mercredi 11 juin 2025

Terminales 1 / 4 / 5: réponses aux questions de dernière minute

 


(J'exagère un peu: disons que je réponds ici à des questions qui m'ont été posées récemment donc dans les quelques jours qui précédent l'épreuve. Comme ce sont des bonnes questions, j'en fais profiter tout le monde...Enfin celles et ceux qui lisent ce blog...Parce qu'en fait, j'ai un blog  😇)

Voici les questions:

 1) Je ne comprends pas la différence entre parler et dire (j'ai compris que la conclusion c'était que la vérité ne peut pas être dite mais parlée mais je n'arrive pas à voir ce qui fait vraiment la différence). 

 2) Ensuite, toujours dans le langage, le petit fils de Freud, dit-il ou parle-t-il sa vérité ? Est-ce qu'il est dans le connaitre ou dans l'être ?

3)  Par ailleurs, par rapport à Descartes et sa fameuse citation : "je pense donc je suis". Vous nous l'avez souvent expliqué mais j'ai peur d'avoir compris trop facilement cette citation alors qu'elle est assez importante. Est-ce que c'est le fait de se considérer comme un être pensant et de de me dire que je ne suis rien et ainsi en me disant que je ne suis rien, je pense et donc je suis ? Et c'est cette seule vérité d'après Descartes qui est vraie? 

4) Ensuite, vous aviez parlé de l'anti-cogito  de Jacques Lacan mais je vous avoue ne pas avoir bien saisi pourquoi il disait : je pense où je ne suis pas et je suis où je ne pense pas (est-ce vraiment en rapport avec le je de l'énoncé et de l'énonciation?).

5) Et pour finir, dans votre dernier article sur la mort : est ce que les parties extensives désignent l'existence et les parties intensives l'essence et qu'est ce que le plus important en fin de compte ?

Et voici mes réponses: 

1) Vous dites quelque chose alors que vous parlez. Parler est un verbe intransitif. Quand vous le faites, l'action ne désigne pas de quoi il est affaire  dans votre discours. Quand vous dites, on attend l'objet dont vous parliez. Ici au contraire c'est transitif. Donc quand lace dit: moi la vérité je parle, il vaut dire que la vérité ne dit pas la vérité, qu'elle "parle" que la vérité réside dans l'acte et pas dans le contenu de ce que vous dites. On pourrait dire qu'il y a de la vérité dans toute prise de parole en ceci qu'elle est un acte.  La seule vérité que nous vons vraiment c'est celle d'agir en parlant. Il n'y pas possibilité de dire la vérité dans un discours dont vous essayeriez de trouver la vérité de ce qui est dit. Par contre c'est un fait ça parle; quelque chose parle. Tout ceci est causé par la différence entre le je de l'énoncé et le je de l'énonciation. Vous dites quelque chose mais le fait même que vous le disiez crée la distinction entre ce que vous dites (je de l'énoncé ) et le fait que vous le disiez (je de l'énonciation) par conséquent surtout si vous parlez de vous, vous êtes en train de na pas être celle que vous dites que vous êtes en le disant. Vous dites "je suis humble" et forcément vous ne 'l'êtes pas en le disant. Vous dites "je suis amoureuse" mais que vous posez cet énoncé vous n'êtes déjà plus cette amoureuse dont vous parlez. Dire c'est mentir ou potentiellement mentir parce que cela crée de la dissociation et pas de l'adéquation. 
Par contre parler de tout et de rien ça va parce que là il n'y a pas d'objet et en plus on ne sait pas bien qui parle quand "les gens" parlent.  
Lorsque Lacan fait dire à la vérité ceci:
« J’ai fait dire à la vérité — Moi, la vérité, je parle. Mais je ne lui ai pas fait dire par exemple — Moi, la vérité, je parle pour me dire comme vérité, ni pour vous dire la vérité. Le fait qu’elle parle ne veut pas dire qu’elle dit la vérité. C’est la vérité, et elle parle. Quant à ce qu’elle dit, c’est vous qui avez à vous débrouiller avec ça » 
Il veut dire exactement ça: il y a de la vérité dans l'acte de parler mais il ne peut y en avoir dans ce que je dis, parce quand je parle il est sûr qu'il y a de la parole. C'est un ACTE
Voilà!


2) Sur l'enfant à la bobine, il FAUT absolument que vous vous disiez que l'on assiste en direct à l'acquisition du symbole par un enfant. Or il ne peut y avoir langue sans symbole. L'enfant s'extrait d'une situation qui est à son désavantage pour pouvoir signifier son désarroi. Mais il le fait d'abord par un jeu où la bobine symbolise la mère. Il se détache d'une réalité où il est passif (abandonné) pour créer une dimension symbolique où il est maître du jeu puisque c'est lui qui fait disparaître et réapparaître. Cela devient génial quand on réalise que là dessus, sur cette première couche symbolique en vient une 2e qui est le oh et le ha c'est-à-dire déjà le fort et le da allemand. L'enfant est en train de réaliser que la maîtrise des mots lui donnera le pouvoir sur les choses. Il pourra, en parlant, dire à sa mère de ne pas partir. Donc non, pas du tout: ce n'est pas SA vérité. L'enfant apprend ici à se défaire d'une réalité pour se retrouver dans la dimension du symbole puis finalement de la langue où il pourra dire. En fait si vous prêtez attention à toutes les définitions de la vérité (sauf Aléthéia et cette distinction est trés importante)  vous remarquerez que la vérité porte sur une adéquation, sur des propositions, c'est-à-dire sur de la langue. On dit la vérité, cela suppose que cette vérité là ne peut s'effectuer que dans un discours que dans une proposition. Donc ce n'est déjà plus du réel pur.

3) Pour le "je pense donc je suis", oui c'est ce que vous dites en résumé mais il faut bien insister quand même sur le fait que Descartes cherche une certitude que l'on puisse accepter comme telle.   Quel peut être le fondement assuré de mes connaissances? On peut douter de tout (mes sens, mes raisonnements mes pensées) mais alors où ça s'arrête ce doute? Se pourrait-il que moi qui doute de tout je ne sois rien? Pourrais je être aspiré dans cette spirale du néant? Non absolument pas puisque si je pense que je ne suis rien, je suis au moins ça: cette pensée de n'être rien. Et Voilà je suis parce que je pense quel que soit ce que je pense, il faut forcément être quelque chose pour penser qu'on est rien, donc je suis, même si je ne sais pas trop ce que je suis. 



4) L'anti-cogito de Lacan défait totalement le cogito en disant finalement : oui d'accord mais tout ça ce ne sont que des mots! Ce n'est pas parce que tu penses que tu es parce que tu dis que tu penses et que tu dis que tu es. Donc la distinction entre le je de l'énoncé et de l'énonciation agit et tu ne peux pas être ce que tu dis que tu es en le disant, c'est impossible. Quoi que l'on dise et a fortiori de soi, on ne l'est pas parce qu'on dit qu'on l'est et qu'il y a une différence entre être et dire que l'on est. Je ne peux pas être en même temps celui qui est et celui qui dit qu'il est. On est toujours ce que notre discours ne dit pas, on est justement là où rien n'est dit. Il faut juste que vous compreniez cela ce que je dis que je suis, forcément je ne le suis pas, je ne suis pas entrain de 'l'être puisque je suis en train de dire que je le suis. En un sens, aussi sincère que je puisse être, je mens (c'est aussi avec ça que j'oppose Lacan et kant dans "d'un prétendu droit de mentir par Humanité;" 
Par contre quand je parle, la question de la vérité (impossible) de ce que je dis ne se pose plus et là ça va, il y a la vérité de la parole. Il est vrai qu'une parole est en train de s'effectuer. Dit elle la vérité? Forcément non!

5) Enfin sur Spinoza et la mort; Il faut que vous oubliez un temps la distinction entre l'existence et l'essence, disons que ce n'est pas ici une opposition qui joue un rôle. C'est un peu compliqué mais Deleuze fait dans la philosophie de Spinoza qu'il connaît bien un lien que Spinoza ne fait pas explicitement. On trouve chez Spinoza la théorie des 3 modes de connaissance: 1) le mode inadéquat (les sens et l'opinion) 2) la démonstration mathématique le raisonnement logique 3) l'intuition.  Deleuze relie ça à la conception des trois niveaux d'un individu que l'on trouve chez Spinoza: 1) nous sommes une multitude parties extensives, de particules de corps  2) Nous sommes la mise en rapport de ces particules, de ces morceaux. Nous consistons dans le fait que ces particules composent entre elles dans un certain rapport  3) enfin je vais libérer une certaine quantité de puissance de "vouloir vivre"  comme tout un chacun. C'est ça mon essence, c'est la super thèse de Spinoza, nous sommes l'intensité avec laquelle nous insistons pour persévérer dans notre être, nous voulons continuer à être, ou à tendre vers l'être, nous faisons un effort pour exister et c'est cela que l'on est le plus authentiquement (c'est donc là que l'on trouve les parties intensives).
Par conséquent pour vous répondre très clairement: les parties extensives c'est le corps, les parties intensives, c'est le conatus, c'est le désir de persévérer dans son être. Je reprends ici l'exemple de la présence en cours d'une élève. Ses paries extensives sont là assises sur une chaise devant une table. Elle est là du point de vue des parties extensives mais il est possible qu'elle se "désunisse": c'est un terme très juste que l'on utilise souvent dans l'effort physique mais qui vaut pareillement dans les efforts de présence ou les efforts plus intellectuels. Si vous n'avez pas envie d'être là, vos parties intensives vont lâcher l'affaire et vous ne serez qu'" extensivement "présente. Il y aurait beaucoup à dire que les heures de présence en cours imposées aux élèves en France. On vous demande d'être intensivement présents dans des journées qui comptent parfois plus de 8 h de cours, c'est franchement impossible et si certaines personnes réfléchissaient un peu plus, elles réaliseraient peut-être qu'il est grand temps d'alléger les emplois du temps pour que votre présence soit aussi intensive. Tout ce que l'on accomplit VRAIMENT, ce sont les parties intensives qui le réalisent , c'est-à-dire du point de vue de votre essence: de celle que vous essayez d'être VRAIMENT, de ce qui, de vous, persévère dans son être.
La mort, en un sens,  elle ne concerne que les parties extensives: c'est comme le rapport ne parvient plus à recoller entre elles les parties extensives. Du point de vue des parties intensives, on ne meurt pas, disons que les parties intensives ne désignent que les intensités que vous libérez en existant et donc la mort n'intervient pas ici, dans les parties intensives (une vie passée exclusivement dans les parties intensives, c'est une existence "sub specie aeternitatis" (sous le mode de l'Eternité). C'est ce qui explique que Spinoza ait dit: " L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie. " 



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