"En agissant et en parlant les hommes font voir qui ils sont, révèlent activement leurs identités personnelles uniques et font ainsi leur apparition dans le monde humain, alors que leurs identités physiques apparaissent, sans la moindre activité, dans l'unicité de la forme du corps et du son de la voix. Cette révélation du « qui » par opposition au « ce que » – les qualités, les dons, les talents, les défauts de quelqu'un, qu'il peut étaler ou dissimuler – est implicite en tout ce que l'on fait et tout ce que l'on dit. Le « qui » ne peut se dissimuler que dans le silence total et la parfaite passivité, mais il est presque impossible de le révéler volontairement comme si l'on possédait ce « qui » et que l'on puisse en disposer de la même manière que l'on a des qualités et que l'on en dispose. Au contraire, il est probable que le « qui », qui apparaît si nettement, si clairement aux autres, demeure caché à la personne elle-même […].
Cette qualité de révélation de la parole et de l'action est en évidence lorsque que l'on est avec autrui, ni pour ni contre – c'est-à-dire dans l'unité humaine pure et simple. Bien que personne ne sache qui il révèle lorsqu'il se dévoile dans l'acte ou le verbe, il lui faut être prêt à risquer la révélation, et cela, ni l'auteur de bonnes œuvres qui doit être dépourvu de moi et garder un complet anonymat ni le criminel qui doit se cacher à autrui ne peuvent se le permettre. Ce sont des solitaires, l'un étant pour l’autre contre tous les hommes; ils restent, par conséquent, en dehors des rapports humains et, politiquement, ce sont des figures marginales qui, d'ordinaire, montent sur la scène de l'Histoire aux époques de corruption, de désintégration et de banqueroute politique. En raison de sa tendance inhérente à dévoiler l'agent en même temps que l'acte, l'action veut la lumière éclatante que l'on nommait jadis la gloire, et qui n'est possible que dans le domaine public."
Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, 1961
Essai philosophique: La parole et l’action politiques sont-elles les seules modalités d’apparition authentique du moi?
Une introduction: Quiconque a simplement prêté attention à sa propre attitude en présence d’autrui a nécessairement perçu cette montée au premier plan du comportement « adéquat » en fonction de la position sociale de cette autre personne. Il existe des usages ou des codes de toute existence sociale au regard desquelles certains choses se font et d’autres non. C’est précisément ce qui a conduit Carl Gustav Jung à utiliser le terme de « persona » (masque de tragédie et de comédie grecque) pour désigner cette apparence, ce déguisement dont nous recouvrons notre façon d’être pour être pris par les autres pour la personne que nous voulons paraître à leurs yeux en vue d’être accepté.e par eux. Cependant, nous avons aussi réalisé qu’autrui n’est pas exclusivement une cause de supercherie ou de dissimulation de notre vrai moi, et qu’à l’inverse un nouveau visage de nous pouvait à notre insu surgir, venir à la surface de la rencontre ou de telle prestation en public grâce à cette injonction ,à ce risque pris de la parole ou de l’acte publics. Mais alors quand sommes nous nous-mêmes: dans la rencontre avec autrui ou bien dans son évitement? Pouvons nous vraiment être dans la solitude? Et si la réponse est non, cela signifie-t-il qu’il faut que la vie publique nous fasse sortir de nous pour que nous devenions vraiment et sans nous en rendre compte la personne que nous sommes? La parole et l’action sont-elles les seules modalités d’apparition authentique du moi?
Une analyse de la question: aimer la solitude , c’est souvent apprécier de ne plus avoir à se produire devant autrui, avoir à sacrifier à ces codes en fonction desquels on joue un rôle. Dans la solitude, on serait alors soi-même et non ce « soi-autre » qui fait ce qu’il est de bon ton de dire et de faire en présence de tel autre, en fonction de sa position sociale, professionnelle ou familiale à votre endroit. Mais pour autant qui sommes nous seul.e.s honnêtement? Avons nous encore un extérieur? Le terme « exister » étymologiquement signifie sortir de, se tenir hors de….Mais de quoi? Il ne fait aucun doute que paraître en public, agir dans la société requiert de notre part un effort , une sortie de quelque chose que l’on peut appeler « soi » mais alors cela signifie que le moi serait comme une maison, un foyer dans le cadre familier duquel nous pourrions demeurer à l’intérieur de quelque chose: nos habitudes, notre passivité, notre passé, ce dont nous avons tendance à considérer que cela définit un « chez soi », tout le contraire de cet exil forcé qu’est la vie sociale. La question qui se pose est donc celle de l’existence d’un moi intime, intérieur, de ce que l’on appelle parfois notre « for intérieur », sans forcément savoir ce que cela désigne. Le héros romantique est toujours un moi solitaire qui retrouve dans le retrait de la vie publique une authenticité, une justesse mais aussi un dépouillement à l’intérieur duquel cesse tous les artifices, toutes les injonctions à avoir l’air de… Le sujet consiste donc à démêler cette ambiguïté de la réalisation de soi en tant qu’attitude dans un contexte public: s’agit-il nécessairement d’une trahison, d’un jeu de rôles ou au contraire de la seule réalisation authentique d’une existence qui ne s’effectue que dans la sortie de soi étant entendu que justement ce dont on sort n’a jamais été le vrai soi. Est ce que la présence insistante des autres dans la vie sociale nous aliène ou est-ce qu’au contraire elle nous révèle, elle nous fait sortir de la passivité d’un supposé « chez soi » pour nous faire exister , au sens plein et étymologique du terme?
( Comme il a déjà été dit, toute la difficulté est ici de faire un plan en peu de temps, sachant qu’il est toujours plus facile de réaliser cette étape quand on sait par quoi on veut terminer, ce que l’on veut répondre. Il faut insister sur un point qui est la limitation du temps alloué et les références, les idées qui nous viennent en tête à ce moment là. Il FAUT que le plan progresse, que les thèses soient de plus en plus profondes, qu’elles aillent de plus en plus loin et surtout qu’elles s’enchaînent. Il y a vraiment quelque chose de puissant dans ce qu’affirme Hannah Arendt qui va totalement à l’encontre d’une solitude révélatrice. Peut-on vraiment se connaître sans rapport à une communauté d’êtres humains, sans existence politique? Pour ma part, je répondrai « non » à cette question, notamment à cause de la philia aristotélicienne qui d’ailleurs constitue probablement l’une des sources actives de la thèse défendue par Hannah Arendt. Je sais donc à peu prés par quoi je vais terminer (3e partie). Il m’en faut deux avant. L’un des auteurs auxquels Hannah Arendt s’oppose le plus ici est Rousseau et ce que l’on pourrait appeler « le moi romantique ». Je dispose donc de « l’adversaire » contre lequel la thèse que je défendrai prendra le plus de relief (2e partie). Mais il reste la première. Pour commencer, il va falloir trouver des thèses dont Rousseau aura raison ou du moins qui iront globalement dans le même sens que ma troisième partie mais de façon moins convaincante, moins pertinente. On peut penser ici au stade du miroir selon Lacan qui situe finalement la prise de conscience du moi dans cette extériorisation première fondatrice de la reconnaissance de soi dans le miroir. Nous avons notre plan:
- Le stade du miroir de Lacan, on est soi que par l’assimilation à soi de cet autre qu’est l’image de soi dans le miroir.
Transition: pourtant c’est quand même bien une aliénation qui repose sur l’idée selon laquelle le moi n’est que « vu ». Il n’acquiert d’unité que dans la reconnaissance de soi dans la découpe de cette silhouette qui me fait face que je me regarde dans le miroir. Or il existe bel et bien un moi senti
- Rousseau et le sentiment de l’existence dans toute sa simplicité solitaire
Transition: Mais il y a un problème, c’est qu’autrui n’est pas totalement absent de cette intuition rousseauiste. Il a changé de nature pour justement passer de l’autre humain à la nature comme autrui. C’est le sentiment d’exister qui se manifeste à Rousseau et exister c’est bien sortir de soi. Se pose désormais à nous la question du vis-à-vis.
- La philia politique chez Aristote
Développement
- Le stade du miroir - Lacan
Selon Hannah Arendt, nous ne produisons l’authenticité de ce qu’elle appelle « le qui » qu’à notre insu, dans la violence de cette nécessité qu’est l’action ou la prise de parole politiques. Nous prenons alors la parole en notre nom, en assumant une prise de positon qui est la notre étant entendu que nous sommes une seule et même personne. Mais cette unité n’est pas du tout donnée. A moins de croire à une forme de déterminisme génétique qui tiendrait pour rien les expériences de notre vie, on ne peut que consentir à la nature historique de cette unité. Nous ne sommes pas notre moi dés la naissance. Cette revendication a donc un début. Comment expliquer cette prédisposition à l’exposition de soi aux autres sur une scène publique? Pourquoi de fait ne restons pas dans l’intimité du ressenti, dans le chez soi de nos sentiments éprouvés vécus solitairement? D’où vient qu’en effet notre moi se produire et se vive comme nécessairement tourné vers les autres, voire dans l’attente de leur « accord », dans la réponse à ce mode d’existence d soi que nous appréhendons comme une question?
Sartre insiste assez violemment sur cette orientation vers autrui dont nous avons parfois l’impression que nous attendons un peu comme le tampon d’une administration sans laquelle nous n’aurions pas de papiers d’identité, la confirmation.
- J’existe, n’est-ce pas?
- Oui (ou non)
Quiconque a déjà dû s’insérer dans un mode de vie communautaire (collège, lycée, entreprise, équipe, etc.) connaît la douleur de se sentir exposé.e à un jugement de validation de son existence comme compatible avec un groupe. Il ne suffit pas que je me sente exister pour exister, encore faut-il que les autres me reconnaissent ce droit, et de fait, ils peuvent dire « non ». « autrui est ma chute originelle » dit Sartre, c’est-à-dire qu’il me fait structurellement tomber du sentiment de suffisance à soi. Que je sois, c’est effectivement ce qu’il impossible que je vie comme une certitude auto-fondatrice. J’ai besoin des autres parce qu’ « autrui est le médiateur incontournable entre moi et moi-même ». Au coeur de notre rapport à nous même, il y a déjà la présence des autres et rien de ce que je penserai ou dirai de moi ne saurait prétendre à la moindre justesse ou pertinence ou cohérence sans être d’abord et essentiellement produit par ce qu’autrui pourra constater, dire, juger.
Mais d’où vient cette absence d’ancrage de notre moi? Pourquoi faut-il qu’il n’ait de réalité qu’extériorisée? Le stade du miroir désigne selon Jacques Lacan cet âge entre 6 mois et deux ans durant lequel l’enfant humain (et rien qu’humain selon lui, ce qui a été contredit par des expériences récentes sur les orques et certains oiseaux) se reconnaît dans cette silhouette projetée devant lui lorsqu’il fait face à un miroir. En un sens nous pourrions évoquer ici le trauma du corps vu et « entériné » accepté, validé, reconnu par l’enfant lui-même. Il se réalise comme corps « un » dans la silhouette « une » qui, pourtant lui fait face, tout comme une autre personne.
De fait ce corps n’est pas exactement le notre, puisque 1) c’est une image 2) cette image est « objectale », devant moi 3) la droite et la gauche sont inversées. Cette image qui me fait face comme un autre, je vais accepter et l’adopter comme étant moi, ce que pourtant elle n’est pas. Ce qui se produit est une identification de soi mais comma autre de telle sorte que nous ne cesserons jamais dés lors de nous percevoir d’abord comme offert au regard de ‘l’autre. Ce que je suis c’est ce pantin, cet apparaître, cette vision. La quantité d’attitudes sociales qui s’expliquent à partir de ce stade du miroir est impressionnante: si nous ne cessons de nous préoccuper de ce dont nous avons l’air aux yeux des autres c’est fondamentalement parce que nous sommes construits comme ça, c’est-à-dire comme même en tant qu’autre. Toute identification est d’abord structurellement une aliénation, un consentement à une image extérieure qui de fait n’est pas la nôtre. C’est bien notre chute originelle pour reprendre les termes de Jean-Paul Sartre , puisque de fait ce qui nous est interdit dés lors, c’est le retour au paradis perdu d’un moi senti, intime, existant en soi.
Transition: Pourtant si effectivement nous ne consistions en tant que moi unique et « centralisé » que dans l’assimilation avec cette image autre, comment pourrions nous expliquer ce sentiment de bien -être d’une solitude porteuse d’un rapport authentique avec l’existence. Si de fait notre identification était dés l’abord aliène, comme rendre compte du sentiment d’authenticité qu’il nous arrive d’éprouver dans la nature sans présence d’autrui?
- La plénitude de la solitude - Rousseau
5e rêverie du promeneur solitaire - « Mais s’il est un état où l’âme trouve une assiette assez solide pour s’y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d’enjamber sur l’avenir ; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière ; tant que cet état dure celui qui s’y trouve peut s’appeler heureux, non d’un bonheur imparfait, pauvre et relatif tel que celui qu’on trouve dans les plaisirs de la vie, mais d’un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse dans l’âme aucun vide qu’elle sente le besoin de remplir. Tel est l’état où je me suis trouvé souvent à l’île de Saint-Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de l’eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs au bord d’une belle rivière ou d’un ruisseau murmurant sur le gravier.
De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d’extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence, tant que cet état dure on se suffit à soi-même, comme Dieu. Le sentiment de l’existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix, qui suffirait seul pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire et en troubler ici-bas la douceur. Mais la plupart des hommes, agités de passions continuelles, connaissent peu cet état, et ne l’ayant goûté qu’imparfaitement durant peu d’instants n’en conservent qu’une idée obscure et confuse qui ne leur en fait pas sentir le charme. »
Rousseau renoue ici avec un idéal de la philosophie antique que l’on retrouve aussi bien dans le stoïcisme et dans l’épicurisme mais sous des formes très opposées. Ici c’est davantage l’intuition épicurienne que Rousseau décrit. Dans la solitude de ces promenades dans la nature, il éprouve l’expérience d’un pur présent sans souci du futur ni souvenir du passé. C’est le bon heur, le kaïros d’un moment bien venu parce que venu maintenant pour ce qu'il est. Il réalise aussi l’idéal de l’autarcie dépouillée tel que Epicure ne cesse de la célébrer: « quiconque peut se satisfaire d’une poignée d’orge et d’un peu d’eau peut rivaliser d’indépendance avec les dieux. » Nous atteignons l’extase dune vie heureuse quand nous sommes plongés dans le sentiment d’exister sans le moindre d’additifs, exactement comme un enfant découvrant le goût de l’eau alors qu’il y rajoutait continuellement quelque chose avant. Dans la fadeur de l’eau quelque chose d’authentique se révèle de la même façon qu’exister se manifeste enfin dans le dépouillement de sa sensation pure, brute et exclusive. Nous réalisons à quel point nous n’avons jamais fait auparavant que vivre dans le présupposé de son insuffisance: exister et…et…. Mais ici dans cette existence naturelle, exister se donner à éprouver en soi, sans adjuvant.
"De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d’extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence, tant que cet état dure on se suffit à soi-même, comme Dieu » Il ne fait aucun doute que Rousseau jouit ici du sentiment d’authenticité que provoque la disparition de toute injonction à paraitre, à jouer cette comédie sociale de la persona. Mais le souci de l’autre est-il pour autant absent, disparu. N’est ce pas de l’écriture que nous lisons et donc une modalité d’adresse à cet autre que nous sommes à l’égard de Rousseau? Et d’ailleurs le fait même qu’il se dise à lui-même ce qu’il ressent ne pointe -t-il une efficience de cet alter ego qu’il est à lui-même comme je de l’énoncé et je de l’énonciation? De plus Epicure lui-même bien que prônant le retrait à l’égard de toute vie politique définissait l’amitié comme l’un de ces désirs naturels et nécessaires dont il est impossible qu’un être humain puisse se dispenser.
- L’existence politique et la philia citoyenne - Aristote
Lacan et Sartre évoquait les autres ou cet autre qu’est le reflet et nous nous rendons compte que Rousseau lui-même, bien que rejetant totalement l’idée d’une authenticité de soi qui ne se manifesterait qu’à autrui, qu’à la vie publique (laquelle selon lui impose un travestissement de soi) ne parvient pas à abstraire le moi de toute manifestation aux yeux d’un vis-à-vis fût-ce la nature. Le fond de la question pourrait donc être le problème de « la manifestation », de notre émergence dans le « monde », puisque justement ce terme peut désigner à la fois la cité et l’extériorité dans laquelle nous prenons vie et corps. Exister c’est être au monde et de fait, il est bien une solitude qui dés lors est interdite, donc finalement qui l’a toujours été à nous en tant que dasein.
La philosophie de Heidegger a profondément marqué Hannah Arendt et cela nous conforte dans cette piste de l’existence, terme qui contient déjà en soi la référence à « l’extérieur-monde ». Il n’existe pas selon cette conception, de possibilité d’être humain sans être un dasein, c’est-à-dire sans vivre d’abord cette expérience de l’exil, de l’absence de plain-pied, de chez soi intime avec l’être. Notre condition est d’être sorti.e de « chez nous », de vivre l’expérience d’être de l’extérieur de ce que c’est qu’être. C’est alors que nous réalisons, comme nous le dit Hannah Arendt, que c’est bien, en effet, dans l’action, dans tout ce qu’elle revêt de déflagration, d’impossible refuge, d’éclatement hors de….que paradoxalement nous effectuons quelque chose de ce que nous sommes, nous « figurons », mais pas du tout au sens de « faire semblant ». L’existence politique est la conséquence directe de l’existence tout court. L’extériorité que nous impose notre statut de citoyen et l’entente avec nos « amis » au sein de la cité ne peuvent s’expliquer et se pratiquer qu’à partir de l’impossibilité de refermer sur soi le bonheur (eudaimonia) propre à cette âme réflexive (distincte de l’âme sensitive et de l’âme végétative) qui de fait se sent exister.
De fait le dasein ressent deux sensations: celle d’être jeté dans une arène sans aucune assurance de rien et celle de s’étonner d’y être, ce qui manifeste un retour à soi, une attention, un souci de soi. Ces deux ressentis sont indissociables et indépassables de telle sorte que la vulnérabilité angoissante du premier ne cesse d’agiter le rapport à soi du second et de l’empêcher de se clore sur soi. Exister c’est se rapporter sans cesse à soi la bonne nouvelle de cette blessure ouverte vers l’autre dans la béance de laquelle il est avéré qu’être heureux seul est une impossibilité radicale, et c’est dans cette impossibilité là que se logent la cité, la politique, l’ami.
Conclusion
La parole et l’action politiques sont donc en effet les seules modalités d’apparition authentique du moi, mais à condition de donner au terme « politique » son sens aristotélicien. Chercher dans l’intimité de notre solitude notre moi authentique est une démarche vaine, tout simplement parce que rien ne pourra s’y expérimenter du sens effectif de l’ex-istence, Cela ne veut pas seulement dire que la solitude est toxique mais plus radicalement qu’elle est purement impossible. Marcel Proust écrivant la recherche dans la solitude de sa chambre à coucher n’était pas seul puisque je le lis aujourd’hui moi qui ne l’ai jamais rencontré ailleurs ni autrement qu’en lisant ces lignes qu’il a rédigées…pour moi finalement. Qu ‘est ce que cela signifie? Deux choses: 1) qu’en dessinant sur ses feuilles ces caractères, il se racontait lui-même l’histoire d’un narrateur qui tenait beaucoup de lui-même en faisant ainsi valoir de soi à soi la distance littéraire et éthique d’un autre 2) qu’écrire, comme toute forme d’art est un acte politique dans l’exercice duquel ce qui nous est donné, c’est la concrétisation d’un souci authentique de soi qui s’effectue par la conquête d’un style.






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