vendredi 20 octobre 2023

EMC Terminale 2: Qu'y-a-t-il à déplorer de la coupe du monde au Qatar? - Salomé Millot


 

Vendredi 16 décembre 2022, Gianni Infantino, le président de la Fifa, déclare que la coupe du monde de football au Qatar est « la meilleure de tous les temps. » Pour lui, la coupe du monde a été, je cite, « un vrai succès sur tous les fronts ».

« Le vrai succès sur tous les fronts de la coupe du monde au Qatar ». Je crois qu’il n’y a rien de mieux pour nous mettre en jambe que ces belles paroles.

La coupe du monde au Qatar, vous en avez forcément entendu parler. Et peut-être que tout ce que vous y voyiez, c’est la défaite de la France en finale. Mais honnêtement, moi le football c’est pas trop mon truc… - et je pense que ça se voit à la carrure… - alors, je ne viens pas tout à fait vous parler de ça. Je viens plutôt vous parler de tout ce qui est tombé aux oubliettes, dès lors du commencement de ce Mondial 2022.

Qu'y a-t-il à déplorer de la coupe du monde au Qatar ?



Eh bien, tout d’abord, penchons nous sur la simple question de : Pourquoi le Qatar ?
Le Qatar, en 2010 (c’est-à-dire l’année de la prise de décision), est un pays qui ne possède ni les infrastructures, ni la capacité nécessaire pour accueillir une coupe du monde. A cette époque, la Fifa juge d’ailleurs sa candidature à « haut risque », et comme étant la pire de tous les pays candidats. 
Alors quelle fut la surprise quand elle fut admise avec 14 voix en sa faveur sur 22 !

Renversement de situation surprenant dont les sources seront dévoilées quelques années plus tard ; des stratégies de corruption de la part du Qatar, concernant un panel de participant.es assez large : les personnalités publiques, les dirigeants du football, la Fifa, et même tout particulièrement la France ! Avec la signature « d’accords secrets » à l’Elysée sous le mandat de Nicolas Sarkozy, dont je vous passerai les détails.

Bref, voilà une affaire qui fait déjà ses preuves en matière d’honnêteté, hein.

L’ancien président de la Fifa en dira que : « C’est la première fois qu’une intervention politique a changé une grande décision du football ». Retenez bien cette citation car des années plus tard, on entendra Emmanuel Macron affirmer qu’il « ne faut pas politiser le sport ! ».

Alors, il ne faut pas politiser le sport…
… jusqu’à ce qu’il assiste au dernier match en tribune, et qu’il descende sur la pelouse pour réconforter les joueurs face à la défaite. 
Ne pas politiser le sport… jusqu’à la finale ! Bah oui, quand même !
Bon, passons. 

Jupiter sans la foudre

Poursuivons donc sur cette question de l’honnêteté, avec la légende de la « neutralité carbone » du Qatar ; « neutralité carbone » qui consistait à compenser les émissions de CO2 par cette coupe du monde… Un greenwashing absolu. 
En effet, le Mondial 2022 au Qatar, c’est d’abord la construction de sept nouveaux stades dans le désert ; stades à ciel ouvert, et climatisés. Ben oui, il fait chaud dans le désert. Alors il faut trouver des solutions…
Pour avoir un ordre d’idées, d’après une méthode de calcul avantageuse de la Fifa, cela correspondrait à une émission de 206,000 tonnes de CO2 ; d’après une étude objective de l’ONG, l’émission s’élèverait plutôt autour des 1,6 millions de tonnes, soit environ sept fois plus. Bon.

Mais le Mondial 2022 au Qatar, c’est aussi se rendre compte que le Qatar, c’est un petit pays, qui n’a pas la capacité requise pour accueillir plus d’un million de supporters. 
Bon… qu’est-ce qu’on fait du coup ? Eh bien, on met en place des paquebots-hôtels pour pouvoir les loger, terribles sur le plan écologique. Mais un million de supporters, c’est quand même beaucoup, et cette histoire de paquebots-hôtels, ça ne suffit pas. Donc, on s’accorde avec les pays voisins pour que ceux-ci logent les supporters. Et comment se rendent-ils dans ces pays voisins ? Eh bien, grâce à un système de navettes, avec sur plus d’un mois, les vols de 2,000 avions par jour. 

Bref, un bilan carbone alarmant, un désastre environnemental et effectivement, bravo, un record battu. « Un vrai succès sur tous les fronts ». Et vous n’êtes pas au bout de vos surprises.


Jupiter sans chichi (il est comme ça Jupi!)


Parce que maintenant que le compte est bon, que les plans des stades sont faits, il faut les construire. Et pour cela, il faut du monde. Ce monde-là, le Qatar sait où le trouver ; il fait appel à, sur dix ans, plusieurs centaines de milliers de travailleurs.euses migrant.es, particulièrement d’Asie du Sud. Mais alors que le pays fait affaire de son côté, on se rend rapidement compte qu’on aurait peut-être dû se poser avant la question du droit travail au Qatar (avec le bon espoir que nous nous sentons un tant soit peu concerné.es).

Les conditions de vie de ces exploité.es du Qatar, c’est quoi alors ? 
C’est la privation de leur passeport à leur arrivée pour que le retour chez elleux soit impossible.  Ce sont des dortoirs surpeuplés, sans eau, ni électricité. Ce sont des travaux forcés sous 50 degrés plein soleil sur les chantiers, douze heures par jour, sept jours sur sept.



Alors, vous l’imaginez bien, par extension, ce sont des lésions physiques terribles, et ce sont des décès. On parle, aujourd’hui, d’un bilan inestimable de plusieurs milliers de travailleurs.euses migrant.es décédé.es sur le chantier, dans ces conditions déplorables. 
Après c’est une estimation… par exemple, le Qatar lui en reconnaît 37 ! Ouais, bon, notifions l’effort…

Bref, dans cette allégresse de la coupe du monde, les pauvres crèvent sur la construction d’édifices pour que les milliardaires jouent au ballon dedans. Mais rassurez-vous ! Pour veiller au maintien de ce succès, le Qatar a communiqué quelques règles à respecter très strictement, au risque de finir sept ans derrière les barreaux quand même. Des règles donc, sur la sécurité, contre la criminalit… eh bien non, j’ai mal lu… Alors, reprenons ; si tu es une femme qui vient assister au Mondial, si tu portes un débardeur, une jupe au-dessus du genou, un décolleté ou un vêtement moulant, tu prends sept ans. Idem si tu es un homme homosexuel, et que ça se voit.

Voilà… de quoi se sentir en sécurité, finalement.

On notera tout de même la tentative du port du brassard aux couleurs du drapeau LGBTQ+ par les capitaines de certaines équipes en opposition aux discriminations homophobes du pays, balayée la veille du Mondial par la sanction par un carton jaune de la Fifa. A la probable grande satisfaction d’Hugo Lloris, qui avait d’ores et déjà affirmé qu’il ne le porterait pas personnellement, avec pour argument qu’il faut « respecter la culture du Qatar. » C’est vrai que bon, après tout, les gens amoureux qui se font traquer et emprisonner, c’est déjà pas une priorité dans le monde, alors encore moins dans celui du football. Petite pensée au PSG qui s’est très récemment vu sanctionné par la participation de ses joueurs à des chants homophobes… Enfin, soit. Après tout, les chants homophobes, ça fait partie intégrante du folklore du football. Ca aussi, c’est d’Hugo Lloris. Il en dit du bon, cet Hugo Lloris.



Reprenons. S’ensuivent alors toutes ces années de construction. Et enfin, 2022, la coupe du monde commence ! Fantastique !
Et de façon assez prévisible, pour une question de bonne conscience probablement, on s’octroiera le droit de fermer les yeux sur les points précédents. Parce que c’est finalement la meilleure façon d’esquiver la culpabilité, et de mettre à part la réalité le temps d’un tournoi.

Mais peut-on réellement mettre à part ?
Dans quelle mesure peut-on mettre de côté un tel mépris des droits humains et de la planète au nom du sport ? 

C’est vrai que c’est une question qui, dans cette ambiance festive à laquelle on a eu droit, n’a pas tellement eu lieu de se poser pour tout le monde. Mais la fête étant finie, je pose maintenant la question ; aux gouvernements qui ont validé ce Mondial, et qui ont parfois cédé à la couleur de l’argent. A la Fifa, pour les exactes mêmes raisons. Aux médias, ceux qui ont diffusé l’avancée du tournoi en effaçant le reste, et en manquant à désinformant sur la situation. Et enfin, tout simplement, à toutes celles et ceux que j’ai vu partager l’allégresse de cette coupe du monde en fermant les yeux sur le reste. 

Le propos n’est pas ici de suggérer qu’éteindre sa télévision chez soi aurait pu sauver des vies innocentes, ou encore refroidir la planète. Le propos est qu’il est strictement impossible de célébrer ce Mondial 2022 en le dissociant de tout l’engrenage du massacre capitaliste qui gravite autour.

L’oubli, c’est peut-être finalement ce qu’il y a de plus déplorable dans cette histoire de coupe du monde au Qatar.
Et en fait, c’est à peu près tout ce que l’on peut défendre à notre petite échelle.

Alors retenons. N’oublions pas.

 Jupiter et Mbappé pleurent ensemble les ouvriers migrants décédés sur le chantier


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