dimanche 1 juin 2025

Résumé des articulations du cours: " L'humain et ses limites"



 Lorsque nous disons d’une personne qu’elle est « borderline », nous signifions qu’elle est à la limite, qu’elle se comporte d’une façon qui peut la situer en marge de la société et des conduites normatives. Dans cette perspective, il y a 1) la société et les normes comportementales en vigueur dans un état, voire une civilisation 2) La personne Borderline 3)  les modalités de marginalisation qu’elle défie et dont elle prend le risque de subir la violence  institutionnelle (la prison, l’asile, les cachets, etc.). 

Le simple fait de parler de l’être humain en tant que border-liner est évidemment très étrange en comparaison, parce qu’alors c’est qui ou quoi la « société »? C’est l’être, ou la nature, ce qui impliquerait que l’être humain soit dans la nature mais « pas vraiment ». 2) la personne border line c’est l’être humain, le genre humain qui en l’occurrence ferait « mauvais genre » (mais aux yeux de qui?). Enfin la question des modalités de marginalisation dont l’être humain pourrait se prendre le retour de bâton, c’est quoi? Le Karma si l’on est bouddhiste? En terme d’institution,  il va de soi que là, il n’y en a aucune. Il serait plus juste d‘affirmer qu’il n’y en a pas de physique. C’est le néant dans tous les sens du terme. La conduite extrême de l’être humain peut le mettre en situation de provoquer un tel chaos, un tel néant qu’il ne saurait exister ici d’autres limites qu’éthiques ou légales. Il est absolument impossible de traiter ce sujet sans faire référence  à l’éthique parce que c’est vraiment le fond de cette affaire.

Pourquoi? Parce que toute question d’éthique se situe dans  le rapport de soi à soi (la conscience) et qu’à moins de croire à une punition immanente ou divine, il n’existe pas de puissance publique qui ici pourrait jouer le rôle des forces de l’ordre pour les délinquants.  La question envisagée est étrange: est-ce que l’être humain ne serait pas une sorte de délinquant de l’être ou de la nature? Une créature qui jouerait avec des lignes de frontières ontologiques ? (Le personnage de Prométhée ici est au coeur de la problématique, aussi bien dans la mythologie d’Hésiode que dans le Protagoras de Platon - C’est comme si des légendes et mythologies ancestrales portaient en elles la trace d’une inquiétude de l’être humain sur son rôle dans la nature et dans la vie)

Evidemment le premier Stasimon d’Antigone par Sophocle exprime exactement ce trouble. L’être humain dispose d’un potentiel transgressif sans équivalent  et ce statut nous est présenté d’abord comme un éloge mais aussi comme un avertissement puisque qu’il peut prendre la route du mal comme du bien.  Il est sans limites, porteur de chaos et d’excellence. Avec lui la notion de limite s’expérimente, se tente, s’innove et s’improvise. L’être humain est un seuil critique à lui tout seul ce qui veut dire deux choses en fait: 1) que son existence est toujours à la limite de disparaître 2) qu’il est à l’être son seuil critique c’est-à-dire qu’en l’être humain, le sort de l’être se joue, comme à pile ou face. 

Quelles sont les implications de cette définition de l’être humain par pour et dans la notion de limite? D’un point de vue ontologique, technologique et politique (ou éthique)? 

  1. L ‘idée de Dieu et la puissance du Deinon (Saint Anselme et Sophocle)

Le contrepoint entre l’idée de Dieu et le deinos humain est intéressante parce que Dieu s’impose à la pensée alors que ‘l’humain s’impose tout court comme une puissance transgressive échappant à tout contrôle extérieur. L‘idée de Dieu est si forte à la pensée qu’elle ne peut pas ne pas s’imposer dans l’être et inversement le deinos est si illimité dans sa puissance réelle  qu’il ne pas ne pas s’imposer à notre pensée comme du lait sur le feu (mais vraiment comme ça: comme ce qui va déborder si on ne fait pas attention et cette question de l’attention est celle de l’ethos, d’une pensée de la « responsa ». Répondre de soi devant soi-même et devant autrui. Cette question de la limite pose finalement le problème de l’écho dans lequel résonnent nos actions. A qui devons nous rendre des comptes? Et la réponse de la Tragédie dans laquelle se situe le stasimon est « A personne! » Il n’y a pas d’interlocuteur. Ce que cette absence de vis à vis  libère c’est la réalisation de ceci  qu’il n’existe pas de définition écrite, figée de l’humanité, du genre humain. Etre pour l’être humain ce n’est pas écrit, ce n’est pas lisible, ça se situe toujours à la pointe de l’illisible, de l’inénarrable et souvent aussi de l’innommable. Nous aimons autant les histoires, celle du passé, de la mythologie et de la pure fiction parce qu’elle nous renvoie le soupçon d’un sens rétroactif à propos d’évènements qui n’en ont aucun. 

Macbeth comprend cela, il retrouve le sens du tragique, mais en même temps, il le dit dans une histoire, dans une pièce qui, en un sens, poursuit l’intuition du stasimon d’Antigone mais dans sa partie sombre: de fait il s’est laissé emporter par la démesure du pouvoir.  Il a échoué en tout. Son épouse est morte, il sait qu’il va perdre le trône et mourir. C qu’il dit est vrai mais c’est parce que c’est vrai qu’en un autre sens , c’est faux et qu’être humain revient à reprendre au bond sa dernière affirmation et à la faire mentir. Ce n’est pas parce que l’histoire n’a aucun sens que nous n’aurions pas à lui en donner un exactement comme un acte de foi. Il faut relier cette absence d’interlocuteur de l’être humain, cette absence de définition du genre humain avec la vocation éthique de cette créature hors norme. Nous ne sommes pas UN être, nous sommes des créatures vouées à la croyance dans le sens de l’être, « croyance pure ». Ce qui apparaît clairement dans ce contrepoint entre saint Anselme et Sophocle, c’est l’opposition entre l’effort de pure logique visant à justifier qu’une idée puisse être autre chose qu’une idée (Dieu) et la réalisation éthique de ceci qu’un être puisse être autre chose qu’un être mais sa limite critique. 

2) L’animal exosomatique:  pharmakon et point critique

Dans cette deuxième partie, il s’agit de « remplir » ce qui peut apparaître comme une simple intuition ontologique (même si c’est plus que cela) avec du « concret », c’est-à-dire la manifestation concrète, réelle de ce caractère borderline de l’être humain.  Nous pouvons le faire par une réflexion préalable sur le rapport de l’être humain à « l’objet » en nous appuyant sur l’exosomatisation d’un point de vue anthropologique et sur l’objet transitionnel (Winnicott) d’un point de vue psychologique. On peut également songer à l’enfant à la bobine de Freud (il FAUT une bobine).

Mais on peut aussi évoquer le dasein et l’angoisse d’être jeté dans l’existence. Le terme de « jeté » (jactum, en latin) est présent dans la notion d’objet ( ob/jactum). Si le dasein a besoin d’objet ( aussi bien technologiquement qu’effectivement que rituellement (Monolithe) ), c’est parce qu’il consiste dans cette disposition fondamentale là du point de vue d l’être. Etre humain c’est aborder le fait d’être en tant qu’objet ob/jeté dans l’existence. 

De fait Alfred Lotka insiste sur l’opposition entre l’exosomatisme humain et l’endosomatisme animal. Ce qui se dit au travers de ses objets c’est l’évidence d’une absence radicale de plain- pied, d’être-en-phase, de convenance directe entre « être humain » et « être tout court ». 

De cet exosomatisme découle une sorte de « trajet », de chemin tortueux qui n’est traçable qu’au fil (acéré et dangereux) des pharmaka. Suit toute une réflexion sur le pharmakon (Stiegler).  La troisième partie consacrée à E=MC² illustre et dramatise un peu le propos: il y a un potentiel de destruction dans la nature mais cela ne veut pas dire que la nature veuille se tuer ou disparaître. Le génie humain (deinos) c’est ce qui va trouver ce potentiel et lui donner toute sa puissance réelle (Oppenheimer). L’être humain est cette créature de l’être où se décide du point de vue de l’être qu’il soit ou pas. C’est dans l’humain que se joue tout ce qui peut se jouer, c’est-à-dire tout, en fait. 




3) Deinos et zôon politikon

Dans cette 3e partie, il y a trois auteurs qui rythment la progression (peut-être 4 si l’on rajoute Von Uexküll):

  • Aristote et la compréhension précise du terme de Zoé dans le zôon politikon  (l’être humain n’est pas politique comme il pourrait être autre chose ou pratiquer plusieurs activités, il est un être pour lequel le fait d’être politique qualifie sa relation à l’être. Il n’est pas vivant ET politique il suit et inaugure une façon d’être vivant qui est organiquement politique, mais justement: qu’il soit politique fait de lui un être pas organique. C’est fondamental et cela explique l’expression d’oxymore d’une vie non vitale. L’être humain est une créature vouée à un type d’existence dans laquelle il n’est pas question de tout soumettre à la seule exigence de la survie. Pour l’être humain être prime sur vivre, ce qui revient à dire en terme de hiérarchisation des pratiques que la politique primer sur l’économie, sur la gestion des biens personnels de la maisonnée (nous mesurons l’impasse dans laquelle nous plonge aujourd’hui un modèle économique fondée sur l’hyper-consommation) - Dans le cours un lien est fait ici avec les désinhibiteurs et les biotopes (Von Uexküll)
  • Cornelius Castoriadis qui est avec Stiegler l’un des rares auteurs à ancrer sa réflexion politique sur le deinos. L’être humain doit s’auto-limiter ce qui signifie qu’il s’auto-crée. Castoriadis a le mérite de faire clairement la rupture entre tout ce qu’implique cette auto limitation et de ‘l’autre côté le platonisme et le christianisme (pour lesquelles l’être humain n’est pas seul puisque il y a les idées supraterrestres et Dieu pour les chrétiens). Le destin des humains s’écrit politiquement de leurs propres mains et nous n’enfilons jamais de prendre la mesure de ce que cela suppose. 
  • Heidegger et cette phrase écrite dans « lettres sur l’humanisme »: « « L’homme n’est pas le seigneur de l’étant. Il est le berger de l’être ». Ce qui est très puissant dans cette phrase c’est finalement de tirer toutes les conclusions existentielles de ceci a été dit auparavant. Nous sommes dans l’existence en porte-à-faux parce que nous ne nous y sentons pas exister de plein droit, ce qu’’exprime bien l’angoisse du dasein. Ce n’est pas que nous soyons destinés à quoi que ce soit par quelque transcendance quelconque, c’est plutôt qu’il est évident que cela fait de nous une créature pour laquelle l’existence s’impose comme « souci ». Cette attention inquiète à ce que c’est qu’être fait de nous des êtres singuliers, porteurs d’une orientation, d’un style qui nous est propres et que nous pouvons définir comme souci, soin apporté à….sollicitude, bref « sorge ». Il convient de fair cette co-existence de l’angoisse et de la sollicitude. Nous existons, ce qui veut dire que nous sommes, mais nous sommes à ce dont il convient de protéger, de garder la nature. Le dasein est de toutes les créatures existantes celles qui peut le mieux mettre en pratique un type de relation à l’être définissable dans les termes du tact. Avoir du tact, c’est cultiver l’art de laisser intact. 

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