La justice désigne un idéal
qui consiste à donner à chacun ce qui lui revient en fonction de sa faute. Or
un idéal exige un devoir être qui peut s’opposer à l’être. Si l’être fait
l’objet d’une connaissance certaine, le devoir être (ici la justice) n’est
qu’une croyance. Croire découle d’une adhésion intellectuelle qui prouve (sans
preuve) l’existence d’une entité. Ainsi, de même que pour la croyance en Dieu,
la croyance en la Justice est conditionnée par l’adhésion d’un individu. En ce
sens, il est simple de croire ou pas en un idéal (comme la justice). Cependant,
ne pas croire en cet idéal de la Justice pourrait faire passer l’action
politique ou morale pour une décision individuelle, ce qui rendrait impossible
la vie commune. Ainsi, on ne peut pas ne pas croire en la Justice : pour
vivre avec les autres, il faudrait nécessairement croire en elle. Cependant, si
l’on y croit, rien ne nous garantit qu’elle puisse s’incarner au sein du réel.
Alors est-ce que croire en
la Justice est suffisant pour réaliser une action politique ou morale ?
Croire signifie deux
choses : une attitude d’adhésion qui affirme la réalité d’une existence,
ou une marque d’incertitude. Par exemple, le fait de croire en Dieu prouve une
existence divine, en revanche, croire que quelqu’un est dans la pièce d’à côté
prouve que l’on n’en est pas sûr. Croire en la justice permet d’affirmer cet
idéal. Or si un bruit ou une voix permettent de supposer qu’une autre personne est
présente, rien ne permet d’inférer quoi que ce soit de le réalité de cet idéal.
Le réel présenterait plutôt le spectacle de l’injustice où les méchants
resteraient impunis tandis que les innocents souffriraient d’un réel que l’on
qualifierait de tragique. On pourrait également qualifier de tragique la
phrase : « le soleil brille pour tout le monde », aussi bien
pour les criminels que pour les innocents.
Tandis que la réalité de
l’idéal face à l’indifférence du réel reste hypothétique, il ne semble pas y
avoir d’idéal universel de la Justice. Il n’y aura, en effet, d’idéal de la
justice qu’à condition qu’il soit universel. Or nous savons pertinemment que ce
qui est juste dans un pays peut être le comble de l’injustice dans un autre.
Ainsi le relativisme serait la limite quant à l’universalité de ce t
idéal : de nombreuses normes d’injustice comme de justice sont
relativement aux pays et aux époques ; elles se contredisent d’ailleurs
souvent. Que devient alors la revendication de certaines actions au nom de
l’idéal de Justice ? Si elle n’existe pas à titre universel, la Justice
est alors réduite à une stratégie de manipulation chargée de masquer une
entreprise de domination. Prenant par exemple une loi interdisant aux forts
(les moins nombreux) de dominer les faibles (les plus nombreux) : cette
loi a été faite par les faibles et le plus grand nombre. Donc c’est en vue de
l’intérêt personnel (même pour plusieurs personnes) et par rapport à eux-mêmes
que les faibles ont fait cette loi. Par conséquent, la Justice ne serait qu’une
stratégie visant à tromper les naïfs. Même si rien n’interdit d’y croire, la
lucidité recommanderait donc de ne pas croire en la Justice.
On peut croire ou pas en la
Justice, cependant il n’est pas certain qu’on puisse réduire ce problème à un
choix libre d’adhésion individuelle car il conditionne notre vie en société.
Ne pas croire en la
Justice, c’est donner l’impossibilité de modifier l’être afin de donner ce qui
revient à chacun comme cela rendrait impossible toute action politique visant à
organiser la vie commune. En effet, le Juste nous oblige à tout faire pour
justifier nos démarches ; or comme ceux qui veulent dominer savent que les
autres ne les laisseront pas faire, ils cachent leur motivation de prise de
pouvoir derrière la générosité de la Justice. C’est donc la preuve qu’il faut
être malin en plus de fort pour déjouer ce genre de pratique.
Une démystification de ce
genre aurait pour conséquence la paralysie de toute action au service du bien
commun. En effet, qui prétendrait alors œuvrer pour la Justice serait suspecté
de faire passer en premier ses intérêts individuels cachés derrière la Vertu de
la Justice. Or, la crainte de voir les individus servir leurs intérêts en
s’opposant les uns aux autres ferait que chaque tentative pour transformer le
société serait combattue. En somme, ne pas croire en la Justice réduirait à un
arbitraire individuel toute action politique qui, par contrecoup, ferait
sombrer dans un état d’hostilité générale toute la société. Si le refus de
croire en cet idéal a des conséquences si mauvaises, il est donc nécessaire d’y
croire même sans être sûr qu’il soit réel. Mais n’avons-nous pas accès à la
connaissance de cet idéal ? On ne connaît pas cet idéal en lui-même,
cependant les contenus des différents idéaux de Justice sont bien connus. Or,
ce n’est pas parce que ceux-ci diffèrent que cet idéal n’existe pas. Plus
exactement, l’idéal de Justice est universel tant qu’il se présente en chacun
de nous comme une exigence vide de tout contenu. Ainsi, on ne peut pas dire que
la Justice n’existe pas sous prétexte de ne pas savoir ce que c’est. En effet,
cet idéal se présente de manière négative dans le scandale, notamment dans
l’affaire DSK plutôt récente. Ainsi, quand nous nous écrions : « ce
n’est pas juste », c’est l’affirmation que nous voyons en l’idéal de la
Justice que la situation présente vient précisément de contredire. Par
conséquent, il nous faut croire en la réalité de cet idéal universel qui émane
de nos raisons dans la mesure où il conditionne notre vie avec les autres et
permet d’orienter nos actions.
Cependant, il ne suffit pas
de croire en la réalité d’une idée pour qu’elle se réalise : croire en la
Justice signifie que cet idéal existe et qu’on lui accorde son adhésion, mais
rien ne garantit qu’il puisse être réalisé.
La justice existe comme idéal
mais l’idéal est un concept qui est opposé au réel. Ce qui est déterminé comme
une exigence de la raison ne risque-t-il pas de ne pas se soucier des
conditions réelles et de se réduire à une chimère ? On pourrait qualifier
cette objection de réaliste ou de pragmatique. Elle sera réfutée par l’idée de
régulation de la Justice. C’est-à-dire qu’elle oriente et donne une direction
au-delà des obstacles du réel. En effet, la morale n’est possible que lorsque
elle est fondée sur un modèle de Justice que l’expérience ne peut pas fournir
(ce qui est la définition de l’Idéal) et qui sert de mesure. Aussi l’idéal de
Justice est nécessaire pour réguler l’action politique. Elle est « le
fondement à tout progrès vers la perfection morale ». Il ne sert donc à
rien d’affirmer que cet idéal est irréalisable pour ne pas travailler à
l’inscrire le plus possible dans le réel. Croire en la Justice signifie qu’elle
est l’idéal vers lequel doit tendre toute action politique et morale et il n’est
pas légitime de refuser de travailler pour amener cet idéal dans le monde sous
prétexte qu’il est irréalisable.
Inversement, il suffirait
de ne pas croire en cet idéal pour qu’il se réalise. En d’autres termes, il ne
s’agit pas de déterminer ce qui est juste et de l’affirmer mais de le faire. On
veut bien que croire en la Justice comme idéal est une condition nécessaire
pour réaliser une action morale et politique mais elle n’est pas suffisante.
Pour que l’idéal se réalise, il faut travailler à son institution au sein du
réel. On pourrait, en ce sens, dire que cette croyance se réduit à une croyance
abstraite et stérile qui n’adhère pas vraiment à ce qu’elle croit. En revanche
une foi véritable en la Justice ne peut se borner à des déclarations de principe,
mais en passe nécessairement par le régime difficile de la réalisation.
Il est permis de croire en la Justice, mais on ne
peut pas. La croyance en cet idéal est une condition nécessaire mais pas
suffisante pour réaliser une action politique ou morale. En ce sens, on
pourrait croire en la Justice mais pas à l’affirmation de son existence idéale,
mais ce serait travailler à instituer effectivement dans le monde ce qui
n’existe encore que sous la forme d’une exigence rationnelle.
Cette copie a été rédigée par Alexis Davoust, élève de la terminale STI. Elle constitue, en elle-même une réponse à la question des références. Il n'est ici pas une seule ligne de ce travail qui soit hors du sujet. L'insistance avec laquelle l'auteur de la dissertation revient sans cesse à la question de l'idée de Justice comme Idéal régulateur des conduites humaines manifeste clairement la compréhension et l'accueil "juste" qui est réservé au verbe "croire" présent dans l'intitulé. Aucun philosophe n'est cité. Pourtant la réflexion croise, peut-être sans le savoir, des auteurs comme Platon, Pascal, Kant. Si un élève parvient à traiter une question avec "la ferme résolution" de ne jamais s'en écarter et d'approfondir constamment le problème, il retrouvera forcément un chemin déjà pratiqué par des philosophes. S'il le sait, tant mieux! S'il ne le sait pas tant pis, du moment qu'il manifeste une rigueur de raisonnement et de "polarisation" sur le sujet, comme c'est vraiment le cas ici. C'est de ce point de vue que cette copie est "exemplaire". Il ne faut pas la prendre comme l'invitation à ne pas se servir des philosophes (en un sens, cette dissertation a choisi la voie de la difficulté) mais elle décrit parfaitement la justesse du rapport qu'il faut entretenir avec elles: d'abord on comprend le sujet pour lui-même et on le traire comme tel avec ce que l'on sait, avec ce que l'on peut. Si, des références nous viennent dans l'efficience de ce travail, alors c'est tout bénéfice pour nous et l'on est sûr d'avoir cité l'auteur à bon escient.
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