mardi 29 septembre 2015

Puis-je savoir que j'ai raison? - L'impératif catégorique d'Emmanuel Kant (1724 - 1804)


Il est impossible de traiter un sujet de philosophie sans se mettre dans l’embarras. Si nous avons l’impression que la réponse est facile, nous sommes nécessairement en train de faire un hors sujet. Il s’agit donc de résister au découragement qui peut nous saisir quand nous réalisons à quel point la réponse est multiple, plurivoque et, en un sens, impossible. Il serait dommage d’abandonner quand précisément nous sommes exactement en train de « remplir le contrat » d’une dissertation de philosophie. Autant, dans la vie courante, nous voulons résoudre, voire éviter les problèmes, autant, pour une dissertation, nous fonçons dedans tête la première et nous efforçons de nous en faire une idée claire, autant que nous le pouvons.
Mais il est important, de temps à autre, de prendre un peu de recul, et, après avoir examiné la pensée de tel ou tel auteur, de revenir à la formulation du sujet, en toute simplicité, avec un maximum de neutralité (je serai presque tenté de dire « pour soi » si par ce terme, nous entendions, non pas nous-mêmes en tant que nous avons telle vie, mais soi en tant que « sujet distant », en tant qu’être traitant la question dans une forme d’intimité impersonnelle, intimité à la portée d’absolument tout le monde, mais justement les pensées que nous avons dans cette situation là ne sont plus du tout celles de « monsieur tout-le-monde »). On peut parfois être étonné de voir tout le chemin parcouru entre la première fois que nous nous sommes posés la question, au début du devoir, et maintenant que notre questionnement s’est plus ou moins enrichi de différentes perspectives.
Puis-je savoir que j’ai raison ? C’est finalement la possibilité de disposer d’une « boussole » nous indiquant à toute occasion la « juste chose » à faire, à dire, à conclure, éventuellement à être (je sais que je suis « une chose qui pense », nous dit Descartes). Il est très éclairant de situer cette question dans ces moments au cours desquels nous éprouvons des « cas de conscience ». Si nous reprenons l’exemple évoqué par Kant dans son opuscule : « D’un prétendu droit de mentir par humanité », nous distinguons très clairement ce qui constitue peut-être le fond même de l’alternative. Faut-il dire la vérité quelles que soient les circonstances ? Mon ami est menacé par des assassins qui me demandent s’il a trouvé refuge dans ma maison. Dois-je laisser la situation guider ma décision et, par conséquent, « mentir », ou rester fidèle à ce principe qui finalement permet au monde de « tenir », à savoir dire la vérité ? Cette dernière proposition a besoin d’être expliquée. A quoi tient l’humanité ? Au crédit que nous accordons aux déclarations de nos semblables. S’il fallait, à toute occasion, en tout instant, concevoir que l’autre humain nous ment, par principe, l’existence humaine n’aurait pas de sens, pas de communauté de direction,  de visée. Chaque homme serait potentiellement l’ennemi de l’autre et c’est très exactement à la représentation d’une humanité engagée dans un état de guerre permanente de tous contre tous (Hobbes) que nous serions confrontés.
Mentir, quel que soit le contexte dans lequel nous mentons, c’est rendre l’humanité impossible. Pour Emmanuel Kant, le seul vis-à-vis que nous devons prendre en compte dans nos décisions, c’est cet universel humain (et sûrement pas ces assassins ni mon ami), soit la supériorité que nous accordons à la faculté qui en nous est exclusivement tournée vers cet universel : la Raison. Nous disposons ainsi d’une boussole capable de nous indiquer en toute occasion la bonne direction à suivre, c’est ce qu’il a appelé « l’impératif catégorique » : « Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en maxime universelle. » Je sais donc que j’ai raison quand j’agis de telle sorte que je peux vouloir que l’humanité prenne la même décision que moi et agisse « comme un seul homme » de façon identique à la mienne. Je ne peux pas vouloir tuer quelqu’un car cela reviendrait à appeler de ses vœux une humanité meurtrière qui se contredirait elle-même en tant qu’humanité. Je ne peux pas vouloir un monde dans lequel tout le monde pourrait tuer car cela reviendrait à vouloir un chaos au sein duquel ne pourrait plus du tout faire sens l’acte même de « vouloir ». De ce point de vue, mentir revient à « vouloir ne pas vouloir », ce qui est absurde et impossible. Par conséquent je sais que j’ai raison en disant la vérité à ces personnes venues pour tuer mon ami (mais Kant ne dit pas qu’il va les laisser faire. Il est juste question de répondre à leur interrogation sur la présence de mon ami chez moi).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire