dimanche 27 septembre 2015

"Puis-je savoir que j'ai raison?" - Conseils de méthode pour la dissertation (développement, paragraphe, écriture et conclusion)


Nous avons composé notre introduction et nous disposons d’un plan. Il s’agit maintenant de rédiger le développement. Nous avons l’idée plus ou moins précise des directions dans lesquelles nous allons nous diriger grâce à notre plan. Mais il s’agit d’écrire les paragraphes dans chacune des parties envisagées. Pourquoi des paragraphes ? Parce que si notre dissertation se composait d’un seul bloc, cela signifierait que nous n’avons développé qu’une seule idée. Le passage d’un paragraphe à un autre est très important. Il indique clairement que nous passons un cap : nous avons posé, justifié et suivi les implications d’une thèse forte, d’une prise de position argumentée sur le sujet et cela nous conduit tout naturellement à approfondir, dépasser, éventuellement à mettre en question l’idée que nous venons d’examiner.
Pour bien comprendre cette étape essentielle de la rédaction d’un paragraphe, il s’agit de situer d’abord « l’atmosphère » de l’écriture philosophique. Nous n’écrivons pas pour nous faire accepter, reconnaître, encore moins aimer par celles et ceux qui nous liront. Il y a une « tension » dans cette écriture, et cette tension est parfaitement « modélisée » par la neutralité de la page blanche sur laquelle nous écrivons. Bien sûr, il y a l’intérêt d’obtenir une bonne note mais cet objectif ne saurait être le seul. Il est lui-même dépassé par une autre considération qui sera plus décisive que lui (et qui d’ailleurs décidera de lui).
A notre échelle, avec nos moyens, il s’agit de retrouver quelque chose de la démarche de Descartes lorsqu’il se lança dans ses méditations métaphysiques. Il s’agissait pour lui de faire table rase de tous les préjugés, de tous les lieux communs, de toutes les opinions non fondées auxquelles se rallie la majorité par paresse et par facilité. Tout sujet de dissertation éveille d’abord en nous ce genre de « pensées », cet afflux de choses entendues ici ou là, de proverbes, de prises de position. Sur le fond, il n’est pas exclu que certaines de ses opinions soient justes, mais en tant qu’opinions, elles ne sont, dans leur forme, plus acceptables ici.

Comment progresser dans le traitement d’une question en étant certain que chaque pas que nous faisons est le plus assuré possible ? D’abord en étant toujours très clair avec soi-même, et donc avec notre lecteur, ensuite en mettant en place un processus d’implication des phrases les unes par les autres qui soit suffisamment rigoureux pour que nous soyons sûrs de ne jamais « lâcher » notre sujet ou de nous égarer dans la défense gratuite d’une idée qui nous « arrange » personnellement. Il ne faut jamais oublier que l’écriture philosophique ne peut, à aucun moment, se laisser enfermer dans les « pour moi », « en ce qui me concerne » ou « de mon point de vue ». Si nous nous laissons aller à écrire « je pense que », il faut bien réaliser que notre correcteur, à juste raison, manifestera un réflexe de défiance, voire de sanction. Nous ne sommes pas là pour « dire » ce que nous pensons, nous sommes là pour penser, quitte à remettre en cause toutes les thèses que nous avons défendues jusque là, sans les avoir jamais examinées vraiment.

Nous ne sommes pas dans une discussion animée, accoudé au comptoir d’un bar avec des amis. Nous ne sommes plus pris dans ces petits jeux de séduction dans lesquels il s’agit de faire rire les autres, de se faire aimer d’eux, de critiquer ce que nos amis critiquent pour que la dynamique de groupe fonctionne à plein. Ici (c’est-à-dire dans l’espace délimité par la feuille blanche) il y a d’abord nous et une question. Il y a aussi un contexte philosophique qui nous détache d’emblée de ce qui, en nous, serait personnel, subjectif ou politiquement engagé. Peut-être ne sommes-nous pas habitués à un tel dépouillement, à un tel silence, à une telle exigence de retenue par rapport au personnage que nous jouons dans la comédie sociale, familiale ou professionnelle, mais c’est comme ça, et Descartes ne s’est pas lancé dans les méditations en tant que soldat (il était soldat à l’époque), ou français, ou né en Touraine, ou quelque autre particularité de son existence.
Mais comment maintenir ce climat impersonnel tout au long de notre travail ? Evidemment en s’interdisant toute référence à notre vie privée et toute formulation visant à limiter le terrain d’application de nos thèses (Je crois… je parle pour moi, etc.). Mais il convient aussi que nos propositions se « tiennent », qu’elles soient constamment reliées les unes aux autres par un processus d’implication permanente et logique. Si nous écrivons ceci c’est que nous avions posé précédemment cela. Il importe donc d’utiliser constamment des connecteurs logiques (Mais – Donc – Car – Par conséquent – Cependant – Néanmoins – etc.) pour à la fois manifester cette implication et la connoter (cause, conséquence, contradiction, etc.)
Nous pouvons, pour donner un exemple de ce type d’écriture, nous situer, par rapport au sujet : « Puis-je savoir que j’ai raison ? » au tout début de la deuxième partie projetée dans notre plan. Nous venons de réfléchir à la possibilité de déterminer un critère objectif qui nous permettrait de savoir que nous sommes dans le vrai. Mais il s’agit maintenant d’insister sur la multiplicité de sens de cette expression :

Il existe donc, selon Descartes, un critère qui nous permet de savoir que nous avons raison quand nous affirmons que nous existons, c’est la résistance à un doute profond, méthodique et radical (nous supposons que cette démonstration faisait l’objet du précédent paragraphe). Avoir raison signifie ici dire une vérité indiscutable, fondée, assurée. Mais je peux aussi avoir raison en agissant bien, c’est-à-dire moralement, ou bien encore efficacement dans la visée d’une perspective précise. Si mon but est par exemple d’acquérir le pouvoir, j’ai raison de séduire la majorité de la population par des discours mensongers et prometteurs. Mais au regard de la morale, je n’ai pas raison d’adopter cette attitude. Par conséquent nous réalisons qu’avoir raison désigne finalement la conformité de moyens en vue d’un objectif. Relativement à tel but, je peux avoir raison d’accomplir un geste inconvenant, inadapté voire interdit au regard d’une autre finalité. La question : « Puis-je savoir que j’ai raison ? » prend donc un sens particulier dés que nous prenons en considération cette plurivocité. Il ne s’agit pas de savoir si j’ai raison de faire ceci ou cela au regard de tel ou tel objectif, mais plutôt de s’interroger sur la possibilité d’un objectif ou d’une perspective qui l’emporterait sur toutes les autres. Existe-t-il vraiment une perspective (morale, pratique, politique, économique, scientifique, etc.) à l’intérieur de laquelle il serait plus justifié d’avoir raison qu’une autre, ou bien sommes-nous renvoyés à cette confrontation perpétuelle de perspectives relatives déployant chacune dans leur ordre propre une démarche visant à avoir raison au regard de leurs critères exclusifs ?


Ce paragraphe opère la transition entre la première et la deuxième partie. Nous pensions avoir résolu la question dans la partie précédente mais ce paragraphe relance le questionnement en relevant un nouveau problème : savoir que l’on a raison, ce n’est pas seulement mettre en œuvre un doute méthodique pour voir s’il en sortira quelque chose de certain, c’est aussi se rendre compte de la relativité d’une telle expression, ce qui pose de nouvelles interrogations (pourquoi avoir raison en science serait-il « mieux » qu’avoir raison en politique, par exemple ?). Nous voyons bien dans ce paragraphe l’unité d’une démarche se déployer, c’est celle qui consiste à prendre encore plus de recul par rapport au problème posé par le sujet. Il s’agit d’ouvrir vers la question qui fera l’objet de toute la deuxième partie. L’utilisation fréquente de connecteurs logiques prouve l’implication de toutes les propositions évoquées les unes à l’égard des autres. Il faut qu’un paragraphe défende « une » idée, accomplisse « une » fonction dans le développement et il convient aussi qu’elle assure cette unité en reliant toutes les phrases les unes aux autres. C’est exactement ce que signifie l’expression : « ça se tient ». Rien n’est avancé sans s’appuyer sur ce qui précède, comme les pierres d’une voûte qui s’appuient les unes sur les autres pour dessiner parfaitement la courbure.


Lorsque nous avons développé nos trois parties, nous pouvons conclure notre dissertation en reprenant en quelques lignes le chemin que nous avons parcouru (« Nous sommes partis de cette idée selon laquelle il est nécessaire de se défaire de cet attachement premier à nos opinions pour savoir que nous avions raison, ce qui nous a conduit à…). Dans un second temps, il est clair que notre troisième partie a développé ce que nous pouvions concevoir de mieux pour éclairer le problème. Nous y sommes allés le plus loin dans l’exploration des présupposés rendant possible la question du sujet. Nécessairement, une réponse peut être déduite de cet angle de vue, censé être le plus subtil.
Exemple : « Comment savoir que l’on a raison dans un univers en expansion infinie ? En ramenant sans cesse ses jugements à la mesure de cette dimension exponentielle, c’est-à-dire d’une impossibilité structurelle de délimitation et de mesure. Ce que nous pouvons savoir sans la moindre remise en cause possible c’est qu’avoir raison ou tort se décide au fil d’une ligne de fracture qui, à l'image de celles que dessine la tectonique des plaques, ne cesse, à chaque instant, d’être différente. »

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