mardi 5 décembre 2023

Terminales 2 / 3: Méthodologie du 3e sujet (baccalauréat)

 


  1. Pourquoi choisir le 3e sujet?

La différence de méthodologie entre une dissertation et une explication est suffisamment évidente et forte pour que le choix du 3e sujet s’effectue sur la base de plusieurs critères, nous allons en énumérer 3:

a) Réaliser l’unité du texte: les lignes que vous lirez pour le sujet 3 constituent un extrait d’une oeuvre, ce qui signifie qu’elles ont été découpées, retirées d’un ensemble comme composant elles-mêmes UN ensemble. S’il y a devant vous UN texte, c’est qu’il y a dans toutes ces phrases UNE thèse que l’auteur défend, une seule. Cela veut dire que si au terme de trois ou quatre lectures, vous ne parvenez pas à distinguer un sens, une idée qui se dégage de la totalité du passage, il vaut mieux choisir un autre sujet. (Cette unité prévaut sur toute autre considération, notamment de connaissance de l’auteur: il est parfaitement envisageable de choir un texte même si c’est la première fois que vous entendez parler de l’auteur)

b) Avant toute chose, il faut bien comprendre ce qu’expliquer veut dire, notamment en le distinguant d’autres façons de se reporter à un texte: interpréter, comprendre, commenter. Expliquer veut dire quelque chose de précis:

- Pas interpréter: il n’est pas question de donner votre version du texte, ce que VOUS vous y verriez. Comme la dissertation il n’est pas question de dire « moi j’y vois ça et ça, et ça ». Ce n’est pas un exercice dans lequel votre subjectivité entre en compte. Il est néanmoins évident que certaines ou certains y verront en fonction de leur assimilation du cours, de leur sensibilité ou des références dont elles et ils disposent plus ou moins de recoupements possibles, d’oppositions, d’approfondissement ou de prolongements. Ce sera précisément ça que la note évaluera, mais vous ne devez pas y penser VOUS. Il est question d’expliquer donc d’exprimer ce que le texte veut dire, avec le plus d’objectivité dont vous êtes capable (que cette objectivité soit possible ou pas est une autre affaire)

- Pas comprendre: il ne faut pas se dire que l’on peut choisir le 3e sujet parce que l’on a compris le texte. Cela peut paraître surprenant mais il est courant que des élèves produisent une mauvaise explication d’un texte précisément parce qu’ils ou elles l’ont compris. Cela peut être expliqué par une remarque de pure étymologie et la différence qu’il y a en latin entre le cum de comprendre (cum prendere, « prendre ensemble ») et le ex de expliquer (ex plicare: démêler les plis). Si l’on comprend le texte on le résume, on le synthétise, on le globalise comme un ensemble (ce qu’il est en un sens, évidemment) mais expliquer signifie en quelque sorte le déplier comme une feuille chiffonnée qu’il faudrait aplatir, lisser. On peut reprendre ici une très belle image de Proust qui décrivant le mouvement de déploiement du souvenir involontaire évoque ces fleurs japonaises qui une fois plongées dans l’eau se déplient entièrement. C’est cela expliquer, donc en un sens le contraire même de comprendre (compacter)


- Pas commenter: commenter et expliquer se différencient en ceci que les deux verbes n’éclairent pas le texte de la même façon. On pourrait même dire « pas du même côté ». Ici encore l’étymologie est éclairante. Commenter vient du latin cum (avec)  et mentis (esprit). Autrement dit il s’agit de rédiger ce qui vous vient à l’esprit en même temps que vous lisez le texte, de quelles pensées la lecture du texte est-elle l’occasion? Le « souci » du texte n’est pas le le même que celui de l’explication dont on peut dire qu’il est entièrement et exclusivement occupé, polarisé sur le texte, dans le texte. Si nous comparions le texte à la surface d’un torrent, on pourrait situer le commentaire comme ce qui se tient SUR cette surface alors que l’explication est DESSOUS, dans le lit de la rivière. Dans l’explication il est vraiment question de rendre compte de ce qui justifie que ce texte SOIT.

c) Le dernier critère de sélection du 3e sujet est décisif. Votre correcteur.trice se rendra très vite compte de votre acquisition de la méthodologie à la longueur de votre copie. Cela ne veut pas dire qu’il faut remplir gratuitement de la copie, mais plutôt qu’une explication est un exercice long qui justifie que vous y passiez 4h, comme une dissertation. Cela signifie que tout texte contient une densité philosophique forte. Pensez vous avoir relevé dans ce passage suffisamment de références et de notions pour un travail de 4h? Le texte défend une thèse concernant un problème et il convient non seulement de détecter ce problème mais d’avoir en tête d’autres auteurs défendant une autre thèse sur ce même sujet


  1. Utiliser le brouillon

Ce dernier point peut constituer l’une des premières choses à consigner dans votre brouillon: toutes les références et les auteurs auxquels le texte se rapporte

L’idée essentielle du passage constitue le moment crucial de l’introduction qu’il vous faudra rédiger. Il convient donc de lui apporter un soin particulier. Si vous avez choisi le texte, c’est qu’il vous semble défendre une affirmation UNE: quelle est elle? Tout texte philosophique est une machine à convaincre, à déployer des raisons en vue de rallier le lecteur à une idée. Quelle est-elle? Attention: une idée essentielle est nécessairement claire et précise. Cela peut prendre plusieurs lignes voire plusieurs phrases, mais en aucun cas un mot ou une notion. Il faut se servir du brouillon pour la formuler.

Enfin le brouillon peut être employé en vue de décrire les parties du texte, ce qui revient à démonter cette machine à convaincre qu’est un texte. Divisez le texte en plusieurs parties et donnez un titre plus ou moins long à chaque partie.

Compte tenu de la difficulté propre à tout texte de philosophie (c’est comme un sujet: s’il était simple, il ne serait pas là), vous devez en démêler les plis ce qui veut dire qu’il est plissé, compliqué. C’est cette complication qu’il faut « explicare ». Il y a donc forcément des passages difficiles.  Le brouillon peut être le moment et l’endroit à l’intérieur duquel vous abordez cette difficulté, les passages vraiment  confus selon vous. Pour les dénouer, il est une considération fondamentale à prendre en compte, qui dépend encore une fois de votre façon de l’aborder. Si vous l’avez « bien » choisi, cela signifie que vous avez perçu l’unité du texte, et de fait, cette unité est forcément « là ». Par conséquent l’auteur veut nous convaincre d’une thèse et seulement d’UNE thèse. Il est donc possible de référer le passage difficile à cette thèse et de l’appréhender en partant du principe qu’il consiste nécessairement à la fin des fins à poser cette thèse là. Cela devrait provoquer un effet éclairant dont il faut recueillir le produit dans votre brouillon.



  1. L’introduction

Toute introduction se construit selon le schéma suivant: thème / thèse /problématique / enjeu :

a)  Thème et thèse:  Vous avez déjà formulé la thèse, c’est-à-dire l’idée essentielle du texte. Pour rédiger le thème, il convient d’ « élargir la focale », de se demander sur le fond de quel arrière plan la netteté de l’idée essentielle peut se distinguer, se détacher. Autant l’idée essentielle est une et elle est à découvrir (pas à inventer), autant le thème peut être varié. Il peut consister dans une perspective du texte qui vous semble partagé par l’opinion courante ne serait-ce que dans son évocation. Lorsque vous formulerez la thèse (donc en un second temps) vous pourrez commencer par un adverbe de lieu: « Ici l’auteur…. ». C’est le « Ici » qui est important. Pour trouver le thème (qui dans votre copie apparaîtra AVANT la thèse), il suffit de vous demander par rapport à quel plan large le texte peut être considéré comme un « Ici ». Le thème est un plan large, la thèse est le plan resserré, précis, net. En d’autres termes, le thème est en second plan (même s’il est évoqué avant), la thèse est au premier plan. En tout état de cause, il est impossible de commencer votre introduction par « ce texte traite » ou « dans ce texte ». Il n’y a pas encore de texte. Il n’apparaîtra qu’à partir du « ici » .

b) Problématique: la problématique dans le 3e sujet ne désigne pas du tout la même chose que pour les sujets 1 et 2, évidemment. La problématique désigne le questionnement dont le texte est le traitement. Aucun philosophe ne peut écrire sans être pris dans le suspens d’une question. Le texte lui-même est pris, contenu  dans ce point d’interrogation, mais quelle est la question qui du début jusqu’à la fin travaille le texte en profondeur (Attention la problématique d’un texte n’est pas sa thèse, elle est ce à partir de quoi la thèse prend tout son sens et finalement justifie son existence de texte).

c) L’enjeu désigne ce qui se joue dans le texte, non pas tant de quoi il est question que ce que ce qui s’y décide de vraiment déterminant, fondamental, grave. Ici encore il peut exister différentes appréciations de l’enjeu mais il convient quand même de ne pas s’égarer en allant trop loin. 


  1. Au fil du texte

Dans un petit paragraphe de 5 à 10 lignes, il convient alors de décrire le mouvement suivi par le texte, son ordre de déploiement, pour répondre la métaphore Proustienne de la fleur japonaise.  Tout texte est un tapis roulant qui vous conduit d’un point à un autre ou du moins qui essaie de le faire. Le premier point est « là ou se trouve le lecteur (ce qu’il pense) et le second point est là où l’auteur est parvenu (ou pas) à le déplacer, à le conduire. Ce qu’il faut décrire ici c’est le mécanisme de ce tapis: comment l’auteur ordonne-t-il son texte pour vous amener au second point?

L’explication philosophique est linéaire, pas thématique, ce qui signifie que votre développement doit suivre le texte. Il n’y a pas vraiment de problème de plan. Ce que vous avez mis à jour dans le petit paragraphe juste après votre introduction décrit le plan. Combien de moments avez vous relevé dans le texte? La réponse vous donne le nombre de parties (pas celui de paragraphes).




« Linéaire » signifie bien que l’on doit expliquer le texte « LIGNE APRÈS LIGNE », sans se presser, sans synthétiser, sans résumer et sans éluder (c’est-à-dire sans zapper ce que l’on ne comprendrait pas). Pour vraiment saisir de quoi il est question ici, nous pouvons utiliser une comparaison avec Frankenstein et surtout avec son monstre. Le docteur Frankenstein recueille des morceaux de corps pour constituer son « golem », son « homme », puis il lui insuffle la vie par un courant électrique qui permettra au monstre de s’éveiller et de constituer un corps. Expliquer un texte suppose que l’on se situe déjà à l’équivalent de l’étape à partir de laquelle le texte est vivant. Cela veut dire qu’aucun phrase ne doit être expliqué comme un membre détaché du monstre de Frankenstein. L’influx, c’est le SENS, et c’est ce qu’il ne vous fait jamais perdre de vue. Pour être clair, cela signifie que JAMAIS, il n’est question d’expliquer une phrase isolément, ni un cadavre privé de vie. C’est toujours un être vivant qu’on explique, qu’on restitue dans cela même qui lui donne vie, à savoir son SENS. On n'attend pas de vous une autopsie, ni une anesthésie mais plutôt un acte de  réalisation synesthésique.

Entre les phrases circulent sans cesse des échos, des résonances, plus ou moins évidentes, mais parfois vraiment cachées, dissimulées, à peine suggérées.  Notre travail consiste donc à amener à la lumière de l’explicite de l’implicite. Il faut SUR-exposer ce que l’auteur SOUS-entend

Démêler est exactement la même chose que lisser une feuille de passer froissée: aller au bout de cette image vous donne le secret de la raison pour laquelle une explication est nécessairement plus longue (le triple, voire le quadruple, le quintuple) que toutes les lignes qui composent le texte. Mais cette longueur ne peut pas être vide, ennuyeuse. Elle traduit finalement davantage la lenteur d’une pensée qui ne laisse rien passer. Il n’est pas du tout question d’exposer ce que vous pensez du texte, mais plutôt ce que c’est que « penser ce texte », et seulement lui, mais aussi TOUT lui. Le secret d’une explication réussie est l’aptitude à saisir toute la fluidité d’une démonstration, ce qui fait que, comme le dit l’expression, « ça tombe sous le sens », ça suit le cours lent paisible et régulier d’un sens et ce sens forcément a sa logique qui peut être LA logique, mais aussi l’illustration, la comparaison, la prise à témoin, l’opposition polémique, etc.

L’attention que l’on porte aux connecteurs logiques est décisive pour comprendre cette fluidité, c’est-à-dire la façon dont s’enchaînent les moments. Il convient de constamment situer son explication entre deux écueils contre lesquels il serait très dommageable de se fracasser:

- L’éloignement par rapport au texte, c’est-à-dire le fait de prendre prétexte de tel ou tel passage ou référence du texte pour vous aventurer loin, trop loin dans son exploration totalement en marge de ce sens qui est le fil rouge du texte ET de votre copie. Rien ne doit vous distraire du fil que l’auteur a suivi. Tous les passages n’amènent qu’à ce que dont il veut nous convaincre. Il peut emprunter des chemins détournés pour y parvenir mais nous ne devons pas nous laisser séduire par ces fausses pistes. Quoi qu’il avance, affirme, cela va nécessairement dans UN sens et UN seul.

- La paraphrase: ce point est crucial. Il existe une prise de risque nécessaire dans toute explication. On relève très vite les copies qui finalement font semblant de partir pour le grand large de l’explication mais qui en fait reste amarré au port, c’est-à-dire à la lettre du texte. C’est complètement plat, ça ne s’élève pas et ça n’explique rien. On a pris le texte par peur d’avoir à faire de la philosophie. Il faut donc au contraire, tenter quelque chose, oser la clarté et rien n’est plus efficace que de se positionner en tant qu’éclaireur du texte dans tous les sens du terme: celui qui rend clair et celui qui est allé voir avant le gros de la troupe. On peut faire comme si on expliquait le texte à une personne étrangère, voire à un enfant, mais à un enfant un peu spécial.




La référence à l’enfance est vraiment profonde car il y a quelque chose de l’enfant qui est lié consubstantiellement à la philosophie. Les philosophes retrouvent en effet une forme de naïveté, un premier cri dans leurs grands textes. Tout texte est traversé par un « cri », et c’est particulièrement vrai de celui de Descola. Il ne faut pas se laisser dissuader par tout le vocabulaire de l’auteur (qui de toute façon sera expliqué par une note s'il est trop ésotérique), par ses formules peut-être alambiquées, par son style. En réalité, il est impossible de faire de la philosophie sans « dévoiler », ce qui signifie dépouiller, faire un travail de dépouillement jusqu’à ce qu’un cri résonne, quelque chose de brut.  Nous pouvons même parfois être déconcerté par la naïveté brute d’un auteur: " ce n’est pas possible! Ce n’est quand même pas ça qu’il veut dire!" Par exemple dans le texte de Barthes, on peut être un peu effrayé.e par l’expression « tricher la langue », ne pas vouloir comprendre jusqu’où cette expression peut aller (par respect de la langue). On apprécie la philosophie si on apprécie cette capacité qu’ont les enfants à voir ce que leurs parents font semblant d’ignorer (par exemple, il y a quelque chose de cette enfance là chez Freud)

Enfin les références à d’autres auteurs sont autorisées, voire souhaitées, gravement souhaitées dès lors qu’elles éclairent le texte et il convient de ne citer de ces auteurs extérieurs que ce qui concerne la pensée de cet auteur LA et ICI. 




  1. Conclusion

La conclusion se compose de deux moments:

- On récapitule le mouvement suivi par l’auteur dans le texte, le paysage traversé, comme un trajet effectué sur une carte.

- On revient sur l’enjeu évoqué à la fin de l’introduction mais sans faire ‘ouverture vers d’autres questions ou notions. Qu’est-ce que la lecture de ce texte apporte et pas à la philosophie mais aux humains. Cela peut vous sembler un peu « haut » ou grandiloquent comme perspective, mais si on y réfléchit, aucune philosophe n’aurait finalement pris la plume juste comme ça. Il y a nécessairement un enjeu lourd dans tout texte. Il ne faut pas écrire: « ce que ce texte apporte aux hommes, c’est…», mais plutôt préciser pourquoi cet enjeu est comme un défi que l’auteur a relevé, ou pas. Sans utiliser le « Je » ou le « Je pense que.. », rien ne vous empêche en effet de prendre parti, notamment en vous appuyant sur un autre auteur dont vous pensez qu’il a mieux relevé le défi de l’enjeu que celui-ci. Évidemment cette prise de position devra être argumentée.





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