vendredi 24 mars 2023

Terminale HLP - Le savoir nuit-il à la sensibilité? (texte d'Octave Mirbeau)

(Dans le traitement de la question de philosophie (essai) pour la première épreuve de HLP du baccalauréat 2023, nous nous sommes efforcés de n'utiliser ici que des références travaillées en cours. Il n'est vraiment pas affaire de développer ce qu'il aurait fallu produire le jour J, en deux heures, mais seulement de confirmer à des élèves curieuses ou curieux de savoir que les idées ou les auteurs qui leur sont venus en tête, lundi dernier étaient  bien utilisables. Ce travail n'ayant pas la moindre prétention à l'exhaustivité, d'autres références traitées étaient également mobilisables )

M. Georges adorait les vers... Des heures entières, sur la terrasse, au chant de la mer, ou bien, le soir, dans sa chambre, il me demandait de lui lire des poèmes de Victor Hugo, de Baudelaire, de Verlaine, de Maeterlinck. Souvent, il fermait les yeux, restait immobile, les mains croisées sur sa poitrine, et croyant qu’il s’était endormi, je me taisais... Mais il souriait et il me disait :

— Continue, petite... Je ne dors pas... J’entends mieux ainsi ces vers...j’entends mieux ainsi ta voix... Et ta voix est charmante...

Parfois, c’est lui qui m’interrompait. Après s’être recueilli, il récitait lentement, en prolongeant les rythmes, les vers qui l’avaient le plus enthousiasmé, et il cherchait — ah ! que je l’aimais de cela ! — à m’en faire comprendre, à m’en faire sentir la beauté...

Un jour il me dit... et j’ai gardé ces paroles comme une relique :

— Ce qu’il y a de sublime, vois-tu, dans les vers, c’est qu’il n’est point besoin d’être un savant pour les comprendre et pour les aimer... au contraire... Les savants ne les comprennent pas et, la plupart du temps, ils les méprisent, parce qu’ils ont trop d’orgueil... Pour aimer les vers, il suffit d’avoir une âme... une petite âme toute nue, comme une fleur... Les poètes parlent aux âmes des simples, des tristes, des malades... Et c’est en cela qu’ils sont éternels... Sais-tu bien que, lorsqu’on a de la sensibilité, on est toujours un peu poète ?... Et toi-même, petite Célestine, souvent tu m’as dit des choses qui sont belles comme des vers…

 — Oh !... monsieur Georges... vous vous moquez de moi...

— Mais non !... Et tu n’en sais rien que tu m’as dit ces choses belles... Et c’est. ce qui est délicieux…

Ce furent pour moi des heures uniques ; quoi qu’il arrive de la destinée, elles chanteront dans mon cœur, tant que je vivrai... J’éprouvai cette sensation, indiciblement douce, de redevenir un être nouveau, d’assister, pour ainsi dire, de minute en minute, à la révélation de quelque chose d’inconnu de moi et qui, pourtant, était moi... Et, aujourd’hui, malgré de pires déchéances, toute reconquise que je sois par ce qu’il y a en moi de mauvais et d’exaspéré, si j’ai conservé ce goût passionné pour la lecture, et, parfois, cet élan vers des choses supérieures à mon milieu social 30 et à moi-même, si, tâchant à reprendre confiance en la spontanéité de ma nature, j’ai osé, moi, ignorante de tout, écrire ce journal, c’est à M. Georges que je le dois... 

Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre, chapitre VII, (1900)

Essai philosophique :

Le savoir nuit-il à la sensibilité ?

   Introduction   
        Ce n‘est pas la même chose d’éprouver un sentiment et de savoir que nous le ressentons. Cette conscience de l’amour, de la joie ou de la peine qui nous traverse instaure une distance grâce à laquelle nous nous représentons à nous-mêmes dans l’épreuve de cette émotion, mais, par là même, nous ne la « vivons » pas. C’est comme si un clone la ressentait à notre place. Dés lors, comme tout être humain social, nous pouvons « jouer » de ce ressenti, l’affecter plus ou moins. Carl Gustav Jung appelle « persona » ce double de nous pour lequel nous souhaitons être pris par nos entourages respectifs et nous percevons bien à quel point le fait de savoir que nous ressentons telle émotion, nous permet précisément de la moduler en fonction de la nature de ces relations sociales, professionnelles, familiales, amicales, etc. Mais alors que reste-t-il du ressenti authentique de l’émotion en elle-même? Et d’ailleurs cette authenticité a-t-elle un sens, un contenu? La difficulté de concevoir notre humanité sans ce savoir comme l’attestent bien à la fois la notion anthropologique de « Homo Sapiens » et le terme de conscience (cum scientia: avec savoir) nous impose-t-elle de définir l’être humain comme un être insensible du fait même de ce regard sur soi et de cette culture qui semblent faire partie intégrante de sa condition? Si être humain c’est « savoir », alors, pouvons nous nous concevoir comme des êtres sensibles?

Plan

Mais qu’est-ce que savoir? C’est en premier lieu, jouir d’un certain bagage culturel, disposer de connaissances, mais c’est aussi prendre conscience de soi et des affects éprouvés. Mais comment pourrions-nous réaliser que nous ressentons tel ou tel sentiment si nous ne disposions pas des mots, non pas tant pour les dire que pour se les dire, même si cela revient au même. Cette question peut ainsi se diviser en trois interrogations essentielles suivant la terminologie que nous choisirions d’adopter à l’égard de ce terme finalement assez « flou » par lui-même: 


- Exister en tant qu'être de culture nous permet-il de plus et mieux éprouver nos sentiments? (Partie 1)
- Ne peut-on ressentir authentiquement que les sentiments dont nous sommes consciemment affectés? (Partie 2)
- Les mots font-ils obstacle au ressenti de nos états d’âme et de corps, à leur continuité? (Partie 3) 

Partie 1: sensibilité et culture de classe

« Ce qu'il ya de sublime, vois-tu, dans les vers, c'est qu'il n'est point besoin d'être un savant pour les comprendre et pour les aimer. au contraire... Les savants ne les comprennent pas et, la plupart du temps, ils les méprisent, parce qu'ils ont trop d'orgueil. Pour aimer les vers, li suffit d'avoir une âme. une petite âme toute nue…comme une fleur... Les poètes parlent aux âmes des simples, des tristes, des malades. Et c'est en cela qu'ils sont éternels... Sais-tu bien que, lorsqu'on a de la sensibilité, on est toujours un peu poète ?. Et toi-même, petite Célestine, souvent tu m'as dit des choses qui sont belles comme des vers.

- O h !... monsieur Georges... vous vous moquez de moi.

-Mais non ! Et tu n'en sais rien que tu m'as dit ces choses belles. Et c’est ce qui est délicieux… »


Monsieur Georges essaie ici de convaincre Célestine issue d’un milieu social plus « bas » que le sien que c’est précisément parce qu’elle ne sait pas qu’elle dit des « choses belles » que c’est d’autant plus délicieux. Le manque de culture, selon lui, rajouterait à la beauté des choses dites un surcroît de beauté, ou d’âme, comme si l’ignorance ou l’innocence participait de la puissance de l’affect. Il ne fait aucun doute qu’il s’efforce, comme elle le dira par la suite de lui faire reprendre confiance en la spontanéité de sa nature, de lui faire réaliser en quoi, au sens propre, son inculture est touchante. 

Dans un esprit très critique, nous pouvons pointer le privilège de classe d’où s’exprime Monsieur Georges pour ainsi « élever l’âme » de Célestine à la valeur de sa spontanéité. Et cela pose quand même un problème de pure logique. Si monsieur Georges fait comprendre à Célestine que c’est son innocence, son peu de culture, et l’ignorance dans laquelle sa fonction de "femme de chambre" la maintiennent qui lui donnent cette spontanéité d’une richesse « ineffable », alors, soit il l’incite implicitement à demeurer dans cet état, soit, comme il est suggéré par la suite, il lui donne les moyens de réaliser ce rapport entre l’absence de connaissances et la puissance poétique de ces paroles mais conséquemment il l’en prive.  En d’autres termes, comprendre que c’est parce que tu ne comprends pas ce que tu dis que ce que tu dis est beau c’est oeuvrer pour que ces choses belles ne soient plus dites, puisque elle seraient comprises, et donc plus du tout spontanées.  Il y a quand même un problème pour une personne cultivée à persuader une personne qui ne l’est pas que son manque de culture est « quelque part » une richesse, et rien ne semble plus urgent que de ne pas laisser passer ce « quelque part » , de comprendre ce que c’est, ou « où il est », en fait.

Le livre est précisément, tout au contraire, une critique extrêmement puissante et un peu désespérée des moeurs de la bourgeoisie, de l’oppression de la domesticité par les classes dominantes. Mais l’objection n’en est pas moins patente. Cette reconquête de soi dont la littérature est sans aucun doute le vecteur ne ferait-elle pas signe d’une relation trouble et surtout socialement sournoise entre l’inculture et une forme de « richesse »? Ne serait-ce pas finalement tout à l’avantage de cette caste des dominants que subsiste en effet dans notre esprit l’idée qu’il est « touchant » d’être affectée par des sentiments qu’on ne comprend pas?  « La petite âme toute nue comme une fleur » cache-t-elle autre chose que le subterfuge le plus pervers d’une classe entretenant par le mythe de l’ineffable l’exercice même de sa domination?

La référence à l’analyse célèbre par Sigmund Freud du jeu de son petit fils peut servir de fil conducteur à la possibilité de dénouer cette ambiguïté, puisque précisément il met en pleine lumière ce décrochage symbolique à partir duquel le petit garçon d’un an et demi va prendre la mesure de son ressenti initial. 

Cette analyse pointe précisément ce moment où tout enfant humain sort de la nature pour entrer de plain pied dans un autre monde, dans une dimension au sein de laquelle avoir la main sur les évènements qui nous arrivent se « peut ». Le fait d’entrer dans la culture permet-il au petit fils de Freud de mieux éprouver ce qu’il éprouve? 

Mais que ressent-il en premier lieu? La souffrance d’être abandonné par sa mère. L’activité mimétique par le biais de laquelle il se rejoue à lui-même cette scène de la disparition et de la réapparition est le premier moment d’un processus qui va lui permettre d’intégrer la connaissance de ce qui lui arrive puis la langue et par voie de conséquence l’outil grâce auquel il va acquérir de la culture.  Ce sentiment d’abandon, il le neutralise en le mimant et s’engage ainsi résolument sur une voie au sein de laquelle il ne fait aucun doute en effet qu’il engrangera de plus en plus de savoir et de moins en moins de vécu.  

Une fois pointée cette importance cruciale de la symbolisation dans la compréhension des sentiments et des sensations, on mesure bien tout ce que l’environnement social du petit garçon va induire de décisif dans son ascension au sein d’un milieu qui ne sera plus celui de la nature mais de la culture, et au sein de la culture d’une société divisée en classes.  

Mais alors dans quelle direction Monsieur Georges encourage-t-il Célestine à aller finalement? Et c’est quoi la beauté de l’ineffable ici? Rester dans la sensation d’un abandon pur?  Il ne fait aucun doute que l’enfant à la bobine s’éloigne par ce jeu mimétique du ressenti pur de la souffrance causée par l’absence, mais il n’en est pas moins évident que ce jeu répond et, en même temps fait signe de l’existence des autres. Ce n’est ni plus ni moins à une étape vraiment fondamentale de la socialisation que nous sommes ici confrontés, de telle sorte qu’on comprend aussi que cette étape c’est précisément ce que Victor de l’Aveyron, l’enfant sauvage n’a en aucune façon pu réaliser. Que l’humanité s’apprenne par la culture, et la culture par le symbolisation, c’est bien cela aussi dont atteste l’enfant à la bobine. Dans ce premier jalon par le biais duquel l’enfant se place déjà dans la perspective de son intégration à la culture humaine, à la langue allemande et à la famille, c’est sans aucun doute à la seule condition authentique à laquelle il puisse accéder en tant qu’humain qu’il s’intègre. Son « savoir » loin de nuire à sa sensibilité, le crédite, au contraire, de la seule modalité authentique de perception humaine de ce que c’est ressentir et en l’occurrence ici de ressentir la souffrance. 



 2e partie:  Conscience et devenir

Faudrait-il aller jusqu’à souhaiter qu’on se ne rende même pas compte de ce que nous ressentons pour le vivre? Finalement, cela ressemble un peu à l‘interdiction adressée par l’éternel à Adam et Eve dans la genèse, puisque nous savons bien que le fruit représente la conscience. Si vous mangez le fruit, vous ne pourrez pas manger des fruits de l’arbre de vie et vous serez chassés de l’éden. Le paradis exigence donc de ces occupants qu’ils demeurent dans une totale insouciance de ce qu’ils vivent et ici encore, on ne peut pas s’empêcher de s’interroger sur la possibilité qu’après tout Monsieur Georges est lui aussi, comme Dieu, en train de conseiller à Célestine de ne pas manger le fuit défendu afin de garder son innocence. Mais comment percevoir cette richesse de la sensibilité pure, de ce trésor que serait le ressenti inconscient de telle ou telle émotion si nous n’en avons aucun retour?  N’est-ce pas d’ailleurs dans la conscience de cette richesse que la trame continue de nos affects peut être abordée sous cet angle?

Ici encore, l’analyse de Freud nous permet de cibler cette question de la conscience autrement que par le détour de la fable mythologique ou religieuse, aussi édifiante qu’elle puisse être, au sens propre.  Il ne semble pas possible en effet, de saisir tout rapport de cette analyse sans prêter attention à tout ce qu’induit l’alternance du jet de la bobine et de sa réapparition. L’enfant âgé d’un an et demi, saisit qu’être là n’est pas la même chose que de ne pas être là. Evidement à nos yeux, cela ne semble pas révolutionnaire. Et pourtant ça l’est précisément parce que c’est cet esprit de distinction entre deux états que l’enfant manifeste, saisit et c’est justement grâce à cela que rien ne nous semble à nous miraculeux dans cette prise de conscience.

Pourtant l’enfant n’a pas vu disparaître sa mère par un tour de magie. Il l’a forcément vu disparaître progressivement de la pièce, ou sortir peu à peu de son champ de vision. La mère n’est pas une bobine reliée par un fil qui disparaît ou réapparaît en un clin d’oeil, en un deus ex machina dont lui l’enfant serait le « deus ». Du point de vue d’une extrême sensibilité, comme Bergson le développe dans plusieurs de ses livres, rien, jamais ne s’effectue en « rupture » , ni même en alternance, mais toujours au gré d’une insensible et continue suite de changements interpénétrés les uns dans les autres au sein d’une trame. C’est d’un seul et même mouvement que l’apparition devient disparition et réciproquement.  Mais la conscience de l’enfant ne peut rien saisir d’autre de ce devenir que l’alternance de deux états. La lucidité grâce à laquelle l’enfant est en train de prendre conscience de ce qui lui arrive s’accomplit ici aussi dans le jeu. De passif, il devient actif, il insinue son activité dans le devenir du monde, ce qui ne signifie rien d’autre que ceci: il se saisit lui-même au carrefour de cette situation qu’il ne peut interpréter autrement qu’en tant qu’alternance. C’est comme une charnière qui se découvrirait dans l’alternative de la porte ouverte ou fermée. 

Mais alors le savoir nuit-il à la sensibilité? Oui, sans doute, mais l’être humain peut-il s’effectuer et se développer dans la pure passivité induite par cette sensibilité exclusive? Si l’enfant est déjà en train de s’exclure de la sensibilité à la situation par la réalisation qu’il y a deux phases (là où en réalité la continuité du devenir suit son cours), il est aussi en train de s’insinuer dans les rouages de cette situation et de s’y insinuer tel qu’il est, à savoir en tant que sujet, c’est-à-dire être conscient. La sensibilité à laquelle le savoir nuit est une obscurité totale, une pure absence de termes, d’objet et de sujet, une sorte de continuité pure, de nuit opaque dont aucun être humain ne peut ni sortir, ni naître à quelque niveau que ce soit. 

Finalement dans l’interdiction divine pouvait se lire en filigrane, en termes non dits, inter-dits, l’incitation à faire advenir un monde là où ne s’écoule que la continuité ineffable d’un devenir de pure passivité affective  pure et inhumaine. 


3e partie: la littérature et l'ineffable

Toutefois nous atteignons maintenant le dernier niveau de lecture possible de l’enfant à la bobine (celui de la langue)  dont il va sembler évident qu’il est étrangement compatible avec les leçons de Monsieur Georges. Finalement comme Freud l’a bien vu l’enfant apprend à parler, à dire Fort et à dire da et surtout à la dire en tant qu’il est un sujet, un « je ».  La dimension dans laquelle il est en train d’entrer est celle de ce discours permanent, de ce monologue intérieur fait de mots et d’opérateurs syntaxiques propre à notre langue maternelle. Il pense être libre mais il est en train de se soumettre à une totalité dont toute perspective de fuite est illusoire, comme Roland Barthes l’a bien remarqué. Mais ce même auteur développe la solution: la tricherie salutaire de la langue en tant que littérature. 

Grâce à la langue, l’enfant humain sait ce qu’il éprouve. Il paie cette connaissance du prix d’une certaine sensibilité, mais d’une sensibilité obscure et sans terme, d’une sensibilité que l’on pourrait quasiment juger inhumaine. La sensibilité est un no man’s land dans lequel aucun être humain ne peut cheminer en restant humain. Mais quelle est la limite de ce no man’s land ? La langue évidemment. Cela signifie donc qu’il est possible de se tenir sur cette frontière comme sur une ligne de crête d’où l’on pressent comme une mère enceinte inquiète sous les battements  de la présence hostile d’un bébé qu’elle ne reconnaîtrait pas, le trouble de l’ineffable, d’une sensibilité pure, d’une nuit totale. Rien ne serait pire que d’ignorer ses battements. Toute frontière se doit de faire droit à ses deux côtés, d’entériner par quelques biais la puissance barbare qu’elle est censée contenir ou du moins dessiner par l’extérieur de son tracé.

Ce « savoir là » ne nuit pas à la sensibilité mais il s ‘agit d’un savoir vraiment particulier, celui des poètes, en effet, d’écrivains capables de martyriser le savoir dont ils ont hérité par la langue de telle sorte que ce savoir au lieu de marquer les affects de la marque d’un toujours déjà connu, ou toujours déjà reconnu, se retourne et se rend lui-même ouvert à l’inconnu, aux tartares de Dino Buzzati, à l’adversité de cette nuit obscure qui ne nous envoie aucun signe d’intelligence. Lorsque Verlaine écrit:

« Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant d’une femme inconnue et que j’aime et qui m’aime et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. »

Il semble assez clair qu’il fait signe de ce que toute femme « EST »: un pur devenir (« ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre… ») Une obscurité quasi hypnotique imprègne ces vers, avec une justesse à couper le souffle sauf que cette justesse n’est pas tout à fait celle d’un savoir. Mais d’où vient cette adéquation alors? Du miracle d’une langue en prise avec une sensibilité parfaite, juste, verticale miracle de la présence  dont tout amoureux rêve, en effet, mais ce n’est pas un rêve puisque toute femme nécessairement est cela: ce devenir qui "de l’autre côté" correspond sans aucun doute à ce signe, à ce à quoi Verlaine fait signe. Mais il faut que le savoir se mette lui-même en péril, se nie lui-même dans un agencement étrange, jamais tenté jusqu’alors à partir duquel on entend bien que l’opacité sonore déborde totalement des cadres de la compréhension intellectuelle.  C’est de cette tricherie salutaire de la littérature que nous parle Roland Barthes et c’est donc à très juste raison que Monsieur Georges tout en mettant Célestine en garde contre un certain type de savoir l’initie au seul qui permette à la fois de demeurer humain et d’être en phase avec une sensibilité pure, violente et brute.


Conclusion

En travaillant la question de la sensibilité accessible aux hommes sous les angles respectifs de la culture, de la conscience et de la langue, il nous est apparu que le problème posé était bien celui de l’ineffable et des modalités d’approche ou de renonciation à cette pureté du ressenti qui s’offraient à l’être humain. Une seule nous semble viable, c’est-à-dire à même de remplir un cahier des charges proprement inouï: accéder humainement à ce qui pourtant se définit par l’exclusion pure de toute démarche de reconnaissance, de médiation humaine. Monsieur Georges ne guide en aucune façon Célestine vers une voie sans issue. C’est au contraire la seule digne d’être pratiquée, comme Roland Barthes le souligne lorsque il définit la littérature comme « ce leurre magnifique qui permet d’entendre la langue hors-pouvoir. » 




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire