samedi 8 avril 2023

Terminales 3/5/7 - Distinction des notions: Morale / Droit / Justice / Devoir

 
Les difficultés que nous allons rencontrer dans les distinctions entre ces quatre concepts viennent finalement d’une seule différence que l’on retrouve clairement dans la notion de « Justice ». Quand une personne évoque une situation en disant « qu’elle n’est pas juste », parle-telle de la justice des lois appliquées dans un pays, ou bien d’une justice plus « haute », d’une justice considérée comme "valeur" et non comme institution humaine s’exerçant dans tel état? Il importe d’avoir constamment en tête cette distinction là qui est finalement comme un axe que l’on retrouve finalement complètement dans l’opposition du droit et de la morale: le droit appliqué dans un pays peut parfois aller à l’encontre de ce qui nous semble moralement juste. 

Si par exemple, nous portons notre attention sur ces trois termes de Droit, de justice, de devoir, nous réalisons que chacun d’eux est traversé de cette ligne de frontière: 

  1. Par justice, nous entendons à la fois la justice comme institution et la justice comme valeur (alors que ce n’est pas pareil)
  2. Par devoir, nous pouvons entendre le devoir d’obéir aux lois (devoir légal) et le devoir moral (légitime: on peut nous demander d’obéir à une loi qui nous semble illégitime) 
  3. Par Droit, on peut entendre le droit positif (le droit tel qu’il est appliqué dans tel état à un moment donné) et le droit naturel (le droit comme intuition humaine, dépassant l’appareil légal dont se dote un pays, définissant une sorte de bien « pur », universel, : ce que nous appelons moralement et le bien pour tout homme en tout temps, indépendamment de son appartenance à tel ou tel pays, à telle ou telle civilisation.



On comprend alors qu’il y a bien dans la notion de « morale » quelque chose de différent par rapport aux trois autres termes. Bien sûr, on peut parler d’une « morale civique ou citoyenne » mais même en ce cadre, la notion de « morale » porte en elle, dans sa définition même, une portée universelle. Que chacune et chacun de nous s’interroge lorsque nous affirmons d’un geste ou d’un acte qu’il n’est pas « moral », nous percevons bien que nous engageons quelque chose qui signifie bien plus que « ce n’est pas légal ». Nous voulons dire qu’accomplir un acte « qui n’est pas moral » fait perdre à son auteur «  un certain crédit » non pas tant que citoyen mais en tant que « personne », comme s’il n’était pas possible de s'approuver soi-même, de se considérer comme « humain » en l’effectuant (bref de se regarder dans un miroir, de se supporter soi-même, faisant cela).

Il faut faire attention ici: cela ne signifie pas qu’il existe en effet UNE morale universelle qui serait efficiente pour tous les êtres humains, mais plutôt que chacune et chacun respecte ce qu’il considère comme « moral » parce qu’il adhère à l’idée (vraie ou fausse) que ce principe soit universel. 

Il est très éclairant de distinguer de ce point de vue la morale et l’éthique, d’abord parce que ces deux termes semblent se recouper d’abord. Dire d’un geste qu’il n‘est pas éthique, c’est en effet, se placer à partir d’un « lieu » qui nous semble tout à fait être celui de la morale, tout simplement parce que l'on place la question entre soi et soi. Morale et éthique peuvent donc d’abord paraître délimiter un espace qui est celui de l’ipséïté (Paul Ricoeur), du rapport de soi à soi-même. 

Mais il y a une distinction de taille et finalement si nous la comprenons bien, nous  saisissons pourquoi Spinoza n’a pas appelé son oeuvre fondamentale: « la morale » mais « l’Ethique ». C’est parce que Spinoza ne croit pas que le bien et le mal existent « en soi », comme des valeurs transcendantes. Il n’y a rien qui soit bien ou mal, mais il existe du bon et du nuisible pour quI? Pour la nature, c’’est-à-dire pour la réalité telle qu’elle s’effectue à chaque instant en tant qu’immanence. Il n’est donc rien qui puisse être « A L’AVANCE » défini comme étant bien ou mal. Il y a un principe de réalité qui oeuvre et en vertu duquel la nature, la vie EST et il est bon que la vie soit. Cela signifie que ma vie et la valeur au nom de laquelle la vie est bonne s’effectuent en même temps. Quelque chose de cette synchronicité définit l’Ethique et sa supériorité fondamentale sur la morale.

Tout ceci peut être formulé à partir de l’opposition entre le pouvoir et la puissance. Si l’on adhère à la morale, cela revient quand même nécessairement à adhérer à l’idée d’une transcendance, donc d’un pouvoir, et cela peut-être le pouvoir des lois, de lois universelles (c’est exactement la position de Kant). Par contre, l’éthique désigne la convenance à soi d’une puissance naturelle qui est celle là même de la nature, de la réalité, de la vie (c’est la position de Spinoza). Avoir une éthique par conséquent c’est faire ce qu’on peut du point de vue de la puissance.  Suivre la morale, c’est faire ce que l’on doit du point de vue d’un pouvoir transcendantal. Ce pouvoir,  Kant considère que c’est celui de la Raison humaine, celui d’une action par le biais de laquelle un être humain s’accomplit universellement en tant qu’être humain, c’est-à-dire conformément à la LOI Morale. Nous mesurons ainsi grâce à l’opposition entre ces deux grands auteurs tout ce qui distingue la morale et l’éthique alors que le sens commun a tendance à confondre ces deux termes.

Dés lors les autres termes et leur dualité de sens apparaissent beaucoup plus clairement: 

Le droit et la justice désignent finalement à peu prés la même chose comme l’étymologie le souligne assez nettement: jus, juris, le droit. La différence entre la valeur et l‘institution traverse ces deux termes de la même ligne de distinction: il y a la justice idéale, divine (valeur) et la justice qui tranche dans chaque état entre les citoyens, pour les citoyens (institution). Le champ d’efficience de ces deux termes se conçoit parfaitement dans une perspective asymptotique: ni la justice ni le droit ne sont « assez justes » ni « assez droits », mais dans leur dualité s’active un effet de polarisation par le biais duquel c’est vers cela qu’ils « tendent », même si finalement personne ne sait ce qui est Juste en soi ni Droit en soi, cette indétermination étant finalement induite de la transcendance même de ces valeurs supposées (c’est Dieu qui donne les tables de la loi à Moïse).


La notion de devoir est probablement celle qu’il est vraiment le plus intéressant d’aborder à partir de la distinction entre la transcendance et l’immanence. Ici encore l’opposition entre Kant et Spinoza est totale et très éclairante. 

(Attention, dans tout ce qui suit, le propos n’est plus tout à fait celui d’un travail de définition préalable, mais plutôt d’un fil d’opposition problématique qu’il peut être intéressant de déployer au fil d’une dissertation. Ce que cela signifie, c’est que ce qui suit doit être articulé à un problème précis et fera apparaître, selon que l’on soit d’accord avec Kant ou avec Spinoza, des options philosophiques tout à fait viables mais vraiment irréconciliables. En clair, il ne vous est pas du tout interdit de pencher A LA FIN d’une dissertation ou d’une explication plutôt du côté de l’un ou de l’autre mais on évaluera le fait que vous le fassiez en connaissance de cause (note haute), ou pas du tout (note basse))

  Qu’est-il de notre devoir de faire? De suivre la loi morale comme un guide qui en toute occasion nous désigne la seule chose à accomplir au nom d’une raison universelle humaine (et nous allons voir exactement ce que cela suppose par rapport à la question du mensonge pour Kant) ou bien de saisir intuitivement, de façon immanente, ce qu’il est naturel du point de vue de la nature naturante de réaliser ? Dans cette dernière perspective, ce n’est pas tant qu’il soit de notre devoir de faire ceci ou cela, c’est davantage d’une bonne entente, d’une bonne écoute de ce que l’on se sent en puissance d’accomplir, de libérer qu’il est question. Ce que l’on « doit », dés lors  n’entre plus du tout en contradiction avec ce que l’on peut, ce que l’on se sent en puissance d’accomplir. On pourrait ainsi affirmer que "l’effort d’une chose ou d’un être pour persévérer dans son être n’est rien d’autre que l’essence actuelle de cet être", libération par le biais de laquelle c’est tout aussi bien son devoir qui s’énonce. 



                Résumons:      1) La morale désigne le jugement par le crible duquel nous faisons passer les actes et les intentions d'une autre personne ou de nous-même, jugement qui les classe par rapport au bien et au mal, étant entendu que ces notions transcendent la vie.
                                  2) Le droit définit cette instance que l'on pourrait baptiser du terme de "Tiers" en ce sens qu'il désigne cette sorte de tierce personne qui dans un conflit entre deux personnes manifeste la présence d'une autorité juridique au regard de laquelle les actions ne se passent pas seulement dans une réalité physique mais aussi dans un champ de droit qui n'est pas ou plus celui de la force brute. 
                                            3) La justice désigne soit la même chose que le droit en ce sens que le terme s'applique aux institutions des hommes, soit la valeur transcendante et idéale au nom de laquelle la justice institutionnelle est rendue
                                              4) Le devoir se conçoit comme le sentiment impératif d'une dette à l'égard d'une valeur, d'une responsabilité ou d'une charge qu'il nous revient d'honorer, de respecter, de faire sien.

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