vendredi 8 octobre 2021

Puis-je parler de moi-même sans faire erreur sur la personne? - Construire un autre plan (trousse de secours)

 La proximité de la date de remise du DM (mercredi 13/10) justifie une aide « ultime » pour celles et ceux qui sont totalement perdu.e.s. Il vous reste 5 jours, à ce stade, il vous FAUT un plan.  Je me permets donc de vous en proposer un, qui est différent de celui que nous suivons en cours. Si des élèves déjà bien avancé.e.s dans la rédaction de la dissertation souhaitent intégrer certaines articulations ici présentes, il va de soi qu’elles ou qu’ils peuvent le faire. 

Pour celles et ceux d’entre vous qui commencent seulement leur travail de rédaction, il convient de bien comprendre à quel point ce plan ne fait qu’indiquer des directions (dont la structure, je l’espère, est cohérente). Ce n’est pas parce que l’on a un bon plan que la dissertation sera nécessairement réussie. Il n’est question ici pour moi que de vous indiquer une façon de relier entre elles toutes les références et les idées que nous avons traversées depuis le début de l’année. Dans la toute dernière partie, j’en ajoute de nouvelles que nous n’avons pas encore étudiées (mais je les développe un peu et je suis à votre disposition pour les éclaircir si vous m’en faites la demande, notamment par échanges de mails, ou directement si nous nous voyons avant mercredi). Bon courage à vous dans cette dernière ligne droite qui est la plus déterminante.

  


 

Après votre introduction (point que nous avons travaillé ensemble dans toutes les classes), il est possible d’approfondir un peu l’expression: « faire erreur sur la personne ». Il nous est toutes et tous arrivé de faire un faux numéro ou d’être le faux numéro de quelqu’un.  La personne que l’on a au bout du fil n’est pas la bonne, c’est-à-dire qu’elle ne porte pas le nom de la personne à laquelle on voulait parler. C’est quelqu’un d’Autre!  Tout entretien avec soi, tout rapport avec soi-même serait-il aussi « raté », aussi profondément décalé et impromptu que ce malentendu là? Quand je parle avec moi-même ne puis-je que me méprendre, me « mal-entendre » jusqu’à ne pas pouvoir autrement m’interpeller qu’en tant que mauvais numéro, mal composé sur mon clavier téléphonique? Serais-je à moi-même mon faux numéro, appelé complètement par hasard, par méprise?


L’expression commune: « à bon entendeur, salut! » signifie que l’on vient de suggérer quelque chose, souvent de menaçant, que seuls les bons interprètes comprendront. C’est une façon d’avertir son auditoire que l’on vient de transmettre un message « à double fond », avec une intention implicite cachée derrière un énoncé explicite. De ce que je dis, il y  en a celles et ceux qui le comprendront et d’autres qui passeront à côté. On peut ainsi donner l’impression que l’on se trompe de personnes, de récepteur, mais en fait pas du tout, on a plutôt envoyé un message « codé » un peu comme « un missile à tête chercheuse » dont les cibles se découvriront en fonction de la réalisation effective, correcte, de l’intention transmise.  Je lance une accusation et les personnes qui la comprennent sont très probablement les coupables, parce qu’elle était « codée », ou connotée. 

Finalement nous venons de mettre à jour au moins deux sens à cette expression, et nous pouvons en rajouter un troisième: 

  1. Suis-je assez étranger à moi-même que je ne puisse me contacter que « par hasard », comme si j’étais le destinataire involontaire, inattendu voire incongru et inapproprié de cette parole dont je serai, également pas hasard, l’auteur? Comment le fait de se parler à soi-même pourrait-il se concevoir comme une étrange coïncidence? Comme un « vous ici? Quel hasard des circonstances ! » Evidemment, nous sommes plutôt incrédules devant ce sens là, puisque, de fait, nous sommes « nous-mêmes », et c’est important à faire remarquer: que nous nous parlions à nous-mêmes, ça tombe sous le sens! Mais, au regard de tous les arguments qui vont se succéder et qui vont notamment alimenter la réponse négative à la question, cette perspective est plus pertinente qu’il y paraît (par exemple, quand nous évoquerons ma notion de persona, nous révélerons cette multitude de personnalités diverses dont nous sommes porteurs et la question de savoir laquelle est la bonne prend du sens. Et si nous tombions dessus, c’est-à-dire sur la bonne persona, par hasard ou au détour d’une circonstance inattendue qui va faire surgir de nous un moi que nous ne nous connaissions pas)
  2. Suis-je le bon entendeur d’un message que je m’enverrais à moi-même en langage codé, crypté? Faut-il que je me parle à mots couverts pour me faire entendre très profondément de moi-même? (Évidemment, on pense déjà ici au lapsus, ça a l’air d’être n’importe quoi alors que c’est très sensé) 
  3. On peut également faire erreur sur la personne au sens juridique du terme, en s’étant trompé sur une personne que l’on pensait connaître mais qui se révèle différente de celle dont nous pensions qu’elle l’était.



  

Le sujet nous interroge spécifiquement sur la question d’une parole dont nous serions à la fois l’auteur et le destinataire. Autrement dit, quel rôle joue la parole de soi à soi-même dans ce risque de l’erreur sur la personne? Que faut-il que soit la parole sur soi pour que je ne me trompe pas ou pour que je ne mente pas, ou pour que je ne m’esquive pas? On peut précisément donner à notre plan une tournure plus directe, plus vive et en même temps plus précise et plus cadrée si l’on situe toutes nos idées et références autour de cet axe là, celui du « que faut-il que soit cet exercice singulier de la parole de soi à soi pour être à la hauteur de ce défi là: « se trouver », ou du moins trouver le bon destinataire de ce colis qui porte étrangement notre propre adresse.  Nous sommes comme un facteur détenteur d’une lettre adressée à lui-même mais qui ne parvient pas, ou plus à trouver où il habite. 


Que faut-il que soit ma parole pour qu’elle me trouve, moi, et personne d’autre, comme son destinataire attitré, authentifié?



1) La parole nue 


a)  Intimiste, transparente. Faut-il dévoiler son moi comme une intériorité qu’on exhibe au grand jour?  - Rousseau et "les confessions" 


b) Muette. Faut-il au contraire se taire? - Elisabeth dans Persona de Ingmar Bergman


c) Libérée - L’écriture automatique ( Le surréalisme: André Breton - Philippe Soupault - Henri Michaux)



2) La parole voilée 


a) s’adresser des messages codés, à double sens: le lapsus, le rêve, les délires psychotiques ou névrotiques. - Freud et l’inconscient


b) Se reconnaître et se pressentir (même dans le déni: dans ta façon de te dissimuler, il y a quelque chose de « toi ») - Freud et l’interprétation (ce n’est pas à l’analyse de parler mais au patient)


c) Parler à un analyste (il faut donc une tierce personne de soi à soi) - La psychanalyse et la technique de l’association libre:

« Les associations libres paraissent suspendues parce que le malade retient ou supprime l'idée qu'il vient d'avoir, sous l'influence de résistances revêtant la forme de jugements critiques. On évite cette difficulté en avertissant le malade à l'avance et en exigeant qu'il ne tienne aucun compte de cette critique. Il faut qu'il renonce complètement à tout choix de ce genre et qu'il dise tout ce qui lui vient à l'esprit, même s'il pense que c'est inexact, hors de la question, stupide même, et surtout s'il lui est désagréable que sa pensée s'arrête à une telle idée. S'il se soumet à ces règles, il nous procurera les associations libres qui nous mettront sur les traces du complexe refoulé.

Ces idées spontanées que le malade repousse comme insignifiantes représentent en quelque sorte, pour le psychanalyste, le minerai dont il extraira le métal précieux par un travail d'interprétation. Si l'on veut acquérir rapidement une idée provisoire des complexes refoulés par un malade, sans se préoccuper de leur ordre ni de leurs relations, on se servira de l'expérience d'associations découverte par Carl Jung et ses élèves. » (oui, c’est le même Carl Jung dont nous avons parlé pour « la persona » mais il faut savoir qu’ancien élève de Freud, Jung se dissociera de l’école de psychanalyse dirigée par Freud).




3) La parole « tenue »

 

a) Se raconter sa vie comme une histoire (établir entre soi et soi-même la distance du conteur, du narrateur qui  fait simplement un récit, mais ce récit c’est celui de son existence)- l’identité narrative de Paul Ricoeur


b) S’assumer comme une personne responsable (capable de répondre de soi-même devant les autres et des autres devant soi-même): Ipséïté - Paul Ricoeur


c)  Agir en disant  - Le linguiste John Austin (1911 - 1960) a mis à jour la notion de discours performatif, c’es-à-dire les paroles qui, en réalité, font advenir quelque chose de nouveau et d’effectif. Selon lui il y a dans un certain type d’énoncé 3  sens différents 1) Un acte locutoire  (la phrase elle-même avec les mots présents) 2) un acte illocutoire (un sens qui n’est pas dit mais suggéré (par exemple c’est à cette heure ci que tu rentres?) 3) un sens perlocutoire, c’est-à-dire une signification qui traverse littéralement les mots pour faire advenir une réalité: par exemple, « je vous déclare unis par les liens du mariage » « je te jure que je le ferai », « je vous maudis » « je te baptise », etc.


d)   Dire vrai. Le philosophe Michel Foucault insiste sur une dimension de la parole et du discours vrai telle qu’on la retrouve dans l’antiquité grecque: la parrêsia. Ce terme désignait ce moment où la parole d’un orateur abandonnait tout souci de rhétorique ou de manipulation tacticienne pour atteindre un degré intense de sincérité. Il n’est plus question alors de démontrer la vérité des propositions que l’on tient mais d’adhérer à son discours de façon tellement étroite, engagée, investie que la question de savoir si l’on dit la vérité cède devant cette évidence selon laquelle on est vraiment dans ce que l’on dit. L’un des exemples les plus troublants de « parrêsia » est le discours adressé par Gilles de Rais aux parents des enfants qu’il avait violés et tués, prise de parole ayant, semble-t-il et contre toute attente, clé une aura de silence dans son auditoire. 

                Dans une toute autre perspective (vraiment!), on peut aussi penser au discours de Robert Badinter demandant à l'assemblée nationale l'abrogation de la peine de mort, à cette différence près que le propos était aussi démontré. Ce jour là un homme a défendu le combat de toute une vie. Peu de prises de paroles ont jamais été aussi empreintes de justesse, tant sur le fond de la mesure par elle-même, que sur  la forme et l'intensité investie par l'orateur,  exigée à l'auditoire. C'est exactement ce que l'on entend par "parrêsia". Non seulement ce discours était "vrai" parce que conforme à la justice (dés qu'on y réfléchit avec un tant soit peu de subtilité) mais aussi il était vrai parce que tenu par un homme habité par sa parole et parfaitement en phase avec la gravité du moment. 

  


Conclusion


1) Revenir sur cette articulation entre la parole nue, la parole voilée et la parole tenue. 

2) Insister sur le fait que la parole peut ne pas faire erreur sur la personne à condition de fixer et de tenir un cap dans le futur. Toute parole se contentant de rendre compte du passé est suspecte de déformer les faits, mais je peux parler de moi comme d’un être à devenir, voire d’une variable à ajuster. Aucune parole ne peut trouver la bonne personne si l’on entend par là se décrire tel que l’on « est » (peut-être parce qu’on n’est rien (Alice)). Par contre, elle permet d’alimenter une dynamique, d’entretenir la perspective d’une vie moins définie qu’ouverte perpétuellement à un chantier interminable: faire sens de ces moments épars et fragmentés qui malgré tout se doivent de composer une histoire racontable. 




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