lundi 8 juin 2020

Séance du 09/06/2020 CALM (Cours A La Maison) TES1: 2H

   Bonjour à toutes et à tous,

Aujourd'hui, nous suivons sans frein la pente accélérée de notre inclination vers la philo pure....
YAOUHHH!!!!!!

2) La liberté comme source de légitimité du droit (Emmanuel Kant)
        On entend souvent dire qu’un citoyen vivant dans un état de droit (il faut absolument relier ces deux notions de droit et d’Etat) n’a de droits que pour autant qu’il respecte ses devoirs, laissant ainsi entendre que la citoyenneté est une condition « donnant/donnant ». C’est un contre-sens total car si je ne respecte mes devoirs que pour autant que je jouis de droit, on ne voit pas bien quel est le rapport avec la morale. Le citoyen ne serait animé que par l’intérêt. Il ne respecterait ses devoirs que pour autant qu’il y gagne. On retrouve un peu cette conception dans le pacte civil selon Thomas Hobbes mais on sait bien que Hobbes ici ne nous parle que de politique, de lien social et pas de morale.
        Pour prendre un exemple récent, on voit assez mal comment nous pourrions expliquer cette implication récente des personnels soignants dans le traitement de la pandémie en l’expliquant par une forme d’intérêt ou de bénéfice. Ce n’était pas du donnant/donnant. Ricoeur nous donne des éléments rationnels de compréhension de ces attitudes profondément morales là où Hobbes peut sembler un peu « sec ».
        Il n’est pas possible de réduire le droit à la contrepartie du devoir. Si l’Homme se pose la question du droit et ne se satisfait pas du monde ni des rapports de force tels qu’ils sont, c’est bien parce que quelque chose dans le rapport qu’il entretient avec lui-même, avec ce qu’il faut bien appeler sa conscience induit une sorte d’assise, d’adéquation à soi et à ses actes, d’intégrité.  Sans aucun doute Freud invoquerait ici la notion de narcissisme primordial, et non sans raison. La honte, le remords, la culpabilité définissent sans aucun doute au fil de leurs contours quelque chose qui est de l’ordre de la plénitude, de l’amour de soi, de ce que l’on appelle en latin « dignitas », considération, estime, déférence, sentiment que l’on doit peut-être d’abord enraciner dans le sujet, exactement au sens que Descartes donne à la générosité: donner de soi pour se sentir exister pleinement et ne pas s’économiser.
        Ce qui s’articule dans cette source de légitimité par le biais de laquelle on se sent à la fois tenu d’agir de façon droite (c’est l’étymologie même de justice: jus juris) tout en étant convaincu que nous y gagnerions la jouissance d’une intégrité, d’une puissance d’assomption de nos actes, ce sont les notions de devoir et de liberté.
        Nous ne nous sentons obligés d’agir de façon droite que par rapport à un devoir fondamental mais dans ce devoir s’effectue également une puissance, une capacité  de ralliement à soi-même, de consentement grâce à laquelle nous ne regrettons rien, nous n’émettons pas la moindre réserve à ce que nous faisons. Le devoir c’est finalement la force grâce à laquelle nous agissons librement sans nous soumettre à des pulsions ou à des appétits qui nous feraient dépendre d’un pouvoir hétérogène, extérieur. Dans le devoir, ce qui se manifeste c’est cette capacité du sujet à être un sujet raisonnable un sujet libre, et non un corps offert du fait de ses pulsions à des influences étrangères.
        Nous retrouvons ici la thèse essentielle développée par Emmanuel Kant dans la critique de la raison pratique:
       
  « Supposons que quelqu’un affirme, en parlant de son penchant au plaisir, qu’il lui est tout à fait impossible d’y résister quand se présentent l’objet aimé et l’occasion : si, devant la maison où il rencontre cette occasion, une potence était dressée pour l’y attacher aussitôt qu’il aurait satisfait sa passion, ne triompherait-il pas alors de son penchant ? On ne doit pas chercher longtemps ce qu’il répondrait. Mais demandez-lui si, dans le cas où son prince lui ordonnerait, en le menaçant d’une mort immédiate, de porter un faux témoignage contre un honnête homme qu’il voudrait perdre sous un prétexte plausible, il tiendrait comme possible de vaincre son amour pour la vie, si grand qu’il puisse être. Il n’osera peut-être assurer qu’il le ferait ou qu’il ne le ferait pas, mais il accordera sans hésiter que cela lui est possible. Il juge donc qu’il peut faire une chose, parce qu’il a conscience qu’il doit la faire et reconnaît ainsi en lui la liberté qui, sans la loi morale, lui serait restée inconnue. »
        Quand agissons-nous librement? Quand notre volonté se détermine par elle-même indépendamment de toute motivation imposée ou addictive. Lorsque j’agis en suivant mon appétit, ce n’est pas de la liberté mais exactement le contraire: de la soumission à une pulsion qui me fait dépendre d’un être ou d’une substance extérieure. On est alors, pour reprendre les termes d’Emmanuel Kant « hétéronome »: on suit la loi d’un autre étymologiquement (nomos: loi - Hétéro: l’autre, ce qui n’ est pas moi). L’autonomie suppose que l’on ne se soumettre qu’à sa propre loi et chacun de nous possède en lui cette loi qui fait de lui un être autonome, donc libre. C’est ce que kant appelle la loi morale. Se sentir le devoir d’obéir à cette loi ne décrit absolument rien d’autre que le sentiment le plus pur, le plus juste et le plus inattaquable de la liberté. On est libre quand on obéît à la loi morale parce que la loi morale est la seule loi qui puisse me rendre autonome. Quand je suis mes pulsions ou mes instincts, je suis hétéronome et donc, pas libre.
         

      Mais qu’est-ce qui nous prouve que cette loi morale existe? Kant utilise ici un exemple très simple et très pertinent. Supposons que telle personne soit incapable de résister au plaisir. Si on installe une potence devant sa maison et qu’on la menace très sérieusement de la pendre si elle  cède à ses pulsions, il semble évident qu’elle résistera à  ses désirs. Est-ce la preuve de l’existence de la loi morale? Non pas du tout, c’est tout le contraire: une contrainte physique se révèle capable de maîtriser une pulsion physique. Il n’y a pas la moindre liberté dans cette situation: la contrainte répond à la contrainte. La personne est aliénée par son goût pour le plaisir et on peut lui faire passer cette aliénation par une autre aliénation, finalement quasiment de même nature. Rien ici qui soit autre qu’un pur rapport de force entre deux effets de contrainte. L’hétéronomie répond à l’hétéronomie et c’est la dépendance la plus menaçante qui l’emporte. C’est tout.
          

             Prenons maintenant un autre exemple: si un homme de pouvoir me promettait la mort à moins que je cause publiquement du tort à un homme que je sais parfaitement honnête. Accéderai-je à sa demande? Peut-être mais pas tout de suite. Il est possible que par crainte de mourir, je porte un faux témoignage contre cette personne que je sais être une personne de bien, mais personne ne se résoudrait à une telle lâcheté, à un tel comportement abject sans au moins y réfléchir un petit peu et cette simple mage de réflexion marque quelque chose de fondamental, à savoir l’’existence en nous d’un libre arbitre. Aussi menacé que nous soyons, nous éprouverons ce vertige de la décision à prendre et nous envisagerons bien de ne pas répondre favorablement à cet homme de pouvoir. Nous émettrons cette possibilité d’une marge de décision pure, indépendante de la pression exercée sur moi et cela suffit à prouver l’existence en moi d’un sujet « je » capable de se représenter ce que la loi morale lui commande de faire moralement, c’est-à-dire librement.         En un sens, il n’est pas de fondement plus assuré au droit naturel que cette loi morale décrite ici par Kant, car si nous portons notre attention vers la dernière phrase des passage nous comprenons mieux le fond de cette motivation qui nous invite à agir moralement. Placé dans un tel dilemme, nous ne savons peut-être pas ce que nous allons faire, mourir ou se soumettre à un ordre abject, malveillant, mais nous nous représentons parfaitement ce que serait la décision juste, morale: risquer la mort plutôt que de faire un faux témoignage contre un honnête homme. C’est cela que nous avons le devoir moral de faire et nous en sommes certains, indépendamment de la question de savoir si nous allons effectivement le faire.
          
La question qui se pose néanmoins aujourd’hui est celle de savoir si cette loi morale dont Emmanuel Kant dit qu’elle est en nous: « la loi morale en moi la voûte céleste au-dessus de moi. » est aussi claire qu’il l’affirme. La mondialisation, les connexions qui se sont petit à petit tissées entre des individus qui ne sont jamais en contact direct mais dont les choix notamment en matière de consommation créent des lignes de conséquence  tout à la fois effectives et quasiment indétectables ne rendent-elles pas extrêmement floues notre capacité à déceler la bonne action et plus encore la bonne volonté? Les relations humaines sont-elles aujourd’hui parfaitement compréhensibles, claires? Ne serions pas pris dans un réseau si dense, si enchevêtré, si indémaillable d’influences réciproques que discerner l’action juste serait aujourd’hui indéterminable, a fortiori du fait de l’importance prise par le numérique dans les échanges inter-humains?
        Pour Kant, en effet, une action morale ne peut se fonder que sur une intention pure, laquelle doit être dépouillée de tout motif pathologique. Une volonté pure est une volonté universelle qui peut vouloir que la maxime de notre action soit à même de valoir en tant que maxime universelle. Comme nous l’avions vu pour la dissertation sur l’amour: « Est-ce un devoir d’aimer autrui?», cette volonté pure suppose que nous puissions vouloir que notre intention soit universalisante, qu’elle construise une loi universelle. Or la pureté de cette intention n’est plus vraiment aussi distincte, aussi énonçable qu’elle l’était du temps de Kant du fait de cette interdépendance qui s’est créé à cause d’un régime d’échange qui nous relie aussi intensément qu’anonymement les uns aux autres (le libre échange)
          
Et, d’autre part, la vitesse de suggestion à nos désirs et nos intentions de consultation, de documentation, de consommation atteint à cause du numérique des niveaux proprement hallucinants qui court-circuitent complètement notre libre détermination, laquelle est aujourd’hui une utopie. L’information par la fibre atteint en effet 200 millions de m/s alors que notre vitesse nerveuse fait circuler les informations de nos nerfs à notre cerveau à une vitesse de 2m/s. Qu’est-ce que « vouloir » dans ces nouvelles conditions? Soyons plus clair, et prenons les exemples des vidéos YouTube, lorsque nous choisissons d’en visionner une, nous pouvons toujours nous illusionner en pensant que nous l’avons choisie mais nous l’avons choisie parce que la plate forme a analysé nos lectures précédentes avec une vitesse de captation et de sélection proprement irreprésentable pour un entendement humain. Ce que je « veux » ou ce que je désire s’effectue sur le fond d’une analyse de données calculables impressionnante qui change absolument tout à ce que peut signifier « choisir », « vouloir » ou « être libre ». Dés lors, la source même du droit naturel et du droit tout court selon Kant, à savoir cette loi morale qui me permettrait de savoir ce qu’il faut faire en toute occasion n’est plus tout à fait aussi détectable, fiable, envisageable qu’à son époque. Quelque chose de notre utilisation du numérique et plus précisément de ce que l’on appelle les « Big Data » change du tout au tout notre relation fondamentale avec le droit.
3) L’exercice du droit dans les sociétés dites « de contrôle » - Michel Foucault

        C’est à Michel Foucault que l’on doit cette perspective de l’évolution des sociétés depuis le moyen-âge en occident selon laquelle trois étapes se succèdent:
- les sociétés de souveraineté (globalement du moyen âge au 18e siècle)
- Les sociétés disciplinaires (du 19e au 20e)
- Les sociétés de contrôle (maintenant)
   

        Dans les sociétés de souveraineté, pour reprendre les termes mêmes de Foucault, la justice du roi fait mourir et laisse vivre, c’est-à-dire qu’il existe bien des lois mais qu’elles sont relativement lâches dans l’administration de la vie quotidienne et s’appliquent avec une violence inouïe, très démonstrative dans la punition. Les individus sont un peu laissés à eux-mêmes tant qu’ils ne commettent pas certains crimes jugés très graves et dans ce cas, la justice s’applique sans discernement avec une violence aveugle.
        Les sociétés disciplinaires aspirent à contrôler la population en la rassemblant sur les lieux de travail, dans les institutions d’éducation, de punition. La ville se voit quadrillée en espaces clos, chacun d’eux étant voué à une activité: « c’est là que l’on est éduqué, là que l’on est soigné, c’est là qu’on vieillit (hospice), etc.) A bien des titres, c’est l’inverse des sociétés  de souveraineté: faire vivre et laisser mourir. La justice cadre les habitudes de vie, les contraint et la justice est un peu moins expéditive, mais pas moins répressive. Napoléon peut se concevoir comme le champion des sociétés disciplinaires (rédaction du code civil).
        
Gilles Deleuze reprend l’analyse de Foucault en insistant particulièrement sur la 3e étape, notamment parce que c’est, selon lui, celle que nous sommes en train de vivre. C’est du moins cela thèse qu’il défend dans une intervention qui eut lieu en 1987 à la FEMIS. Il n’est plus nécessaire de rassembler les gens pour contrôler une population, mais simplement de mettre en place des processus de contrôle des voies et les moyens de circulation, d’information, de consommation de communication. Ce qui est fascinant dans ce ce type de société, c’est le fait que la population est d’autant plus contrôlée et manipulée qu’elle se croit libre. Quoi de plus « pratique » que les autoroutes, que de pouvoir payer par carte bleue, que de commander par internet, que de faire partie d’un appareillage de suggestion d’achat qui vous fait désirer des produits avant même que vous n’en preniez conscience? Les sociétés de contrôle sont d’autant plus efficaces qu’elle ne nous apparaissent pas le moins du monde contraignantes.

 A  Jeudi !

  

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