lundi 1 avril 2024

Terminales HLP: Peut-on dire de toute crise identitaire qu'elle est porteuse de vérité? (texte de Charles Juliet - Lambeaux)


 Le mot adolescent.e vient du latin « ad crescere » et signifie celle ou celui qui est en train de croître. Ce terme est tellement associé à celui de « crise » qu’il est souvent galvaudé de telle sorte qu’il pointe en filigrane de toutes les difficultés traversées par des individus entre 12 et 18 ans. On fait « sa » crise d’adolescence comme il était d’usage de faire sa première communion, dans les milieux catholiques. L’adolescence est la période de la vie d’une personne au cours de laquelle elle réalise qu’elle a à devenir quelqu’un sans qu’on lui dise pour autant qui, puisque c’est à elle de le découvrir et de le faire advenir. L’adolescence est donc ce que l’on pourrait appeler une période de croissance brute, aveugle, au gré de laquelle on se sent devenir ce dont nous n’avons pas la moindre idée, comme une jeune pousse embarquée dans son "devenir feuille" dans la totale ignorance de ce que c'est qu'être un arbre. Etre adolescent.e c’est donc jouir de la libération d’une puissance de maturation dans le suspens de la question: qui suis-je?

Dans son livre « lambeaux », Charles Juliet énumère les affects sombres d’une adolescence meurtrie pendant laquelle l’épreuve violente de la vie en collectivité dans un internat militaire côtoie les émois amoureux de sa première relation avec la femme de son chef de section. Se pose alors la question de savoir si ce tableau extrêmement violent relève des égarements de cette « crise » ou bien au contraire, conformément à son étymologie grecque cette crise (Krisis: choix discernement) ne pointerait pas avec justesse la nécessité advenue d’un discernement, de l’opportunité d’un choix, d’une sélection. Se pourrait-il que l’adolescence corresponde en fait à l’âge de raison? Se pourrait-il que la question identitaire ne soit jamais plus vraie que lorsque elle est portée à la plus haute intensité de sa dimension critique?


1) L’âge de raison  (crise d’adolescence et enfance de l’humanité: Charles Juliet et mythologie)

Charles Juliet évoque cinq sentiments: l’ennui, la solitude, l’humiliation, l’abattement, la révolte et le premier d’entre eux n’est pas sans créer un effet authentique de résonance avec le dasein heideggerien: « Il t’apparaît combien vain de travailler, de lutter, de faire tant d’efforts, puisque la mort pourrait t’abattre d’une seconde à l’autre et que tout pour toi s’effondrera un jour ».

La spécificité de sa situation résulte dans la nécessité de vivre de façon très clandestine sa première relation sexuelle. Il se retrouve donc coincé entre un idéal de virilité imposé à grands coups d’humiliations au gré d’une dynamique de groupe aveugle et consternante de bêtise et un éveil de la sensualité qu’il lui faut tenir secret sous peine d’être rejeté de l’institution même où se poursuit tant bien que mal son insertion dans le monde adulte. La question se pose donc de savoir dans quelle mesure le sentiment d’être piégé dans une existence morne au sein de laquelle ne se succéderont que des passions tristes peut revêtir une once de justesse, de lucidité, comme si finalement l’adolescence était un peu cette position d’avant garde à la pointe de laquelle on voit clairement ce qui nous attend sans être encore pris dans l’aveuglement inhérent à la nécessité d’avoir à le vivre à y incarner un personnage social en empruntant le masque de la persona. 



C’est bien la question de l’identité que l’adolescence porte à son intensité la plus hautement critique. Comme l’humanité dans sa phase mythologique, l’enfant s’est délecté de ces récits dans lequel les héros sont monolithiques, conçus dés l’abord pour desceller Excalibur ou vaincre le Minotaure de telle sorte qu’ils n’ont à gérer que des problèmes de héros. Ils ne vivent que pour être ce qu’ils sont sachant que cet être leur est finalement déjà donné, et parfois par le biais d’une prophétie ou d’une prédiction dont nous savons bien qu’elle se réalisera. Mais nous sommes des anti-héros en ce sens qu’il n’est aucune identité posée, annoncée qui nous attende où que ce soit. Les héros ne vivent que pour être mais nous sommes exposés à ce drame absolu que ce serait une existence au sein de laquelle nous n’aurions plus à être que pour vivre et finalement survivre. De fait, c’est bien cet enfer qui se dessine à l’horizon de toute société de consommation. Probablement est-ce exactement sur ce point que la crise identitaire s’avère précieuse, incontournable, juste. Ce n’est pas qu’il faille sans cesse se demander qui l’on est et d’où nous venons, c’est plutôt qu’une existence qu aurait déserté toute visée d’individuation aurait tout simplement renoncé à son humanité, à son existence politique.

Pour qu’il soit envisageable que toute crise identitaire soit porteuse de vérité, il faut considérer la possibilité selon laquelle se prendre pour soi-même n’est rien de moins qu’une imposture. Mais est-ce bien le cas?


2) Descartes au pays des merveilles (Le faon cartésien)

L’exemple de la crise d’adolescence semble bien le confirmer parce qu’il est évident que le discrédit de cet âge et plus particulièrement de ce moment  de crise vient toujours d’adultes qui ont fait le choix de tout sacrifier à la persona. « Quand tu auras mon âge… » dés lors signifie: « quand tu auras compris à quel point il faut faire taire une fois pour toutes ces revendications de justice, de vérité » et consentir à l’ordre des choses  tel qu’il est, tel qu’il a toujours été. C’est l’homme ou la femme d’expérience qui parle, sachant qu’il convient de désamorcer à l’avance toute possibilité que cette adolescence réussisse là où ils ou elles ont échoué.

Toute crise d’identité est porteuse de cette vérité à la lumière de laquelle il n’y a pas d’identité. Le personnage de Lewis Carroll aussi bien dans Alice au pays des merveilles que dans « de f’autre côté du miroir » décline les mille et une façons d’avoir à se faire à cette vérité là. Il n’est pas d’évènements qui ne soit tout à la fois un dynamitage en règle de toute possibilité d’identité et l’incitation à se faire à l’émergence pure d’évènements imprévisibles, multiples et déstabilisants. 

C’est notamment le cas lorsque dans « de l’autre côté du miroir », Alice et un faon entrent ensemble dans « la forêt qui n’a pas de nom »:

« - Qui es-tu ? demanda le Faon.  (Quelle voix douce il avait !)

"Je voudrais bien le savoir ! " pensa la pauvre Alice. Puis, elle répondit, assez tristement :

- Je ne suis rien pour l'instant.

- Réfléchis un peu, dit le Faon ; ça ne peut pas aller comme ça.

Alice réfléchit, mais sans résultat.




Ce faon, à ce moment semble avoir lu Descartes, contrairement à Alice. « ça ne peut pas aller comme ça » parce qu’il n’est pas possible que tu ne sois rien si juste avant tu réalises que tu voudrais bien le savoir. Si tu t’interroges sur ton identité, c’est que tu es au moins ça: cette interrogation.  Dans les méditations métaphysiques écrites en 1642, Descartes, à sa façon, chute lui aussi dans ce terrier incroyable qui est aussi un insondable puits de scepticisme animalier que représente le trou du lapin blanc. Il choisit de douter de toute information qu’il lui serait possible de remettre en cause. Nous pouvons douter de nos sens puisque nous sommes parfois trompé.e par des illusions sensitives, de nos raisonnements puisque nous ne sommes pas infaillibles, de nos représentations puisque nous pouvons rêver. Mais qu’un malin génie nous menace au plus intime de notre conviction d’être, et voilà que nous retombons sur nos pieds puisque l’on ne voit absolument comment nous pourrions ne pas être à tout le moins ce suspens là, cette efficience interrogative de l’identité déçue. Le fait même que je puisse remettre en cause celle ou celui que je pense être manifeste quelque chose comme un fond de questionnement sur le terreau duquel dire je prend une  « consistance ».  Je ne sais pas qui je suis « moi » mais il faut bien que je sois au moins ce moi qui s’interroge sur son moi. Dans ce suspens « je suis », et le faon a raison.

La crise identitaire de Descartes est métaphysique mais voilà que dans cette dimension une vérité se fait jour: une vérité qui se confond avec l’heureuse nouvelle d’une naissance: « je pense, je suis. » Je suis ce que c’est que penser que je ne suis peut-être pas celle ou celui que je pense être. » C’est dans la crise de mon identité, dans l’instant même de la prise de conscience de sa fragilité que je trouve cet insoupçonnable support métaphysique de la chose qui pense,  support, qui plus est, auquel je suis parvenu de moi-même. C’est comme si dans le processus même de cette venue au monde de la certitude, le « sujet » faisait l’expérience d’une puissance quasi miraculeuse, celle de se faire advenir comme une vérité de pensée qu’il ne serait pas au pouvoir d’un malin génie de contester. 


3) Nietzsche et la critique du sujet grammatical

La vérité du « je pense » de Descartes n’est pas tant le fruit d’un raisonnement construit que le suivi d’une chute maîtrisée, d’un dépouillement progressif et déconstruit. On peut bien insister sur le fait que le doute soit hyperbolique ou méthodique  mais il est surtout  « critique ».  Il est affaire de conduire le présupposé de notre identité à ce point de basculement critique à l’acmé duquel il se « récupère ».

Mais Nietzsche, en fin de compte ne contredit Descartes qu’en poussant plus loin que lui le processus critique qu’il a amorcé:

"Si j'analyse le processus exprimé dans cette phrase : « je pense », j'obtiens des séries d'affirmations téméraires qu'il est difficile et peut-être impossible de justifier. Par exemple, que c'est moi qui pense, qu'il faut absolument que quelque chose pense, que la pensée est le résultat de l'activité d'un être connu comme cause, qu'il y a un « je », enfin qu'on a établi d'avance ce qu'il faut entendre par penser, et que je sais ce que c'est que penser. Car si je n'avais pas tranché la question par avance, et pour mon compte, comment pourrais-je jurer qu'il ne s'agit pas plutôt d'un « vouloir », d'un « sentir » ? Bref, ce « je pense » suppose que je compare, pour établir ce qu'il est, mon état présent avec d'autres états que j'ai observés en moi ; vu qu'il me faut recourir à un « savoir » venu d'ailleurs, ce « je pense » n'a certainement pour moi aucune valeur de certitude immédiate. Au lieu de cette certitude immédiate à laquelle le vulgaire peut croire, le philosophe, pour sa part, ne reçoit qu'une poignée de problèmes métaphysiques, qui peuvent se formuler ainsi : où suis-je allé chercher ma notion de « penser » ? Pourquoi dois-je croire encore à la cause et à l'effet ? Qu'est-ce qui me donne le droit de parler d'un « je », et d'un « je » qui soit cause, et, pour comble, cause de la pensée ? »

Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, 1886, § 16, trad. G. Blanquis, 10/18, pp. 46-47.

Il faut bien que je sois quelque chose pour penser que je ne suis rien. Mais le « quelque chose » ici est encore de trop et c’est un préjugé substantialiste. Il faut bien que tu sois pour que tu penses n’être rien, mais cette pensée de n’être rien s’est manifestée à toi de façon encore trop vive pour que tu puisses en déduire que c’est toi en tant que pensée qui l’a conçue. La pensée de n’être  rien te « vient » et donc exister en toi se fait, s’effectue mais il n’est rien de tout cela qui prouve que tu penses et encore moins que tu e s, si par ce terme, on veut dire que tu te fais être. Exister n’est pas davantage de ton fait qu’être: ce ne sont là que des illusions que la langue française nous mettent dans la tête sans aucune preuve ni manifestation évidente.

Avec Nietzsche nous réalisons que le raisonnement de Descartes a failli lorsqu’il s’est cru sorti d’affaire, c’est-à-dire sorti de la crise.  L’identité n’est porteuse de vérité que lorsque elle se met elle-même en crise de telle sorte qu’elle y suspende la croyance même en la vérité.

C’est exactement comme si Descartes avait développé une intuition géniale de la crise d’identité sans l’avoir toutefois poussé suffisamment loin pour se rendre compte que sa vérité, que son effet de révélation, d’aléthéia (lever les apparences) exigeait d’être intensifié jusqu’à cette trame  pure du suspens, du questionnement, de la Krisis (situation de trouble due à une rupture d’équilibre et dont l’issue est déterminante pour l’individu ou la société). Qu’est-ce qu’une crise en effet, c’est le moment critique où tout se joue, cette extrémité d’un instant pur, d’une ligne de crête au faite de laquelle la séparation entre le kaIros et la catastrophe imminente est très ténue. La crise, c’est l’intuition instantanée qu’il s’en faut d’un rien pour que le pire ne devienne le meilleur et inversement.

Mais jusqu’où pouvons aller dans l’approfondissement de cette idée selon laquelle l’identité serait en elle-même un moment critique? Et si l’adolescence n’était pas seulement le moment critique de devenir adulte mais l’instant vrai dans l’émergence de laquelle l’identité apparaissait dans toute sa nudité et toute sa violence comme un moment critique?

Nietzsche a révélé une piste incroyablement profonde en invoquant la langue comme cause fondamentale de tous les présupposés que le scepticisme emprunté de Descartes n’a pas su détecter (comme l’aurait-il pu à cette époque?). Il va de soi pour Descartes que c’est moi qui pense et que c’est moi qui suis, mais justement « non »! La langue accorde au sujet de la phrase et donc au sujet je de la vie un rôle si déterminant dans la phrase que du coup le préjugé de l’activisme du sujet humain échappe au doute dont il avait pourtant amorcé le mécanisme.


4) Le stade du miroir et l’aliénation de l’identification (Jacques Lacan)

Lacan approfondira à la fin du 20e siècle l’analyse amorcée par Nietzsche en formulant l’anti-cogito: « je pense là où je ne suis pas, je suis là où je ne pense pas. » En d’autres termes, quand je dis « je… » je ne suis justement pas tout, entier, entièrement. Le fait de dire  « je » insinue une césure dans l’être qui parle et précisément au moment où il pense se définir comme un tout. C’est là le paradoxe. Je dis que je suis heureux, par exemple, mais je crée en le disant la séparation en moi entre le je qui le dis (sujet d’énonciation)  et le je dont je parle quand je dis qu’il est heureux, ou que je suis heureux. Je ne peux pas me confondre avec ce je dont je parle  puisque l’acte que j’accomplis en en parlant consiste justement à le mettre en valeur mais aussi en exergue de mon discours. Quand je dis d’un ami qu’il est heureux, je ne suis pas cet ami donc il n’y pas de contradiction j’exprime quelque chose que l’on peut croire. Par contre, quand je dis que je suis heureux, il y a forcément suspicion voire nécessairement mensonge parce que je ne peux pas à la fois, instantanément être celui qui dit qu’il est heureux et celui qui l’est effectivement. Je ne peux pas dire ce que je vis et l’être parce que l’être désigne l’expérience d’une plénitude qui ne peut en aucune façon demeurer dans cette intégrité en le disant. Pourquoi?

Parce que dire « je » provoque irrévocablement une césure en moi entre celui qui est et celui qu’il dit qu’il est ceci ou cela. Tout discours que je tiens sur moi crée immédiatement deux « moi » et ce paradoxe est tel que plus je crois faire acte de sincérité en disant ce que je suis ou ce que ‘j’ai fait, ou ce que j’éprouve et moins je le suis. Je suis précisément là où je ne pense pas que je suis. Là où je ne pense pas à dire ce que je suis, je SUIS et là où je m’épuise à dire ce que je pense être, je ne suis pas du tout. C’est justement là je pense être que je ne suis pas. 

Le problème prend une dimension insoluble dés lors qu’il est avéré que nous sommes toutes et tous des êtres de langue et que par conséquent cette dissociation en moi entre le moi qui suis et le moi qui pense est incessante. Jacques Lacan résume cette évidence paradoxale en parlant de sujet fendu. Nous sommes toutes et tous fendu.e.s séparé.e.s en sujet dénonciation et sujet de l’énoncé. C’est cela qui fait que Plus Rousseau parle de lui dans les confessions, plus il nous parle de celui qu’il n’est pas. Toute confession est auto-fiction.  Je ne suis pas celui que je dis que je suis parce que l’authenticité de l’être s’effectue dans l’indicibilité du fait d’être. 



Nous vérifions en fait la véracité de cette phrase compliquée à chaque fois que nous réalisons qu’une personne revendiquant une qualité, un sentiment, un acte, crée par là même les conditions de remise en cause de cet énoncé. Quoi que je dise de moi, je ne vis pas l’instant de l’être en le disant.

Or dans un autre séminaire Jacques Lacan invite sur le rapport entre la dissociation des deux  « je » qui fait de nous des sujets fendus et ce qu’il appelle le stade du miroir.  Le psychanalyste s‘appuie sur des travaux entrepris notamment par des spécialistes de la psychologie infantile concernant le moment de reconnaissance de soi dans le miroir. Le moment où l’enfant réalise que cette silhouette qu’il voit en face de lui dans la glace est la « sienne » est absolument crucial, et justement nous pourrions dire « critique » dans son développement psycho-moteur. A partir de là, tout va « mieux »: il repère plus facilement les objets, les surfaces et évolue de façon plus agile dans un espace. L’enfant entre 6 mois et deux ans (période du stade du miroir) s’identifie à son image extérieure. Cela veut dire qu’il passe d’un mode d’assimilation à « soi » qui était intérieur et senti à un nouveau mode qui est extérieur et VU. L’enfant entérine cette identification à de dont il a l’air aux yeux des autres. Il est à lui-même comme cette apparence autre qu’il a perçu à l’extérieur de lui. En d’autres termes, il se reconnaît comme étant ce que pourtant il n’est pas, pour autant que nous ne sommes pas notre reflet.  Je suis pour moi même ce que c’est que d’être visible aux yeux d’un autre (autre que je suis quand je me vois dans le miroir).





Quiconque réfléchit au stade du miroir chez Jacques Lacan, ne peut faire autrement que réfléchir à cette propension, ou la profondeur de ce pli de pensées d‘attitude, de comportement au gré duquel nous plaçons toujours et continuellement entre nous et nous, la pensée d’être vu.e, d’être visible, d’avoir une apparence. La réponse à cette pensée est toute à la fois abyssale et contradictoire: abyssale parce que nous ne cessons jamais de nous voir et même de nous « vivre » comme un autre, contradictoire parce que finalement notre reconnaissance se produit comme une aliénation. Je ne suis pas mon reflet et finalement Etre, c’est justement tout ce qui se passe en-deçà de mon reflet. Le stade du miroir sonne le glas d’une vie authentiquement vécue. Passer du moi senti au moi vu, c’est passer de l’expérience authentique du fait d’être à tous les effets de caricature de soi et de persona du paraître. 

Mais alors qu’est-ce que l’identité? Le terme même d’identité se voit entièrement conforté et d’autant plus troublant que nous ne pouvons plus nous empêcher de le situer par rapport à ce stade du miroir. Etre soi, c’est s’identifier à cet autre soi qu’est le moi reflété, mais cette proposition parfaitement fondée éveille aussi immanquablement un doute, une remise en cause puisque justement ce moi vu n’est pas moi. Il est un effet de surface. Pourquoi nous soucions autant de notre image sur les réseaux sociaux? Pourquoi voulons nous toujours paraître aux autres sous notre meilleur jour? Parce que nous ne nous sommes pas identifié.e.s à nous-même autrement que comme ça, par le relais de l’image. C’est la raison pour laquelle Lacan parle de la modalité imaginaire de l’identification à soi. Je ne m’identifie à moi qu’en m’aliénant à cette image qui n’est pas moi.


Conclusion

Quelle est la vérité que met à jour le stade du miroir de Jacques Lacan? Que le rapport au moi tel qu’il va se structurer dans notre vie sociale et spatiale (se déplacer dans l’espace) n’est pas du tout « donné » mais qu’il est le fruit d’un processus dont on peut tout aussi bien dire qu’il est identification qu’aliénation. C’est au travers d’un processus d’identification imaginaire que nous définissons comme moi et pour l’être humain rien ne saurait être moins spontané que de se prendre pour soi.  Une fois sorti de « la forêt qui n’a pas de nom », le faon qui se laissait attraper par l’encolure par Alice s’éloigne brutalement d’elle: « mais toi tu es un faon d’homme » dit-il répondant par là même au trouble ressenti par l’adolescente concernant son identité. Tu ne sais pas vraiment qui tu es mais comme le pourrais-tu puisque tu fais partie de cette  espèce animale étrange qui s’est constituée de rendre problématique et imaginaire l’identité?  Nous savons que l’être humain n’est pas la seule espèce animale qui se reconnaît dans son reflet mais les autres espèces ne situent pas la modalité imaginaire de cette aliénation au coeur de leur vie sociale, loin s’en faut. Par conséquent, il semble bien que si toute crise d’identité est porteuse d’une vérité pour l’être humain, c’est celle de la dimension critique que revêt pour lui, et seulement pour lui la question de l’identité. L’adolescence est donc bel et bien un âge de raison au sein duquel l’individu est en prise avec une vérité que son immersion sociale lui fera nier par la suite parce qu’il faut bien que la persona tue la vérité, du moins durant tout le temps de notre exposition aux jugements bien pensants de nos concitoyens. Adolescent.e.s, nous voyons bien que nos proches attendent de nous quelque chose et nous nous efforçons d’être à cette hauteur bien qu’elle demeure imprécise dans la mesure où nous savons bien que c’est à nous d’en fixer la juste teneur de telle sorte qu’un malaise s’installe. Ce que le stade du miroir nous fait comprendre, c’est que ce malaise n’est pas inhérent à un âge, ou à une forme d’immaturité mais au contraire à une extrême lucidité qui se fait jour à l’égard d’une notion d’identité problématique. C’est dans notre capacité à la maintenir sous l’éclairage de cette lumière intensément critique que se jugera notre propension à maintenir en nous le souci de la vérité et ce au coeur même du rapport le plus essentiel, celui de notre ipséïté. Il nous reste donc bel et bien à produire quelque chose de cette interrogation: un style.




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