vendredi 12 mai 2023

Terminale HLP: 5 minutes de bonheur dans une épreuve "brute" (au sens de "sans médiation")

 




Il vous est demandé de réaliser trois moments dans ces cinq minutes:

  • Justifier le choix de votre question
  • Développer, c’est-à-dire finalement la traiter
  • Y répondre


Il est vraiment important de prendre connaissance de la grille d’évaluation de l’épreuve:





Remarque liminaire:  Il est VRAIMENT déconseillé d’apprendre par coeur quoi que ce soit, non seulement parce que cela manifeste un manque d’assurance préjudiciable à tous points de vue, mais aussi parce que cela consiste à fixer, à figer votre pensée, exactement comme on programme un appareil à une fonction et à une seule. Pour être clair, cela revient à faire exactement le contraire de la finalité qui a été assigné à cette épreuve, à savoir, évaluer la capacité, c’est-à-dire l’aisance des candidates et candidats à prendre la parole dans un contexte d’examen ou de concours.  

Mais qu’est-ce que cela veut dire? Qu’est-ce que cela change par rapport à une épreuve écrite? Beaucoup de réponses ici peuvent être développées, mais il y en a une qui vient au premier rang immédiatement, c’est l’instantanéité de la parole dans une perspective d’évaluation. Autant il y a un décalage entre le moment où vous écrivez et celui où vous serez lue, autant il n’y en a aucun dans une épreuve orale. En d’autres termes, vous n’allez pas seulement être notée sur un « contenu », mais sur une prestation, sur une « impression », et ce terme mérite que nous nous y arrêtions un peu. 

Il vous faut « faire impression » et cela ne veut pas nécessairement dire « impressionner », en tout cas sûrement pas se mettre en tête de le faire (rien ne serait plus dommageable que de partir dans cette optique). Faire impression implique dans ce type d’épreuves pour laquelle on vous demande de choisir deux sujets, que vous soyez suffisamment « dans » votre questionnement pour ne pas le lâcher pendant 15 minutes, pour faire la preuve d’un minimum de maîtrise et d’engagement. 

Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement que « d’être dedans »? Que votre « extérieur », c’est-à-dire votre gestuelle, votre posture, votre voix, ses intonations, la vitesse de votre débit de parole, vos expressions de visage, bref tout ce qui de vous est « visible » soient, pendant les 20 minutes, orientées, aimantées, mobilisées, concentrées vers « l’intérieur », mais par « intérieur », ce qu’il s’agit d’entendre ici n’est pas du tout intimité ou introspection, pas même vous-même en tant que personne ou substance (le cours sur le moi a assez démontré tout ce que cette expression avait de dépassable), par intériorité ce qu’il faut entendre c’est travail, travail au sens « d’être travaillé(e) par… »

Avez vous pris cette épreuve au sérieux? Êtes vous vraiment préoccupé(e) par votre sujet? L’avez vous suffisamment travaillé pour que justement, votre « intérêt » ne se limite pas à faire illusion (faire impression doit être le contraire de vouloir faire illusion), à une belle apparence. 

On peut réfléchir à un sujet qui «en jette » comme on dit, par exemple: « dire je: est-ce un jeu? ». Tout repose ici sur un simple effet d’homonymie je/ jeu. C’est effectivement un « beau » sujet. Mais pourquoi « beau »? Parce que derrière (ce derrière c’est exactement ce qui entre en résonance avec votre intérieur), il y a par exemple l’enfant à la bobine de Freud et qu’en effet, c’est par un jeu que l’enfant apprend à dire je, et en fait ce n’est pas que drôle, mais vraiment pas (totalitarisme linguistique, etc.) Si une candidate prend ce sujet sans relayer l’effet d’annonce de l’homonymie Jeu/Je, la note ne sera pas bonne, et ce sera logique.


Finalement c’est un peu comme être séduite ou séduit par une personne: on peut envisager une relation avec quelqu’un, parce que, consciemment ou pas, on pense que ce sera valorisant aux yeux d’une société, d’un groupe, que d’être avec elle ou lui, (on devrait dire d’être vu avec elle). Mais il y a quand même de fortes chances qu’une relation fondée sur cette base là ne durera pas longtemps, parce que justement un rapport implique une exclusivité, un temps passé avec cette personne seule. Et puis il y a « le trouble » amoureux,  cette qualité de la personne que l’on aime de ne jamais se laisser réduire ou capturer par des images.  On réalise alors la nature exacte de notre attraction: ce que l’on aime de cette personne n’est pas du tout que l’on envisage d’exercer sur elle une forme de « pouvoir », mais que quelque chose de ce qu’elle est entre en résonance avec nous-mêmes « en tant que puissance ».  On ne peut aimer authentiquement une personne que dans l’exacte mesure où l’on perçoit qu’elle a le don de désamorcer toutes nos velléités de  capture ou de possession. Et il en va un peu de même pour un sujet. Nous sommes travaillés par une question de la même façon que nous sommes nécessairement intrigués, voire troublés, par la personne dont on est amoureuse ou amoureux. C’est exactement ça en fait: avez vous choisi ce sujet comme on peut avoir l’oeil attiré par une personne qui a une belle apparence, ou comme on est complètement troublé(e) par une personne au charme de laquelle nous sommes sensibles, sachant que ce charme n’a rien à voir avec la volonté de cette personne de nous plaire ou de nous séduire.




  1. Justifier

D’une certaine façon, ce parallèle qui vient d’être fait avec la distinction entre la séduction et l’amour revient à pointer l’existence d’une part « d’inconscient » dans le sujet choisi. Le problème évidemment c’est que vous ne pouvez pas dire lors du premier moment de votre oral: « je ne sais pas pourquoi j’ai choisi ce sujet » (alors que vous pouvez parfaitement penser que vous ne savez pas bien pourquoi vous êtes tombé(e) amoureux de cette personne). A bien y réfléchir, on ne vous demande pas non plus de justifier de façon hyper rationnelle et surtout achevée, définie ce qui vous a décidé à le prendre. Vous avez choisi de vous embarquer dans telle question et c’est vraiment un cheminement. Si vous saviez exactement pourquoi vous l’avez élue, vous auriez une réponse et pas une question.  Cela veut dire que c’est en tant que question que cela vous a attiré. C’est une non-réponse qui vous a troublé et l’on est tenté de dire EVIDEMMENT!

Mais en même temps, cette étape est décisive: tel candidat est-il capable de percevoir tout le problème que recèle cette question? Il faut qu’il y ait de la subtilité dans votre question mais aussi, que vous sachiez que vous ne ferez pas illusion sur la subtilité de votre traitement de la question. Pertinence et subtilité sont ici les exigences essentielles qu’il v a vous falloir tenir 15 minutes (et cela impose que ces qualités seront également « tenues » pendant tout le travail préparatoire)

Dans cette justification et même si vous pouvez utiliser le « je » et même si une certaine part de « raisons personnelles » ont droit de cité, il ne faut pas abuser. Il faut rejoindre un niveau de légitimité réalisable par l’enseignant de spécialité qui vous évalue, mais aussi par l’enseignant candide. Votre sensibilité personnelle à la question est une condition nécessaire pas pas suffisante (cela dit, à des niveaux d’implication plus profonds,  cette nécessité ne doit jamais cesser d’alimenter l’auto-suffisance universelle, objective de votre questionnement, mais elle ne doit pas se manifester explicitement, c’est tout!). Pour être clair, toute personne un tant soit peu curieuse et pas trop butée doit pouvoir se retrouver dans votre question. Il faut passer assez vite de cette nécessité voire urgence personnelle  et subjective à l’auto-suffisance objective de votre questionnement. 

  1. Traiter

Dans une perspective HLP, le « traitement » se définit, au moins, par ces trois opérations:

- un travail d’approfondissement qui suppose une polarisation sur la question (ne pas l’étendre mais la réserver, l’affiner)

- Des distinctions conceptuelles précises (éventuellement appuyées par des auteurs)

- De la logique dans les implications de ces distinctions.



Supposons le sujet: « Dire je: est-ce un jeu? » . La première étape vous amène à problématiser: mais comment cette évidence grammaticale du « je » qui se manifeste d’abord dans cette évidence psychologique de se saisir soi-même comme un sujet, comme un décideur, comme le maître d’oeuvre d’une action ou d’une pensée pourrait-elle être ludique? Comme une détermination si fondamentale si basique aussi bien d’un point de vue psychologique que sociologique, politique, etc, pourrait-elle se réduire à un amusement? Evidemment cela va vous amener à la deuxième étape, celle des distinctions conceptuelles: par « jeu », il ne faut pas entendre seulement amusement mais aussi « processus », ce qui se joue, c’est ce qui n’est pas naturel ce qui n’est pas donné. Jouer, c’est machiner, bricoler, tâtonner. Pour l’enfant à la bobine, ce sera imiter et symboliser. C’est aussi à ce moment qu’il est possible d’évoquer la distinction que fait Lacan entre le je de l’énoncé et le je de l’énonciation. Ces distinctions conceptuelles ont de implications qui vous permettent d’affiner votre propos: c’est quoi le contraire d’un jeu? C’est ce avec quoi on ne plaisante pas, à savoir la fatalité, l’horreur, la terreur, ce qui ne prête à aucune aviation, à aucun bricolage, ce vis à vis de quoi on ne peut ni reculer, ni discuter: le totalitarisme linguistique. 

Dans ce traitement, il importe vraiment que vous tiriez des conclusions logiques des distinctions conceptuelles, mais en même temps vous n’avez pas le temps de les développer. Ici, la difficulté consiste à mêler la cohérence de votre argumentation avec la progression de votre réflexion. Il va falloir répondre, là, dans les 5 minutes, donc cela implique que vous fassiez ce qui peut vous apparaître comme des « bonds » à partir de tel ou tel argument que vous aimeriez approfondir ou de tel auteur dont vous aimeriez expliquer davantage la pensée. Mais vous ne le pouvez pas, du moins, si vous avez en tête d’aller quand même assez loin dans votre réponse. C’est ici que, sans rien céder sur la logique de votre enchaînement de pensée, sur votre raisonnement, il vous faut miser sur vos examinateurs et espérer qu’ils ou elles vous inviteront à développer davantage ceci ou cela.  En même temps, si une référence vous semble vraiment plus décisive qu’une autre dans ce « trajet », cela doit se voir dans le temps que vous lui accordez dans ces 5 minutes.

  1. Répondre

« La bêtise consiste à vouloir conclure »: cette affirmation de Flaubert est toujours vraie et elle le sera toujours: il suffit de prêter attention aux personnes de notre entourage qui ont les opinions les plus tranchées pour s’en apercevoir. Mais ici il faut répondre. Vos cinq minutes vous ont-elles permis de prouver que vous avez bien perçu à quel point cette question était difficile, passionnante, complexe, troublante comme une personne dont on tombe amoureux? Si la réponse est « oui », c’est super! Il y a des questions dont la formulation pointait déjà largement vers la réponse. Ce n’est pas forcément mauvais. Même une question qui commence par un « comment? » demeure trouble et mystérieuse, parce que s’il y a un « comment? », cela prouve bien que la réponse n’est pas donnée, ou en tout cas, qu’elle ne se donne pas comme ça.

Ce qui peut donner une vraie puissance à cette réponse, c’est que vous évoquiez ici, à la fin, une révélation nouvelle (vous ménagez vos effets) qui peut reposer sur un nouveau sens, ou sus un sens très travaillé de l’un des termes de la question. Par exemple « jeu » peut signifier qu’il y a du jeu dans les rouages, comme quand on dit que’ ça joue entre telle pièce et telle pièce. A ce moment là le sujet devient : « dire je, est- ce qui insinue du « jeu » dans les rouages de la nature, de la nécessité, de la fatalité, du destin. Est-ce que Oedipe, ce ne serait pas un personnage qui va apprendre à ses dépens ce qu’il en coûte de « dire je », de vouloir être un "je" quand on est pris dans la machine infernale de la malédiction et d’un destin au sens propre « tragique ». A la fin de sa terrible aventure, Oedipe laisse le trône de thèbes, il devient errant, mendiant anonyme. Dire je est donc un jeu dangereux qui néanmoins laisse la porte ouverte à des formes d’anonymat  parmi lesquelles on peut situer la création artistique.  L’art peut décrire ce moment dans le mouvement duquel notre « Je » revient à l’anonymat du Da Sein humain. 


Il est une donnée qu’il convient vraiment de prendre en compte ici: vous venez de suivre les cours, ceux de tel ou tel enseignant qui a SON style d’enseignement, SES références favorites, bref, qui vous a transmis UNE certaine façon d’aborder tel ou tel thème. Il va de soi que les références qu’il a utilisées ne peuvent pas être étrangères à vos évaluatrices ou évaluateurs . Mais ici, il y a quand même une caractéristique propre à HLP qu’il faut bien avoir en tête, c’est qu’il s’agit d’une discipline couplée. Envisagez donc la possibilité que vous présentiez votre question à des enseignantes ou enseignants qui ne sont pas de philosophie, ou pas de littérature.  On vous demande un peu d’être vous-mêmes des enseignants. Ne considérez pas comme acquise telle ou telle définition, tel ou tel auteur. C’est parfois très pratique de faire comme si vos interlocuteurs savaient déjà de quoi vous parlez. Il n’est vraiment pas rare que l’on mise ainsi sur un effet similaire à celui du conte intitulé « le roi est nu » (des tisserands se font passer pour des grands artisans en disant que leur travail de la toile est si subtil que seuls les imbéciles ne le voient pas. Ils ne font rien et le roi n’ose pas dire qu’il ne voit rien, de peur d’apparaitre comme un imbécile, et les courtisans n’osent pas contredire le roi, si bien que c’est tout nu que le roi va défiler devant son peuple dont un enfant  qui dira: « mais le roi est nu »). 


Ici le roi doit être habillé. L’esprit même de cette épreuve est d’évaluer votre capacité à avoir compris un enseignement en le pratiquant à votre tour à l’égard d’évaluateurs qui ne sont pas censés tout savoir et ici plus encore que pour les autres épreuves.  Nous terminerons donc par ce conseil qui est VRAIMENT essentiel: ne prononcez aucune affirmation si vous ne vous sentez pas capable de la justifier et de l’expliquer à vos auditeurs (pour nous, ce conseil recoupe notamment tout ce qui a été dit des thèses défendues par Jacob Von Uexküll et Matin Heidegger. Ces deux auteurs ne sont pas connus par tout le monde et, concernant Heidegger, il est considéré comme l’un des philosophes les plus difficiles à comprendre des auteurs au programme. Il faut savoir qu’en le citant, vous serez probablement invité(e) à développer ses thèses fondamentales, dont évidemment celle du Da Sein)



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