5) La possibilité d’un plan
Nous sommes donc maintenant un peu plus à même de penser à des plans possibles, puisque nous mesurons la dimension problématique du sujet. Dans notre façon d’aborder la question du sujet, il va falloir se confronter directement à un présupposé que l’énoncé semble considérer comme acquis, alors qu’il ne l’est pas: celui de l’existence de la vérité. Le sujet porte sur « dire la vérité ». Mais il existe déjà dans cette simple formulation de nombreuses interprétations possibles de ce dire: s’agit-il de dire une vérité qui est déjà ou de faire advenir une vérité qui n’était pas avant qu’on la dise? Mais une fois « dite », cette vérité est-elle encore « vraie »? Ne serait-elle pas dénaturée et falsifiée par le fait d’être dite? Jusqu’à quel point pourrions nous aller dans ce discrédit de la vérité du dire? Est-ce que dire la vérité ne serait pas renoncer à l’idée même de vérité?
Toutes ces questions ont ce point commun de cibler le rapport entre le dire et l’être de la vérité de telle sorte que nous pouvons définir quatre possibilités et seulement quatre. C’est un signe de cohérence de plan lorsque le nombre de parties s’impose à nous de façon rigoureusement logique:
- Soit la vérité est et elle ne peut pas être dite
- Soit la vérité est et elle peut être dite
- Soit la vérité n’est pas, et elle ne peut pas être dite (on dira alors n’importe quoi!)
- Soit la vérité n’est pas et elle ne peut être que dite (elle est alors un pur effet de surface du dire ou de la parole)
Nous disposons ainsi d’un cadre à l’intérieur duquel toutes les références, dimensions et réflexions déjà envisagées et perçues peuvent trouver une place:
1) La vérité « EST » mais ne peut pas "être dite »
a) La vérité interdite
Dans le film Festen (1998) de Thomas Vintenberg, Christian va profiter d’une très protocolaire fête familiale à savoir l’anniversaire de son père Helge, membre respecté de la très haute bourgeoise danoise, pour révéler à plus d’une cinquantaine d’invités un secret de famille particulièrement détonnant. Le film décrit dans un premier temps la façon dont vont se mettre en place toute une gamme de stratégies d’étouffement et de dissimulation visant à discréditer l’empêcheur de festoyer en rond. Le film questionne la puissance de la vérité, c’est-à-dire la capacité de diffusion dans les esprits dont elle peut bénéficier dans un contexte social très défavorable. Helge n’invite pas seulement sa famille mais ses amis proches, ses relations d’affaire, bref tout ce qui a participé à son élévation dans la haute société, avec ce que cela suppose de vieux fond de tradition raciste, patriarcale, politique, familiale. Evidemment cette vérité (je ne vous dis pas laquelle pour que vous regardiez le film) a de quoi secouer un tel cocotier, mais l’utilisation de cette référence ne pourra vraiment faire gagner des poins à l’argumentation qu’à la condition de s’orienter vers la question de savoir si toute vérité ne serait pas structurellement anti-sociale, anti familiale, comme si finalement la condition même d’existence de toute société humaine était que la vérité y soit interdite.
Evidemment cette entrée en matière peut encore gagner en puissance dés lors qu’on la rapproche de tout ce que Freud a développé à partir du complexe d’oedipe, à savoir que toute famille en réalité repose structurellement sur l’interdit de ce désir originel de l’enfant pour l’un des parents. Il est également possible d’évoquer ici les travaux de Claude Lévi-Strauss sur l’exogamie (le fait d’aller chercher sa femme ailleurs que dans le cercle familial). Dés lors que ‘lon sait que la famille est fondée sur un interdit et que la famille est précisément l’unité à partir de laquelle se constitue une société exogame, on réalise, comme le dit Lévi-Strauss que l’interdiction de l’inceste est l’interdit culturel par excellence à savoir celui sur lequel se fonde la culture elle-même. Il existe donc une vérité première sur la dissimulation de laquelle la culture est fondée, c’est celle du désir incestueux. On ne peut pas dire la vérité. Le fim Festen décrit évidemment tout ce qui peut dés lors se constituer en termes d’abjection, de non dit, de dommages psychologiques, voire pire dans l’ombre de cette vérité interdite. Nous devons absolument en prendre conscience et réaliser aussi ce que cette vérité recèle de puissance traumatique si elle n’est pas révélée, et aussi si elle l’est. L’étymologie de l’inter/diction est ici cruciale. Interdire c’est finalement dire entre, inter-dicere On crée de l’entre-dicible par l’interdit comme si, grâce à la chose non dicible s’ouvrait le champ de tout ce que l’on peut sans peur ni tabou échanger en bonne intelligence, sans craindre de choquer ou de faire scandale. On ne peut pas dire la vérité, mais elle s’entre-dit dans et par l’inter- diction (inter-dicere). L’inter-esse nécessiterait alors de l’inter-dicere.
Transition: Oedipe est bien la figure mythologique qui porte sur ses épaules le poids de cet interdit, mais dans le dialogue avec Tiresias c’est une autre dimension de la vérité qui se révèle, non pas tant celle de l’interdit que celle du mal dit, du maudit, de la malé/diction. Oedipe est victime de la distorsion entre la vérité qu’il dit (énigme de la sphinge) et la vérité qu’il est (maudit, mal dit). Il ne voit pas l’évidence de ce qu’il est: parricide et incestueux, alors que Tirésias, lui, la voit et l’a révélée sur son berceau. Ce sont bien la vérité au sens 2 (correspondance fait/discours) et la vérité au sens 4 (aléthéia) qui ici s’affrontent. Il une vérité qui s’impose par son être, par son dévoilement brut, factuel avec une telle évidence qu’aucun mot ne peut se porter à sa hauteur, à son degré de justesse parce que tout simplement c’est comme ça!
b) la vérité indicible
Pour en donner une idée, nous pouvons songer à la vérité du vécu par un prisonnier des camps de la déshumanisation dont il a été victime. Non seulement l’intensité de la souffrance endurée ne semble pas pouvoir être restituée par des mots mails il est même quelque chose du commun des noms communs qui ici nécessairement rate son objectif tout simplement parce qu’il n’est rien de normatif, de normalisant qui puisse rendre compte d’une expérience aussi extrême, aussi immonde au sens littéral: hors du monde.
Mais ici encore il faut élargir le champ d’un tel questionnement: n’est-ce pas toujours le cas, en fait? N’existe-t-il pas dans le caractère brut de tout fait, quelle que soit sa nature, du non restituable par les termes d’une langue?
« Ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont de personnel, d’originellement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces; et fascinés par l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes. »
Henri Bergson Le rire P117-118
Le philosophe Henri Bergson souligne ici l’effet le plus immédiat de toute expression linguistique d’un état d’âme. C’est d’ailleurs une des conséquences directes de tout ce que Freud a mis à jour par l’observation du jeu de son petit fils. L’enfant symbolise par le jeu l’expérience d’une perte qu’il va certes pouvoir exprimer mais telle qu’elle n’est pas car il est vraiment douteux que ce sentiment d’abandon soit entièrement traduit par ce simple jeu de Disparition/ Réapparition et encore moins par l’acquisition du fort et du da. C’est bien là le propre de toute symbolique que de faire signe d’une chose par une toute autre chose. Le lion est symbole du courage mais il n’est pas le courage, il en fait simplement signe. De même l’absence de la mère n’est pas la disparition d’une bobine. Nous pouvons exprimer un ressenti mais par le biais d’une séquence de sons articulés qui se feront comprendre à une autre personne comme identique à la sienne, ce qui ne saurait être la vérité stricte pour de multiples raisons comme la nature irréductible de l’intensité d’une émotion d’un être à l’autre. Nous faisons ainsi semblant de nous entendre sur ce qui nécessairement nous dissocie. Nous pouvons retenir la vérité au sens 3 et 4 du terme mais nous ne pouvons pas la dire et si nous la disions, nous la raterions, nous la dénaturerions.
Transition: Cette impossibilité de dire la vérité d’une situation ou d’un sentiment s’explique par la nature de la vérité visée et nous mesurons bien à quel point la vérité du dévoilement tel qu’elle se manifeste dans toute la brutalité d’une situation donnée se dérobe à tout type de discours ou de proposition, mais qu’en est-il pour une vérité plus rationnelle, voire scientifique?
c) La vérité approchée
Dire la vérité, c’est justement de ne pas revendiquer cet objectif que se définit, selon Karl Popper, toute proposition scientifique. Le caractère scientifique d’une proposition se distingue du discours religieux, politique, idéologique, philosophique en ceci qu’il se prête à la réfutation, qu’il en prend formellement et expérimentalement le risque. C’est ce que Popper appelle la falsification (comprendre « la réfutabilité »). Un chercheur émet une hypothèse qui sera passée à l’épreuve des faits. Mais l’expérimentation réussie fondera-t-elle pour autant la vérité de l’hypothèse examinée? Non dans la mesure où celle-ci ne peut pas être effectuée ailleurs ni à un autre moment qu’un certain point de l’espace et à un certain moment du temps. Aucune expérience ne saurait revêtir une valeur universelle et immuable.
Cela signifie que toute la justesse d’une hypothèse vient de ceci qu’elle se situe dans une zone entre le toujours vérifiable et le non encore vérifié, sachant que la vérification définitive est absolument impossible. Une hypothèse scientifique est donc viable dans la mesure où les tentatives de sa falsification ont échoué mais elle ne saurait être vraie. C’est à cette proximité très forte avec une ligne de la vérité (que l’on pourrait assimiler à celle des abscisses pour une courbe asymptotique) que l’on frôle sans jamais se confondre avec elle que se reconnaît la science.
La vérité est la référence absolue et inconditionnelle de toute proposition scientifique, mais précisément, c’est le respect de cette norme absolue qui fait de tout énoncé scientifique quelque chose de relatif aux à aucun moment ne sombre dans ce dépassement ou dans ce processus d’auto référence de s’afficher en tant que vérité. Le souci d’universalité, de rigueur démonstrative et d’objectivité maintiennent à jamais la théorie scientifique dans l’infini de la proximité du vrai en tant que vérifié, mais comme précisément il n’existe pas d’expérience cruciale (fondant définitivement la vérité d’une hypothèse), aucune théorie scientifique jamais ne sera vraie (au sens 2 du terme). Hypo en grec signifie « en dessous ». En fait les propositions scientifiques sont scientifiques en ceci qu’elles ne dépassent jamais ce statut: elles ne sont qu’hypothétiques, ce qui ne les empêche pas d’atteindre un degré de probabilité très élevées parfois comme l’hypothèse du Big Bang ou du réchauffement climatique provoqué par l’être humain. Nous mesurions bien que cet écart irréductible vient de l’exigence même d’une discipline fondée sur la démonstration, sur un type de discours qui ne s’impose jamais gratuitement mais toujours à partir d’un énoncé transcriptible dans une expérimentation faisable et dont susceptible à tout instant de démentir l’hypothèse. La science ne dit donc pas la vérité, mais elle dit au sens propre, ce qui n’est pas faux, un peu comme le Perceval de Kamelott dans la série d’Alexandre Astier, même s’il y a plus dans ce « c’est pas faux! » scientifique.
Transition: Nous pouvons comprendre dans chacune des définitions de la vérité ici évoquées la cause même de leur inaccessibilité: la vérité est trop scandaleuse, puis trop « pure » ou ineffable. Elle est enfin trop universelle pour pouvoir être touchée, pratiquée, dite. Mais, pour reprendre au plus prés cette conception de la vérité indicible, comment pourrais-je me rendre compte que mes mots ne sont pas à la hauteur du sentiment ressenti si je ne savais pas que je le ressens, lui, et pas un autre et comment pourrais-je le savoir si le nom ne m’avait pas permis de le distinguer? Je ne peux peut-être pas dire la vérité de l’amour que j’éprouve mais comment serais-je averti de cette inadéquation entre le ressenti vécu de l’amour et le nom commun « amour » si de fait la maîtrise de ce mot ne m’avait pas permis de le distinguer d’autres types d’affections eux-mêmes baptisés par d’autres mots? Aimerions nous si le mot: « amour » n’existait pas? Abonderions dans le sens de ce mot si de fait la langue et le dire ne m’avaient pas permis d’en saisir la spécificité avec d’autres mots proches mais différents? L’indicible est-il autre chose qu’une chimère romantique que nous sommes inventé.e.s pour nous dissimuler à nous-même la nature purement linguistique de la vérité?
2) La vérité est et elle peut être dite
a) La vérité dite (Friedrich Hegel)
Nous avons vu que Henri Bergson décrit la dénaturation que les mots font subir notamment aux sentiments. Les signes de notre langue sont effectivement communs à tous les membres de la communauté linguistique à laquelle nous appartenons, de telle sorte que se dire « amoureux » par exemple revient immédiatement à partager avec la communauté une « impression » tout en éprouvant la certitude que cet affect n’est jamais exactement vécu de la même façon que cet autre membre de la dite communauté. Le philosophe évoque alors les romanciers et les poètes. Mais ces artistes ne disent pas eux aussi leur sentiment? N’est ce pas un mot qui point à l’extrémité de leur plume?
Il faut approfondir cette contradiction: comment pourrais-je savoir que je suis intérieurement affecté.e par ce sentiment sans en prendre conscience? Et comment en prendre conscience sans disposer toujours déjà des mots pour le dire? Si Bergson affirme que nous ne pouvons pas dire la vérité « pure » des sentiments que nous éprouvons, nous voyons mal de quel autre instrument que la langue nous pourrions disposer pour dire justement cette impossibilité à dire, de telle sorte que le philosophe français se contredit en un sens plus littéral plus qu’aucun autre: il se complaît dans « le contre » d’un dire qui justement n’est que cela, que l’ombre née d’un éclair de lumière qui est le mot lui-même.
En d’autres termes, s’il est vrai que le mot amour ne recouvre pas la spécificité pure de ce que j’éprouve, moi, en tant qu’individu, ce n’est pas parce qu’il y aurait dans mon intériorité une sorte de substrat indicible, d’amour ineffable au-delà de toute extériorisation, c’est au contraire, c’est parce que mes mots ne cessent de se chercher, de se perfectionner dans la beauté de tout ce dont une langue est capable. Le sentiment n’est pas au-delà de l’extériorisation linguistique, de sa pureté esthésique, sentie, il est un avorton « pas fini », un début de pensée que le burin des mots est en train de sculpter comme une statue en chantier.
Lorsque nous nous complaisons dans cette sorte de révérence hébétée envers l’ineffable en disant à notre interlocuteur.trice que « nous n’avons pas les mots », ou bien que nous « nous comprenons mais que nous ne savons pas comment le dire » ou bien encore « que notre émotion est trop intense pour pouvoir être exprimée », nous ne faisons en réalité qu’idolâtrer du vide absolu, qu’adorer le veau d’or de l’inanité et de la paresse à conduire jusqu’à son terme un travail d’expression qui va de pair avec une oeuvre d’authenticité constructive. Ce n’est pas que nous ressentons ce que nous ne parvenons pas à dire, c’est que nous démissionnons devant la seule tâche qui vaille et qui consiste à ressentir vraiment ce qui ne revêt d’authenticité qu’à se dire, dans l’exactitude même de ce dit. Il se pourrait même que ce soit exactement contraire de ce que nous entendons exprimer qui soit vrai à savoir que ce n’est pas parce que nous ressentons trop que nous ne pouvons pas en dire beaucoup, mais plutôt parce que nous ne ressentons pas assez que nous battons en retraite devant tâche d’avoir à dire. Peu d’auteurs sont allés aussi loin que Friedrich Hegel dans la destruction argumentée de l’ineffable:
La grande force de l’argumentation développée ici dans son livre: « phénoménologie de l’esprit », c’est probablement l’impossibilité totale dans laquelle nous nous trouvons dés lors que nous sommes mis en demeure de produire de la pensée sans mots. La vérité d’un sentiment est exclusivement dans la capacité que j’ai de l’exprimer, de l’extérioriser par des mots et il n’y en a pas d’autre.
Dans l’intériorité un sentiment n’est rien selon Hegel tout simplement parce qu’il n’est pas identifiable. Il n’a pas de matérialité, de forme. Il n’y a pas la « chose » sentiment, ou la chose « amour » qui par le mot passerait de l’intériorité à une forme consciente, extérieure (ne serait-ce qu’en me la formulant à moi-même). Il n’y a rien, tout simplement. Exprimer, vous s‘exprimer à soi-même le terme du sentiment ressenti, c’est déjà oeuvrer pour que ce sentiment soit. Ce qu’il y a c’est le mal exprimé de l’amour qui se trouve être aussi la forme embryonnaire de ‘l’amour qui gagne peut en petit en justesse et en authentification et qui devient ce qu’il est c’est-à-dire amour vrai ET exprimé, PARCE QU’ exprimé. C’est ainsi qu’il faut comprendre la phrase: « C'est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l'externe et l'interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est une tentative insensée. »
il n’y a pas de substance pure qui resterait inexprimable. Si ce n’est pas exprimable c’est tout simplement que cela n’est pas. Un amoureux hégélien n’affirmera jamais à la personne aimée qu’il l’aime plus qu’il ne saurait le dire, il aime exactement autant qu’il peut le dire et surtout se le dire, et c’est tout! Franz Anton Messmer (1734 - 1815) est un contemporain de Hegel qui croyait au magnétisme et qui a intéressé Hegel, plutôt en tant que contradicteur (mais pas que! Dans ce texte néanmoins il est cité comme contre exemple).
Pour Friedrich Hegel, il faut tenir ensemble la vérité vécue et la vérité dite de ce qui est perçu, éprouvé, pensé. C’est une question d’aboutissement du processus d’expression et aucunement une affaire de distinction de nature entre la vérité de cd qui est vécu et d’imperfection de l’outil linguistique qui est tout ce qu’il peut être et participe de la vérité vécue. Il est évident que nous nous perdons parfois dans un flux de mots qui ne parvient pas à maturité et tourne continuellement autour de la chose mais ce n’est aucunement à cause de la pureté de l’ineffable, ni à cause d’une imperfection qui tiendrait structurellement à l’instrument utilisé. C’est simplement que nous n’exerçons pas suffisamment notre pensée. En d’autres termes, il n’y a aucune raison de situer ce que nous vivons au-dessus de ce que nous pouvons en exprimer parce que ce que nous vivons et ce que nous en disons sont une seule et même chose dans l’authentification de laquelle nous sommes plus ou moins à même d’être en phase. L’effort pour exprimer est de même nature pour vivre authentiquement. Si je ne parviens pas à l’exprimer, c’est que je ne parviens pas à le penser, et cela signifie que je ne produis pas non plus suffisamment l’effort requis par la fait de le vivre dans sa vérité pleine et entière.
C’est exactement ce qui est dit à la fin du passage cité, et c’est ce qui nous intéresse la plus: « Si la vraie pensée est la chose même, le mot l'est aussi lorsqu'il est employé par la vraie pensée. Par conséquent, l'intelligence, en se remplissant de mots, se remplit aussi de la nature des choses »
Il faut vraiment comprendre ces deux phrases et les relier à la définition de la vérité que nous vous donné au sens 2: correspondance entre la chose et l’idée, ou entre le fait et la proposition conforme à ce fait. Je dis la vérité quand il pleut et quand je dis qu’il pleut. Nous percevons bien dans cette conception que la vérité tient dans un dit et qu’il y a correspondance entre la réalité physique et le discours tenu. Il y a la chose même: « il pleut » et la vraie pensée: « celle qui me dit qu’il pleut » Les mots par le biais desquels je me dis qu’il pleut sont donc vrais. Je dis donc exactement la vérité de la chose, du climat en l’occurrence quand je me dis par des mots justes l’énoncé selon lequel « il pleut ». La vérité c’est le dédoublement adéquat d’une réalité par un discours. On ne peut pas répondre plus résolument « Oui » à la question posée ici ( Il convient de bien se souvenir de cette conception hégélienne de la vérité dite lorsque nous aurons à la contrarier: en tant que « dédoublement » ou que « conformité » comment pourrait-elle être vraie?)
Transition: Peut-on dire la vérité telle qu’on la pense? Autant nous avons vu au tout début de notre réflexion que la réponse était « non » à cause de tout ce que la vérité pouvait supposer d’interdit, d’incorrect, d’indicible famillialement ou socialement, autant la perspective de Friedrich Hegel nous invite à affirmer le contra ire: on ne peut que dire la vérité qu’on pense parce que nous ne pouvons pas la penser sans la dire, sans nous la dire. C’est la pensée qui vient au premier plan de notre questionnement désormais et cela de façon assez évidente: comment dire la vérité sans la penser préalablement, sans la penser vraie d’abord. Avec Hegel nous avons mis en cause cette antériorité de l’acte de penser sur l’acte de dire/ Comment la penser sans se la dire d’abord, Mais peut-on la vivre autrement ou ailleurs que dans l’acte même de penser?
b) Vérité pensée et vérité pensante: le « je pense » (Descartes)
C’est précisément tout ce que les deux premières méditations de Descartes démontrent en suivant un raisonnement métaphysique extrêmement rigoureux. Il reprend ici dans le discours de la méthode le suivi de cette réflexion au terme de laquelle il réalise la première vérité sur laquelle il fondera toutes celles qui restent à venir:
« Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer. (...) Je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations (...) et me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songe. Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité: Je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. »
René Descartes (1596 - 1650) entreprend de passer le scepticisme de son époque au crible d’une démarche de doute systématique. On parle aussi de doute hyperbolique. Il s’agit pour lui de s’interroger le plus rigoureusement possible sur cette thèse défendue par tous les penseurs sceptiques de Pyrrhon jusqu’à Montaigne et qui consiste à montrer que l’on peut douter de tout ou plus exactement qu’il n’est pas une vérité supposée que l’on ne puisse remettre en cause. A cette thèse Descartes applique un esprit méthodique sans faille. Représentons nous les canaux habituels d’information à partir desquels nous avons l’habitude de poser la vérité d’une proposition, d’une idée et voyons si nous pouvons y insinuer ne serait-ce que l’ombre d’un doute.
- Pouvons nous douter du témoignages de nos sens (vue toucher, etc.)? Oui puisque parfois nous sommes victimes d’illusions sensibles. Donc rien de nos sens ne peut être posé comme vrai.
- Pouvons nous douter de nos raisonnements? Oui parce que nous ne sommes pas infaillibles. Nous pouvons d’ailleurs faire et refaire cent fois un raisonnement pour nous convaincre de sa fiabilité. Par conséquent nous suspendons aussi notre adhésion à nos raisonnements.
- Pouvons nous remettre en cause ce que nous pensons vivre en cet instant même? Oui parce que nous sommes peut-être en train de le rêver.
Mais alors que reste-t-il? Dans les méditations, Descartes va même jusqu’à envisager l’existence d’un malin génie qui, comme la matrice des machines dans Matrix, nous ferait croire à une vie qui serait une falsification énorme et rationnellement orchestrée. Mais la conclusion est la même que dans cet extrait. Je peux bien penser que tout est faux, jusqu’à ma propre existence. Encore faut-il que cette pensée que je conçois et selon laquelle je ne serai rien « soit », sans quoi il serait impossible que je la pense en ce moment même mais il ne fait absolument aucun doute que je la conçois. Je pense que je suis trompé sur absolument tout, mais il est impossible que je ne sois rien en pensant que je ne suis rien parce que je serai au moins cette pensée de n’être rien. Autrement dit il y a quelque chose de cette pensée: « je ne suis rien » qui se trouve absolument réfutée dans le fait même que je la pense, c’est que je la pense et que donc à ce titre, je ne peux absolument pas être rien. Je suis au moins la pensée de n’être rien, par quoi il faut bien que je sois « quelque chose ». Donc je suis une pensée, donc je suis.
Je ne peux dire autre chose que la vérité même quand je dis que je pense et que par conséquent je suis (même si je ne suis peut-être rien d’autre que la pensée de n’être rien). On peut tromper ma pensée sur ce qu’elle pense mais pas dans la certitude qu’elle existe en pensant (et cela quelle que soit le contenu de ce qu’elle pense). Je peux donc dire cette vérité là elle sera vraie toutes les fois que je la dirai ou concevrai dans mon esprit.
Je dis nécessairement la vérité quand je dis que pensant, j’existe. Dans les méditations métaphysiques (la seconde) la formulation de René Descartes est parfaitement claire:
« De sorte qu’après y avoir bien pensé et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin, il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition: je suis, j’existe est nécessairement vraie, toutes les fois que je la renonce ou que je la conçois dans mon esprit. »
Le terme « nécessairement » est peut-être le plus important ici: il revêt quelque chose d’à la fois implacable, logique et presque magique, en un sens, un peu comme un « sésame ouvre-toi! » mais logique, philosophique, métaphysique. Attention: rien ne serait plus faux que de situer ce raisonnement de Descartes dans la catégorie des écrits mystiques ou religieux. Ce n’est VRAIMENT pas le cas ici. D’ailleurs s’il fallait situer la définition du terme de vérité dont il est question ici, ce serait probablement le sens 2: correspondance entre ce qui est dit et ce qui est. Je dis la vérité parce que je dis que je suis par le fait de penser et que de fait en affirmant ou en pensant cela, nécessairement j’existe.
Ce que Descartes découvre est prodigieux: il existe bel et bien une démarche de pensée conduite, méthodique et tirs ordonnée au terme de laquelle je parviens à me poser moi-même en tant que sujet pensant et par là à accéder à une vérité que le scepticisme ne peut remettre en cause. Ce n’est même pas que je peux dire la vérité, c’est que je ne peux pas faire autrement parce que cet enchaînement de raisons est absolument nécessaire et pas contingent.
Evidemment deux siècles plus tard, plusieurs auteurs dont Nietzsche apporteront des arguments extrêmement puissants contre cette « vérité » mais elle n’en demeure pas moins un moment métaphysique originel, vertigineux, comme si tout être humain, en tant qu’être pensant réalisait d’un seul et même mouvement 1) qu’il existe 2) qu’il existe en tant que pensée et non en tant que corps (parce qu’après tout on peut rêver que l’on a un corps sans en avoir un: nous rêvons toutes et tous, de situations que nous ne vivons pas réellement - Dans Matrix, Néo n’a pas le même corps selon qu’il est dans la matrice ou hors d’elle) 3) qu’il dit la vérité quand il dit qu’il existe parce que tout simplement la proposition « je n’existe pas » n’a aucun sens, ni aucune exactitude. Je ne peux pas penser que je ne suis pas et ne pas être. Et même si je me tue, je vivrai tant que je penserai que je vis. Mon existence et la pensée d’exister cesseront en même temps. Croire que mon âme survivra à mon corps, c’est autre chose que de la philosophie et tout nous porte à croire que même à adhérer à cette « possibilité », ce ne serait pas du tout un mode d’existence à ce que nous entendons, nous humain.e.s vivants, par ce terme.
c) La parhésia (Michel Foucault)
Il est évidemment une objection à cette argumentation de Descartes consistant à poser que l’on peut être trompé.e en pensant que l’on est…tel ou tel. C’est ce que l’on appelle un trouble identitaire et la psychiatrie notamment décrit de nombreux cas. Mais cela repose sur un raisonnement faux qui manque d’attention à la thèse défendue par Descartes, car le philosophe français précise juste après le passage mentionné dans les secondes médiations qu’il ne sait pas en tant que quoi il est, autrement dit qu’à ce stade de son raisonnement la certitude ne porte nullement sur l’être qu’il est mais simplement sur le fait qu’il est, ce que l’on pourrait appeler l’expérience d’être. Il sait avec certitude qu’il est mais pas ce qu’il est. Il affirme même qu’il ne peut se définir à ce moment là qu’en tant que « chose » qui pense (et Nietzsche, en bon sceptique, montrera que même en disant simplement « chose » , il s’aventure trop loin, car, en fait, rien ne prouve que nous soyons une substance).
Nous n’avons pas du tout affaire ici à une vérité de type trois, au sens de sincérité ou d’authenticité. Descartes n’a pas raison parce qu’il est « persuadé » ou parce qu’il ne fait qu’un sincèrement avec sa proposition. C’est vrai parce que toute pensée, y compris celle de n’être rien suppose que l’on « est » quelque chose en la pensant. C’est une vérité au sens de correspondance avec une réalité et pas au sens d’une adhésion sans fard ni simulation. Evidemment Descartes ne fait pas semblant de penser cela mais ce n’est pas parce qu’il ne fait pas semblant qu’il dit ici la vérité? C’est la vérité parce que selon lui, il est impossible de suivre cette démarche du doute méthodique sans aboutir nécessairement à la conclusion qu’en tant qu’être pensent nous existons. C’est tout!
Mais cette autre définition peut aussi être prise en compte, en l’appuyant sur d’autres auteurs que Descartes. C’est ainsi que Michel Foucault, sans toutefois la défendre de façon inconditionnelle comme « vérité » (même pas du tout!) mentionne dans son cours sur « l’herméneutique du sujet » le type de discours que les orateurs grecs appelaient la « parhésia », c’est-à-dire le « dire vrai ».
« Ce dont il s’agit, s’est de montrer ce que j’éprouve plutôt que parler. Qu’est-ce que veut dire “montrer sa pensée plutôt que parler” ? [...] Il faut [...] manifester que ces pensées que l’on transmet ce sont précisément les pensées de celui qui les transmet. Ce sont les pensées de celui qui les exprime, et ce qu’il faut montrer, c’est non seulement que c’est ça, la vérité, mais il faut montrer que, moi qui parle, je suis celui qui estime que ces pensées sont effectivement vraies, je suis celui pour qui aussi elles sont vraies (…) il faut faire comprendre que moi effectivement j’éprouve comme vraies les choses que je dis…et non seulement que je les éprouve, que je les considère comme vraies, mais encore que je les aime, que j’y suis attaché et que toute ma vie est commandée par elles »
Il convient de faire preuve de rigueur ici, parce qu’en fait, il peut sembler qu’il existe un rapport entre la parhésia et la pensée de Descartes, celui de « l’auto-réalisation. ». Un être pensant (n’importe quel être pensant) réalise qu’il ne peut pas ne pas être en tant qu’il pense, aussi éventuellement trompé.e qu’il ou elle puisse être trompé.e parce qui est pensé. Mais en même temps, ce n’est pas du tout le même type d’auto-réalisation, mais pas du tout. Pourquoi?
Parce que dans la parhésia, il n’y a rien d‘autre que ce sentiment d’intégrité, die droiture, de totale adhésion à soi dans l’acte même de tenir telle ou telle proposition. Ce que je dis est vrai parce que j’y suis. Nous pourrions presque dire que la distinction est certes fine mais très nette aussi, parce qu’affirmer que « « je pense donc je suis » est une proposition vraie » n’est pas la même chose que soutenir que « ce que je pense est vrai parce que j’y suis ». Or c’est bien cette dernière position qui définit la parhésia: c’est vrai parce que j’y abonde, parce que je m’y retrouve parce que quelque chose de la droiture d’un cap s’exprime dans cette proposition à laquelle j’adhère de toutes les fibres de mon être. Ce n’est pas du tout une conception de la vérité à négliger, notamment parce que de fait elle disqualifie tout discours tordu, toutes ces propositions (que nous entendons beaucoup sur le net ou dans les médias aujourd’hui et au sujet desquelles nous nous disons: »ce n’est pas possible d’affirmer une telle chose et de pouvoir se considérer sans se mépriser, sans se défier de soi ». Les discours d’Hitler n’’étaient pas parhésiastiques » Parce que nous savons qu’il les préparait aussi pour manipuler les foules sans toujours adhérer à ce qu’il disait.La parhésia suppose l’impossibilité radicale de tout mensonge à soi, de toute mauvaise foi.
C’est donc bel et bien d’une vérité qu’il s’agit mais en même temps d’une exactitude qui ne tient pas, contrairement à la démarche de Descartes à une rigueur, à une nécessité métaphysique. La vérité de la parhésia tient à la possibilité qu’une personne puisse trouver dans une cause, dans un proposition, dans la défense d’une théorie une droiture, un ethos un être à soi sans faille ni torsion. Où Greta Thunberg peut-elle trouver cette légitimité à partir de laquelle elle interpelle les chefs d’état en détruisant le fondement de leur légalité: « Comment osez-vous? » Nulle part ailleurs que 1) dans la validité scientifique des chercheurs du GIEC 2) dans la parhésia de son implication, de la conviction qu’elle a d’être dans le vrai (et ce à juste raison). Il n’est pas exclu, comme le font remarquer le philosophe Bernard Stiegler et l’écrivain JMG Le Clézio, que cette parhésia dont fait preuve Greta Thunberg puisse être rapprochée de celle là même d’Antigone dans la pièce de Sophocle, dans la mesure où les deux adolescentes savent qu’elles disent la vérité tout en étant confrontées à l’arbitraire d’un droit légal (mais pas légitime). Donald Trump a raison (euh....Non!) en tant qu’il était élu (légalité) , Greta Thunberg en disant la vérité (légitimité).
"Parhésiatiquement" y'a pas photo...Enfin si! |
Dans la parhésia il s’agit de ne pas se retrancher de son discours, de l’investir de la vérité d’une implication totale, de faire comprendre que l’on est dans ce que l‘on dit, que l’on fait vibrer la proposition tenue de cette tonalité « pure » d’un être à soi sans distorsion, ni effet de manche, ni doute (c’est donc vraiment le contraire de Descartes de ce point de vue, celui du doute). On se tient droit dans cette proposition qu de ce fait y gagne une onde de choc révélatrice, une vérité « de parole ». C’est donc bel et bien une vérité « dite » qui tient tout uniment dans ce fait d’être dite, dans le « comment elle est est dite ». C’est exactement cette vérité qui est mise à mal par le déni, c’est-à-dire par ce type de discours qui nie une évidence de fait. Toute négation du réchauffement climatique repose sur du déni et exclue de fait son auteur.e de toute vérité parhésiastique.
Transition: Le plus grand obstacle contre la parhésia c’est que l’on peut être sincèrement abusé par une idéologie malhonnête ou par un mensonge (en fait on ne peut être abusé.e que sincèrement) et que du point de vue d’une vérité considérée au sens 1 et 2, l’adéquation de soi à soi dans une thèse « dite » ne suffit pas à la justifier. Pourtant la parhésia ne peut pas se tromper. Peut-être est-elle précisément la réponse positive la plus fondée à la question du sujet. Mais il faut consentir à l’idée selon laquelle chacun.e de nous serait nécessairement en phase avec une conception pure et donnée de la vérité, laquelle consisterait plutôt dans la vérité au sens 4 (alétheia). Il faudrait poser, par exemple, que nous savons parfaitement que nous nous mentons à nous-mêmes lorsque nous faisons semblant d’être convaincu.e par une thèse indéfendable ou évidemment fausse.
En ce sens, la parhésia est à relier à l’ipséïté qui désigne selon Paul Ricoeur un type de rapport à soi fondé sur la fiabilité à l’égard d’autrui mais aussi à son propre égard par les yeux d’autrui. Mon identité n’est pas une condition qui serait donnée et encore moins finalisable. A la question: « qui suis-je? », l’ipséïté répond par notre capacité à maintenir un engagement pris au présent dans le futur. Mieux encore: je suis ce que c’est que d’avoir à assumer la responsabilité d’une promesse, d’une parole, d’un contrat devant autrui mais aussi devant cet autre à soi que je puis pour moi-même. Ce qu’il y a de profond dans l’ipséïté, c’est qu’il n’existe pas de mensonge plus dommageable que celui que l’on se fait à soi-même et que par conséquent aucune vérité ne saurait mieux tenir que dans cette adhésion là, dans cette assomption là qui après tout semble bien présenter un rapport avec la parhésia. Dans cette perspective on ne dit jamais plus ni mieux la vérité que lorsque l’on se situe dans un rapport de totale adhésion de soi à soi devant tout autre, quel que soit cet autre, puisque nous ne sommes pas davantage intéressé.e à la dire à tel qu’à tel autre. Etre à jamais redevable à soi de la vérité à laquelle on s’engage devant autrui: tel est la définition « ouverte » de l’ipséïté, ouverte parce que reconductible à l’infini et cela jusqu’à sa mort.
Il n’est donc pas question de fonder sa vérité dans la solitude puisque autrui est un élément incontournable de cette vérité dite. Cela suffit à impliquer au coeur même de cette conception un certain rapport au prochain dans la société. Mais alors pourquoi et surtout comment cette définition pourrait-elle se soutenir à partir du moment où les conceptions de la vérité changeraient en fonction des époques? Que l’on puisse dire la vérité suppose que d’autres puissent la reconnaître, voire s’y reconnaître, au moins que la vérité s’entende. Mais elle ne s’entend pas de la même façon au moyen âge et au 19e siècle par exemple. C’est bien ce que Michel Foucault met à jour dans le cours qu’il consacre au gouvernement des vivants, au Collège de France.
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