lundi 1 juin 2020

Le virus de la Novlangue - Rimski Bordes (TL2)

       

Dans cet article de très haute volée linguistique, Rimski Bordes ne se contente pas de filer très  opportunément et judicieusement la métaphore virale appliqué à la langue, métaphore qui en un sens, n’en est pas une puisque l’on parle de « code génétique », mais il questionne aussi les effets du « politiquement correct » sur certains usages des anglicismes en français. Finalement il interroge des processus linguistiques à l’oeuvre dans ce que l’on pourrait qualifier de propagande politique par la discrimination et la stigmatisation de certaines populations. Les thèses défendues dans cet article sont d’autant plus salvatrices qu’elles pointent avec justesse des polémistes passés experts dans cet utilisation malhonnête de la langue. Pour ma part, je placerai les développements de Rimski dans le droit fil des interventions de Clément Viktorovitch sur canal plus qui nous avertit avec beaucoup de perspicacité contre les astuces rhétoriques de chroniqueurs abusant de la notoriété que leur offre comme sur un plateau des chaînes de désinformation comme C-News ou C8 pour se faire passer pour des historiens, des philosophes ou des sociologues. Ce qui intéresse Rimski ici va toutefois plus loin que de purs effets de propagande orale car c’est l’usage même de la langue qui se voit corrompu par des malversations aussi sournoises.
Un très grand merci à Rimski Bordes pour le travail de recherche et la subtilité dont témoigne la rédaction de cet article.
 
                  Pour commencer, il est notable que les mots sont une sorte de mot de passe. Les mots peuvent être comparés à des virus, et les lettres qui les composent peuvent être comparées à la chaîne de protéines qui joue le rôle de "clé". Cela image très bien pourquoi "impression" et "permission" - bien que constitué des mêmes lettres - n'ont pas la même signification, l'ordre des lettres - tout comme la chaîne de protéines - change : la clé de compréhension est différente. Et tout comme le virus, rien n'est laissé au hasard. Une fois rentré dans la cellule le virus cherche à modifier l'ADN de la cellule pour se multiplier , ainsi Chaque mot est aussi minutieusement calculé dans une phrase pour réussir à convaincre l'interlocuteur dans le but de propager ses idées.

                 Dans certains cas, le "virus" mute et devient alors beaucoup plus dangereux qu'avant, exactement comme les langues. En français par exemple, la langue ne mute pas mais elle évolue et fait place à des anglicismes. Le rôle des anglicismes (ou plus généralement de tous les mots emprunté aux langues étrangères) est pour combler le manque de mots que nous avons dans un certain domaine, c'est pour éviter de paraphraser et ainsi gagner du temps (ex : un remake plutôt qu'une nouvelle adaptation). Mais il y a d'autres raisons, l'anglicisme "allège" le sens et le poids des mots et le ton devient moins solennel, les "start-up" utilisent beaucoup de termes anglais pour s'éloigner de la notion ennuyante du travail et donner une vision plus "conviviale" , une "réunion" deviendra alors un/e "brainstorming". La question qui peut être posée est : pourquoi? Et bien parce que "une réunion" a subi un stéréotype linguistique. "Une réunion" a une connotation négative , ennuyeuse, personne n'y va par envie. Tout cela est dû a beaucoup de facteurs qui seraient impossibles à citer dans leur entièreté. Mais nous pouvons toujours soumettre l'hypothèse qu'il y a un rapport de dominant à dominés, un patron à ces employés... Il n'y a pas de réelle égalité. Alors que dans un "brain-storming" il y a l'idée d'égalité, les gens viendront avec l'idée que chacun à son mot à dire et qu'il n'y a plus de relation dominés/ dominant.

              De plus, c'est grâce aux anglicismes que nous avons de la diversité dans les mots, "une réunion" pourra être décliné en "briefing" , "brainstorming" , "meeting"... Cela brise la routine et donne l'illusion que nous faisons toujours quelque de chose de différent alors que seulement le nom change.
  


                   Mais voyons cette fois ci le côté social et négatif. Les anglicismes nous sont très utiles et pratiques pour qualifier des choses inanimés où des concepts mais sont au contraire péjoratifs quand il s'agit de qualifier une personne. Pour certaines personnes (voire une majorité) il est impossible de dire "une personne noire", cela sera toujours paraphrasé par "une personne black". Cela peut paraître anodin mais le diable se cache dans les petits détails et l'enfer est pavé de bonnes intentions. Le fait de privilégier l'anglais au lieu du français dans ce cas là peut avoir des conséquences néfastes. Quand des gens disent "black" c'est pour ÉVITER de dire "noir", on condamne ce terme à endosser une connotation vulgaire tel un gros mot ou une insulte. mais alors pourquoi il y a-t-il un si grand tabou autour du mot "noir" ? À cause du racisme, et plus précisément à cause du racisme culturel. Le racisme culturel est un racisme ancré dans une norme sociétale, camouflé dans un langage. Le meilleur exemple pour le prouver reste celui-ci :
On dit toujours "une personne blanche" et jamais "une personne white" car la société  (française) n'a jamais émis de racisme/discrimination envers les personnes blanches.
 


                 D'un point de vue phonétique cela peut aussi être expliqué . Dans l'article "Relations entre l'aspect phonétique et la signification de mots de la langue" de J; M. Peterfalvi une expérience a été menée sur une centaines de personnes. L'expérience consistait à donner deux mots (inventés) "kigen" et "kugon" en leur expliquant que c'était deux unités de mesures différentes. Sur 179 sujets , 174 ont ainsi déclaré que "kigen" était la mesure qui désignait l'objet le moins lourd et kugon le plus lourd. Cela s'explique par le symbolisme phonétique qui est instauré par accord dans un groupe - ici une société - , c'est une sorte d'idée reçue sur les voyelles. Certaines voyelles sont plus "lourdes" comme "o,u"  et d'autres plus légères "e,i" . Pour les consonnes les lourdes peuvent être par exemple "K,G,N,D,R..." (Généralement les gutturales et consonnes fricatives uvulaires voisée (le R) )  et les légères: "L,Z,B,V,S..." (Généralement dentales, alvéolaires ou labiales)  De ce fait on peut clairement établir un lien entre le sentiment éprouvé vis à vis d'un mot par rapport aux phonèmes qui le composent (expérience de Peterfalvi) et le racisme linguistique qui justement créé ces sentiments.
             Pour résumer nous allons prendre un exemple PUREMENT THÉORIQUE d'un point de vue LINGUISTIQUE /!\ et qui ne reflète en aucun cas les véritables explications sociales de cette gêne. D'un point de vue LINGUISTIQUE, la couleur noire est toujours connotée de façon plutôt négative (avoir des idées noires, voir tout en noir, etc.)
               Cet mot est constitué de 4 lettres, le phonème "N" qui est surtout employé pour les négations dans la langue (ne/n')  ce qui augmente le côté négatif , le phonème "Oa" (o/i) qui est un son "lourd" et de basse fréquence et le R qui est une consonne Consonne fricative uvulaire voisée qui est aussi une consonne dite "lourde".
Par conséquent, si la société nous a habitué à émettre un sentiment négatif sur ces phonèmes, et qu'ils sont réunis en un seul mot , alors on peut comprendre d'où vient cette gêne de la prononciation du mot "noir" et l'emploie de l'anglais "black" qui vient annuler les ressentis négatifs et "pacifier" voire rendre neutre un mot déjà existant.

               

  Pour en revenir au virus, parlons cette fois-ci de l'extrême droite. Cette fois-ci nous allons nous intéresser à comment un mot lambda peut devenir une véritable arme.
Depuis les années 2000 , l'extrême droite s'est appropriée le mot "racaille" et l'utilise comme moyen d'oppression envers différentes communautés. Ce choix n'est pas fait au hasard, pourquoi "racaille" et pas "canaille" ou "fripouille"?  Cela peut s'expliquer encore une fois par le jeu des connotations. Les termes "fripouilles, canaille et racaille" sont infantilisants , mais à différentes échelles. Là est toute la stratégie , canaille et fripouille infantilisent trop, ces adjectifs sont alors même mélioratifs dans certains cas, quand on dit d'un enfant de 6 ans que c'est "une petite fripouille/ canaille" car il a fait une petite bêtise ce n'est pas méchant, c'est mignon. Alors que "racaille" au contraire tend à infantiliser celui subit le surnom mais pas assez pour le considérer comme "mignon". De ce fait n'importe laquelle de ses actions sera décrédibilisée. En rhétorique on appelle ça « empoisonner le puits », cela consiste à  donner préalablement à un public de l'information négative, vraie ou fausse, à propos d'un adversaire, dans le but de discréditer ou de ridiculiser tout ce que dira par la suite ce dernier.
                 

Le fait d'utiliser un mot - en plus péjoratif - pour désigner un groupe de personnes revient alors à dénaturaliser l'individu,à caricaturer l'ethnie à laquelle il appartient et ainsi à empêcher cet individu  de sortir de cette prison linguistique, car il ne faut pas croire, l'extrême droite n'utilise pas ce terme pour désigner les vrais hors-la-loi (voleurs, violeurs, fraudeurs, tueur) mais pour stigmatiser l'entièreté des minorités  et démocratiser des clichés houleux qui risqueraient de devenir la norme. Pour finir, l'extrême droite utilise ce mot pour se protéger. Les propos racistes étant interdits, ils n'ont eu qu'à remplacer n'importe quel nom d'ethnie par "racaille", ainsi ils ne courent plus le risque des poursuites pénales et des polémiques.
Ainsi quand Eric Zemmour a dit " les musulmans sont le cancers de notre société " , il a été poursuivi en justice, mais quand il a dit "les racailles sont le cancers de notre société " il n'a pas pu être traduit en justice. Ainsi, ses propos problématiques ne peuvent pas être jugés à cause d'un seul mot. Tout comme le virus, ils mutent et créent de nouvelles "clés" qui changent uniquement d'apparence mais, qui au fond, garde le même but.



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