouve à l’horizon de tous les objets conçus par l’ingéniosité de la génération précédente, de telle sorte qu’il n’existe pas de définition qui puisse vraiment enfermer l’humain dans une « donnée », dans une caractéristique. Naturellement doté de rien il est phylogénétiquement porteur de tout. C’est la raison pour laquelle cette limite naturelle à l’exercice d’une puissance « donnée » n’est pas observable chez lui et il n’est rien en droit que l’on puisse considérer comme hors de sa portée. 

En proposant de référer l’évolution de l’être humain aux outils qu’il invente, Henri BERGSON, propose une version incroyablement plus scientifique ou anthropologique à ce que déployaient déjà les avertissements mythologies ou tragiques de Platon et Sophocle dans la mesure où si c’est l’humain qui crée la technique c’est aussi la technique qui crée  et recrée à chaque fois un certain homme. L’être humain est celui auquel il est de toute première urgence de conseiller pour le moins de mettre en place un souci de soi une éthique de soi, parce que de fait, il n’est rien de la nature, ni même des Dieux qui puissent faire à sa place ce travail là.  Cette urgence serait incompréhensible à tous points de vue si nous ne la mettions pas en rapport avec le choc des deux temporalités: chronos et aiôn. 




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