Il y a peu de choses dont je sois aussi sûr que celle-ci: tous les efforts dont nous sommes capables, toute l’intensité de vie que nous sommes en mesure de libérer doivent être exclusivement impliqués dans cette donnée, dans cette vérité: nous ne sommes pas des zombis, nous ne sommes pas des walking dead, nous ne sommes pas des consommateurs, nous sommes ce qu’Aristote appelle des « zoôn politikon », ce qui signifie simplement que vivre, pour nous, c’est « agir ». Pratiquer mon métier me permet d’agir et, c’est vrai: le fait que mon métier soit pratiqué dans le service public compte énormément, à ce titre, tout simplement parce qu’aucune action ne peut se concevoir sans s‘effectuer dans ce rayon d’action d’un NOUS (et il n'y a pas de meilleur "nous" que celui d'un métier qui est intégré à l'Etat). C’est simple, c’est carré et si on tient ce fil, rien ne peut nous arriver.
Attention! Cela ne veut pas dire que vous le feriez vraiment gratuitement, non pas parce que vous êtes hypocrites, mais parce qu’une action ne pouvant être conçue que dans le rayon d’action du NOUS, il faut qu’elle se produise dans une société qui la reconnaisse et le salaire n’est que ça: cette reconnaissance. C’est très révélateur de voir les dirigeants zombis encourager le bénévolat. Mais justement nous sommes trop désintéressés pour concéder que cet ancrage de notre moi dans notre travail pourrait se faire sans être reconnu par la société entière. Je pourrais le faire sans être payé mais j’ai besoin de mon salaire, non pas seulement pour vivre mais parce que cette implication totale dans le métier, ce n’est pas exclusivement ce que je fais pour moi mais aussi ce que je veux pour tous les autres. C’est le seul modèle de société qui puisse convenir à des zoôn politikon qui ne veulent pas devenir zombis. Pour être clair, c’est l’une des clés fondamentales pour être heureux.
Dés lors qu’un chantage s’organise par le biais duquel on me demande sournoisement d’être un peu moins exigeant au niveau du sens et de gagner en contrepartie un salaire plus important, alors on veut tout simplement ma peau, ma vraie peau. On essaie de me zombifier, et aucune mort ne saurait être plus abjecte que cette « agonie dorée ».
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Titus le lion présente sa collection d' humanoïdes empaillés |
Quiconque travaille parce que cela fait sens pour lui donne de la valeur au travail et il est particulièrement intéressant de voir à quel point les partis qui défendent ce qu’ils appellent la « valeur travail » sont du côté des zombis, puisque cela signifie: « sacrifie ton moi au travail, à l’absence de sens de ton travail! » Là on ne parle plus du travail, on parle de l’emploi, du fait d’être employé, c’est-à-dire d' un rapport de subordonné dans le travail. Le fond de l'affaire est là: quand vous dites "travail", beaucoup de gens veulent que vous entendiez "rapport subordonné au travail", après quoi vous aurez bien "mérité" de ne plus travailler, donc il faudrait que vous cotisiez beaucoup à faire un travail dans des conditions telles que vous ne pourrez pas lui donner de sens pour enfin jouir d'être quoi? Rien: ne plus agir, ne plus exister, vivoter, "mort-vivre" , en fait. Il y a un gros problème ici, c'est qu'être humain, c'est-à-dire être un zoôn politikon ce n'est pas avant la retraite, car là vous ne faites que vous agiter absurdement pour gagner un salaire (même si ce salaire est élevé, ce n'est pas agir, ce n'est pas de la praxis) et ce n'est pas dans la retraite non plus, parce que vous y êtes considéré comme "inactif" mais en fait vous n'aurez jamais été actif, c'est-à-dire humain).
J'ai pris conscience de tout cela en réalisant que, dans la plupart des débats auxquels j’ai assisté, la question était mal posée au départ, c’est-à-dire qu’elle l’est dans les termes d‘un chantage (tu cotises combien de temps pour jouir de combien d'argent ?) alors que justement il est impossible et rigoureusement non-humain qu’elle le soit. Je n’ai pas à travailler plus dur ni plus longtemps pour jouir ensuite du fait de ne plus travailler en cotisant, la vérité est que je ne pourrai jamais cesser de travailler, parce que je ne pourrai jamais cesser d’exister ou encore parce que je ne pourrai jamais exister sans agir, parce qu’il est inconcevable que mon moi puisse tenir le coup sans se nourrir d’une pratique qui a du sens.
Le salaire n’a aucune légitimité à être la récompense d‘un travail. On ne travaille pas « plus » pour gagner « plus », on gagne à travailler en travaillant parce qu’on se nourrit du sens que cela donne à sa vie et le salaire n’est que l’indice du fait que ce sens soit conforté, reconnu par une communauté qui énonce par là la compatibilité entre le sens d'un travail collectif « pour moi » et le sens de mon travail « pour NOUS » .
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