jeudi 30 mars 2023

Terminale HLP: Préparer l'épreuve du grand oral (où il sera question du sémantique, de Hanouna et même de croquettes!)

                                                             Mélissande, à sa plume rapide, à son attention multiverselle


Comment se préparer à l'épreuve du grand oral?

Préambule: Déjà en réalisant qu’il n’est pas si « grand » que ça et qu’en fait c’est précisément toute sa difficulté: 5 minutes de parole pour susciter de la part du jury des questions, ce n’est pas du tout une donnée d’examen facile à gérer. Enormément de critères d’évaluation vont se décider là, parce que votre jury vous interrogera à partir 1) de ce que vous aurez dit dans ces 5 minutes 2) pour l’enseignant concerné par votre spé, par ses compétences et sa volonté de sonder la profondeur argumentative d’affirmations posées dés votre entrée en matière 3) pour l’enseignant « candide » qui ne dispose pas d’un plain pied, d‘un accès direct à votre propos, de sa « naïveté » (plus ou moins simulée) et peut-être d’évaluer moins la pertinence de contenu d’un discours dont il n’est pas spécialiste que sa forme et l’intensité d’implication de la candidate ou du candidat à son discours.



Nous rappelons rapidement les modalités: vous présentez au jury vos deux questions qui porteront:

  • soit sur deux questions transversales 
  • Soit sur une question transversale et une question propre à une seule spé
  • Soit sur deux questions dont chacune sera propre à une spé (aucune question transversale)


Vous disposez de 5 minutes pour problématiser la question et présenter la ou les réponses auxquelles vous êtes parvenues. 

La candidate ou le candidat échange ensuite avec le jury pendant 10  minutes. L’occasion vous est alors donnée d’approfondir votre propos initial en suivant la direction des questions posées et en manifestant clairement la maîtrise dont vous disposez à l’égard de votre sujet.

Enfin vous décrivez votre projet d’orientation et vous établissez le rapport éventuel (il y en forcément un. On vous demande de le situer d’une façon qui ne soit pas surfaite. Il n’est pas attendu que ce rapport soit évident. Vous avez toute liberté à cet égard. C’est un moment qu’il convient d’aborder de la façon suivante: des enseignants de terminale essaient finalement de mesurer l’impact de vos études secondaires sur vous en tant que personne et que candidate sur parcoursup, dans votre poursuite d’études ou dans votre futur travail. Evidemment, vous avez quand même intérêt à positiver cet impact).


Remarque liminaire: il y a une caractéristique de cette épreuve qu’il est vraiment essentiel de prendre en compte, c’est qu’elle marque une sorte d’entretien « limite » en ce sens qu’il s’agit d’établir avec vous un contact qui soit à la fois scolaire et « humain ». Vous serez évalué(e) en tant qu’élève de terminale sur vos enseignements de spécialité ET vous serez également invitée en tant que personne à faire une sorte de « bilan » de ce que cela a été pour vous que d’être élève du secondaire. Cela ne signifie pas que les autres épreuves aient fait l’objet d’une évaluation « inhumaine », mais il est clair qu’ici, même si des acquis seront attendus et évalués (ô combien!) Le jury est quand même curieux d’interroger en vous l’adolescente. Ou l’adolescent qui envisage la vie active, qui l’aperçoit de façon plus ou moins claire, plus ou moins assumée. C’est important parce qu’une enseignante ou un enseignant sont alors en position de percevoir d’un peu plus prés ce que cela peut engendrer comme vocation, comme orientation que d’avoir été en lycée. 

Cela nous amène à l’interrogation suivante:


 Entracte

(Qu’est-ce que vous diriez 

d’une parenthèse humoristique

 dans ce monde de brutes?)




Qu’est-ce qu’un prof? (Bon! Là, je vais un peu me laisser aller! Mais tout n’est pas qu’incontrôlé dans ce « dérapage »)

Intéressons nous quelques instants à cet animal étrange, porteur d’un profil singulier et facilement reconnaissable en société par ses attitudes délicieusement décalées (euh ou pas!). Soyons quelques instants l’éthologue attitré(e) du « magister animalis », espèce toute à la fois nombreuse et menacée, rendue paranoïaque par une hostilité marquée de la part de la population, pas forcément convaincue par ce passage obligé avec l’école. 

A ce propos, nous publions les résultats d’un micro-trottoir réalisé très récemment auprès d’un échantillon représentatif de la population:-

- Bonjour échantillon représentatif de la population, que pensez vous du métier d’enseignant?

- Tous des feignantes et des feignants à faire la grève sans arrêt entre deux périodes de vacances…Ah ça pour faire la leçon ils sont là, mais dés qu’il faut bosser, Y’a plus personne..Et puis des incapables en plus, y’a qu’à voir les Jeunes d’aujourd’hui…..En plus ils servent à rien, un vrai métier ça s’apprend sur le tas…

- Euh quoi?

- Sur le tas

- Le tas de quoi?

- Ben le tas quoi! C’est pas compliqué! Vous êtes sourdingue? Et puis vous commencez à m’emmerder avec vos questions à la con!

- Euh! Nous interrompons notre micro-trottoir….Nous essaierons de trouver un autre échantillon représentatif de la population…euh à vous les studios!

- Ah ben c’est ça les journalistes…Payés avec nos impôts sur les chaînes publiques…Bravo hein!  Merci bien! J’t’en foutrai moi de l’échantillon représentatif! File moi ton micro d’abord! J’ai le droit! C’et moi qui paye! Et puis j’ai un message à faire passer à mon ex femme. C’est à propos de la pension que je dois lui verser…tu peux te la…

- Merci beaucoup! Nous interrompons notre progr…..

Oups!




Reprenons le fond de notre étude sur le magister animalis. De l’élément porté à notre connaissance en provenance de l’échantillon représentatif de la population, nous pouvons retenir une chose…Enfin juste une chose en fait, c’est qu’en effet, le magister animalis jouit comparativement aux autres espèces de travailleurs d’un temps de présence au lieu de travail moins contraignant. Du coup les magister animalis se rassemblent souvent le soir venu dans les lieux dits de culture. Cachons-nous dans la savane broussailleuse des espaces consacrés par le loisir studieux afin d’approcher sans nous faire repérer les rites de passage et d’échange qui ont cours au coeur de cette espèce fascinante:


- Salut Fred!

- Bonjour Josette!

- J’ai tout lu Lacan!

- Ah? Et  ça fait quoi ? 

- Entre plein d’autres effets, j’ai considérablement évolué concernant mon appréhension de la mimique illuminative du Aha-Erlebnis en vertu de laquelle l’aperception situationnelle de la libido se dissocie à l’occasion de la rupture entre les deux « je »  vers une errance spéculaire proprement fantomatique…. À la suite de quoi finalement nous nageons en pleine déconfiture  ontologique …..Euh et toi?

- Moi non!




Les magister animalis sont donc des animaux fascinants, touchants, à fleur de peau, rendus limite paranoïaques par  cette hostilité radicale d’une bonne part de la population à leur endroit et par le sentiment d’être un peu comme l’avant garde sacrifiée du gros d’une armée institutionnelle de plus en plus fantasmée. C’est comme le désert des tartares de Buzzati sauf qu’en fait, certains magister animalis, ne croient plus du tout au mythe des tartares, (et plus trop non plus à l’armée institutionnelle). Donc ils réfléchissent sur ce qu’ils sont censés « guetter ». Et parfois naît dans l’esprit de certaines et de certains d’entre eux l’idée farfelue qu’ils font un métier formidable parce qu’après tout, être prof, à l’exception des vacances, de la paresse, de la garantie de l’emploi, de tous les avantages de la fonction publique, de la joie de recevoir cet énorme salaire à la fin de chaque mois, c’est non pas garantir à la population un certain niveau d’instruction mais plutôt  réveiller de leurs élèves humains une curiosité naturelle, propre aux êtres humains, et pour garantir à cette curiosité native, humaine, un lieu…euh Humain, un espace sauvegardé de l’influence des cons. Cela suppose qu’être prof c’est être au cœur d’un rapport HUMAIN et c’est génial!

Évidemment cela a deux conséquences immédiates:

  1. l’élève est un être humain
  2. Le magister animalis est un être humain aussi 


Mais est-ce bien le cas?

  1. Oui, j’ai même  vu récemment deux élèves cesser de regarder leur portable à la récréation. Sur l’échelle de l’humanité définie par Jane Goodall, l’indice d’humanité correspondant à ce symptôme est de 10 sur une graduation qui comporte 10 degrés. Donc c’est tout du bénef Joseph! Et c’est de la bonne Yvonne!
  2. Le prof est-il humain?  Faisons un test: approchons de lui une photo de Cyril H… , de Jean Michel Blanquer et le texte d’une chanson de Florent Pagny. Pour les deux premières il réagit…C’est la preuve qu’il est humain…pour la troisième… pas de réaction…Ah Si!…le magister animalis se gratte la tête et semble perplexe…il s’interroge…. « Qu’est-ce que c’est que ce truc? ». Devant le vide intersidéral des espaces infinis il s’étonne d’exister, il s’étonne que Florent Pagny soit…C’est donc un Da sein….euh..donc un être humain CQFD..Dédé!


Tiens! Mais j’aperçois là-bas un nouvel échantillon représentatif de la population:




- Bonjour échantillon représentatif de la…

- Pis en plus , ils sont idéologiquement orientés…

- Qui ça?

- Ben les profs évidemment..Faut voir comment ils nous reviennent les gamins…Avec toutes ces idées à la con qui leur mettent dans la tête….Pas plus tard qu’hier, ma fille elle m’a demandé ce que je comptais faire au sujet de la socialisation primaire marquée par le ….totalti totatat…totalitarisme  patri….patriarcal de l’éducation  néandoti, néandata néandertalienne du mâle blanc autoritaire….Voilà j’ai tout noté…

- Et vous avez réagi comment?

- Deux baffes et au lit…C’est pas les profs qui vont faire la loi chez moi moi j’vous l’dis….Vous non plus d’ailleurs…. Et puis filez moi le micro faut que j’dise à Maryse d’aller chercher Dylan à la crèche parce que….

- Merci je rends l’antenne….


Oups!

Fin du dérapage pas très contrôlé


(Ça fait du bien des fois!)




S’il fallait retenir trois points de cette atomisation en vrille du propos (le grand oral), nous pourrions en retenir 3:

  1. Le jury sera composé d’être humains: là vous pensez que je continue à délirer, mais non: il y a cette dimension à prendre en compte subtilement dans l’épreuve (qui reste néanmoins une épreuve) mais les 5 dernières minutes consacrées à votre orientation sont à prendre aussi sous cet angle. 
  2. Une enseignante ou un enseignant, cela reste quelqu’un qui a consacré une bonne partie de sa vie à sa matière et qui, par conséquent, sera à l’affût de tous les hameçons que vous disposerez dans les 5 premières minutes pour trouver quelque chose qui réponde à son engagement, à son enseignement. Cela vaut pour l’enseignante ou l’enseignant spécialiste. Il faut espérer que l’autre, le « candide »,  a également embrassé cette profession dans un esprit de curiosité. Ses questions seront sûrement déstabilisantes si vous jouez trop le jeu du savoir ésotérique, réservé aux initiés (du style: rentrons dans les arcanes du tarot cosmique avec la page Philo de l’épreuve de HLP… Frères Bogdanoff! Qui, avant nous, vivez, n’ayez les lèvres de trop de Botox endurcies, car si pitié de nous, d’où que vous soyez, avez, Dieu en aura sûrement de vous rapidement plus qu’assez! …..Oui j’arrête après celle-là!) 
  3. Une prof ou un prof, quoi qu’on en dise, c’est quand même quelqu’un qui après avoir approché de plus ou moins prés, « le monde » a choisi de revenir au collège ou au lycée ou à la fac. Cela veut dire quelque chose: elle ou il est passé simplement d’un côté du bureau à l’autre. On peut analyser cela sous l’angle de la peur (et ça peut tomber juste comme analyse) mais cela peut aussi s’interpréter comme un certain désir de « pureté », voire de « radicalité » (pas au sens religieux évidemment). Il y a dans la « situation » créée par le rapport Prof/Elève quelque chose qui lui semble de nature à favoriser un désir intellectuel, une soif  de connaissance, une curiosité simple, authentique, éventuellement passionnée. Les profs sont souvent de grandes  et de grands romantiques (attention: romantique ne veut pas dire romance). Il ne serait pas complètement stupide d’aborder cette épreuve comme le travail de maîtrise d’un engouement, d’une envie, voire d’une passion. Si vous éprouvez quelque chose de cette puissance d’implication, c’est vraiment un gage de réussite à condition de le maîtriser le jour J. Toute démesure à cet égard serait dommageable, du point de vue de la note (et là je suis sérieux!)



La prise de parole: l’homme est un être de langage, ce qui signifie qu’il dispose d’une faculté qui a deux faces: la langue et la parole. La langue s’impose à lui dés sa naissance (et même avant, en fait) pour lui imposer des cadres de pensée toujours préexistants, arbitraires, précieux parce qu’organisés, organisant MAIS imposés et en ce sens « totalitaires » (la langue est fasciste). La parole c’est le contraire: elle est libre, contingente, ouverte vers l’extérieur. Rien ne peut nous faire échapper du totalitarisme de la langue à l’exception de la liberté de toute prise de parole. Si vous avez envie d’objecter que cette épreuve vous est imposée, que vous n’en aimez ni les modalités ni l’effet de contrainte, réalisez qu’elle ne fait finalement que marquer l’un des multiples avatars d’une efficience de la notion même de contrainte dont il n’est pas exclu qu’elle soit née de la langue, laquelle finalement désigne quelque chose d’un pouvoir premier. Si puissance il y a (par opposition au pouvoir),  elle est dans la parole.

Dans la distinction à tous égards FONDAMENTALE que fait Émile Benveniste entre le sémiotique et le sémantique, il apparaît que la parole est la modalité d’expression par laquelle l’être humain est en position de poser une situation humaine.

On comprend la distinction entre le sémiotique et le sémantique quand on réalise qu’à chaque fois qu’on produit un énoncé linguistique, une phrase, on mobilise deux intentions: celle de dire quelque chose (sémiotique) , et celle de faire quelque chose en parlant (sémantique). En d’autres termes, il faut que je fasse à la fois attention à la logique des signes dans ma langue (sémiotique) et à l’effet que va avoir ma phrase chez le récepteur (sémantique). Qu'un époux rentre chez lui et crie à sa femme qui est dans une autre pièce:

- «  c’est moi »

Quel est le sens mobilisé? Forcément c’est le vouloir-dire sémantique parce que le vouloir-dire sémiotique est pléonastique: qui pourrait dire en se présentant de la sorte: « c’est pas moi! ». Le but n’est pas de dire que c’est lui mais d’installer la situation de son retour à la maison. Si on y réfléchit on réalise que c’est probablement la manifestation la plus authentique d’une liberté humaine qui se manifeste dans la puissance de la parole de poser une situation.

Seuls les hommes sont dotés de cette puissance. Les animaux sont aussi des êtres de signe mais davantage de signalisation naturelle comme Jacob Von Uexküll l’affirme avec sa réflexion sur les milieux animaux. La tique est sensible à trois signes à partir desquels elle crée son milieu et se crée elle-même dans cette adéquation avec son milieu. L’homme privé qu’il est de biotope est cette créature étrange, troublante, miraculeuse et terrifiante qui doit se donner à elle-même les signes à partir desquels elle pourra donner naissance à son lieu: la polis, la cité.  C’est cela que fait la parole et c’est ce qui explique qu’après avoir écrit que « l’humain est un animal naturellement politique » Aristote évoque l’articulation de la phoné et du logos comme étant le propre de l‘être humain.

Pourquoi c’est important tout ça? Parce que nous vivons une époque qui perd le lien profond avec cette donnée essentielle. La parole n’est plus investie de cette puissance sémantique et sacrée de poser des situations humaines. Elle est galvaudée dans une logorrhée pseudo-démocratique consternante où toute le monde a le droit d’exprimer son opinion, où tout est matière à débat et où n’importe quel décérébré cortical médiatique peut hurler à l’antenne l’amour du maître qui tient fermement sa laisse et lui donne des croquettes premier choix 



Petit intermède publicitaire

-  Moi! Mon Hanouna, je lui donne des barres vitaminées de connerie biologique pure certifiée par les éleveurs de cons. Regardez-le courir sur le plateau et remplir le caleçon de Mathieu Delormeau  de nouilles froides. Il est vraiment con!  Pas vrai? Parfois pour l’entraîner je le fais jouer avec des mannequins en caoutchouc à l’effigie de députés de la France insoumise. Il faut le voir se faire les dents, mon Hanouna! Avec quelle énergie il défend mon territoire médiatique! Faites comme moi, Vincent Bolloré, et nourrissez votre Hanouna avec des croquettes de connerie certifiée. Un Hanouna en forme, c’est un Hanouna qui joue, et qui n’arrête jamais d’être con à toute occasion, pour tout TPMP! Si comme beaucoup de téléspectateurs, vous vous demandez comment il parvient à rester à ce niveau de connerie rarement égalée à chaque émission, ne cherchez plus et achetez les croquettes BIGARD, certifiées biologiques et condensées de connerie pure et vulgaire sans additifs de finesse  ni pesticides de complexité philosophique!

Avec les croquettes BIGARD,

mon Hanouna,

 c'est un vrai CONNARD

Si, toi aussi, Tu cherches un vrai con

de compétition!

Achète les croquettes 

BIGARD




Désolé, j’ai pas pu me retenir! Surtout qu’il y a derrière tout cela une idée assez fondamentale. Il ne faut pas galvauder l’art de la prise de parole, parce que ce qui s’y joue c’est cette aptitude sémantique à créer des situations humaines, politiques dans le monde, aptitude qui fait de nous des humains. A notre petite échelle d’humains pas médiatiques (Dieu soit loué!) Et dans le cadre de cet examen ORAL, il y a quelque chose à travailler de cette perspective essentielle. Mais quoi concrètement? 

il faut travailler ce versant sémantique grâce auquel toute parole est investie de la puissance de poser une situation. Cela signifie qu’il importe de vous convaincre tout autant que d’en convaincre le jury de la portée politique d’une prestation orale comme celle-ci et évidemment par « politique » il ne s’agit pas du tout d’exprimer vos options idéologiques (mais vraiment pas du tout), mais de saisir le sens du zôon politikon chez Aristote. Quand on parle, on instaure un climat, on rend possible un certain type d’échange exclusivement humain, on fait se profiler ici et maintenant un monde (c’est-à-dire « pas un milieu »). Quel sorte d’animal humain êtes vous? Quel style de da sein est le votre? Comment allez vous sculpter cet étonnement dans lequel, en tant que Da Sein, vous consistez? Au plus profond de cette épreuve, il n’est pas indifférent de situer l’échange à ce niveau (il n’est pas bien sûr que l’on puisse creuser plus profond).




Les Cinq premières minutes: Le « je » est ici autorisé, plus que cela, il est vraiment requis, attendu. Vous pouvez exprimer ce qui vous a interpellé, intéressé et dire pourquoi. Mais attention c’est dans ce pourquoi que se situe le piège dans lequel il ne faut pas tomber. Même si telle ou telle formulation peut vous laisser penser que votre engouement ou que votre passion suffit, ce ‘est pas du tout le cas. Du moins faut-il ici s’entendre sur le terme de passion qui étymologie signifie souffrir, subir. C’est crucial, ce n’est pas une question de plaisir ou de divertissement. Il ne s’agit pas du tout d’exprimer ici ce qui vous « a plu ». Il est affaire ici de ce qui aurait pu vous capturer, de ce qui ne serait-ce que l’espace d’un cours, ou de la référence à un auteur, ou à un chapitre, vous a « embarqué » de telle sorte que non seulement le temps du cours est passé très vite mais vous avez de votre propre mouvement poursuivi les recherches. C’est plutôt une question de « je ne peux autrement » (c’est la réponse que fit Luther questionné sur sa foi). 

Sur tel ou tel moment de votre enseignement de spé, vous est-il arrivé d’éprouver le sentiment que c’est pour tel ou tel cours, ou notion ou texte que vous l’avez choisi? Si la réponse est positive, vous disposez de votre sujet et probablement aussi de certains éléments de problématisation.

Ce niveau d’implication fort, il est précisément nécessaire de ne pas se contenter de l’exprimer: ça m’a beaucoup plus de….j’ai toujours été intéressé par, etc. Ici la référence biographique est lourde et indigeste si l’on s’en contente. Votre sensibilité personnelle liée à votre vécu intime, « pseudo légitimée »  par une situation exceptionnelle, cela, à la fin des fins, doit absolument être dépassé, pour les raisons qui ont déjà été développées: ce n’est pas votre nom propre qui est ici sollicité mais votre condition d’être humain posant par sa parole une situation humaine politique. Les références à votre vécu doivent absolument être utilisées avec un esprit de nuance de finesse, de tact (parce que nous ne mangeons pas les croquettes d’Hanouna et que personne ne nous tient en laisse).

Il faut absolument que l’enseignant de spécialité et vous puissiez vous rencontrer dans un lieu: celui que pose votre parole. Et c’est la raison pour laquelle votre parole doit absolument inclure la ou les matières de spécialité: tout se jouera ici).

Très concrètement cela veut dire qu’en 5 minutes, il vous faut condenser votre problématique, l’articulation des moments essentiels qui ont rythmé le traitement de la question et la ou les réponses auxquelles vous êtes parvenues. Il convient donc de rédiger d’abord dans les semaines à venir les pages dans lesquels sera développé le traitement, un peu comme une dissertation, puis dans une deuxième phase, de reprendre votre « dissertation » en soulignant les « tournants », en pointant les passages où il vous apparaît que vous apportez quelque chose de nouveau, soit  une nouvelle référence soit un approfondissement notable, un autre concept philosophique. Quatre ou cinq pages pourront ainsi être résumées en une seule. Toutefois, jamais il ne vous faudra perdre de vue les quatre cinq ou six premières, parce qu’il y a de grandes chances qu’elles oient sollicitées dans l’entretien.



Les dix minutes d’échange: il faut bien saisir que finalement ces dix minutes seront pour l’enseignant de spé l’occasion de tester jusqu’à quel point la situation qu’implante votre parole est aussi la sienne, si c’est le même domaine. Ici c’est une intelligence du recoupement, du bon repère, de la référence maîtrisée et par dessus tout commune qu’il faut activer. Ce que vous avez fait naître comme piste dans vos 5 premières minutes a-t-il été hasardeux ou nécessaire? Est- ce que cela traduit vraiment une assimilation, une réflexion une argumentation rigoureuse? On mesure bien à quel point ici, tout recours au je de votre nom propre est à utiliser avec précaution. Il ne suffit pas que ce soit vous qui pensiez ça pour que cela justifie que vous le pensiez ou disiez. Il est impossible de tricher à cet instant. Votre examinateur se dira nécessairement la chose suivante: ce n’est pas le tout de m’avoir attiré ici, avons nous quelque chose à partager? Est-ce que je me retrouve en tant qu’enseignant humain dans ce territoire humain que votre question délimite? Est-ce que vous ne seriez pas en train de m’attirer avec des croquettes? (Je plaisante mais pas vraiment en fait: est-ce que votre implication tient davantage de cette profanation de la parole qu’est la logorrhée TPMP que de l’installation politique d’un territoire problématique Humain?

Il ne fait pas trop de doute que le membre du jury de votre spé vous posera plus de questions que l’autre. Mais comment accueillir les questions de la ou du candide? Dans l’esprit de curiosité qui caractérise cette référence à la situation humaine instaurée par une prise de parole assumée.  Si cette personne est là, c’est qu’elle a fait un choix, entre une laisse de diamants à plusieurs carats avec beaucoup de croquettes et une rencontre humaine, elle a choisi, et elle est de bonne composition. Elle ne demande qu’à être intégrée à la situation délimitée par votre questionnement. Faites droit à sa remarque, à sa question, à son objection. Vous avez suffisamment travaillé votre développement pour disposer d’une cohérence, d’une droiture qui vous permettra non seulement de ne pas être déstabilisée mais aussi d’éclairer l’intervention, aussi éventuellement maladroit ou étrangère soit-elle à votre propos. 




Les 5 dernières minutes: ne pas se relâcher. Même si l’atmosphère peut sembler plus détendue (et si elle l’est, en effet), un jury reste un jury, un enseignant reste un enseignant. Ce n’est pas aux candidats d’installer un climat  de confidence. A bien des titres, ce climat est malvenu. Il m’est arrivé d’insister sur le fait qu’un enseignant est un parfait inconnu pour vous et qu’il DOIT le rester. Que de l’inconnu à partir duquel il se tient et se maintient, des passerelles puissent être jetées entre vous et lui ou elle, c’est cela qui fait de l’enseignement une relation si porteuse. Ces passerelles évidemment ont tout à voir avec cet espace politique public dont il est question dans cet article depuis la référence au sémantique et à la situation humaine.

Il importe que le jury perçoive un cohérence est une authenticité, en philosophie, on pourrait dire une résonance « parhésiastique » (le parler vrai de l’oratrice ou de l’orateur qui parle sincèrement).  Soyez « vrai(e) » (une vérité assertorique et plus apodictique)! Il importe bien de penser qu’en un sens, les membres du jury voudraient finalement se faire une idée de ce que cela vous a apporté d’avoir passé trois années dans un lycée. 

Il m’est arrivé dans ce contexte d’examen d’entendre à ce moment une candidate évoquer le mal-être dont elle avait été victime aussi bien en collège qu’en lycée. Sa parole était « juste » parce qu’elle avait bien conscience qu’au-là de son cas personnel elle avait tout au long de sa prestation produit un effort d’objectivité (remarquable en l’occurrence!) Et qu’elle n’avait rien d’une pleurnicharde racontant ses petits malheurs mais tout d’un être humain pointant avec autant de puissance ressentie que d’intelligence théorique les défauts éventuels d’une institution qui fait tourner ses rouages à vide comme cela arrive parfois à l’éducation nationale. Ce jour là ma partenaire de jury et moi-même avons appris de l’élève autant que ses enseignantes et enseignants lui avaient appris à elle à structurer ses affects, à ne pas en rester à la plainte victimaire. C’était une prestation parfaite attestant d’une compréhension et d’une maîtrise totales  de ce qu’une prise de parole dans une épreuve scolaire a à être. Le lycée tout en la faisant souffrir s’était aussi révélé capable de lui donner les moyens de saisir, de structurer et d’exprimer ce mal être, de le mettre en perspective avec des problématiques sociales, économiques et politiques. En ce sens il y a bien quelque chose de l’héritage de la skholé qui se perpétue dans le lycée d’aujourd’hui, aussi imparfait soit-il.

Pour finir cet article qui ne ressemble à aucun autre de ce blog je ne dirai qu’une chose: pour mener à bien cette épreuve il faut cultiver une certaine faim, mais pas celle de croquettes.




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