dimanche 17 décembre 2023

Terminales HLP: DM Type Baccalauréat (pour le 09/01/2024)

 Traitez l’un des deux sujets suivants au choix




Sujet 1


    "[...] Chacun de nous a l'impression irréfutable que la somme totale de sa propre expérience et de sa mémoire forme une unité tout à fait distincte de celle de toute autre personne. Il l'appelle son « Moi ». Qu'est-ce que ce « Moi » ?

    Si vous l'analysez de près vous trouverez, je pense, que c'est juste un petit peu plus qu'une collection de données isolées (expériences et souvenirs), notamment la toile sur laquelle elles sont rassemblées. Et vous trouverez par une introspection attentive que ce que vous entendez réellement par votre « moi » c'est le « substratum » sur lequel ces données sont fixées. Imaginez que vous vous déplaciez vers un pays lointain, que vous perdiez de vue tous vos amis, que vous arriviez presque à les oublier ; vous vous faites de nouveaux amis, vous partagez leur vie aussi intensément que vous l'avez jamais fait avec les anciens. Le fait que, tout en vivant une nouvelle vie, vous vous souveniez encore de l'ancienne, deviendrait de moins en moins important. Vous pourriez arriver à parler du « jeune homme que j'étais », à la troisième personne ; le héros du roman que vous seriez en train de lire serait probablement plus proche de votre coeur et certainement plus intensément vivant et mieux connu de vous. Et pourtant il n'y aurait eu ni solution de continuité [1], ni mort. Et même si un hypnotiseur habile réussissait à vous affranchir entièrement de toutes vos réminiscences [2] antérieures, vous ne penseriez pas qu'il vous aurait tué. En aucun cas, il n'y aurait à déplorer la perte d'une existence personnelle. Et il n'y en aura jamais".

 

Erwin Schrödinger, Qu'est-ce que la vie ?, 1944, tr. L. Keffler, Paris, Points Seuil, 1993, p. 207-208.


[1] Solution de continuité : interruption.

[2] Réminiscence : rappel à la mémoire d'un souvenir, sans que ce souvenir soit reconnu comme tel.


Question d’interprétation philosophique: Pourquoi peut-on affirmer avec Erwin Schrodinger  que nous trouverons notre moi quand nous réaliserons qu’il n’est rien de nos expériences présentes qui puisse tuer notre moi passé? 






Sujet 2:


Tu dois retrouver le ton juste ou alors tu n'es pas une comédienne, tu es une tricheuse. Personne ne te le donnera que toi-même. Elvire est dans un état qui est si fort intérieurement, c'est si plein d'amour intérieurement qu'elle est quasiment inconsciente de ce qu'elle dit. C'est une somnambule qui entre. Or ta marche d'entrée est une marche consciente déjà, on sent que tu entres volontairement. Tout ce que tu dis là-dedans est conscient d'un bout à l'autre. Tu donnes l'inverse de ce qu'est le morceau, c'est-à-dire une conscience constante, une politesse mondaine, avec l'accentuation de certains mots. Ça fait discours du directeur de conscience à sa pénitente, alors que le morceau est le contraire: ce morceau est étonnant, stupéfiant parce que cette femme se met tout à coup à parler sur un ton, avec une éloquence, dans un style ravissant qui jaillit d'elle inconsciemment. Tu nous donnes, toi, l'impression d'expliquer ce que tu dis, de le détailler. (…) Tu n'es pas arrivée à cet état qui te donnera l'égarement, l'inconscience de ce que tu dis, qui par conséquent te donnera cet état céleste dont je te parlais tout à l'heure, ce ton prophétique qui est stupéfiant. C'est ce que tu n'as pas là-dedans. Même tes gestes sont les gestes que tu fais quand tu veux les faire. Quand tu fais un geste ton corps suit le geste, c'est tout toi qui participe à ce geste, alors que les gestes d'Elvire sont des gestes inconscients, ce sont des gestes d'extatique, c'est quelqu'un qui est dans un état d’extase.(…) « Rien au monde ne m'a été si cher que vous »: quand tu dis ça, tu le dis avec une conscience, avec un sens de ce que tu dis qui est le contraire du morceau. La femme qui dit ça ne s'entend pas, c'est de l'égarement absolu, elle ne s'entend pas, il ne faut pas que la comédienne s'entende dire ça.


 Elvire Jouvet 40 - Brigitte Jacque-Wagerman (1986)  - Cours de Louis Jouvet 1940


 Essai philosophique:  Peut-on jouer des sentiments?





A titre informatif, il peut être utile de connaître la scène que Louis Jouvet fait répéter ici à son élève.  Cette pièce: Elvire Jouvet 40  a été écrite  à partir des cours sténographiés de Louis Jouvet en 1940.  Il fait travailler à Claudia, élève au conservatoire cette scène réputée injouable du dernier acte de Dom Juan de Molière:

 Elvire: « Ne soyez point surpris, Dom Juan, de me voir à cette heure et dans cet équipage. C'est un motif pressant qui m'oblige à cette visite, et ce que j'ai à vous dire ne veut point du tout de retardement. Je ne viens point ici pleine de ce courroux que j'ai tantôt fait éclater, et vous me voyez bien changée de ce que j'étais ce matin. Ce n'est plus cette Elvire qui faisait des vœux contre vous, et dont l'âme irritée ne jetait que menaces et ne respirait que vengeance. Le Ciel a banni de mon âme toutes ces indignes ardeurs que je sentais pour vous, tous ces transports tumultueux d'un attachement criminel, tous ces honteux emportements d'un amour terrestre et grossier; et il n'a laissé dans mon cœur pour vous qu'une flamme épurée de tout le commerce des sens, une tendresse toute sainte, un amour détaché de tout, qui n'agit point pour soi, et ne se met en peine que de votre intérêt.

C'est ce parfait et pur amour qui me conduit ici pour votre bien, pour vous faire part d’un avis du Ciel, et tâcher de vous retirer du précipice où vous courez. Oui, Dom Juan, je sais tous les dérèglements de votre vie, et ce même Ciel, qui m'a touché le cœur et fait jeter les yeux sur les égarements de ma conduite, m'a inspiré de vous venir trouver et de vous dire de sa part, que vos offenses ont épuisé sa miséricorde, que sa colère redoutable est prête dé tomber sur vous, qu'il est en vous de l'éviter par un prompt repentir, et que peut-être vous n'avez pas encore un jour à vous pouvoir soustraire au plus grand de tous les malheurs. 


Pour moi, je ne tiens plus à vous par aucun attachement du monde; je suis revenue, grâce au Ciel, de toutes mes folles pensées; ma retraite est résolue, et je ne demande qu'assez de vie pour pouvoir expier la faute que j'ai faite, et mériter, par une austère pénitence, le pardon de l'aveuglement où m'ont plongée les transports d'une passion condamnable. Mais, dans cette retraite, j'aurais une douleur extrême qu'une personne que j'ai chérie tendrement devînt un exemple funeste de la justice du Ciel; et ce me sera une joie incroyable si je puis vous porter à détourner de dessus votre tête l'épouvantable coup qui vous menace. De grâce, Dom Juan, accordez moi, pour dernière faveur, cette douce consolation; ne me refusez point votre salut, que je vous demande avec larmes, et si vous n'êtes point touché de votre intérêt, soyez-le au moins de mes prières, et m'épargnez le cruel déplaisir de vous voir condamner à des supplices éternels.

Je vous ai aimé avec une tendresse extrême, rien au monde ne m’a été si cher que vous; j’ ai oublié mon devoir pour vous, j'ai fait toutes choses pour vous; et toute la récompense que je vous en demande, c'est de corriger votre vie, et de prévenir votre perte. Sauvez-vous, je vous prie, ou pour l'amour de vous, ou pour l'amour de moi. Encore une fois, Dom Juan, je vous le demande avec larmes; et si ce n'est assez des larmes d'une personne que vous avez aimée, je vous en conjure par tout ce qui est le plus capable de vous toucher.

 Je m'en vais, après ce discours, et voilà tout ce que j'avais à vous dire. »


Dans cette vidéo, le metteur en scène Steve Kalka dirige l'une de ses actrices sur la même scène et finalement le fond de ces indications est exactement le même que celui de Louis Jouvet dans une version plus moderne. On prend directement la mesure  de l’assimilation de la scène par la comédienne au fil des répétitions.










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