Casser l'esprit de Noël : "C'est Noël" de Lilou Duthu

 

Nous voilà à Noël, le fabuleux Noël. A vrai dire nous sommes le 24, le réveillon, mais finalement j’ai l’impression que cela fait déjà 1 mois ou 2 que nous y sommes. Et bien oui, que voulez-vous, Mariah Carey, les décorations du sapin, le père noël au centre commercial, Maman qui stresse pour faire tous les cadeaux de la famille, pour au final s’y prendre au dernier moment, le 22, dans une zone commerciale blindée de monde. Monde qui va acheter le meilleur cadeau pour toute la famille, ou le moins pire, alors qu’il ne les a pas vu depuis 1 an, au dernier noël. Alors ils achètent les meilleurs cadeaux pour se montrer que “Oh oui tata Géraldine, je t’aime même si cela fait 1 an que je t’ai pas vu, pas pris de tes nouvelles, pas souhaité ton anniversaire car “trop occupée” (alors qu’on avait juste oublié).”. Ce même monde qui, toute l’année, se révolte de la surconsommation et qui, à noël, se jette sur les meilleures promos, alors qu’ils n’ont besoin de rien. Ce même monde qui prépare 2 entrées, 2 plats, fromages, dessert et digestif, alors qu’ils ne vont plus avoir faim après avoir passé le moment de “l’apéro”. Mais ce n’est pas grave, c’est noël, en revanche, qu’est-ce qu’on est triste pour les pauvres enfants qui, eux, n’ont même pas un repas par jour, ni de cadeau hors de prix mais c’est noël ! Évidemment, on le sait tous, noël excuse tout. C’EST NOËL !!! 

Mamie nous rappelle qu’il faut honorer le petit Jésus, donc on le fait, personne autour de cette table n’est croyant mais ce n’est pas grave, ce sont les traditions de noël. Personne autour de cette table n’est vraiment honnête. On se regarde, tous très bien habillés, tirés à 4 épingles, maquillés, coiffés, alors qu’on aurait tous aimé venir avec notre bon vieux jogging. Mais non c’est noël. Et oui ça marche aussi dans ce sens, ce petit refrain n’est pas là que pour nous excuser de nos comportement honteux. “Mais noël c’est important, c’est dans nos origines chrétienne.” Et bien je me doute que les défenseurs du vrai noël doivent voir tout cela d’un bon œil. Non ? Ah oui c’est vrai, ils ne doivent pas être aux anges de voir la naissance de Jésus assimiler à tous ce cirque. Pardon, ce théâtre où tout le monde tient bien son rôle : maman au fourneau, et bien oui si c’était papa je doute que mamie serait contente, lui, il sert le vin, évidemment. Papi et tontons en train de discuter des immigrés, c’est fou ça : tous les oncles sont racistes ? A moins que ce ne soit qu’un rôle imposé ? Les cousins et cousines attendent que le repas se finisse, et oui c’est pas drôle pour un enfant de devoir attendre jusqu’au lendemain pour ouvrir les cadeaux pendant un repas interminable. Et enfin si ce sont tes parents qui ont le malheur de recevoir la famille, et bien bon courage à toi qui va devoir rester toute la soirée, à être serveur pour les autres et finir la soirée à 1h, une fois que tout le monde se sera décidé à partir, pour débarrasser la table. Mais c’est noël !

Enfin, si je vous dis tout cela c’est parce qu’actuellement je suis à table entre tonton et mamie, en train de regarder papa déboucher la bouteille, et ma sœur en train de servir les plats pendant que ma mère est à la cuisine. Qu’est-ce qu’on mange ? Première entrée, des huîtres. Étonnamment, mon cousin n’a pas l’air très content. Du haut de ses 5 ans, pas facile d’apprécier ce repas alors qu’il a juste envie d’un steak frite. Alors évidemment mamie s’énerve et lui dit que c’est un ingrat, qu’il n’est pas reconnaissant pour le repas que Jésus nous offre. Je souris, bien vite coupée par mon estomac qui me fait mal. Je suis pas sûre qu’il soit prêt à encaisser tout cela après les 40 toast au saumon, les 20 toast au foie gras et évidemment le cocktail bon marché qu’on donne aux ados : trop jeunes pour boire de l'alcool, mais trop vieux pour un verre de coca. C’est noël. 

J’écoute les conversations autour de moi, toujours les mêmes. Les mêmes banalités, idioties, parler pour parler, pour ne rien dire. Aborder un sujet sérieux sans vraiment le faire, rester en surface pour ne pas choquer, pour ne pas dire ce que nous ne voudrions pas entendre. Alors on parle, on parle des guerres affreuses, de la mort, mais on en parle sans vraiment en parler, entre deux blagues pour « dédramatiser », évidemment il ne faudrait pas « casser l'ambiance ». Et de toute façon « il vaut mieux en rire que d’en pleurer ». Ne pas dire tout haut ce qu’on voudrait vraiment dire. Mais c’est normal c’est noël.

Maman arrive à table et me souris, je sais qu’elle n’a rien fait à la cuisine, papa est le vrai cuisinier ici, alors il lui avait tout préparé à l’avance pour pas qu’elle fasse tout brûlé. Je sais aussi que ce n’est pas lui qui à ouvert la bouteille, il ne sait pas faire, il a dû prétexter une crampe ou je ne sais quelle excuse pour la passer à mon oncle. C’est ce que je vous disais : un théâtre. Oh et c’est pas possible cette robe me gratte. Mais c’est noël. 

Quelques plats plus tard, je m'étonne du calme de la conversation, on ne m’a toujours pas demandé “Comment ça va les amours ?”, question, soit dit en passant, totalement débile. Tata n’a toujours pas dit à tonton qu’il devrait “un peu se calmer sur les verres d'alcool, ça commence à être un peu excessif.” alors qu’elle en a sûrement bu plus que lui. Mais j’entend à ma droite mon tonton qui chuchote ces quelques mots, bien qu’un peu trop forts pour passer inaperçu : 

“-Et dire que ma très chère soeur n’est pas venu à ce repas de famille pour faire on ne sait quoi””

Alors oui, elle n’est pas là, et son mari non plus. Le seul avec qui mon oncle aime discuter. Officiellement elle travaille en tant qu’aide sociale et donc elle doit s’occuper d’une famille ce soir. La réalité est qu’elle a juste trouvé une excuse pour ne pas venir, mais personne ne le sait.

“-Enfin Bastien, arrête de te plaindre, et puis arrête de te resservir du vin !”

Evidemment je vous laisse deviner qui vient de lui répondre.

“-Elle n’a qu'à pas passer son temps à travailler, à aider les gens qui ne veulent pas vivre normalement ! Et qui ne veulent pas travailler : les arabes ! “

Le voilà le propos raciste. Pour des raisons évidentes, je vais vous censurer la conversation ou s’affronte mon oncle, ma cousine et mon grand-père raciste contre ma mère, ma soeur et mon père, qui ont encore l’espoir de les faire changer d’avis. Moi j’ai abandonné, fut un temps où je participais à ces débats, je pensais même que ça en était un, je passais du temps à trouver des bonnes infos avec des sources à ce que je dis. Mais j’ai abandonné le jour où mon grand-père m’a dit de me taire et que je devrais leur donner du respect car je suis plus jeune. Mais ce n'est pas grave c’est noël.

Cette confrontation dure 10 minutes très drôles mais je vois ma grand-mère commencer à se lasser de ce petit spectacle déroutant. Dommage je commençais tout juste à m’amuser. Mais elle nous dit doucement qu’on doit se calmer, et bien évidemment, tout le monde se tait. Je me demande bien comment ça se passe chez les autres. Est-ce que chez eux aussi tout le monde joue un rôle préatribué ? Est-ce que les autres aussi détestent ce repas ? Est-ce que je suis la seule à redouter ce moment, et tous ces repas de famille ou nous ne sommes en réalité tout sauf une famille ? Non parce que sincèrement vous allez me faire croire que c’est cela une famille ? Tous à se regarder et attendre qu’on fasse un pas de travers, tous à jouer le jeu. Sincèrement si je devais décrire ma famille je dirais que c’est un mariage forcé. Je n’ai jamais décidé de qui je devais accueillir dans ce cercle, et pourtant je suis piégée avec eux. C’est peut-être cruel, je sais, mais je ne les déteste pas, mais dans ces moments j’ai qu’un envie c’est de courir le plus loin possible. Et pourtant je les aime vraiment, mais je n’aime pas cette pièce de théâtre débile. 

Pour plaire à qui ? Pourquoi ne pas être nous même ? Pourquoi ne pas arrêter ce gavage alimentaire ? Pourquoi ne pas arrêter de s’acheter des choses qu’on va revendre et qu’on aime pas ? Pourquoi ne pas arrêter de célébrer cette fête qui n’a rien à voir avec notre religion ? Pourquoi ne pas vraiment aborder les sujets, les aborder vraiment ? Pourquoi ne pas arrêter de survoler la réalité pour ne pas blesser ? Pourquoi ne pas dire ce que l’on pense ? Être nous-même. Enfin. La famille devrait être l’endroit de la vérité et non du jeu.

Mais ce n'est pas grave c’est noël. Et demain nous recommençons ce repas de famille pour le 25, puis Pâques, les anniversaires, etc. Et bien évidemment il reste le nouvel an, mais arrêtons cette liste de reproches, parce que le nouvel an et ses résolutions pourraient être un sujet très vaste, peut-être même plus que noël. Joyeux noël et bonne année !!