jeudi 30 mai 2024

Sujet bac HLP: texte de Hannah Arendt


 En face d’événements ou de conditions sociales révoltantes, il est terriblement tentant d’avoir recours à la violence, du fait de sa promptitude et de son immédiateté propre. Agir avec une rapidité délibérée, c’est aller en fait contre les caractéristiques naturelles de la fureur et de la violence, mais cela ne les rend pas irrationnelles. Au contraire, on peut se trouver, dans la vie publique comme dans la vie privée, en face de situations où la rapidité même d’un acte violent peut constituer la seule réponse appropriée. Ce n’est pas la décharge affective qui importe en ces cas, et que l’on aurait pu tout aussi bien obtenir en frappant sur la table ou en faisant claquer la porte. L’important est qu’en certaines circonstances, la violence – l’acte accompli sans raisonner, sans parler, sans réfléchir aux conséquences – devient l’unique façon de rééquilibrer les plateaux de la justice. [...] Dans ce cas, la fureur, et la violence dont elle s’accompagne parfois – mais pas toujours -, font partie des émotions humaines « naturelles », et vouloir en guérir l’homme n’aboutirait qu’à le déshumaniser ou le déviriliser. Il est indéniable que des actes de cette espèce, où des hommes s’arrogent le droit de se faire eux-mêmes justice, sont en opposition formelle avec les lois qui régissent les sociétés civilisées ; mais leur caractère anti-politique [...] ne signifie pas que ces actes soient « inhumains » ou « purement » émotifs.

        L’absence d’émotion n’est pas à l’origine de la rationalité, et ne peut la renforcer. Face à une « tragédie insupportable », le « détachement et la sérénité peuvent vraiment paraître terrifiants », c’est-à-dire lorsqu’ils ne sont pas le fruit du contrôle de soi, mais le résultat d’une évidente incompréhension. Pour réagir de façon raisonnable, il faut en premier lieu avoir été « touché par l’émotion » ; et ce qui s’oppose à l’ « émotionnel », ce n’est en aucune façon le « rationnel », quel que soit le sens du terme, mais bien l’insensibilité, qui est fréquemment un phénomène pathologique, ou encore la sentimentalité, qui représente une perversion du sentiment. La fureur et la violence ne deviennent irrationnelles qu’à l’instant où elles s’en prennent à des leurres."

        Hannah Arendt, "Sur la violence", 1971, in Du mensonge à la violence


Question d’interprétation philosophique: A quelles conditions peut-on légitimer l’usage de la violence?


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