lundi 8 mai 2023

Terminale HLP: comprendre la distinction entre le sexe et le genre

 Tout ce qui suit (exceptés les développements sur la question de savoir si le Da Sein est sexué: partie 2) s'appuie sur le livre d'Elsa Dorlin: "Sexe, genre et sexualités". Il s'agit de donner à toutes et à tous les élèves traitant de prés ou de loin cette question dans leur grand oral de disposer d'une assise conceptuelle forte.




Comment expliquer que cette question soit aussi difficile à envisager sans verser dans des oppositions idéologiques ou politiques?  C’est vraiment comme s‘il était impossible de réfléchir au problème de la détermination sexuelle des individus sans provoquer dans l’esprit des lectrices et lecteurs ou d’un public éventuel des « réactions » ou des a priori de réception à la lumière desquels c’est forcément en tant qu’on est de droite ou de gauche que l’on défend telle ou telle position alors même que l’on était simplement, de son point de vue, simplement en train de développer des compte-rendus d’observation ou d’analyse? 

C’est tout simplement qu’ici, nous allons nous intéresser à ce qui fait de nous un Homme ou une Femme, un mâle ou une femelle. Nous allons également essayer de mettre en évidence les processus rendant compte que l’on se sente sexuellement attiré(e) par l’une ou l’autre ou par les deux.  Or, il semble clair qu’il y a sur ce sujet, une détermination naturelle « donnée »: que l’on soit de sexe mâle ou femelle, c’est la nature qui le décide, et elle le décide très tôt, puisque, dés la fécondation, l’association des chromosomes XX détermine le sexe féminin et l’association XY le mâle. 

En même temps, il ne suffit pas que cette détermination si précoce s’effectue naturellement pour que l’identification de chacune et de chacun à cette donnée suffise. Pour bien comprendre cela, il convient de lire complètement l’affirmation célèbre de Simone de Beauvoir: « On ne naît pas femme, on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin. Seule la médiation d’autrui peut constituer un individu comme un AUTRE. »

Il y a donc à la fois « un donné naturel » du moins naturel au sens de déterminé dés la fécondation, mais ce donné n’est pas définitif. D’ailleurs il existe plusieurs animaux qui peuvent changer de sexes au cours de leur vie. Chez les humains, quelque chose va jouer dans cette détermination qui est tout simplement la socialisation, la culture, la façon dont une société va prendre en compte cette assignation d’un individu à un sexe toute à la fois en termes de promiscuité, de conjugalité que de reproduction.  Ce qui oeuvre en toute société est une dynamique normative: la coutume, les mentalités, les lois définissent plus ou moins explicitement ce qu’il est admissible,  concevable,  définissable qu’un enfant soit ou fasse par opposition à un adulte. Ce n’est pas « convenable » qu’un enfant parle de ça ou s’intéresse à ça, etc.  Nous avons déjà, au fil de plusieurs auteurs comme Nietzsche et Foucault notamment, montré toute la justesse de perspective que pouvait apporter sur la formation de ces normativités la notion de généalogie. 

Ce n’est pas simplement qu’il y ait une généalogie des critères à partir desquels il était normal qu’un enfant fasse ou dise ceci ou cela, mais il y  a aussi une généalogie de ce que c’est qu’être un enfant, un adulte, un homme en bonne santé mentale, un « fou », etc. Evidemment la perspective généalogique fait toujours bouger le sol. C’est l’équivalent d’un tremblement de terre qui fait bouger la place habituelle et sacro sainte de nos meubles dans notre maison, de notre maison dans la ville, de la ville dans le pays, etc. Ce qu’un tremblement de terre nous fait comprendre parfois durement, c’est que la planète, le cosmos sont « animés », qu’ils « deviennent ». 

Mais y-a-t-il une généalogie du sexe, du genre, de la sexualité? 




1) Définition de termes

Il est VRAIMENT utile de définir ces trois termes le plus précisément possible. Pour le faire, nous nous appuierons sur un livre d’Elsa Dorlin, philosophe, qui s’intitule « sexe, genre et sexualités ». Quand nous parlons de sexe, nous confondons habituellement trois notions qui ne se recoupent pas, ou dont le recoupement est vraiment problématique:

  1. le sexe biologique, celui avec lequel nous naissons (sachant qu’il y a un processus biologique de développement des organes génitaux à partir de la détermination chromosomique XX ou XY). 
  2. Le genre féminin ou masculin telle que la socialisation et l’éducation des individus le produisent er reproduisent en fonction de critères normatifs qui évoluent au fil des générations. Il n’est pas indifférent ici de pointer d’emblée le sens grammatical de la notion de genre. Nous nous situons ici au niveau de la langue, de ce qu’une grammaire fixe dans l’intellection des réalités qui nous environne. Le genre nous situe d’emblée dans une dimension qui est celle du symbole. 
  3. La sexualité c’est-à-dire le fait d’avoir une sexualité. Il faut vraiment s’efforcer de saisir ce qu’implique cette dernière notion. Nous avons un corps composé de plusieurs organes, mais aucun de ces organes ne suscite ni n’implique une dimension aussi existentielle et déterminante dans nos vies que celle des organes génitaux. Avoir un sexe c’est avoir une sexualité. Avoir une tête ce n’est pas avoir une «  têtualité » ni des jambes une « jambalité », etc. Ce n’est pas seulement que, par notre sexe et par notre genre, nous nous inscrivions par rapport aux autres, c’est aussi que ces organes là nous inscrivent dans un certain rapport à la vie, tout autant du point de vue du plaisir que de la reproduction.  Bien sur, on peut toujours dire que nous avons des bras des jambes pour nous en «  servir », mais aucun de ses organes ne définit aussi explicitement son rôle ni ne nous impliquent aussi fortement dans la nature et la vie que les organes sexuels. Il faut faire attention ici: cela ne signifie pas du tout que la sexualité soit la même chose que la reproduction. Un être humain qui ne se reproduit pas n’est pas moins humain, ni naturel ni vivant que celles et ceux qui se reproduisent. Il est vraiment éclairant ici de penser à « la honte ». Adam et Eve après avoir mangé le fruit ont honte de leur nudité et évidemment a fortiori de la nudité de leurs organes génitaux. Les êtres humains ont honte de ce qui dans leurs corps se définit comme organes les plus en prise avec la vie. Nous sommes gênés de voir les élans sexuels des animaux.  La nature « se faisant » est scandaleuse, trop crue, impudique. « L’origine du monde » du peintre Courbet peut se situer dans cette évidence là, comme si Courbet disait, en substance, la nature naturante se fait ici aussi. Il y a une violence propre à l’art de dévoiler du vivant en acte, mais cette violence est pudique.


Il faut vraiment insister sur ce rapport entre sexe et sexualité. La séparation entre la fonction et l’organe y est sans aucune constatation possible, beaucoup moins évidente que pour les autres organes. Ce que cela signifie c’est que la distinction grecque fondamentale entre organon: outil d’une part et ergon, energeïa qui signifie énergie, élan, puissance d’autre part n’est pas aussi imposée, claire que pour les autres paries du corps. La sexualité revêt, comme Freud ne cesse de le relever, une dimension potentiellement traumatique chez l’être humain parce qu’elle va à l’encontre de tout processus de civilisation, de « civilité », de citoyenneté. Être humain, c’est donc apprendre à refouler et à réguler sa sexualité, de telle sorte qu’avoir une vie sexuelle pour un être humain revient à inventer un mode de sexualité compatible entre ce que la vie pure exige en terme de satisfaction et ce que la loi, la morale (voire le devoir) considérant comme recevable dans le cadre de la société. Par conséquent, la sexualité humaine impose à chacune et à chacun un type de rapport au sexe considéré comme détermination biologique comme organe qui d’emblée interdit qu’il soit accepté, reçu, vécu  « comme tel » Etre humain,  c’est troubler le rapport  naturel et donné au sexe par le caractère constructif, modulable et fluctuant de la sexualité.


2) Da Sein et sexualité

Cela nous permet de répondre à une question vraiment essentielle: le Da sein est-il sexué (et d’ailleurs pourquoi je dis « le »? Parce que je ne peux pas me situer dans la question de la détermination du sexe sans être toujours déjà du côté du genre, de cela même que je parle et que j’écris dans une langue pour laquelle on dit LE Da Sein )? De quel côté situer le sexe par rapport à l’étonnement et à l’angoisse qui constitue en propre l’angoisse du Da Sein, son ennui ? Il éprouve le fait d’exister comme absurde et dans cette existence même, la sexualité s’inscrit. Exister, mourir, et faire l’amour participent donc d’un continuum de réalités données à l’égard desquels le Da Sein se définit comme demande de sens, et cette demande ne peut ni ne doit se concevoir comme promise à une réponse possible. Assumer le Da sein c’est assumer de consister dans cet être « tout en question » et la sexualité c’est le « tout en question » du sexe, ce qui explique qu’en elle se confondent le trouble et la mutation. C’est toujours dans une certaine indétermination du sexe que se déploient des sexualités, la sexualité. Ce n’est pas du tout que l’on puisse faire n’importe quoi à partir de sa détermination sexuelle biologique en tant que mâle ou femelle, c’est plutôt que ce désoeuvrement du Da sein, privé qu’il est de prescriptions naturelles données dans ce domaine comme à celui de la constitution de « milieu » ou de biotope, se voit confronté à ce défi d’inventer, de toutes pièces, des sexualités, de la même façon qu’il lui revient d’inventer des substituts au biotope, à savoir une polis, une éthique, une compensation. Nulle part n’est décrit ou prescrit le mode humain de fonctionnement sexuel, pas davantage que n’est donné le modèle d’attitude de l’être humain dans la nature. Il lui faut une éthique et il lui faut aussi une « Ethica sexualis », pour répondre le titre d‘un livre de Daniel Pautrat sur Spinoza.

Mais qu’est-ce ça peut être la sexualité de « la clairière de l’être » ? Ici comme dans tout domaine, la démesure ou la grâce, l’abjection ou le salut, ce qui signifie en l’occurrence: la pornographie ou la célébration. Aucun animal n’est plus que nous en capacité de célébrer, de souligner, de sacraliser la sexualité, ce qui suppose que nous soyons dotés de l’aptitude à la réinventer, à constituer tout à la fois une sexualité dans la pratique de laquelle notre assomption du Da Sein s’effectue sans pour autant se laisser abuser par le mirage du pouvoir et de l’exploitation. 

En d’autres termes, il ne peut exister de prescription donnée de ce qu’une sexualité naturelle aurait à être à partir de la détermination sexuelle des Da sein, par quoi c’est bien à ce que l’on pourrait appeler une sexualité « construite » que nous avons affaire, mais en même temps, de la même façon que le monde du Da sein n’est pas la nature-ressource du transhumaniste, le champ ouvert à cette sexualité humaine construite, constituée, constituante, n’est pas le marché ouvert à une forme de sexualisation des corps consommables.




La tripartition dont nous sommes partis s’éclairent ainsi considérablement. Il n’est pas du tout absurde pour la comprendre de faire un parallèle avec Antigone de Sophocle et plus particulièrement avec le Deinos du premier Stasimon. Le Deinos, c’est ce par quoi l’être humain n’est plus soumis aux lois naturelles, et cela signifie qu’il n’est plus déterminable non plus dans les termes de sa détermination biologique donnée: mâle ou femelle. Le genre c’est finalement l’équivalent de la loi dont il va bien falloir que l’être humain se dote sous peine de sombrer dans la  démesure. Mais malheureusement ce sont souvent celles et ceux qui sont en charge de l’autorité de décider des lois qui tombe dans la démesure et l’outrance comme Créon. Mais en quoi consiste vraiment l’outrance de ce denier? Dans la croyance que son pouvoir peut outrepasser la puissance des rituels dans lesquels quelque chose du rapport de l’être humain à l’être s’énonce et se pratique. Cela revient finalement à investir la sexualité de cette puissance qui est dans Antigone celle du rituel de l’inhumation par quoi c’est la spécificité pure du deinos humain qui s’affirme dans  sa singularité et dans la pureté de sa ligne existentielle. La sexualité est à la fois le questionnement éprouvé par le Da Sein à l’égard du sexe biologique et la garantie, le garde-fou grâce auquel il se maintient  à l’abri de l’illusion qu’un pouvoir se donnerait au fil de cette remise en cause.  Le sacré n’est ni la loi (genre) ni la nature (sexe biologique) mais la sexualité: une sexualité créatrice plus qu’exclusivement procréatrice comme le nom même d’Antigone le signifie assez clairement anti / gone: celle qui n’engendre pas. 

Résumons:  il peut être vraiment éclairant d’essayer de situer le sexe, le genre et la sexualité dans cette image du concert ou de la pièce jouée telle qu’elle n’a pas cessé de revenir dans le cours sur l’humain et les limites. D’ailleurs la tique fait finalement trois repas en tout et pour tout dans sa vie et le 3e est lié à la reproduction. Après avoir bu le sang du mammifère, la tique se laisse tomber sur le sol, elle pond et elle meurt. Cela veut dire que la sexualité prend place dans le biotope « évidemment ». Dans la partition des concertistes animaux, la sexualité est comprise et elle est donnée. Elle s’effectue « aveuglément » sans conscience, ni lumière. Elle participe de cette perfection sans visibilité de l’être (de l’intérieur de ce que c’est qu’être). Le Da Sein, au contraire, se sait sexué, et sexualisé. Par conséquent, il ne peut pratiquer qu’une sexualité consciente d’elle-même, « éclairée »  et c’est exactement cela qui explique la pudeur. Le Da Sein est « pudique » à l’égard de tout ce qui a trait à la sexualité de la même façon qu’il est regardant, impliqué à l’égard de l’éthique, tout simplement parce qu’il perçoit qu’il lui faut une autre modalité d’attitude que celle de l’animal qui suit aveuglément les directives de sa partition naturelle.

Finalement, cette spécificité du Da sein consiste dans l’obligation qui est la sienne de se donner à lui-même les signes à partir desquelles il va créer son mode de vie, alors que les animaux reçoivent les signaux naturels désinhibiteurs à partir desquels ils peuvent libérer la puissance qui les définit (et grâce à laquelle ils créent leur biotope). Cela revient à poser qu’il est un animal symbolique. C’est précisément cette immersion dans le symbole dans le domaine de la sexualité qui va donner le genre, avec la même difficulté que celle de la loi, à savoir que l’Humain doit se garder de la tentation de la démesure, de se croire tout puissant dans cette auto-determination du genre comme il est susceptible de se laisser dominer par l’hybris dans son rapport à loi.

Dans la pudeur, telle qu’Adam et Eve en font preuve lorsque ils se découvrent nus, se manifeste et s’exprime une qualité propre au da Sein qu’il nous revient de maintenir et de cultiver si l’on veut « assumer le da sein », comme Heidegger ne cesse de nous inviter. La pudeur est finalement l’équivalent du respect de la loi des Dieux telle qu’Antigone le rappelle à Créon dans leur dialogue. Cela signifie que le Da Sein est à la fois l’animal dont la sexualité n’est pas prescrite naturellement notamment par son inscription dans un sexe biologique, mais aussi cet animal à la sexualité pudique dont les pratiques tout aussi inventées qu’elles soient, tout aussi improvisées qu’elles soient par rapport aux animaux, comme l’atteste l’absence d’oestrus (période de rut et d’ovulation) pour les êtres humains (même si cette question n’est pas tranchée) doivent revêtir une dimension sacrée, ritualisée. L’être humain est donc doté de cette aptitude à inventer sa sexualité, tout en se devant de maintenir dans ses pratiques sexuelles la pudeur par quoi il s’inscrit assurément comme Da Sein. De la même façon qu’il assume dans l’être cette aptitude à questionner ce que c’est qu’être, il lui revient d’être dans sa sexualité, le questionneur de la sexualité, celui qui insinue dans ses pratiques sexuelles une demande de sens nécessairement inassouvie. C’est donc dans une forme de gratuité ou de praxis sexuelle que se situe le Da Sein, dans son esthétisation.


3) Intersexe

Toutefois, tous ces développements peuvent sembler trop empreints de philosophie, voire de métaphysique. Il leur faudrait une assise physiologique voire médicale. C’est bien ce que développe Elsa Dordin dans un chapitre intitulé « historicité du sexe ». Les observations et les exemples cités s’efforcent de prouver qu’en fait, inconsciemment, c’est toujours à partir du genre que l’on pose la question du sexe, des sexes, mais le problème, c’est qu’on le pose en le déformant dans la mesure où on le fait à partir d’une conception normative de la sexualité fondée sur la reproduction, donc sur l’hétérosexualité qui apparaît dés lors comme la norme, ce qui contredit l’évidence et stigmatise  la bisexualité et l’homosexualité comme des comportements anormaux, pathologiques, et cela a bien été la nome tout le 19e siècle et une bonne partie du 20e. 


Intéressons-nous plus particulièrement à la première moitié du 20e. Le terme de genre, contrairement à ce que l’on croit fût d’abord un terme inventé par les médecins confrontés à des nouveaux nés, dits « intersexes », ce qui ne signifie pas qu’ils étaient nés sans sexe assigné mais que le processus anatomique dit de « sexuation » ne s’était pas bien déroulé pendant la période foetale. Pour ces médecins il revenait donc à la science de corriger ces anomalies en conduisant jusqu’à son supposé terme le processus de sexuation, comme s’il fallait qu’à un corps soit assigné le bon sexe, mais finalement au regard d’une identité de genre. 

Le cas le plus célèbre est celui de Bruce. Suite à un accident de circoncision survenu à 9 mois, Bruce n’a plus de pénis et les parents demandent à John Money, le spécialiste de l’identité sexuelle, d’intervenir. Money soutient qu’il est impossible pour un garçon biologique d’avoir une sexualité normale sans pénis et il décide d’intervenir pour qu’il devienne une fille. Une opération chirurgicale et des traitements hormonaux transforment ainsi Bruce en Brenda à l’âge de trois ans. Pour Money, il est évident que le sexe biologique ne détermine pas l’identité sexuelle des individus (de genre et de sexualité). Comme le dit Elsa Dorlin commentant l’acte chirurgical de Money, l’identité sexuelle est reconstructible, déterminable, constructible par une intervention technique exogène. On mesure ainsi à quel point le processus de sexuation biologique ne l’intéresse aucunement par rapport à la binarité de l’identité sexuelle. Le plus troublant dans ce cas de figure, est l’âge de Brenda (3 ans) qui se voit assignée une identité sexuelle « normale », c’est-à-dire normative. L’humain exerce ainsi son pouvoir de déterminer le sexe des nouveaux nés.

Quelque chose pose vraiment problème ici, c’est le présupposé de John Money, à savoir qu’une sexualité de garçon suppose que l’on ait un pénis « achevé », « normalisé », c’est-à-dire finalement « apte à la reproduction ». En fait, ce n’est pas du tout le sexe que le genre ici supplante mais la sexuation biologique à laquelle il substitue un processus de sexuation technologique par des opérations exogènes (traitement chirurgical et hormonal). Comme le dit très bien Elsa Dorlin: « en dénaturalisant le genre, on a aussi réifié la naturalité du sexe ». C’est comme si la science se donnait pour mission de finaliser ce qui selon elle a été mal géré par la nature mais à partir de ce qui (ici encore, selon elle)  ne fait aucun doute dans la nature, à savoir la binarité du sexe mâle et femelle. Mais qu’il y ait ainsi deux sexes, c’est en fait une proposition de genre. 

Ce qu’il y a sans aucun doute, c’est un processus biologique de sexuation, mais que celui-ci s’effectue dans la perspective d’une bi-catégorisation sexuelle n’est aucunement prouvé. C’est le préjugé d’une bi-catégorisation sociale qui plaque ainsi sur des observations scientifiques précises une finalité projetée. Elsa Dorlin souligne qu’à partir du 17e siècle, le sexe a été défini selon un mode bi-catégoriel dans quatre domaines:

  • la physiologie du tempérament: sexe humoral
  • L’anatomie des appareils génitaux et gonadiques (testicules et ovaires) : sexe gonadique
  • Information hormonale: sexe hormonal
  • La génétique (XX et XY): sexe chromosomique 

Or ces quatre définitions ont toutes échoué à décrire le processus de sexuation biologique au gré de la distinction Mâle / Femelle. Il faut aller jusqu’au terme de ce qu’implique une telle conclusion: la distinction Mâle / Femelle est un a priori à partir duquel la médecine et la physiologie ont interprété un processus de sexuation biologique qui en réalité n’est pas bi-catégoriel.


Parmi toutes les études illustrant le caractère présupposé socialement de cette bi-catégorisation, on peut citer cette enquête relayée par des médecins allemands. Sur 500 hommes (mâles) ayant effectué un passage à l’hôpital entre novembre 1993 et septembre 1994 pour des affections à l‘urètre ou à la vessie, 275 d’entre eux pouvaient être labellisés comme normaux selon les critères de normalité masculine appliqués aux nouveaux-nés intersexes.  Le reste soit 45% ne correspondait pas aux critères et présentait des signes d’identité sexuelle ambigüe (conformation anormale du canal de l’urètre entre autres)? Comme le dit Elsa Dorlin, cela signifie « que les critères socialement définis par les protocoles de réassignation de sexe mis en place lors de la naissance d’enfant intersexes sont donc à ce point caricaturaux qu’ils jettent dans l’anormalité prés de la moitié de la population….Dans ces conditions, ce sont bien les critères discriminants, élaborés dans le cadre d’une politisation  des corps sexués qui minent la définition même du normal en matière de sexuation biologique, car dés lors que nous déjouons son application aux seuls cas dits anormaux pour appliquer ses propres critère à la population dite « normale », nous assistons à la pseudo pathologisation de cette dernière. »


Conclusion: primat du « devenir soi » sur le « devenir femme ou homme »

Mais alors, comment rendre compte de ce que peut vouloir signifier avoir tel ou tel sexe, puisque finalement nous réalisons qu’il existe bien un processus de sexuation biologique mais que la détermination définie d’un sexe à l’autre semble plus problématique? Elsa Dorlin évoque la notion d’idiosyncrasie sexuelle. Ce terme d’idiosyncrasie désigne le comportement singulier par le biais duquel un individu agit face à des agents extérieurs. Ce qui se fait jour alors est une sorte de dépassement de la fameuse affirmation de Simone Beauvoir: on ne nait pas femme mais on ne le devient pas non plus ou plutôt: devenir femme s’inscrit dans une dynamique plus puissante de devenir soi-même. On inverse le rapport habituel entre l’identité de soi et celle du sexe. Je n’ai pas à me situer par rapport à une bi-catégorisation sexuelle c’est plutôt elle qui doit se déterminer par rapport à un processus plus long, plus complexe et plus inachevé qui est celui de mon individuation. Quand Nietzsche nous invite à devenir ce que nous sommes, il faut inclure la détermination sexuelle à l’intérieur même de ce processus d’individuation.





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