lundi 8 janvier 2024

Terminale HLP: Création, ruptures et continuités (1)


 Introduction

Toutes les sociétés humaines ne sont pas historiques, mais il se trouve que la notre l’est. Qu’est-ce que cela veut dire? Que notre évolution sociale, politique, économique, scientifique, artistique, etc, ne se produit pas sans trace, sans support. Hérodote (485 - 425 avant JC)  considéré comme le père de l’Histoire en Occident écrit ainsi au début de son livre Enquête: « j’écris pour que les événements qui surviennent du fait des hommes (ta genomena ex anthrôpôn) ne disparaissent pas avec le temps, et que les grandes et étonnantes (thômasta) actions accomplies tant par les Grecs que par les Barbares ne restent pas sans gloire, en particulier ce qui fut cause qu’ils se firent la guerre les uns les autres ». 

Il convient de bien réfléchir à tout ce qu’implique cette conscience historique de notre devenir sociétal. Les évènements marquants de notre civilisation ne s’effectuent pas « comme ça ». Ils s’inscrivent dans un support que Bernard Stiegler qualifierait de rétention tertiaire. Les rétentions primaires définissent le simple fait que toute action présente se fait sur le fond d’une mémoire récente. Je ne pourrais pas dire une phrase sans avoir dans ma mémoire immédiate son début commencé il y a juste quelques micro-secondes (mais on peut perdre cette mémoire, preuve qu’elle existe). Les rétentions secondaires sont celles grâce auxquelles nous sélectionnons certains souvenirs et l’archivons dans une mémoire qui cette fois ci est celle du souvenir (ce n’est plus la mémoire immédiate, c’est la mémoire tout court et elle est sélective). Les rétentions tertiaires sont les documents, les traces archéologiques qui constituent comme un dépôt de sédimentations mémorielles, des supports fondés sur l’écriture grâce auxquels un passé se dépose comme un donné matériel consultable et à partir duquel se constitue l’Histoire.

Nous venons de voir à quel point la capacité à constituer sa vie comme un récit était  fondamentale pour le moi, jusqu’à constituer finalement la moins mauvaise définition de cette identité, laquelle se caractérise moins dés lors comme un portrait que comme ce vague effet de résonance entre un auteur, un personnage et un support de rétention tertiaire. 

N’en irait-il pas de même pour les sociétés, les civilisations, les peuples? S’il s’avérait en effet qu’il existe un rapport entre la modalité d’identification d’une civilisation et le récit qu’elle peut s’avérer capable par son Histoire de créer, de susciter à son égard dans une sorte de « self story telling », quelle place accorder aux « ruptures », aux révolutions particulièrement dans le domaine de la science et de l’art?  Qu’est-ce qui finalement assure la continuité d’un questionnement au sein même d’une civilisation comme la nôtre, questionnement suffisamment intense pour justifier des révolutions scientifiques et des bouleversements artistiques? Supposons qu’il y ait quelque chose d’une identité narrative qui s’active également à l’échelle de certaines civilisations, et donc pas seulement à celle des sujets, des personnes. Quelle place serait-il envisageable d’accorder à ces moments de crises identitaires au travers desquelles précisément quelque chose d’une civilisation (en tant qu’elle est historique) ne se retrouve plus dans un cadre de pensée et s’en fixe un autre? Les révolutions scientifiques notamment ne nous semblent pas être inspirées par un autre souci que celui de la vérité, mais s’il s’avérait que cette notion d’identité narrative puisse également s’appliquer à la modalité d’identification d’un peuple, alors s’imposerait la question de savoir si c’est LA vérité, en elle-même qui inspirent ces renouvellements ou plus modestement le désir de fonder SA vérité, de s’inscrire soi-même en tant que civilisation, peuple et style d’être humain dans un support de rétention tertiaire. Quelle est la part de vérité « objective » susceptible d’être réellement mobilisée dans les révolutions scientifiques et artistiques? L’idéal de la connaissance en soi tel qu’il est à même d’être poursuivi par une civilisation donnée ne se résoudrait-il pas à celui de la connaissance de soi, ou de l’affirmation de soi en tant que style?  




C’est particulièrement les notions de rupture et de création qui nous intéresseront ici: Comment et pourquoi une certaine façon de penser et de créer se révèle-t-elle dépassée, caduque, inapte, obsolète? Qu’est-ce qui se poursuit au fil de ces instants de crise et de refonte? Nous avons déjà évoqué à de multiples reprises le Da sein, à savoir cette condition spécifique à l’être humain de se percevoir soi-même comme questionnement. Etre un Da sein, c’est être dépossédé.e de la possibilité de vivre le fait d’exister comme « donné », allant de soi.  Il ne va pas de soi que l’on soit, c’est cela le Da Sein et c’est ce qui installe la philosophie, la science, l’art, au coeur de son mode de vie. Par conséquent ce qui fait sens dans la vie du da sein, c’est précisément le fait que jamais le sens, à savoir le sentiment d’une légitimité à être ne sera l’objet d’une jouissance. Dés lors, une piste s’ouvre à nous pour prêter attention à ces crises, à ces refontes, à ces révolutions aussi bien scientifiques que artistiques, à savoir qu’elles marqueraient dans l’histoire des ces civilisations historiques, ces moments de retour à soi d’un Da sein parfaitement lucide. Toujours revenir à soi comme question: telle serait alors la signification des ruptures et des créations, et ce jusqu’à l’émergence au 20e siècle de nouvelles formes d’art théâtral telle que Beckett, Ionesco, Adamov, Jean Genêt en ont été les pionniers.


Nouvelle version de l’introduction (plus claire…j’espère!): Nous pourrions dire les choses autrement: Nous sommes une société historique, ce qui signifie que nous avons adopté une façon historique d’appréhender les « évènements collectifs, humains »  en les inscrivant via l’écriture dans un support, dans une trace, ce que Bernard Stiegler appelle les rétentions tertiaires. Notre « évolution » s’accompagne donc du récit de cette évolution. Dés lors se pose la question du sens: l’idée selon laquelle notre histoire aurait un sens se manifeste-t-elle à nous parce qu’elle s’effectue bel et et bien dans l’enchaînement des faits historiques? Ou bien ne consisterait-elle, tout comme finalement le suggère l’identité narrative de Paul Ricoeur à l’échelle de l’individu, qu’en tant que récit? Si l’identité narrative nous permet, en effet, d’accéder à l’ipséïté, c’est-à-dire si elle nous convainc à très juste raison que nous sommes « quelqu’un » (quelques en UN: plusieurs personnes en UNE seule), c’est bien parce que dans la construction de ce récit explicite ou implicite qui accompagne les moindres épisodes de notre existence et les inscrit dans la cohérence d’une trame susceptible d’être lue (légenda en latin), quelque chose d’une unité se tente et finalement s’authentifie. Notre identité n’est pas faite, aboutie, elle est à faire, et la narration en entretenant le fil racontable de notre existence, lui donne cette perpétuelle ouverture non pas d’être forcément « UNE » mais de pouvoir se structurer dans le fil dynamique d’un récit, et ainsi de gagner un sens.

Pourquoi Ulysse a-t-il autant de peine à contenir ses larmes devant Antinoos et la cour de Phénicie? Parce qu’ainsi racontée par l’aède, cette existence morcelée, chaotique, aventureuse qu’il mène depuis que Poséïdon l’a maudit pour avoir tué son fils Polyphème, acquiert étrangement , magnifiquement un sens et que le souffle de l’épopée l’atteint de plein fouet, tout comme nous mais pas avec l’intensité d’une reconnaissance identitaire exclusive. Que son existence soit unifiée dans un récit, Ulysse le vit puisque de fait, c'est bien un récit qu'il entend et c'est aussi son existence. Hannah Arendt a parfaitement raison d’affirmer que dans cet épisode l’épopée s’effectue dans toute sa justesse et sa nudité. C’est cela qu’elle est au plus profond: le récit de soi par lequel une civilisation, une société, une personne peut se convaincre qu’en elle se poursuit le devenir d’un personnage d’une histoire d’UNE vie.

Mais jusqu’à quel point cette hypothèse selon laquelle le sens de l’histoire serait assimilable au processus narratif de cette auto-fiction dans la construction duquel une civilisation s’identifie est-elle viable? Pouvons nous la tester  a fortiori dans les domaines de la science et de l’art? Le principe générateur, moteur des révolutions esthétique et scientifique peut-il consister dans ce leitmotiv là? Le principe dynamique  par le biais duquel des mouvements scientifique et esthétique se font jour et s’enchaînent plus ou moins brutalement est-il celui de ce souci de soi tout impliqué dans la trame  d’une auto-narration? Se pourrait-il que cela ne soit que ça, en fait, et qu’en deçà de ses ruptures et de ces créations surprenantes, les sociétés humaines ne fassent que se raconter leur propre histoire?



1) Connaître et être (Bergson et la biologie)


Pour connaître les phénomènes et les processus vitaux, nous utilisons notre pensée. Vivants, nous nous efforçons de penser la vie et faisons l’épreuve d’une sorte de décalage. Je viens de me couper et, pour comprendre la cicatrisation , je lis un livre qui me renseigne sur la façon dont mon épiderme va se reconstituer. Cela est décrit par le biais de phases de migration, de prolifération et de maturation des cellules. En même temps que ma pensée se représente ces phases, ma peau le « fait ». Henri Bergson met l’accent sur cette différence entre ce qui est ou ce qui devient et ce que l’on peut connaître de ce que la vie effectue. Il nous semble difficile de penser quelque chose sans le percevoir au travers du filtre de cadre régis par le principe de non contradiction. Il faut qu’un être soit un ou multiple. Il est absolument nécessaire que tout ce qui se produit ait une cause qui l’explique. Rien donc ne peut se produire sans cause. De la même façon nous avons le sentiment quand nous observons des processus qu’ils ont un sens, un but, une finalité. Nous parlons d’individu, d’individualité c’est-à-dire, au sens littéral d’être que l’on ne peut décomposer en unité plus petites. Mais souvent nous constatons que ces unités elle-mêmes sont en réalité divisibles, de telle sorte que nous ignorons à partir de quel degré de petitesse, il faut poser une véritable individualité. Nous-mêmes nous considérons comme un individu à part entière, mais ce sentiment que nous avons intellectuellement n’est pas du tout effectif physiquement puisque nous sommes composés de parties. Bergson évoque ainsi la question du tout et de la partie. Est-ce la partie qui s’agglomère dans un tout où le tout qui rallie à lui toutes ces parties?

Il convient bien d’insister ici sur le fait que Bergson situe sa réflexion au niveau de la biologie. Vivants, nous le sommes. Nous sommes bel et bien conscients que nous le sommes mais est-ce pour autant que nous jouissons de la connaissance de la vie? Il y l’intelligence de l’être grâce à laquelle les cellules de mon épiderme se reconstituent et il y a l’intelligence du connaître grâce à laquelle j’essaie de me représenter par l’intellect ce qui se passe quand ma peau cicatrise. J’y parviens mais dans une certaine mesure seulement. J’ai une certaine clarification du comment mais pas du tout une intuition du pourquoi et d’ailleurs même dans le comment, il y a quand même un problème, c’est que mon intelligence qui veut savoir court après une intelligence qui « fait ». Il y a là un dynamisme, un mouvement dont l’effectuation semble avoir toujours un temps d’avance sur moi.

Finalement nous faisons ici l’épreuve d’un contenant qui ne parvient pas à contenir son contenu. Comprendre un phénomène, c’est pouvoir saisir sa cause et percevoir qu’à la même cause correspond le même effet. En d’autres termes, la pensée humaine ne peut prétendre à la connaissance qu’à partir du moment où les rapports de cause à effet, c’est-à-dire de lois sont saisis, observés et dés lors susceptibles de rendre possible la prédiction. Dans les sciences expérimentales, il y a nécessairement un versant prédictif. C’est ce qui fonctionne avec la physique, avec l’astrophysique, avec ce que Bergson appelle « les choses inertes », mais il parle ici de la biologie, de la science du vivant et ce qu’il semble affirmer c’est qu’il y a dans le vivant quelque chose qui déborde du cadre de ce que la science peut saisir, comme s’il fallait abandonner la rationalité pour comprendre le vivant. C’est exactement cela que Bergson veut défendre et c’est ce que l’on coutume d’appeler le vitalisme, à savoir la thèse selon laquelle la vie réside dans un élan dynamique qui ne peut se réduire à des lois mécaniques. Il y a une spécificité de la biologie par rapport à la physique et à la chimie, c’est que la vie est son objet et que justement la vie, c’est ce dont on ne peut faire un objet.

Si l'on reprend l’étymologie même du terme ob/jet, on comprend mieux: objet signifie jeté devant or il est impossible d’étudier la vie comme objet dans la mesure même où on ne peut l’étudier qu’à partir du vivant. Aussi loin que l’on puisse aller dans l’étude du vivant, on ne saurait prétendre à une objectivité parfaite si par objectivité on entend extériorité. Comment demeurer extérieur à l’égard d’un mouvement dont il semble évident que je suis animé puisque je vis ? Comment connaître ce que c’est qu’être sans l’être avant de le connaître de telle sorte que la connaissance que j’en aurai ne serait jamais simultanée ?



On peut ici utiliser le lexique de la philosophie de Spinoza dont on sait par ailleurs que Bergson fut considérablement marqué. Il ne fait aucun doute que quelque chose des thèses de Spinoza se poursuit dans la philosophie de Bergson, notamment par rapport à l’immanence. Rappelons de quoi il s’agit: on peut dire d’un principe qu’il est immanent quand il ne fait qu’un avec ce qu’il meut. Ce que Spinoza disait de la nature, Bergson le dit ici de la vie. Je peux bien essayer de comprendre la puissance de cicatrisation des tissus, tant que je la saisirai avec ma pensée comme un processus extérieur, je réaliserai certes un certain nombre de choses mais aucune de ces choses ne sera partie prenante de cela même qui fait que ma peau cicatrise.  La connaissance suppose un sujet qui connaît et un objet qui est connu: cela peut donc marcher (et encore!) Lorsque j’essaie de connaître le monde qui m’entoure, les éléments, les phénomènes planétaires, mais dés lors que c’est la vie qu’il faut comprendre un problème se pose, c’est que cette distinction entre un sujet et un objet est impossible, puisque la vie est à la fois dans le sujet et constitue l’objet

Spinoza distinguait dans la nature la nature naturante et la nature naturée. La seconde est l’ensemble des choses créées par la nature, la première est la capacité auto-génératrice par le biais de laquelle la nature est cela même qui crée. La nature naturante c’est la nature telle qu’elle s’effectue elle-même, c’est la cause de soi, autrement dit Dieu pour Spinoza.

Le problème est ici celui de la simultanéité. Tant que ma pensée volontaire et consciente se met en peine de saisir quelque chose de la vie, elle active un processus de distanciation, d’objectivation, de fixation qui ne peut en aucune manière être synchrone avec l’être en mouvement de la vie, « son animation ». C’est la raison pour laquelle, nous sommes toujours en situation d’avoir un train de retard. Mais alors faut-il se résoudre à ne jamais comprendre le principe même à partir duquel nous sommes?

             Bergson évoque ici la pensée symbolique, c’est-à-dire la langue, le langage.  Finalement de tous les cadres de pensée dont nous sommes dotés, il ne fait guère de doute que le langage est probablement le plus important, le plus constant, celui qui imprègne sous toutes ces formes l’être humain. Or il existe d’autres intelligences que symboliques dans le règne naturel prouvant que le vivant se donne par lui-même en lui-même d’autres expressions.

            Bergson suit totalement Spinoza dans la conception immanentiste de la nature ou de la vie. Il n’est pas d’autre moyens de comprendre la vie que celui d’être la vie qui se comprend. On peut dés lors saisir le terme de comprendre en deux sens, celui de contenir et celui de réaliser, de penser. Nous ne pouvons penser la vie qu’en prêtant attention à la multitude de manifestations de la vie, sachant que finalement la vie se comprend en ne cessant de faire exister une multitude d’êtres vivants dont chacun la compose. Comprendre la vie, revient donc à explorer la diversité du vivant et à retenir le mouvement de réduction de tore pensée totalisante. Se pourrait-il finalement que la structure même de la vie soit celle d’un ensemble ouvert et qu’à tous ces moments de résistance par le biais desquels la pensée fait l’épreuve de l’impossibilité à totaliser, à fermer des ensembles, à les clore, quelque chose d’une vérité éclate mais en un sens du mot vérité auquel nous ne sommes absolument pas accoutumés?



                    Il est assez difficile de ne pas penser à Darwin ici, dans le 3e paragraphe puisque il est ce biologiste grâce auquel l’être humain s’est enfin clairement confronté à cette évidence aussi facile à connaître que difficile à reconnaître qu’il consistait dans un moment de ce que l’on appelle la phylogenèse des espèces animales. C’est déjà en soi un effort assez considérable induisant des conséquences religieuses notables (et d’ailleurs encore observables aujourd’hui). Toutefois ce que Henri Bergson affirme ici n’est pas du tout en phase avec les thèses de Darwin et c’est un peu paradoxal mais en même temps cela tombe sous le sens. Si, en effet, le naturaliste anglais a eu le mérite d’être le premier à inclure l’être humain dans une théorie globale selon laquelle toutes les espèces évoluent au gré d’un principe qui est celui de la sélection naturelle, Bergson n’est justement pas d’accord avec ce principe. Qu’il y ait évolution, phylogenèse est un fait mais que la vie évolue en vertu d’un critère d’adaptation au milieu, c’est ce que Bergson réfute. La vie ne se transforme pas au gré d’un prise de sélection mais d’un principe de création. Rien n’était possible avant quelque part avant de se rendre réel ici maintenant. En d’autres termes, il est tout à fait remarquable d’avoir découvert le principe de l’évolution qui s’active dans la vie mais Darwin finalement n’est pas allé jusqu’au bout de cette découverte qui finalement consistait à réaliser que la vie ne cesse de s’inventer à tout instant qu’il n’y a en elle que de l’innovation. Darwin a considérablement réduit son intuition en lui imposant cette limite de l’adaptation selon laquelle les espèces vivantes étaient seulement « survivantes », comme si la vie ne faisait qu’obéir à un principe réductionniste, comme si l’on pouvait la ramener à un « sauve qui peut », alors qu’elle consiste au contraire dans le principe même d’une innovation constante et imprévisible

Le passage le plus difficile à expliquer dans ce paragraphe est probablement celui-ci: « En les rapprochant les unes des autres, en les faisant ensuite fusionner avec l’intelligence, n’obtiendrait-on pas cette fois une conscience coextensive à la vie et capable, en se retournant brusquement contre la poussée vitale qu’elle sent derrière elle, d’en obtenir une vision intégrale, quoique sans doute évanouissante ? » Nous avons du mal à comprendre ce que Bergson veut dire quand il évoque ces « voies divergentes par lesquelles se seraient développées d’autres formes de la conscience ». Or cela a à voir avec cette « conscience coextensive à la vie ». Nous sommes, nous êtres humains, des êtres conscients et connaître la vie signifie que notre conscience se porte vers la vie, mais en tant qu’objet. En d’autres termes, nous activons notre conscience en tant que sujet vers une réalité dont il nous semble dés lors évident qu’elle est un objet distinct, séparable, à l’égard duquel nous allons pouvoir développer une connaissance qu’à bon droit, on dira « objective ».

Mais il y a là un problème que l’on peut formuler très simplement: comment pourrais-je moi, être humain qui vit, faire de la vie un objet séparé, puisque, de fait, il ne l’est pas? Le fait que j’ai conscience d’être vivant ne prouve rien d’autre que ceci: il y a dans la vie des lignes évolutives qui sont capables de prendre conscience d’elles-mêmes. La conscience est donc une faculté qui n’est pas spécifique à l’être humain mais qui doit être propre, inhérente à la vie et plus ou moins développée selon les espèces. Et dés lors tout change: il n’est pas question de connaître la vie mais d’être en phase avec la vie qui se connaît, qui se comprend, dans tous les sens du terme. 


Ici, on peut vraiment saisir la puissance de le thèse de Bergson en l’opposant à cette affirmation de Pascal dans les pensées: « Par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point, par la pensée je le comprends. »

Evidemment, Pascal parle de l’univers et pas de la vie, mais d’un point de vue spinoziste, l’univers et tout ce qui le compose ne saurait être rien d’autre que la nature naturée nécessairement produite par une nature naturante, soit une nature vivante (à savoir Dieu, pour Spinoza). Et nous comprenons bien que là où Pascal voit un trait d’esprit dont il essaie de rendre compte par un jeu de mots utilisant le double sens du verbe « comprendre »: réaliser et contenir, Bergson lui, au contraire pointe l’exacte opposé d’un jeu de mots, quelque chose que nous avons du mal à nous représenter, et pour cause: il ne s’agit rien de moins que de l’efficience même par le bais de laquelle la vie se fait se crée, « EST », au sens le plus pur que l’on puisse donner à ce terme.

Il nous faut vraiment approfondir cette opposition tant elle est porteuse d’une signification extrêmement riche et  féconde. Que veut nous dire Pascal? Que notre âme et notre corps sont distincts, séparés. En tant que corps, je ne suis qu’une partie de l’univers, mais en tant qu’âme je peux penser l’univers, la nature, l’espace. Et d’ailleurs, Pascal dans cette pensée veut justement signifier que toute notre dignité d’être humain est là, condensée dans cette pensée que nous avons, NOUS, et pas les autres espèces, pas la vie. Je suis une conscience ET un corps: c’est cela que veut dire Pascal et ce ET marque une ligne qui sépare clairement deux choses qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Dés lors le double sens du terme « comprendre » se répartit entre être un corps compris dans la nature et être une pensée, une conscience humaine comprenant la nature. Mais ne suis-je pas, contrairement à ce que dit Pascal, une conscience effectuée dans un corps, étant entendu qu’il n’est pas un seul corps qui puisse être chose que cela, à savoir de la conscience physique? Et si un corps, tout corps, c’est-à-dire toute chose et tout être, tout organisme, toute réalité, toute vie était fondamentalement conscience? 

Qu’est-ce en effet que la conscience? C’est un être à soi. Quand je suis conscient d’une chose, d’un être ou d’un état, je m’aperçois de moi concerné par cette chose par cet être ou pris dans cet état. Toute conscience est conscience de soi. Toute conscience est un retour à soi, ce que l’on appelle une réflexivité. Sous le prétexte que nous humains nous avons conscience de nous, nous sommes partis du principe que les animaux, les végétaux, tout ce qui est vivant mais non humain n’était pas doté de conscience (c’est le principe même de l’ontologie naturaliste selon Descola). Mais en même temps, nous percevons bien grâce à la science qu’il existe des solidarités, des principes d’harmonisation entre tous les différents biotopes qui peuplent la planète et qu’il est pour le moins difficile de ne pas en induire une «  intelligence globale, mondaine (au sens de « venant du monde »), universelle, intelligence qui ne supervise pas (Bergson parle bien de quelque chose d’immanent et d’essentiel, donc pas du tout d’une transcendance) mais qui interagit, qui « understand » en ce sens bien particulier qui consisterait à « tenir, prendre, effectuer, par le dessous ».

Jamais les schémas d’intellection du réel ne nous ont parus aussi clairement opposés:

  1. D’un côté la transcendance (Pascal) supposant des êtres humains « élus » disposant seuls, de la conscience et de la faculté de connaître la réalité qui, du coup, ne fait que les environner. A cette vision de l’homme et du monde, il faut bien une intelligence « supérieure », un être divin, surnaturel qui aurait ainsi donner à l’homme et à l’homme seulement cette dignité d’être en plus d’un corps compris dans l’espace, une pensée comprenant le monde (donc pour cette conception, il FAUT que le corps soit distinct de l’âme). Le mode d’effectuation de cette modélisation de la vie serait le doigt de l’éternel sur le plafond de la chapelle Sixtine, le décret du ciel , l’ordre venant du très haut sur le très bas, la « décision »
  2. De l’autre l’immanence (Spinoza et Bergson) impliquant UNE nature ou UNE vie s’effectuant incessamment et dont chaque instant serait précisément la « réalisation » dans tous les sens du terme puisque il n’y aurait de toute façon qu’UN seul sens du terme. Etre et être conscient ne font alors qu’UN. Il n’est absolument rien qui puisse être sans être de quelque manière « à soi » mais tout ce que cela signifie c’est qu’être revient à s’intégrer à l’être à soi d’une conscience naturelle ou vivante (que l’on peut appeler « la vie, le vivant, la nature ou Dieu", ça revient au même). Dans ce schéma, on mesure bien l’anomalie dans laquelle consiste l’être humain: celle d’un être qui croit à la transcendance (religions monothéistes dans l’efficience d’une immanence reconduite et ininterrompue). Le mode d’effectuation de cette modélisation est le complot, l’être à soi d’un réseau de connexions et d’interconnexions qui sans cesse se tisse et oeuvre sourdement à ce qui ne saurait être qu’un ensemble ouvert, infini, improgrammable et imprévisible.


 

Nous pouvons tenter de donner idée de la profondeur de la pensée Bergsonnienne en utilisant encore une autre image. Représentons-nous un cerveau, mais savons nous bien ce que c’est? C’est le centre de réception et d’émission des informations  (nerveuses) de notre corps. Comment assure-t-il cette fonction? Par des neurones dotés de la capacités de créer entre eux une multiplicité d’interconnexions. Chaque neurone possède un corps cellulaire, des dendrites et un axone. Ce dernier élément est celui qui est doté d’une terminaison nerveuse par le biais duquel s’effectue les connexions. Quand les neurones reçoivent des informations par les nerfs capteurs, ils transmettent des impulsions le long de l’axone. Cette capacité à produire une impulsion électrique  dépend de la différence de charge entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule du neurone (un peu comme un éclair dans un orage, en fait). Un influx se traduit donc par une inversion spectaculaire du potentiel électrique de la membrane. On appelle cette inversion « potentiel d’action ». Tout neurone est ainsi capable de déclencher une multiplicité de potentiels d’action par seconde, comme un orage susceptible de créer de très nombreuses fulgurations.



                    Quand ces différences de charge atteignent la terminaison nerveuse de l’axone, ils déclenchent la libération  des neurotransmetteurs, lesquels vont se relier à d’autres neurones. Une fois fixé sur son nouveau support, le neurotransmetteur crée un canal de communication, un lien qui va susciter une réponse de la part du neurone auquel s’est arrimé l’axone. Cette réponse consiste elle-même dans l’émergence d’un tout nouveau potentiel d’action, à la contraction d’un muscle à la naissance d’un geste, d’une pensée, d’une idée. Qu’est-ce que cela veut dire, en fait? Que le cerveau n’est pas seulement une sorte de central auquel parviennent et d’où sont émises toutes les signalisations nerveuses à partir desquels nos ressentis, nos gestes, nos idées, nos états de conscience de corps s’effectuent mais qu’il est aussi, tout comme un matelas constitué de mousse à mémoire de forme, ce qui se module en fonction de cette multiplicité de potentiels d’action. Dire que notre cerveau est un organe est à la fois vrai et faux: c’est vrai si l’on s’intéresse à la signification organisatrice du terme mais c’est faux si par ce terme on entend un organe défini, figé, configuré une fois pour toutes. Le cerveau, c’est l’activation d’une dynamique incessante au fil de laquelle ce que c’est qu’être un cerveau ne cesse de se transformer. Il ne peut y avoir des éclairs que s’il y a un orage, Mais en même temps la dynamique de l’orage consiste à bouleverser sa configuration à chaque éclair comme si la foudre décrivait le trait de la pliure au fil de laquelle se redéfinissait la plasticité de l’orage. Nous pourrions essayer de nous représenter un livre étrange qui ne cesserait de réorganiser ses pages au gré de l’axe d’une nouvelle reliure foudroyante. Chaque éclair est la nouvelle reliure d’un livre dynamique et insaisissable. La plasticité neuronale n’est pas fixe, pas davantage que la localisation d’un orage.

Aucun geste n’est déjà présent dans mon cerveau si l’on entend par là que certains liens entre les neurones n’attendraient que de se produire parce qu’il n’existe en réalité, nulle part, en aucune façon, de possibilités de connexions anticipables. Ce que c’est qu’avoir une pensée ou de faire un geste ou avoir tel ressenti, c’est ce dont on ne saurait se faire aucune idée avant que l’idée ne se fasse elle-même au gré d’un processus aussi improgrammable qu’un éclair dans un orage. Le « central » par lequel passent toutes les connexions de notre corps, aussi bien celles qui enregistrent nos mouvements que celles qui les déclenchent est donc régi par une « logique » improgrammable (mais le terme de logique est inadéquat)  au fil de laquelle rien jamais ne demeure identique, figé, ancré, exactement comme une étrange cage d’escalier au sein de laquelle de nouveaux seuils ne cesseraient pas d’être reliés entre eux par des escaliers tournants, mouvants, toujours en quête de nouveaux étages (un peu comme ceux de Poudlard dans Harry Potter). C’est ça un cerveau. 




Mais ce que cela signifie aussi c’est que quand nous nous trouvons au beau milieu d’un orage, nous nous retrouvons au cœur d’un système d’associations assez proche de celui au fil duquel s’organise notre cerveau. Les éclairs sont des connexions  nés des différences de potentiel entre le sol et les nuages. Je peux bien essayer de comprendre la vie avec mon cerveau, il n’en sera pas moins évident que ce cerveau en tant qu’élément moteur et centralisateur de ce corps vivant qui est mien se constitue et se reconstitue incessamment au fil de données qui sont celles-là même du vivant, de la nature. Comprendre la vie, par conséquent, cela ne peut pas être attendre de cette pensée qui est mienne et dans la construction de laquelle mon cerveau entre en jeu qu’elle me donne une représentation de cela même au fil de quoi elle se constitue. 

            On pourrait dire les choses plus simplement: il ne saurait être question de se faire une idée de ce que la vie est sans prendre en considération le fait que le processus par le biais duquel je me fais une idée est compris dans la vie. Ce n’est pas moi qui génère les idées c’est tout un mode d’association dont on observe le déroulement aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Être dans un orage, c’est être finalement dans un cerveau. Quoi que j’apprenne de la vie, le processus par le biais duquel je l’apprends est déjà la vie, laquelle donc se trouve être à la fois le sujet et l’objet de cette recherche. Comprendre la vie, c’est être en phase avec la vie qui se comprend. Cet "être en phase avec…. »  décrit donc davantage « une intuition avec…. »  qu’une « représentation de…. »

Nous réalisons ainsi le sens profond et pertinent de l’expression: « conscience co-extensive à la vie ».  Retourner contre elle-même cette poussée vitale afin d’en obtenir une vision, une intuition intégrale, c’est justement ne pas tomber dans ce piège anthropocentrique d’un sujet humain qui pourrait jouir on ne sait pas trop comment d’une connaissance objective de la vie. 


Bergson s’oppose alors à lui-même une objection: « On dira que, même ainsi, nous ne dépassons pas notre intelligence, puisque c’est avec notre intelligence, à travers notre intelligence, que nous regardons encore les autres formes de la conscience. » Ces autres formes de vie par le biais desquelles elle se comprend dans les deux sens du terme, nous avons les moyens de les cibler avec autre chose qu’une intelligence conceptuelle pure. Bergson évoque alors « ces puissances complémentaires de l’entendement ». Il faut bien saisir précisément qu’elles ne sont pas l’entendement, lequel ne produit que des raisonnements, des concepts.  Nous sommes très proche ici de ce que Spinoza appelle le troisième genre de connaissance, après le premier qui est celui des chocs, le deuxième qui est celui des rapports, le troisième genre de connaissance est celui des essences. Nous connaissons la vague du point de vue de la vague elle-même. Il est très difficile d’en donner idée sans évoquer à nouveau une forme de simultanéité et de mise en retrait du sujet humain connaissant. On ne peut connaître la vie sans être en phase avec la vie qui se connaît, qui se comprend  en même temps qu’elle est et qu’elle devient.




La clé de la compréhension de ce passage qui est le plus difficile se trouve probablement dans le titre du livre: « l’évolution créatrice » dont on peut en un sens opposer l’intitulé à l’évolution sélective de Darwin. La vie n’obéit pas du tout à une logique de réduction mais d’expansion et surtout de création perpétuelle.  L’évolution créatrice signifie que le temps ne fait pas seulement advenir des instants vides, mais qu’il crée, qu’il innove, voire qu’il improvise. Si l’on est déterministe, on considère que rien ne se produit, sans cause, ce qui signifie qu’il ne serait rien dans le futur qui ne soit déjà potentiellement compris dans le passé et le présent c’est simplement ce qui fait advenir ce dernier moment déjà contenu dans le passé de telle sorte qu’il va évoluer vers le futur. Dans une telle perspective si l’on pouvait avoir une image arrêtée de tous les phénomènes qui se produisent dans l’univers à un instant T nous pourrions en déduire ce qui va se produire après, dans notre futur. C’est l’une des thèses du physicien français Laplace: « Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir comme le passé, serait présent à ses yeux. »

Il ne fait aucun doute que Laplace appliquerait ce même schéma du déterminisme à la plasticité neuronale du cerveau et définirait les connexions comme prévisibles, anticipables, alors que c’est absolument impossible et que nous avons vu à quel point ces liens opérés par l’axone du neurone vers un autre neurone ne sont en aucune façon déterminables à l’avance, pas davantage que la foudre. Et c’est exactement la même chose pour les évènements historiques, comme le dit besson dans un autre article:

« Au cours de la grande guerre, des journaux et des revues se détournaient parfois des terribles inquiétudes du présent pour penser à ce qui se passerait plus tard, une fois la paix rétablie. L’avenir de la littérature, en particulier, les préoccupait. On vint un jour me demander comment je me le représentais. Je déclarai, un peu confus, que je ne me le représentais pas. « N’apercevez-vous pas tout au moins, me dit-on, certaines directions possibles ? Admettons qu’on ne puisse prévoir le détail; vous avez du moins, vous philosophe, une idée de l’ensemble. Comment concevez-vous, par exemple, la grande œuvre dramatique de demain ?’ Je me rappellerai toujours la surprise de mon interlocuteur quand je lui répondis : ‘Si je savais ce que sera la grande œuvre dramatique de demain, je la ferais.’ Je vis bien qu’il concevait l’œuvre future comme enfermée, dès alors, dans je ne sais quelle armoire aux possibles; je devais, en considération de mes relations déjà anciennes avec la philosophie, avoir obtenu la clef de l’armoire. ‘Mais, lui dis-je, l’œuvre dont vous parlez, n’est pas encore possible.’ – ‘Il faut pourtant bien qu’elle le soit, puisqu’elle se réalisera.’ – ‘Non, elle ne l’est pas. Je vous accorde, tout au plus, qu’elle l’aura été.’ – ‘Qu’entendez-vous par là ?’ – ‘C’est bien simple. Qu’un homme de talent ou de génie surgisse, qu’il crée une œuvre : la voilà réelle et par là même elle devient rétrospectivement ou rétroactivement possible. Elle ne le serait pas, elle ne l’aurait pas été, si c’est homme n’avait pas surgi. C’est pourquoi je vous dis qu’elle aura été possible aujourd’hui, mais qu’elle ne l’est pas encore. »

Finalement la thèse de Bergson est assez simple: c’est seulement après coup que nous rétro-projetons la possibilité d’un évènement après qu’il ait eu lieu. Nous pouvons penser à la généalogie des mouvements littéraires:  on peut toujours dire que le néo-classicisme a engendré le romantisme, il n’en demeure pas moins que nous le disons une fois que le romantisme est apparu. C’est après coup que nous discernons les conditions de possibilité de ce qui effectivement l’a suivi, mais seulement à partir du fait qu’en effet, cela l’a suivi. Aucune prédiction n’est vraiment efficiente, rien n’est possible avant d’être réel. C’est après que l’on peut, sans crainte de se tromper dire que tel mouvement a engendré tel autre, puisque de fait c’est le cas.

Le fond de ce qui est ici affirmé est vraiment de très grande importance: il s’agit de cette thèse selon laquelle le dynamisme de la vie (c’est-à-dire finalement le temps) est porteur par lui-même de changement. Si le possible existait avant d’être réel, alors le temps ne ferait qu’actualiser ce qui déjà tend à l’être. La citation de Laplace oublie de préciser que cette vision qu’il décrit suppose un « arrêt sur image » et le problème c’est que cet arrêt sur image n’est pas simplement impossible à produire effectivement mais que même en imagination il est absolument hors de tout représentation. Laplace fait comme si on voyait à l’œuvre des choses alors qu’en réalité on pourrait dire que l’on chosifie des œuvres, des êtres à l’œuvre. Il n’y a pas des forces ou des substances qui seraient soumises au mouvement du temps, il n’y a que l’être à l’œuvre du mouvement du temps que nous ne pouvons discerner qu’en le transcrivant en « choses », en états, en substances, en concepts. Je ne peux absolument pas faire un arrêt sur image de l’univers tout simplement parce que l’univers (et en un sens c’est bien ce que dit le Big Bang) c’est l’évolution. Ce n’est pas l’univers qui évolue c’est l’évolution qui s’universalise, qui se cristallise dans ce que c’est que devenir l’univers. Quand nous « devenons » quelqu'un d’autre que celui que nous étions juste avant (et nous ne cessons de le faire) nous coïncidons avec ce que c’est pour l’univers que de devenir et c’est l’intuition même de cette coïncidence que finalement Bergson appelle « théorie de la vie ». Cette intuition là, elle ne peut pas ne pas être en nous mais nous la ratons à chaque fois que nous adhérons à une conception purement intellectuelle, symbolique de la connaissance. C’est la raison pour laquelle Henri Bergson appelle à une fusion entre théorie de la connaissance et théorie de la vie.


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